Un livre, une critique, une actrice, une femme : Star Trek selon Nichelle Nichols
Beyond Uhura, Star Trek and other memories
Question à 10 barres de latinium : quel est le point commun entre Al Capone et la Fédération Unie des Planètes ? Réponse : Nichelle Nichols ! Pour preuve, l'autobiographie de l'actrice.
Après avoir lu les Mémoires de Shatner, j'étais curieuse de voir la passerelle de l'Enterprise avec les yeux du Lieutenant Uhura.
Son autobiographie m'a permis de faire un fabuleux voyage dans le temps et les mondes étonnants de la comédie musicale, du ballet et de la télévision des années cinquante à nos jours.
"Hailing frequencies open !"
Si Grace Nichols (de son vrai nom) est née en décembre 1936, son histoire commence, d'après elle, bien des années plus tôt. A la fin du siècle dernier, quelques décennies seulement après la Guerre de Sécession, son grand-père, un Blanc, crée le scandale dans sa communauté en épousant une Black...
Le jeune couple s'installe à Robbins, dans les environs de Chicago. Quelques années plus tard, un de leurs fils, Samuel, en devient le maire. Une situation qui lui vaudra une rencontre avec le peu recommandable frère d'Al Capone. Samuel épouse en secondes noces Lishia, elle-même divorcée et mère de famille. Ils ont plusieurs enfants dont, bien sûr, "Nichelle".
La petite fille a une enfance heureuse, dans une famille soudée. Certes, il lui sera difficile de s'entendre avec sa mère. A sept ans, sa santé fragile nécessite des cours de danse.
Ainsi naît la passion de Nichelle pour la scène et le spectacle. Ses parents pensent qu'il est nécessaire à chacun de s'épanouir dans son domaine de prédilection. Nichelle sera danseuse et chorégraphe.
Elle suit alors des cours avec divers professeurs réputés. Bien sûr, certains émettent des réserves avant de l'accueillir à leur cours à cause de sa couleur de peau.
A seize ans, elle fait néanmoins son entrée dans le show business en jouant dans un spectacle avec la troupe de la très célèbre danseuse Katherine Dunham.
A dix-huit ans, Nichelle épouse un quinquagénaire, Fester Johnson, danseur de son état. Le mariage se solde par un échec après seulement quelques semaines alors que Nichelle attend depuis peu son premier enfant. Elle retourne chez ses parents lorsque Duke Ellington lui propose de s'occuper de danser pour son spectacle. Nichelle est enceinte de deux mois mais peu importe ! Elle accepte la proposition.
La naissance de son fils Kyle interrompt sa carrière. Pendant un an et demi, Nichelle se consacre entièrement à l'éducation de son enfant. Une tâche difficile pour cette toute jeune femme de dix-neuf ans.
Le démon de la danse la démange à nouveau et elle reprend des cours, espérant relancer sa carrière. Elle est bien vite engagée dans divers clubs, du très sélect Blue Angel, à New York, à une boîte de nuit appartenant à l'Italien Balistrieri, un Mafieux notoire.
Quand Nichelle découvre que les danseuses sont peu à peu poussées à la prostitution, elle quitte le club, s'échappant difficilement de l'emprise de Balistrieri. Et puis, la little colored showgirl, malgré tous les préjugés qui l'entourent, arrive à faire condamner en justice un "honorable" homme de loi dans une sordide affaire de tentative de viol. Une belle victoire pour la petite danseuse black !
Nouveau départ : Los Angeles !
Nichelle obtient un rôle dans le film "Porky and Bess". Son partenaire pour ce film n'est autre que le grand Sammy Davis Jr. Il lui propose d'enchaîner en participant à son spectacle à Las Vegas.
Hélas, Sammy doit annuler son projet pour raisons de santé. Nichelle est alors engagée dans un théâtre pour un spectacle baptisé "Carnival Island".
Elle tombe amoureuse d'un autre danseur, Frank Silvera. Elle trouve auprès de lui la stabilité et rencontre pas mal d'acteurs et de gens du spectacle dont Marlon Brando, Lee Starsberg et Geraldine Page.
Elle joue dans différents spectacles, travaille dans des clubs de nuit prestigieux (dont le célèbre New York Playboy Club) et croise diverses vedettes de la danse et de la chanson qui entretiennent autant de solides amitiés que de la compétitivité acharnée.
