Chapitre III
Loge du Blue Jelly Fish, 2h00. 14 Novembre.
Ayant décidé de passer à l'action cette nuit là, Derns
révisait son plan, tourmenté à l'idée qu'on puisse le trouver
là.
Il serait chez Symon dans vingt minutes. Les récents
événements l'avaient conduit à se protéger à outrance. Mais
il faisait trop confiance à la technologie, et ça c'était un
atout. Car son service connaissait fort bien le système de
sécurité que Symon s'était offert. Peut-être pensait-il comme
Mulder qu'un phénomène surnaturel était à l'origine de ces
disparitions? En attendant, si quelqu'un cette nuit avait le
malheur d'avoir le sommeil léger, il avait de quoi faire passer
le marchand de sable. Son pistolet anesthésiant donnerait un
petit air de safari à cette sortie. Comme il n'avait pu obtenir
la confiance du criminel, il ne lui restait plus qu'à s'emparer
de ses petits papiers, et mettre ainsi fin à l'élimination des
témoins qui acceptaient de parler contre lui ou ses amis.
Il enfila une paire de jeans, ramené un peu plus tôt de la
garde robe du club. Un pantalon marron élimé avec des étoiles
argentées sur les poches arrières. C'était moche, mais il
n'avait pas le temps d'être exigeant. Il passa un gilet
pare-balles au dessus de son sweat et attrapa un sac qu'il
cachait dans le faux plafond de la salle. Il avait trop peur des
fouilles pour planquer quoi que ce soit chez lui.
Il écarta une cagoule noire, un fax où apparaissaient les
photos de Mulder et Scully, et prit un plan de la ville. Il
suivit fébrilement du doigt une ligne rouge qui ressemblait à
ces labyrinthes que l'on trouve dans certains magasines.
Il faisait de son mieux pour oublier l'idée, mais la disparition
de Mulder lui revenait sans cesse à l'esprit. Il avait beau
s'être fait rassurant envers Scully, il commençait à avoir
peur.
Il ferma son blouson, balança son sac sur l'épaule droite et
quitta la loge sans fermer la porte. Il y avait au moins une
bonne chose à tout ceci : c'était la dernière fois qu'il
mettait les pieds ici. Demain il serait loin, pour prendre
d'autres habitudes, moins tartes espérait-il.
Peter s'arrêta à quelques mètres du club pour faire un noeud
virtuel à ses boots. Alicia, la barmaid, traînait un peu
derrière son volant et il ne tenait pas à ce qu'elle le
remarque.
Arrivé à la grille, Derns laissa toute hésitation derrière
lui. Il enfila sa cagoule et inséra dans le premier système de
contrôle une carte qui devait le verrouiller pour une demi
heure. Les caméras continueraient de fonctionner - de façon à
ne pas alerter les gardes - mais elles ne répondraient plus aux
variations thermiques qui leur permettaient de localiser les
mouvements.
Il enfila une paire de lunettes à infrarouge et monta à
l'assaut du portail, à l'abri des deux caméras sensées filtrer
les entrées.
Dans les broussailles qui jonchaient cette partie du jardin, il
chercha les chiens. Symon avait deux bouledogues aussi hargneux
que baveux. Le premier fixait l'obscurité dans sa direction,
entre les deux colonnes de l'entrée. Il l'endormit avant de
risquer l'aboiement. Il dût attendre quelques précieuses
minutes, accroupi derrière une plante à l'odeur aigre, pour
localiser la deuxième bête et s'en débarrasser de la même
manière.
Ensuite, grâce à une deuxième carte, il passa facilement par
la porte de derrière. Dans le living, un homme s'était assoupi
devant la rediffusion d'un jeu télé. Derns ne perdit pas de
temps avec lui et grimpa au premier, appréciant le tapis qui
couvrait l'escalier et du même coup ses pas.
En haut, un garde feuilletait un livre devant une porte.
Probablement celle de Symon. Il reçut une fléchette avant que
Derns n'atteigne la dernière marche.
Sa prière pour que l'homme ne tombe pas de sa chaise fut
exhaussée. Mais il se précipita sur lui pour ne pas forcer le
destin et le replacer sans risque sur son siège.
La porte qui l'intéressait se trouvait tout au fond. Avant
d'y pénétrer, Derns utilisa une nouvelle carte et vérifia avec
un scanner que la voie était libre. Parfait, l'affichage était
négatif. Dans le coffre, il lui fallut faire un autre test pour
s'emparer du contenu, qu'il attrapa sans distinction, car qu'il
ne lui restait plus que sept minutes pour s'enfuir.
Derns s'éloigna de la propriété. Prestement. Il aurait
même couru si les plaques de givres n'avaient pris possession de
la ville.
Il avait l'impression de revivre. Dans ce type de mission - qu'il
n'avait jusqu'alors pratiquées qu'en entraînement - il devait
faire preuve d'un tel automatisme, d'une telle vivacité d'esprit
qu'il n'avait plus l'impression d'être lui même. Peut-être
parce que tout aspect personnel était rayé. Il effectuait un
boulot, dont l'enjeu était sa propre vie. Point final. Et sortir
de ce genre de situation était toujours une grande libération.
Il s'enfonça dans la ville. Muni de son trésor, il ne lui
restait plus qu'à sauter dans le premier train. C'était
merveilleux lorsque tout marchait aussi bien. Son seul regret
était de partir sans revoir Scully. Il aurait aimé discuter
extraterrestres autour d'un bon verre. Il sourit. Ce devait être
le job idéal pour se la couler douce. Rester des heures dans les
taillis, à suivre la lune du doigt, à prendre des photos de
choses qui ne ressemblaient à rien...
Le vent glacial lui fit remonter le col de son blouson et
déplorer un instant qu'il ait prêté son taco à Scully.
Quoiqu'avec cette voiture il se serait à coup sûr fait repérer
par les insomniaques. A pied il ne faisait pas de bruit, et il
était content de voir que les lumières des maisons qu'il
dépassait étaient éteintes.
Son esprit s'était concentré sur une forme blanche, au bout
de la rue, que la nuit rendait indistincte. Etait-ce un chat
pelotonné ou un simple sachet en plastique? Lorsqu'un
crissement, sur sa gauche, le ramena à la réalité. Cela venait
de la pelouse de Rasnic, un maquilleur de voiture à la petite
semaine, qui, légalement, officiait comme garagiste. Il l'avait
effacé de ses contacts sitôt après qu'il lui ai refilé
l'épave verdâtre qui portait encore le logo Volvo. Ca aussi
c'était à mettre sur la liste de ses infortunes... Enfin, à
croire que Josh Rasnic trafiquait même de nuit...
