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Fanfictions


Lusus Naturae  


Chapitre IV  

Motel Jupiter 4, 6h30, 15 Novembre.
Brenda Hagen se précipita sur sa porte pour l'ouvrir et jura lorsque ses doigts gelés firent tomber ses clefs sur le perron. C'était son défaut principal. Lorsque les choses tournaient mal, elle devenait hystérique. Et dieu sait si elles allaient mal.

Elle jeta un coup d'oeil sur les valises, qu'elle avait eu la stupidité de faire la veille. Croyant qu'elle en avait fini avec Longster. Mais Mr Symon voulait jouer au plus malin. Il refusait de croire que la créature qu'elle avait photographié était à l'origine de ses maux.
Brenda avait connu un instant de déprime lorsqu'il lui avait été impossible de retourner sur les lieux du crime - quoiqu'elle ait du mal à appliquer ce terme au monstre - car la police était déjà là.
Elle n'en avait pas dormi de la nuit, et pour se calmer, était sorti très tôt prendre un café au routier d'en face. Elle était partie pour y passer la matinée. Jusqu'à ce qu'elle tombe sur l'édition du jour du Longster Gazette, affichant son monstre en première page.

Elle déplia le journal sur lequel elle était restée crispé. Scanner, puis faxer, pour réveiller Symon en beauté. Mais il ne répondit pas à la réception. Elle décrocha le téléphone - répondeur. Les choses ne s'arrangeaient pas...
Brenda attendit tant bien que mal les midi, faisant divers essais pour joindre Symon. Mais il était évident qu'il ne voulait plus entendre parler d'elle. Elle prit une profonde aspiration. Il fallait qu'elle se contrôle. C'était la première fois qu'une telle chose lui arrivait. Et si dans le passé elle s'était cru prête pour ce genre de situation, il en était tout autre maintenant. Elle devait se venger bien sûr. Mais comment?
La solution lui vint rapidement. Si, en lisant la presse, Symon se sentait en sécurité, il ne tarderait pas à montrer le bout de son nez en ville. A son club par exemple. Elle n'aurait qu'à l'attendre là bas, dans les WC. Elle avait déjà éliminé quelqu'un comme ça, en se cachant dans une toilette déclarée hors service grâce à une pancarte volée.
Ce petit jeu pouvait prendre très longtemps, et était éprouvant. Les conversations privées des hommes étant rarement élégantes. Mais c'était le prix à payer pour avoir l'esprit tranquille. Si elle commençait à se laisser marcher sur les pieds, elle n'avait pu qu'à mettre son équipement au clou...

Vol San Bernardino / Great Falls. 6h30, 16 Novembre.
Mulder essayait de dormir. Il avait tout pour : un fauteuil confortable, la climatisation et le silence, mais son esprit ne savait s'y résoudre. Il ressassait leurs récentes tribulations pour arriver jusqu'ici. Scully l'avait convaincu de rejoindre Derns. Il la regarda, qui dormait à ses côtés, et repensa, amusé, à leur insistance sur cette route infernale pour qu'elle joue les auto-stoppeuses de charme. Il avait fallu la persuader de rester en tee-shirt et de relever son jean jusqu'aux genoux.
Le deuxième véhicule à passer par là s'était effectivement arrêté pour eux. Une vieille guimbarde conduite par un ancêtre borné qui appelait Scully «mon gars».
Exaspéré d'être passé des citrouilles de Longster aux pedzouilles de ce désert, il en avait profité pour la charrier, mais, de mauvaise humeur, personne n'avait réagi.

Le conducteur avait eu l'obligeance de les emmener jusqu'à la «civilisation». Un univers de bobottes à franges nommé Trillby. Cette ville n'avait pas de fantômes mais était restée figée dans le temps. D'ailleurs ils avaient laissé accrochées certaines des décorations du 4 juillet, ce qui lui rappelait un vieux film d'horreur à 6 sous.
Sans papiers, ni argent, et une apparence minée par deux heures de cuisson intense, ils avaient eu le plus grand mal à se faire accepter par les habitants. Un appel en PCV à Skinner avait sauvé leur crédibilité. Leur permettant de joindre San Bernardino - le fief de la confiture - où ils avaient passé une nuit assez spéciale. Puisqu'il leur avait fallu insister, grossièrement, pour faire admettre leur rescapé ( que Derns appelait Rasnic, et à qui il devait probablement leur crevaison sur la nationale de Longster... ), à l'hôpital. Ils avaient également été incapable de trouver une chambre à part pour Scully. La littérature donnait une si mauvaise image du FBI que sans leurs cartes tout le monde prenait un malin plaisir à les refouler.
Scully s'étant enfermée d'emblée dans la salle de bain, sans un mot, avec un oreiller, il avait partagé le lit avec Derns. Perpétuant le silence maussade qui les avait tous saisi depuis le début de cette mésaventure.