Après le décès de son père, fatiguée de devoir délaisser sa vie privée au profit de sa vie professionnelle, Nichelle décide une fois de plus de concrétiser un nouveau projet : diriger son propre théâtre avec Frank.
Ils en acquièrent un ensemble à New York et montent une pièce à succès.
Mais sans qu'elle le veuille cette fois, sa vie va encore changer. Frank donne des cours à divers étudiants, dont Gary Lockwood et un certain Don Marshal. Tous deux jouent dans une série baptisée "The lieutenant", qui raconte la vie des Marines américains durant la seconde guerre mondiale. Une série avant-gardiste puisque le microcosme formé par ces soldats sert de prétexte pour aborder divers problèmes sociaux de l'époque.
La production cherche justement une actrice le temps d'un épisode. Nichelle auditionne et décroche ce rôle. Elle rencontre alors le producteur de cette série, un certain Gene Roddenberry. Très vite, ils entretiennent une liaison.
Mais le jour où Gene, en instance de divorce, lui présente Majel Barrett (que Nichelle avait déjà rencontrée lors d'une audition !) comme l'autre femme de sa vie et lui propose qu'ils fassent "ménage à Troi", elle le laisse tomber.
Cela ne mettra pas fin à leur collaboration professionnelle. Gene prépare une autre série, plus ambitieuse encore, "La caravane vers les étoiles", "Star Trek"... Un projet qui séduit tout de suite Nichelle. Avec Uhura s'ouvrent à elle une période de stabilité financière, mais aussi, la possibilité d'incarner un personnage fascinant.
Star Trek...
Bien sûr, les informations trekkiennes que l'ont peut recueillir dans ce livre seront souvent la première motivation des elfes au sang vert que nous sommes.
Il y a peut-être alors un petit reproche qu'on peut adresser à l'auteur : nous faire attendre jusqu'au tiers du roman pour aborder le sujet. Ceci dit, cela valait la peine de patienter (d'autant que les autres chapitres de la vie de Nichelle ne sont pas forcément indignes d'intérêt, j'y reviendrai).
Le premier intérêt de cette partie est que Nichelle raconte pas mal d'anecdotes, des plus connues (sa rencontre avec Martin Luther King, le baiser avec Shatner) aux moins connues.
Savez-vous par exemple que le rôle de l'assistante noire de Mannix aurait été créé pour Nichelle ? On apprend aussi que Gene et Nichelle adoraient faire des blagues, notamment aux membres de l'équipe de production.
Visiblement, Nichelle prend beaucoup de plaisir à nous raconter tout cela puisqu'elle n'est pas avare de détails.
Deuxième intérêt, et non des moindres : Nichelle aurait pu sous-titrer son bouquin "tout ce que vous avez voulu savoir sur Star Trek...". Elle aborde tous les aspects de la série, de l'organisation du tournage à son costume de StarFleet.
Nichelle explique d'abord que par le rôle d'Uhura, elle et Gene voulaient donner aux téléspectateurs l'exemple d'une femme capable d'effectuer des missions sérieuses tout en gardant sa féminité et son identité raciale.
C'est avec Roddenberry que Nichelle a dessiné son personnage, de son prénom à son caractère.
Nichelle se flatte d'avoir su défendre la cause d'Uhura parfois malmenée par des scénaristes peu scrupuleux. Par l'intermédiaire d'Uhura, Gene et Nichelle voulaient aborder de façon positive les problématiques du racisme et du sexisme.
Les rapports entre acteurs et producteurs semblaient en général amicaux. Shatner parlera d'une grande famille. Nichols lui répliquera tout de même que certains membres de la famille ont été lésés.
Comment ne pas ressentir l'amertume de Nichelle quand elle explique combien il était désolant que son personnage ait si peu à faire, qu'elle s'efface constamment face à Kirk et Spock sous le prétexte que seuls ces deux héros intéressaient le public ?
Nichelle parle du départ de Grace Lee Witney, de celui - provisoire - de George Takei mais aussi de l'étrange tendresse qui l'a liée à Shatner quand celui-ci lui a parlé, un soir après le tournage, de son divorce futur. Il était difficile de se lier réellement aux scénaristes qui changeaient souvent - chose que Nichelle regrette. De plus, certains avaient visiblement beaucoup de mal à comprendre qu'Uhura n'était pas qu'une jolie standardiste en minijupe !