Derns s'en amusa et pressa le pas pour éviter l'homme,
lorsqu'une lumière aveuglante l'éblouit. Paralysé par une
douleur soudaine, il poussa un cri, qui, il le sentit, ne fut
qu'intérieur.
Undermountain, 4h30.
Jack fouilla sa victime, inconsciente, dans la poussière. Elle
lui avait donné du fil à retordre. Dire qu'il ne s'était pas
rendu compte lors du repérage que ce gars était trop gros pour
passer par la bouche d'égout...
Heureusement il était encore trop tôt pour que le soleil lui
nuise. Il se releva avec un maigre butin : quelques dollars, un
cran d'arrêt, et un paquet de chewing-gum, qu'il rapprocha de
son visage pour le décrypter : fraise - cassis. Il mit les
autres objets dans une poche et déballa une tablette. Il adorait
essayer des trucs terriens. C'était tellement bizarre. Le
chewing-gum, amolli par le voyage, refusait de se décoller du
papier. Il allait s'asseoir pour l'enlever minutieusement, mais
un gémissement derrière annihila sa patience. Il enfourna la
sucrerie telle quelle dans sa bouche.
Acidulée - remarqua-t-il, découvrant un deuxième corps à
quelques mètres de lui. Rasnic était pourtant seul lorsqu'il
l'avait cueilli...
Il s'accroupit devant l'homme. Inconscient lui aussi. Il avait
tout de suite remarqué que les humains supportaient mal les
dématérialisations - pour reprendre un de leurs termes. Curieux
qu'ils aient inventé le concept avant le procédé...
L'homme n'avait que de l'argent sur lui, mais son sac regorgeait
de trésor. Un pantalon craqué, un téléphone, une torche, un
revolver très léger, d'un modèle qu'il n'avait jamais vu. Une
boîte noire à cristaux liquides et un tas de petites pinces,
rangées soigneusement dans une trousse. Il y avait aussi des
clefs et une feuille sur les deux agents du FBI. L'étranger
s'intéressait donc aussi à Fox Mulder? Il avait soudainement
envie que cet humain se réveille. Qu'il lui explique qui il
était pour se balader la nuit avec tous ces objets?
Il se releva, l'attrapa par le col et le traîna dans le bureau
du Shérif, soulevant un incroyable nuage de poussière. Il
allait l'installer là bas en attendant d'en savoir plus sur lui.
Pour l'heure il était temps de retourner s'occuper de Mr Rasnic.
Apparemment l'autre type s'était retrouvé au mauvais moment, au
mauvais endroit. Cela arrivait parfois...
Il agrippa Rasnic de la même façon que l'inconnu et se dirigea
vers l'entrée de la ville, donnant sur une étendue désertique
dont il avait fait son terrain de jeu...
Hôtel Jefferson, 7h00.
Il fallu cinq sonneries pour que le réveil de Dana la sorte de
son sommeil. Elle arrêta le maudit appareil, puis retira de sous
elle un magazine qui lui avait laminé le dos les quelques heures
qu'elle avait réussi à dormir. Elle était restée un moment au
Jelly Fish, jusqu'à ce que Geelong la convainc de retourner à
son hôtel. Comme il lui avait prêté sa voiture, elle en avait
profité pour faire le tour de la ville, à la recherche de
Mulder. Fox...
Dana se précipita à la fenêtre et fila aussitôt dans la salle
de bain. Leur voiture était là, garée gauchement. Elle se
prépara, aussi vite qu'elle le put, et frappa à la porte de son
partenaire.
- Mulder, c'est moi...
Le silence, oppressant, fit remonter son stress de la veille.
Elle ouvrit brusquement la porte. Le lit n'était pas défait et
les fenêtres ne portaient toujours aucune croix adhésive,
annonçant les rencontres de Mulder avec X. Désemparée, elle
téléphona à la réception. Personne n'avait vu Mulder depuis
hier. Dana dévala les escaliers. Dans quel pétrin était-il
allé se fourrer? Pourquoi la voiture était-elle là et pas lui?
Il s'était forcément passé quelque chose d'anormal...
Elle croisa le regard étonné d'une femme qui nettoyait un
pallier, et réalisa qu'elle aurait pu prendre l'ascenseur. Mais
elle continua sur sa lancée, à peine maquillée, son manteau de
guingois, comme si ses jambes suivaient le cours de ses pensées.
Il était peu être en train d'agoniser dans la voiture, trop
faible pour téléphoner. Non. Le meilleur moyen d'éviter de
penser au pire était de passer à l'action. Elle fit une prière
pour que le pire se résume à trouver un Mulder ivre sur la
banquette arrière, en plaisante compagnie.
Cette fois, le froid ne la surprit pas, mais en ouvrant la
portière de la Ford elle fut saisie de dégoût. Une odeur de
vomi atroce régnait. Il y en avait partout. Elle fit une
grimace, cependant soulagée de ne pas s'être mise aveuglément
au volant. Dana revint vers l'hôtel, afin de louer une autre
voiture, lorsque son portable sonna.
- Agent Scully? ici Weston. J'ai du nouveau au sujet de votre
collègue.
- Vraiment, répondit-elle d'une voix blanche.
- J'ai ici deux espèces de punks qui portent son costume.
- Que s'est-il passé?!
- Nos gentlemen affirment s'être contenté de flanquer votre ami
dans le coffre de votre voiture, histoire de rigoler. Cela vaut
le coup de vérifier, non? Et lorsque vous l'aurez récupéré,
cela me dépannerait si vous pouviez passer chez Geelong. Symon
vient de se faire cambrioler, et je vous laisse deviner qui il
rêve de crucifier...
Scully hocha inconsciemment la tête et revint rapidement sur ses
pas.
Mulder la regarda en se protégeant les yeux d'une main. Sur
son tee-shirt quelqu'un avait écrit à la bombe G-man.
L'anxiété de Scully se transforma en colère. Voilà ce qui
arrivait lorsqu'on faisait cavalier seul!
- Que s'est-il passé? demanda-t-il d'une voix pâteuse, une fois
qu'il fut sorti de la voiture, enroulé dans une couverture qui
traînait au fond du coffre.
- Ce ne devrait pas être à moi de le dire... dit-elle,
fâchée. Tu t'es fait tabasser par des marginaux en allant dans
cette maison abandonnée. Ils ont du voir que tu étais descendu
à cet hôtel et t'ont gentiment raccompagné... Weston les a
arrêtés ce matin... Si tu pouvais prendre notre contrat de
location dans la boîte à gants, ajouta-t-elle alors que Mulder
la suivait. Mais fais attention, la décoration de tes amis est
encore fraîche.
- Scully, sensibilité aux maux d'autrui en dix lettres, ça te
dis quelque chose? marmonna-t-il alors que sa partenaire entrait
déjà dans l'hôtel.
Propriété Symon, 7h17.
Irving Symon s'isola dans sa chambre, contourna la peau d'ours
polaire, synthétique, qui séparait le lit du bureau, et
décrocha le téléphone. - Capitaine Olney, demanda-t-il.
- Lui-même, fit une voix fatiguée.
- Vous remarquerez ma politesse. J'ai le tact de vous prévenir
que vous et Geelong êtes en danger.
- Je vous avais dit de ne pas m'appeler ici tant que cette
affaire n'était pas close! murmura le flic.
- Mais elle l'est Olney! Votre gars, soit disant inepte et
inoffensif, est passé chez moi cette nuit, et pas pour embarquer
quelques bibelots. Il s'est envolé avec ma comptabilité. Quand
je pense que vous m'assuriez qu'il n'avait rien à voir avec
toutes ces disparitions!
- Mais je vous assure. Il n'avait pour directive que d'essayer de
vous côtoyer.
- Eh bien il l'a fait plus qu'intimement! Mais je ne vais pas me
laisser baiser comme ça. Si le contrat que j'ai lancé sur lui
n'est pas exécuté d'ici ce soir, c'est à Philadelphie que
j'enverrai mes ordres.
- Pas la peine de s'énerver, Symon. Si Geelong a fait du zèle,
il se tournera vers moi .
- Sombre crétin! s'impatienta Symon. Si vous n'êtes pas dans le
coup, à me prendre pour un con, alors c'est forcément que vous
vous faîtes doubler!
Il raccrocha brutalement et se plaça près de la fenêtre.
Vitres pare-balles, fermetures électroniques, et il était
autant protégé que dans un hall de gare...
Dire qu'il commençait à croire que Geelong n'avait rien à voir
dans tout ça, qu'il était victime d'une espèce de cabale
relative aux objets aborigènes volés l'an dernier à Alice
Springs. Qu'est-ce qu'il pouvait être bête...
Parking de l'hôtel Jefferson. 7h40.
Au volant de la Volvo de Geelong, Scully klaxonna lorsque son
collègue sortit de l'hôtel, dans un costume marron portant les
plis de sa valise.
- D'où vient ce tas de boue? demanda-t-il, frigorifié, en
s'installant. Ne me dis pas que c'est tout ce que l'agence avait
pour nous?
- Tu devrais la reconnaître. C'est la voiture de Geelong, il me
l'a prêtée hier soir. J'étais si inquiète de ta disparition
que je me suis tournée vers lui. Puisque Weston nous demande
d'aller le voir, ce sera une occasion de la lui rendre.
Mulder haussa un sourcil et abandonna l'idée de boucler sa
ceinture.
- Drôle de façon de s'inquiéter. Et laisse-moi deviner.
Malgré qu'il fasse toujours partie de nos suspects, il a été
plus que sympa avec toi... Mais pourquoi t'aurait-il prêté sa
voiture puisqu'il en avait besoin pour rentrer chez lui?
- Il devait régler un problème de salaire avec le gérant du
club et m'a dit qu'il se ferait raccompagner par quelqu'un.
- Et tu l'as cru? Tu es d'ordinaire plus sceptique Scully.
Elle se tourna vers lui.
- Parce que tu crois que je m'amuse? Weston m'a averti que tu
avais suivi ce type. Il était ma seule piste! Je te signale que
dans cette histoire, c'est toi qui es en tort!
- En tort parce que je fais mon boulot?
- Affaire classée Mulder, dit Dana en regardant droit devant
elle.
- OK... Alors épate moi. Fais démarrer cet engin.
La voiture crachota de façon répétitive, et mit trois bonnes
minutes avant de partir.
30 Charlotte Street, 8h00.
Dana frappa ouvertement à la porte, avec cependant un petit
pincement. Sa dopamine devait lui jouer des tours. Voilà qu'elle
se mettait à espérer que Geelong ne soit pas mêlé à ces
disparitions.
- Pas de réponse, marmonna Mulder. Il dort peut-être,
profondément.
- C'est ouvert derrière, lui apprit Scully.
- Sans blague...
- Enfin, ca l'etait hier...
Une fois à l'intérieur, il eut une impression d'abandon, qui se
révéla exacte lorsqu'ils eurent fait le tour de la maison..
- On dirait que Monsieur n'est pas rentré. Même le lit n'est
pas défait...
- Bizarre, fit Scully, contrariée. Il ne serait pas parti en me
laissant sa voiture.
- Ni en oubliant sa garde-robe, ajouta Mulder, ouvrant une
armoire regorgeant de vêtements aux couleurs criardes.
- Il a reçu des menaces de Symon hier soir, malgré ses grands
cris, c'est peut-être chez lui qu'il faut chercher, supposa
Scully.
Mulder, les poings sur les hanches, fixait pensivement la
descente de lit.
- Ce tapis, finit-il par dire. Ce sont des Wondjinas, des
pictogrammes australiens.
Scully contempla les formes rouges, jaunes et noires, vagues
représentations de visages sans bouches.
- Il est originaire de là bas, fit-elle remarquer.
- Oui. Comme Symon... Mais si tu devais séjourner à Canberra,
décorerais-tu tes murs avec la Statue de la Liberté ou John
Wayne?
- Pas forcément.
- Et bien ici, l'opéra de Sydney est placardée dans le couloir,
non loin d'un portrait de Mel Gibson. Et j'ai également vu une
affiche du film «Picnic at Hanging Rock». D'ici à ce qu'on
trouve des kangourous sur les bols à déjeuners...
- Sur les tasses à café, corrigea Scully, se rappelant celle
qu'elle avait vu la veille. Mais l'argument est faible, Mulder.
Des tas de personnes aiment recréer leur environnement
lorsqu'elles partent à l'étranger.
Mais il n'en démordit pas.
- N'empêche, ça fait vitrine, sans style...
Il retourna à grands pas dans le salon pour vérifier ses dires.
Les murs exhibaient différentes plages ensoleillées, et la
bibliothèque ployait sous les publications australiennes. Des
étagères où se mêlaient des livres sur la culture aborigène,
des albums de Men At Work, Xmen, ou Don Banks. Même la cuisine
était exotique. Alcool d'ananas, vegemite, toute une collection
de boîtes de fruits, de Kumaras...
Ils étaient en train d'inspecter le mobilier du salon, lorsque
Dana sursauta à la voix de son partenaire.
- Tu sais Scully, il y a tant de mystères ici que je suis de
plus en plus convaincu que nous ayons à faire à des
extraterrestres.
Scully soupira. Mais avant qu'elle ait pu protester, Mulder la
prit par le bras pour l'approcher du petit meuble derrière le
divan.
Un micro était fixé contre le montant d'un tiroir.