Et puis, il y a le reste, les "détails" : ce que Nichelle pensait de sa tenue sexy (qui pour elle n'était pas du tout une marque de sexisme), des focus sur certains épisodes qui ont été marquants pour elle (notamment, "La descendance") ce qui nous permet d'aller encore plus avant dans l'univers Star Trek.
Bien sûr, on peut souligner quelques faiblesses du livre, notamment, évidemment, sa subjectivité. Nichelle évoque ces souvenirs de son unique point de vue. On peut se demander aussi si, faisant partie du sérail de Paramount, Nichelle était 100% libre dans ses propos.
A-t-elle pu tout raconter, par exemple, au sujet de Roddenberry (qu'elle se complaît of course à encenser) ? Et puis, pour la majorité des fans, certaines anecdotes sont vues et revues. Shatner en reprend d'ailleurs dans ses mémoires.
... et autres souvenirs
La vie de Nichelle est-elle extraordinaire au point d'écrire une autobiographie avec pour but de dépasser le personnage d'Uhura ?
Oui, réduire Nichelle au Lieutenant des communications de l'USS Enterprise est oublier un peu vite que l'actrice a eu une vie plutôt remplie avant !
Tout d'abord, le témoignage de Nichelle est celui d'une petite Black tentant de s'imposer dans une Amérique encore dominée par des préjugés White Power. On est encore loin du premier baiser interracial à la télévision américaine !
Son grand-père, son père, Nichelle et son fils seront tôt ou tard confrontés à un racisme aussi mesquin que redondant. Pas de place pour une danseuse black dans les meilleures écoles artistiques de la région, eut-elle du talent. Pas question de céder un appartement à une jeune Noire et son boyfriend blanc. Nichelle décrit chaque anecdote avec une touche d'amertume.
Le deuxième "défaut" de Nichelle est d'être une femme et qui plus est, une danseuse, avec toute la connotation avilissante que ce mot comportait aux yeux de certains. Nichelle défend ses droits. Peut-être que Star Trek était pour elle une occasion de plus de le faire. Belle revanche pour la Little colored showgirl que d'explorer l'espace au vingt-troisième siècle !
Grâce à Nichelle, nous pénétrons dans les coulisses du show business des années soixante, un monde apparemment frelaté fait de paillettes et de chants. Nichelle a roulé sa bosse dans le milieu et passe du club sélect au club miteux. Elle raconte chaque étape de son travail : rédiger la chorégraphie d'un spectacle, engager des danseuses ou être engagée soi-même. Elle évolue dans un monde où il faut s'adapter et répondre à toutes sortes d'exigence, à la perfection.
De plus, Nichelle a croisé pas mal de gens intéressants dont elle donne un portrait vivant et détaillé. Sa complicité avec Duke Ellington, sa solide amitié avec Sammy Davis Jr, la cruauté de ses rapports avec la danseuse Diahann Carrol sont autant de passages amusants qui résonnent comme des clins d'oeil faits au lecteur.
A vingt ans, Nichelle a acquis toute la maturité de l'adulte. Son métier et sa vie personnelle l'y ont obligée. Nichelle semble chercher la stabilité. Elle raconte sa vie personnelle avec quelques détails, mais juste assez. Et elle assaisonne chacune de ses expériences d'une réflexion, d'un commentaire personnel sur la vie à deux, les rapports d'une mère avec son enfant, le monde du show business... Elle a acquis une certaine philosophie de la vie dont elle livre ici quelques préceptes.
End of transmission
Il est difficile de ne pas recommander ce livre à un Trekker amateur de la série classique. J'avoue d'emblée évidemment n'avoir pas pu comparer avec les autobiographies de Walter Koenig, Leonard Nimoy ou James Doohan. Il n'empêche que, mêlant habillement univers trek et univers personnel, Nichelle nous convie à un petit séjour touristique dans quelques coins reculés du temps et de l'espace.
De Grace Nichols à Nyota - Uhura, Nichelle aura roulé sa bosse "sur Terre comme aux ciels". Et il n'est vraiment pas désagréable de se laisser raconter cette vie bien remplie. So, Miss Nichols, live long and prosper !
Références : NICHOLS Nichelle, Star Trek and other memories, Pocket Books ( en langue anglaise)
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