- Il doit s'agir d'un programme d'épuration, continua-t-il en
sortant de la pièce. Ils veulent se débarrasser de tous les
déviants avant de débarquer.
- Déviants Mulder? Je t'en prie, tout cela n'a aucun sens et tu
le sais bien, dit-elle irritée par l'humour de son partenaire.
Pour commencer personne n'a vu d'Ovnis dans la région.
- Je me trompes peut-être alors, ils sont déjà installés...
- Nous voilà fixés, dit plus sérieusement Mulder lorsqu'il
furent dehors.
- Pourquoi voudrait-on l'espionner ? demanda Scully, les bras
croisés, dans le gazon gelé.
- Pour la même raison qu'on nous espionne parfois. Ses faits et
gestes sont importants pour quelqu'un. Symon je suppose. Tout
cela est mauvais signe...
Il sortit son portable d'un geste vif.
- Frohike, dit-il, reconnaissant la voix. Mulder.
- Où es-tu? demanda le Bandit Solitaire. Assit sur une table, il
essayait de voir ce qui clochait sur un vieil appareil photo.
- Dans le Montana.
- C'est pas encore cette fois que tu m'enverras une photo de ta
collègue en bikini alors, ajouta-t-il, concentré sur sa tâche.
- Non. Par contre, je t'en envoie une de moi dans la piscine du
Bureau si tu me rends un service.
- Je ne peux pas décrocher la lune pour ça. Mais dis toujours.
- Essaie de trouver des infos sur un certain Philip Geelong de...
- Philadelphie, lui rappela Scully.
- Comment tu écris ça?
Mulder lui épela le nom puis se dirigea vers la Volvo.
- Tu crois qu'il va trouver quelque chose? demanda Scully,
intriguée. Il n'y avait rien de particulier sur lui au poste.
- Tu as déjà vu Frohike qui ne trouvait rien? dit-il, prenant
place côté passager.
Il examina le tableau de bord et arracha un micro fixé derrière
le rétro.
- Ne m'en veux pas Scully, mais je le trouve bizarre moi, ce
type, ajouta-t-il, posant la tête du micro devant elle. Et pas
seulement à cause de ses jupes fluo...
Undermountain, 8h00.
Peter Derns se réveilla brutalement, dans la douleur. Il avait
espéré qu'en ouvrant les yeux le cauchemar de la veille aurait
pris fin. Que cette lumière blanche ne l'avait finalement
qu'éblouie. Mais le scénario était plus noir : Il était
attaché à raz du sol, aux barreaux d'une cellule. Devant lui,
une petite lucarne barrée de planches laissait deviner par les
interstices qu'il faisait jour, et aussi chaud. Peter étouffait
presque sous son passe-montagne.
Dans la pénombre il distingua un squelette de bureau sur lequel
était posé une sorte de lampe à pétrole cassée. Une nouvelle
vague de panique l'envahit. A côté d'elle, deux objets
métalliques, qui pouvaient bien être les clefs des menottes qui
lui interdisaient tout mouvement. Il parcourut la pièce d'un
regard frénétique. Bien sûr son sac avait disparu. Comment ce
petit boursouflé de Symon avait-il fait pour le rattraper si
vite? Et où était-il?
Longster, Poste de police, 9h23.
Mulder rejoignit le bureau d'accueil où Scully avait préféré
l'attendre. Il se gratta l'arcade sourcilière, non seulement
Geelong restait introuvable, mais il avait fait chou blanc en
interrogeant les frères Milian, ses agresseurs.
Les punks, affublés d'impressionnantes chevelures vertes,
voulaient lui faire croire qu'ils étaient capable d'assommer et
de dépouiller un agent du FBI, mais qu'ils respectaient les
choses déposées dans la maison de Jack.
Lui qui pensait que le fond de la bêtise punk était le retour
sur scène des Sex Pistols...
- Alors? demanda Scully, voyant son air dépité.
- Rien... En voilà un gros rapport, éluda-t-il, regardant le
dossier que Scully tenait.
- L'analyse des cheveux trouvés chez Pirelli est arrivée. C'est
incroyable le nombre d'informations qu'ils peuvent révéler :
diagnostic de nombreuses maladies, carences alimentaires,
toxicomanies, certains troubles mentaux... expliqua-t-elle, pour
cacher son malaise sur ce que disaient ces pages. Leur situation
dans le cheveu permet même de dater le moment où elles se sont
introduites dans l'organisme.
- Ce qui nous mène où? Ce sont les mêmes que la dernière
fois?
- Euh non... Sexe masculin, faiblement ondulés. De couleur
blanche, provoqué par une canitie.
- Blanchissement prématuré des cheveux, coupa Mulder pour
montrer qu'il connaissait. Une peur phénoménale?
Scully sourit malgré elle.
- Dans le cas présent, il s'agit plutôt d'un albinisme,
accompagné d'une photophobie.
- Maladie congénitale? Comme Samuel Aboa?
- Non, il n'y a pas de gène régressif. Juste une absence totale
de pigmentation. Mais hormis cette défaillance, cette personne
semble tout à fait saine. C'est comme s'il avait toujours vécu
à l'abri de la lumière. Son corps est naturellement adapté
pour la vie nocturne. Il fonctionne sans mélanine.
- Il faut pourtant qu'il ait une raison d'enlever les gens,
Scully, et nous n'avons pas encore vu ce qu'il fait d'eux...
Un silence, empli de souvenirs désagréables, s'installa entre
eux.
- Notre nouvel ami doit donc vivre sous terre, reprit pensivement
Mulder, écartant délibérément la gêne de sa partenaire. Une
espèce de taupe, pas forcément humaine...
Scully eut l'impression qu'il se mettait dans la peau du
personnage.
- Les égouts... une fois de plus... doivent être un moyen de
communication pour lui. Comme la mine dont nous a parlé
Weston...
Egouts de la ville 10h45.
Comme s'en était doutée Scully, Mulder insista pour entamer
leur exploration près de la maison abandonnée. Cette obsession
était irritante, mais la plupart du temps il faisait le bon
choix...
Dana le rejoignit dans quelques centimètres d'eau verdâtre, et
sortit aussi vite un mouchoir en papier pour se protéger le nez.
- Mon dieu que ça sent! s'exclama-t-elle.
- Urine, supposa Mulder, dont la torche révélait la tristesse
des lieux. J'en ai une bonne Scully : Qu'est-ce qui mesure deux
mètres et sent l'urine?
- Je ne tiens pas à le savoir, Mul... - Une farandole dans une
maison de retraite, coupa-t-il, le sourire aux lèvres.
Scully préféra se taire, l'état de cet endroit était plus
préoccupant. Si quelqu'un vivait effectivement ici, il devait
être à l'image de ce coin : malsain et effrayant.
Hagen fit la moue en quittant sa Chevrolet crême. Elle
s'était d'abord félicitée de suivre les agents aussi
facilement. Weston avait averti Symon de la progression du FBI.
Mais maintenant, en les voyant s'enfoncer dans les égouts, elle
regrettait sa présence ici. Enfin, peut-être qu'ils la
mettraient également sur la piste de Geelong, puisque le patron
voulait s'en débarrasser, sans avertissement, cette fois.
Elle enfila une paire de gants et ferma avec soin son blouson.
Juste avant de s'infiltrer dans le conduit, elle enfonça un
bonnet noir sur sa tête, et eut un dernier regard pour la maison
de Jack, qui se dressait, lugubre, de l'autre côté de la rue,
derrière un terrain vague.
Ils avancèrent lentement, à l'affût du moindre bruit, et
prirent le couloir menant vers la maison. Il n'y avait qu'un
étroit passage permettant d'accéder sous le rez-de-chaussée,
où quelques lattes écartées permettaient de voir la pièce. Au
sol, gisait un matelas moisi et malodorant. Déçu, Mulder y
donna un coup de pied, faisant fuir une flopée de punaises.
- Où va-t-on maintenant?
- Vers les canalisations les moins visitées par la ville,
marmonna Mulder le nez dans son plan.
Jack, caché dans une anfractuosité, regarda les deux humains
passer. Il avait l'habitude de ce genre de situation. Ecouter et
faire le mort étaient deux choses qu'il maîtrisait
parfaitement. Même si la satisfaction de voir le FBI ici
l'enflammait...
Au bout d'un petit kilomètre, les murs jaunies par leurs
torches commençaient à leur sembler familiers lorsqu'un bruit
attira leur attention.
- Ouest! souffla Mulder s'enfonçant dans cette direction.
Scully le suivit à quelques mètres de distance, pour éviter
d'être trop esclaboussée.
Ils arrivèrent dans un cul de sac où l'eau était plus profonde
et agitée. Des petits cris leurs firent lever têtes et torches.
Un raton laveur effrayé se laissa tomber dans l'eau et fila dans
le couloir.
- Suis-le! cria Mulder. Il va sûrement vers un endroit où il y
a nourriture et chaleur.
Scully obtempéra et n'eut bientôt plus que les bruits du
rongeur pour se diriger. Elle se sentait bête de poursuivre
comme ça un animal - elle n'avait plus dix ans - lorsqu'une
chute dans l'eau vaseuse la fit se sentir encore plus stupide.
Mulder, lui, passa au dessus d'elle pour prendre la relève.
Dana se releva et s'appuya contre le mur. Le souffle coupé
par la tasse qu'elle venait d'avaler, elle laissa couler un filet
de salive avant d'oser déglutir. Elle s'essuya la bouche d'un
revers de main et dirigea sa torche vers le tunnel où l'eau
était encore agitée par le passage de son partenaire. La
lassitude l'envahit. Pourquoi n'y avait-il pas moyen de faire des
enquêtes propres? Pourquoi les malades vivaient-ils toujours
dans des endroits insalubres? Elle allait se remettre en route
lorsqu'un mouvement derrière elle la fit sursauter. Dana se
retourna et eut le temps de voir une ombre s'enfuir. Elle sortit
son arme et prit la même direction.
Le couloir était vide, l'eau à peine mouvementée. Dana
continua prudemment son avancée, les mâchoires serrées.
Glacée par le visage souriant qu'elle avait entr'aperçu.
Elle se calma lorsque Mulder apparut à quelques mètres.
- Ca va? demanda-t-il, remarquant que ce n'était pas le cas.
- Je viens de le voir, dit-elle gravement. Il était derrière
moi. Malheureusement je l'ai perdu.
Inquiété par le silence alentour, Mulder sortit également son
arme.
- Cela n'a pas d'importance, on est là pour lui, on le reverra.
A quoi ressemblait-il?
- Grand, teint blafard, sourire aux lèvres.
- Tout un programme... Tu es sûre que ça va?
- Oui, juste un goût de fond de cage dans la bouche. Si tu avais
un chewing-gum, où même une sardine à l'huile, je suis
preneuse.
Mulder vérifia ses poches et en tira un morceau de barre aux
céréales, à peine protégé par son emballage. - La dernière
fois que j'ai mis ce blouson, Jimmy était encore président...
s'excusa-t-il.
Dana la prit sans rechigner.
- Moi aussi j'ai fait une découverte, continua-t-il, l'emmenant
un peu plus loin.
Une porte de forme irrégulière était pratiquée dans le mur.
D'infimes gravures la parcouraient de façon éparse. Comme des
graffiti faits à la sauvette.
- Il doit y avoir un moyen de l'ouvrir, murmura Mulder, passant
sa main libre sur des symboles géométriques qui n'avaient aucun
sens pour lui. Un coup de fil le fit sursauter.
- Tiens, prends-le, dit-il, tendant l'appareil, pour continuer à
explorer la porte.
- J'ai trouvé plus chaud que ta partenaire, fit Frohike,
correctement assis à son bureau. Figures-toi que ton mec est une
taupe, profonde, même.
- Une taupe? répéta Scully, se remémorant l'image employée
par Mulder.
- Euh, oui... Frohike changea inconfortablement de position et de
ton. Bonjour Mlle, marmonna-t-il. Votre Philip Geelong vient
effectivement de Philadelphie. Mais il n'y a plus personne de ce
nom sur notre territoire depuis 1908. Par contre il y a un Peter
Derns tout droit sorti de Quantico, qui usurpe cette identité
pour s'occuper d'un certain Irving Symon. Basé actuellement à
Longster. Montana. Il est du programme de protection des
témoins. Je peux vous faxer son dossier si vous voulez?
- Pas la peine, nous sommes dans les égouts de la ville...
- Ah... Remarquez, ça à un petit côté tunnel of love, vous ne
trouvez pas?
- Pas vraiment, non. Merci Mr Frohike.
- Mais de rien, Mlle.
- Quoi de neuf? demanda Mulder en continuant son exploration.
- Oh, rien de bien grave. Geelong s'appelle en fait Peter Derns.
Agent du FBI. Il est là pour Symon.
Mulder s'adossa contre la porte.
- Tu plaisantes?
Son regard sévère lui révéla que non.
- Je savais que ce type avait quelque chose d'étrange. Mais
ça... Le Bureau aurait pu prévenir...
A sa grande surprise, en changeant de position, la porte
s'ouvrit, le faisant sursauter.
Derrière, s'ouvrait un long couloir dont leur torches
n'arrivaient pas à bout. Il était étroit, mais haut. Mulder,
la main levée, n'arrivait pas à toucher le plafond. Après un
moment d'hésitation, il avança. Examinant plus avant le décor
grossièrement taillé. Les murs étaient difformes, et pourtant
lisses. Il s'assura que Scully avait remarqué, puis continua. Le
couloir tortillait vers le Nord - Est, sans relâche, mais Mulder
s'arrêta brutalement. Sa lampe dirigée sur le plafond.
- Regardes ça, Scully.
- Une trace de main, peinte... comme dans les cavernes
préhistoriques.
Mais l'impression, diffuse, n'était pas celle d'un homme, du
moins normal, les phalanges étaient trop longues. Plus loin,
d'autres traces se dessinaient. Tel un jeu de lumières, leurs
torches balayèrent tout le couloir.
Des empreintes de plus en plus sombres, de mains et de pieds -
eux aussi trop longs - parcouraient ce couloir de façon
concentrique. Mulder suivit leur mouvement : Parois gauche, sol,
plafond, mur de droite.
- Simple décoration ou moyen peu pratique de se déplacer?
- Continuons, suggéra Scully, effrayée par la perspective
qu'une créature puisse se mouvoir en tourbillonnant, comme un
insecte.
Le couloir se termina enfin. Il débouchait sur une vaste
salle, soutenue par de multiples piliers. S'élevant à trois
mètres du sol, ils côtoyaient de longues stalagmites, toutes
finement taillées et décorées. Conférant à l'ensemble un
aspect des plus impressionnants, et effrayants.
Subjugués, les agents s'approchèrent des colonnes, ornées de
légères ciselures en boucles, peintes en noir, comme les
empreintes.
Ils rappelaient à Mulder les lacets que les vers de terre
dessinaient parfois dans la boue. Mais il n'eut pas le temps d'en
faire part à Scully.
- Bienvenue chez moi, résonna une voix profonde derrière eux.
Les deux agents perdirent connaissance avant de pouvoir se
retourner.
Les pieds croisés sur la table, Jack feuilletait un magazine
trouvé dans la maison abandonnée. Il avait fait les poches de
ses visiteurs, mais excepté quelques billets et deux
téléphones, il n'y avait rien d'intéressant. Même pas un
agenda à décrypter. Décevant...
Ces derniers temps il s'était un peu éloigné de la culture
terrestre. Mais voir ces photos de films lui rappelait qu'il
avait toujours trouvé leur conception de la vie extraterrestre
amusante. Parce qu'assez proche de celle de son peuple. Chez lui
aussi on s'accordait le beau rôle dans les histoires de science
fiction. Avec l'avantage de pouvoir donner un nom et une
apparence aux «ennemis».
Ils n'étaient pourtant pas si différents que ça. Forcé de
vivre sous terre à cause des radiations trop fortes de leur
soleil, ils avaient tous les cheveux blancs, une peau et des yeux
grisâtres, sensibles à la lumière. Mais peut-être que des
milliers d'années auparavant leur code génétique était plus
proche de celui de leur cousins terriens... Il repensa à sa
planète. Aux cités souterraines. Aux roches multicolores qui
pavaient souvent les parois des bâtiments et même la voûte des
villes. Pas de fleurs végétales chez eux, mais une grande
variété géologique. Il regrettait tout cela. Pourtant c'était
sa passion pour la Terre qui l'avait amené ici. Sa propre
culture lui semblait terne, corrompue. Il rêvait d'espace verts,
de ciel et de pluies. Il avait eu ce qu'il désirait... Un
fastidieux programme de vaccination et un voyage de plusieurs
mois au terme duquel il avait tout perdu...
Il fixait une photo du film Alien. Terrifiante cette image de
la créature tout contre l'humaine, lorsque celle en face de lui
se réveilla. Il baissa son journal pour l'observer. Confiant que
dans l'ombre on ne pouvait que le distinguer.
Il ressentit un pincement, l'envie de punir. De ne plus jamais
voir d'humains. Leur aspect trop coloré, leur odeur, leur
sauvagerie... ( Quoi que sa propre planète était un exemple
qu'on pouvait aller beaucoup plus loin dans l'horreur... ) Mais
il ne pouvait pas. Surtout pas ces deux là. Il avait besoin
d'eux.
- Ne craignez rien, Dana Scully, je ne vous veux aucun mal,
dit-il doucement, le regard gris envahi de souvenirs.
- Que nous voulez-vous? demanda-t-elle avec de grands yeux,
donnant à Jack l'impression d'être le monstre de la photo.
Au fil des ans il avait pris un grand plaisir à contempler la
peur de ses proies. Mais ici tout était différent. Les
personnes qu'il avait en face de lui n'étaient pas des victimes.
Il se remémora le bleu limpide de leur corps astraux, et
réalisa qu'à partir d'aujourd'hui plus rien ne serait comme
avant. Comme le jour où il avait perdu son épouse...
- Nous sommes des agents fédéraux! continua Scully pour effacer
sa peur.
Jack préoccupé par ses pensées, se fendit d'un sourire. Le
charme de la peur, rien de tel pour oublier sa tristesse...
Mulder se réveilla les tempes lancinantes. Il était coincé
sur une chaise, dans une pièce sombre, et, pire que tout, Scully
était à ses côtés. Ils échangèrent un regard angoissé.
Les yeux de Mulder avaient du mal à percer l'obscurité, mais il
distinguait une silhouette devant lui. Entendait sa respiration,
très calme, ainsi que les pages glacées d'une revue que l'on
tournaient.
- Bonjour, Fox Mulder, commença Jack, posant ses jambes sur le
sol.
Une odeur d'humidité, presque de moisi, se dégageait de sa
personne.
Il avait longtemps hésité avant de leur parler. Sur sa planète
on lui avait appris l'importance de ne pas se mêler aux
Terriens. On racontait des tas de légendes sur la troisième
planète et ses habitants. Mais ce... Mulder était particulier.
Sa quête de la vérité avait quelque chose de touchant. Plus
touchant encore que les yeux effrayés de sa partenaire.
- Vous ne pouvez savoir le plaisir que vous me faites en venant
à moi.
- Il faudrait peut-être commencer par les présentations, fit
Mulder en essayant de se libérer.
- Jack.
- Jack comment?
- Simplement Jack. C'est bien assez révélateur. D'ailleurs vous
en savez assez sur moi. Sinon vous ne seriez pas ici... Pas la
peine de mentir, ajouta-t-il devant le silence des agents. Je
sais déjà tout sur vous.
- En quel honneur? demanda Mulder.
Jack le regarda dans les yeux. Des yeux verts, brillants. Jamais
il ne s'y ferait.
- Par intérêt personnel. C'est une force universelle vous
savez... Avec un peu de bonne volonté, nous pourrions même nous
rendre de grands services.
- Comment? s'enquit Scully.
- J'aimerais que vous me parliez de vos aventures, Fox Mulder,
des étrangers que vous avez peut-être rencontrés.
- Etes-vous responsable de toutes ces disparitions? contourna
Mulder, surpris par la requête de leur interlocuteur.
- En doutez-vous?
- Mais pourquoi faire disparaître tous ces gens? s'obstina
Mulder. Qu'en avez-vous fait?
- Pas grand chose, je le crains, murmura-t-il en se levant.
Il avait entendu un cliquetis derrière lui. Ce n'était pas
normal, il était seul ici. Il saisit la pique décorée,
sagement posée contre le mur, sous le regard circonspect du FBI.
Une association de touches émit une courte suite musicale. Mieux
valait ne prendre aucun risque et mettre ses nouveaux amis en
lieu sûr. Un halo lumineux s'empara des deux silhouettes
humaines, étouffant leurs cris.
- Vous savez où me retrouver, chuchota-t-il, amusé par leur
frayeur, alors que leur dernières molécules s'évanouissaient.
Il se retourna vivement, à la recherche du bruit qui l'avait
intrigué, lorsque la panique l'envahit à son tour. Trop occupé
par la présence des agents il avait remarqué bien trop tard
l'être humain qui s'était immiscé chez lui.
Terrifiée, Brenda recula, s'enfonçant davantage dans
l'obscurité, son arme toujours pointée droit devant. Elle
n'avait jamais eu aussi peur de sa vie. La créature, pourtant
déjà salement blessée à l'abdomen, continuait d'avancer vers
elle. Paniquée, elle vida son chargeur, guidée par une torche
qui lui révélait des contours hideux.
Le monstre poussa un râlement. Alors qu'il n'était plus qu'à
quelques centimètres d'elle, cernant Brenda de son odeur de
vieux champignon, il s'immobilisa un moment, puis s'écroula.
Hagen éclaira la forme gisant à ses pieds. La créature
était morte. Une balle dans le crâne et le torse perforé de
trous. Un liquide mauve, écoeurant, imbibait les vêtements
noirs, grotesquement adaptés à sa taille, et se répandait sur
le sol. Hagen fut dégoûtée d'en avoir sur les chaussures. Le
salaud avait fait disparaître le FBI en un clin d'oeil. Elle
s'empara de la curieuse lance sur laquelle une main étonnamment
blanche s'était recroquevillée. Il devait s'agir d'une arme
redoutable. Autrement dit, un truc qui valait de l'or! Pressée
d'en finir, Hagen balaya les parois de pierre avec sa torche, en
quête d'indices pour Mr Symon. Habituellement les papiers du
défunt suffisaient, mais ici les choses étaient très
différentes. Elle allait se forcer à fouiller les cartons
entassés contre un mur, lorsqu'elle remarqua un appareil photo,
et préféra prendre quelques clichés.
Jack rendit son dernier soupir au premier flash de l'appareil.
Curieusement, il s'était toujours imaginé mourir de vieillesse
sur cette planète maudite. Mais tout était fini. L'obscurité
totale. Et pas même un fantôme aimé pour l'accueillir...
Undermountain, 11h47.
Mulder ouvrit les yeux sur un escalier en bois, rongés par les
ans, et se mit tant bien que mal à genoux. Il ne connaissait pas
cet endroit. Le soleil dominait une courte allée bordée de
vieux bâtiments. Rassuré par la présence de Scully à ses
côtés, il chercha à se repérer. Face à lui un large panneau
où transparaissait encore le mot saloon pendait presque sur le
sol. De l'autre côté, le Bureau du Shérif, une épicerie et un
maréchal ferrant. Le sol était fait de terre sèche et
poussiéreuse. Près d'eux, deux traces partaient diagonalement
en sens opposés.
- Scully, réveille-toi, dit-il, se penchant sur sa collègue.
Dana fronça les sourcils, irritée par une forte migraine. Elle
essaya en vain de se lever.
- C'est moi, ajouta Mulder pour la tranquilliser. A moins que
Dieu t'aie abandonné en nous envoyant ici reconstruire le rêve
américain, nous sommes toujours en vie.
Scully, un côté du visage recouvert de poussière rouge,
regarda alentours.
- Où sommes nous?
- Plus dans le Montana en tout cas. Pour l'instant le plus
important, c'est de se libérer. Il suffit de faire comme David
Copperfield, le vrai, pas celui de Dickens...
* * *
Enfin libres, les agents s'époussetèrent et vérifièrent
leurs poches. Vides. Même leurs montres avaient disparu.
- Je t'offre un verre? demanda Mulder, montrant le saloon.
- Je préférerais un ticket pour retourner à Longster, où
mieux, Washington...
A l'intérieur tout était en ruine. Ce n'était pas
extraordinaire puisque cette ville était abandonnée depuis des
siècles. Mais la pièce était pratiquement dénudée. Des
tables il ne restaient plus que les pieds. Le bar était
démonté, et plusieurs lattes du plancher manquaient.
- On dirait qu'on est en train d'enlever le décor, fit Mulder en
ramassant un barreau de chaise.
- Au cas où... ajouta-t-il. Encore que je ne suis pas sûr de
savoir s'il faut espérer être seul ou non...
- Cela ressemble à une ville fantôme, dit Scully, qui s'était
contentée de rester à l'entrée. Lors de l'exode vers l'ouest,
il est arrivé que les colons se soient installés trop
rapidement, pour tout abandonner après.
- Je n'ai pas besoin de cours d'histoire. - J'imagine. Mais pour
ce que j'en sais, ces villes se trouvent surtout en Californie.
Dans des régions isolées, voire désertiques.
- Au moins on est encore en Amérique. Magie de la technologie...
Un coup de baguette et hop, on traverse le pays...
- Ce n'est pas une chose que j'ai hâte de retranscrire dans mon
rapport...
En entrant dans le Bureau du Shérif, leur attention se porta
sur les cellules. Un homme en noir se démenait pour voir qui
arrivait.
Mulder s'agenouilla à ses côtés et retira sa cagoule.
- On dirait qu'on vous a fait des misères Phil... ou peut-être
devrais-je dire Pete? Tu vas voir qu'on va tous les retrouver,
Scully.
- Vous allez bien? demanda-t-elle pour l'examiner. Le pouls,
normal, indiquait qu'il n'était pas encore touché par la
déshydratation. C'était l'état de ses poignets qui
l'inquiétait le plus.
- Ce n'est pas un docteur qu'il me faut, c'est un prêtre,
dramatisa-t-il, prouvant qu'il n'allait pas si mal.
- Nous avons découvert votre véritable identité, commença
Mulder, remarquant deux petites clefs sur le bureau.
- J'avais compris. J'aimerais plutôt savoir de quelle manière
j'ai atterri ici. Je ne me souviens de rien.
- Notre Jack n'est pas si méchant que ça, finalement, fit
Mulder en agitant les clefs.
Pendant qu'il libérait leur collègue, Scully lui relata les
récents événements, avec une certaine gêne en mentionnant
leur arrivée instantanée ici.
- Incroyable... murmura Derns, se relevant maladroitement. C'est
à se demander si vous avez du flair pour dénicher les affaires
bizarres ou si elles vous suivent où que vous soyez.
- Que voulez vous dire?
- J'ai d'autres sources que la Longster Gazette, vous savez,
agent Scully. Au début, ça m'a amusé de vous imaginer à la
recherche de fantômes et tout ça. Mais maintenant je ris
beaucoup moins. M'être fait enlever comme ça, c'est tellement
con...
- Au moins vous ne dépareillez pas, plaisanta Mulder en
contemplant son pantalon étoilé... C'est donc vous qui êtes
passé chez Symon la nuit dernière?
- Oui, le grand prix 96 de la mission qui pue... soupira Derns en
sortant. Où sommes-nous?
- Visiblement en Californie, répliqua Scully.
- J'y crois pas, marmonna Derns. Il faut absolument que je
retourne à Longster, coincer Symon avant qu'il ne soit trop
tard!
- Cela va être difficile de rejoindre la civilisation, dit
Scully, nous n'avons même plus un dollar en poche, et ne savons
pas exactement où nous sommes.
Derns fouilla frénétiquement son blouson. Rien. Une vague
d'angoisse le submergea, et avec elle tout un chapelet de
souvenirs. New York, des parents trop alcooliques pour se rendre
compte de son existence. Il observa les montagnes peu
accueillantes, qui se dressaient à l'ouest, et n'eut qu'une
envie, courir dans la direction opposée, pour rejoindre le
Montana au plus vite.
- Mais si on reste ici, votre malade risque de venir nous dire
bonjour, et ça, j'y tiens pas trop... dit-il pour oublier le
fait qu'être sans argent l'effrayait autant que d'être perdu
dans le desert.
Ils suivirent la longue trace, qui les mena jusqu'à une
étendue désertique derrière la minuscule ville. Elle était
parsemée de trous et de mottes qui avaient fait disparaître le
peu de végétation .
Alors que Derns s'éloignait vers le bout du terrain, Mulder et
Scully se plantèrent devant le plus proche des monticules.
- Tu crois que tout le village est enterré ici? demanda Mulder
pour briser leur silence.
Une bêche, beaucoup plus récente que les planches craquelées
des quelques bâtiments, trônait non loin d'eux.
- J'en doute, mais il n'y a qu'une façon de le savoir, et qu'un
seul outil.
Mulder commença à dégager la terre. Lorsqu'il eut creusé un
bon mètre, un bruit étouffé lui parvint du fond.
- Il y a quelqu'un! cria-t-il.
- On met rarement des cercueils vides en terre, répondit
calmement Scully.
- Il est vivant!
En utilisant la bêche comme levier contre le bord du couvercle,
il réussit à ouvrir le cercueil, qui consistait en une simple
boîte, découpée dans les planches du Saloon.
A l'intérieur, un homme couvert d'écorchures et les mains en
sang se redressa comme un fou, manquant de faire tomber Mulder.
- Laissez-moi sortir! hurla-t-il avec le peu de voix qui lui
restait.
L'homme, au moins aussi grand que Mulder et assez fort, se hissa
gauchement hors du trou, en haut Scully l'attrapa par la manche
pour l'aider.
- Nous sommes du FBI, dit-elle. Vous n'avez plus rien à
craindre. Depuis combien de temps êtes-vous là?
- Comment voulez-vous que je le sache? bredouilla-t-il,
s'éloignant.
Mais, voyant la quantité de monticules qui s'étendaient devant
lui, il s'arrêta net et se laissa tomber sur le sol.
Scully le rejoignit, et Mulder s'attaqua à une autre tombe.
Combien pourrait-il en ouvrir? Combien de victimes pourrait-il
sauver?
Le ciel n'en finissait pas de donner dans le bleu, et la
chaleur devenait hallucinante. Mulder, en tee-shirt, s'escrimait
sur la troisième tombe. La précédente ne contenait qu'un
cadavre atrocement mutilé. Coincée dans cette boîte, la
victime s'était mangée plusieurs doigts.
Scully, qui avait réussi à allonger le rescapé à l'épicerie,
revenait sur le cimetière. Après avoir jeté un oeil las sur la
deuxième tombe et son horrible cadavre, elle s'approcha de son
partenaire, en sueur, mais pâle comme un linge.
- C'est inutile, Mulder. Plus on avance, plus ces tombes doivent
être anciennes. Tous ces gens sont morts. Tu es en train de te
rendre malade...
- Enterrés vivants, souffla-t-il. Il reste donc une chance. J'ai
lu une fois qu'une femme était restée trois jours sous terre
avant d'être sauvée.
- Mulder, privé d'air c'est déjà un miracle que le type qu'on
a sorti ait tenu plus de vingt quatre heures.
Mulder s'arrêta pour s'essuyer le front.
- Tu sais bien que je crois aux miracles...
- Il y a une route là bas, lança Derns en revenant vers eux.
On devrait la prendre, cela ne sert à rien de rester ici.
- Au contraire, dit Mulder. On a réussi à sortir un type vivant
de ces cercueils.
- Je l'ai allongé à l'épicerie, expliqua Scully, il est assez
faible. Mais où voulez-vous que nous allions par cette chaleur?
soupira-t-elle en écartant les bras. Nous sommes au milieu de
nulle part.
- Vous ne comptez tout de même pas rester ici? protesta Derns,
agacé par Mulder, qui continuait de remuer la terre. On finira
bien par trouver des panneaux indicateurs. Une voiture qui nous
conduira dans un patelin. S'il en passe peu dans la journée,
combien croyez-vous qu'on en verra si on attend la nuit? Zéro,
moi j'vous le dit.
- Nous enquêtons sur cette affaire, Derns, se fâcha Mulder. Si
notre façon de procéder ne vous convient pas, il y a
effectivement une route!
Véxé, Pete, se pencha sur la tombe ouverte. Puis recula, aussi
pâle que Mulder.
- C'est Flagg... murmura-t-il d'une voix blanche. Il faisait dans
le faux. Monnaie et papiers...
- Peut-être pourriez-vous identifier l'autre individu? demanda
Scully.
Il la regarda mais ne vit que l'image d'un mec effrayé qui
s'était dévoré une main.
- OK. Mais après je file. Les momies, c'est pas mon rayon...