Washington, D.C. 12h00, 16 Novembre.
Le Fumeur fit de son mieux pour avoir l'air décontracté, mais se serait senti plus à l'aise avec un scotch en main. Déjà qu'il était interdit de fumer là...
Il tira lentement le drap vert qui recouvrait le corps, d'une taille impressionnante, au moins deux mètres. Une odeur vaseuse s'en dégageait. La peau était d'une blancheur surnaturelle, accentuée par les longs cheveux blancs filandreux qui encadraient le visage, mais le trou en plein front, lui, était bien réel. Tout comme les yeux enfoncés, gris, qui, malgré l'horrible blessure, donnaient un air de quiétude au visage. Et même - pourtant dieu savait qu'il était mal placé pour en parler - une certaine humanité.
Physiquement Jack était très différent. Ses membres supérieurs étaient disproportionnés par rapport aux jambes, et un long sourcil lui barrait les yeux. Le Fumeur sourit. Pas étonnant que les ploucs du Nord aient fait la une de leur journaux en titrant qu'un Monstre simiesque avait été découvert dans les profondeurs de Longster...
Le Fumeur fixa le sang mauve qui avait coulé le long de l'appendice nasal. Un nez avorté, couvert de plissures, et terminé par deux longues narines triangulaires.

Malgré tous les objets trouvés dans l'antre de Jack, peut être ne découvriraient-ils jamais les raisons de sa présence. Pourtant, il y avait de quoi faire. L'animal était soit un maniaque névrosé, soit un collectionneur acharné - ce qui pouvait revenir au même. Il possédait des centaines d'échantillons de plantes, de racines, d'insectes, de petits vertébrés... Il gardait même les affaires de ses victimes, vêtements, bijoux, papiers... Ce qui avait au moins déjà aidé le Département de Justice à résoudre une affaire. Restait à espérer qu'il en soit de même dans son 'propre service'...

Longster, 21h07.
Mulder se réveilla lorsque le train ralentit. Il avait été le seul à pouvoir fermer l'oeil sous les cahotements du tortillard qui les ramenait à leur point de départ.
Il s'étira avec vigueur et regarda les deux autres agents. Ils jouaient aux cartes avec deux passagers. Rami, devina-t-il.
Scully avait l'air plus détendue, et le teint rosé de Derns indiquait qu'il gagnait, à moins que ce ne soit la présence de sa collègue qui ne l'émoustille...
Lorsque le train fut à l'arrêt et les deux agents de nouveau seuls, Mulder vint vers eux et contempla l'amas de pièces que Derns finissait d'empocher. Il y avait une bonne trentaine de dollars.
- Vous auriez dû jouer plus tôt, cela nous aurait facilité les choses.
- De l'endroit d'où l'on vient agent Mulder, je me serais fait payer en poules ou en lapins, plaisanta-t-il en sortant du train.
Mulder soupira en redécouvrant la grisaille de Longster.
- Et notre hôtel dans tout ça? J'ai l'impression d'avoir fait un de ses voyages touristiques clefs en main : pas d'accueil et une suite qui ne ressemble pas du tout à la photo.
- On va pas jouer les scouts par un froid pareil, dit Derns. On a les moyens de prendre un taxi maintenant. ( Il se dirigea sur le distributeur de la gare. ) Vous voulez quelque chose?
Ils optèrent tous pour un café noir et des cakes aux raisins. Une de ces fades spécialités réservées aux collectivités.
Après s'être réchauffé les doigts contre son gobelet en plastique, Derns allait utiliser le téléphone, à disposition des voyageurs, lorsque l'inspecteur Weston fit son apparition, tout sourire.
- Messieurs les agents, mademoiselle, commença-t-il, les agaçant avec l'after-shave sur lequel il n'avait pas lésiné, alors que leurs vêtements sales leur collaient littéralement à la peau. Nous sommes ravis de vous revoir parmi nous. Une voiture nous attend.
- Nous avons quelque chose d'urgent à faire, inspecteur, s'empressa de dire Mulder.
- Cela m'étonnerait, contredit Weston, l'invitant à monter à l'arrière du véhicule banalisé. Il n'y a plus rien à voir dans notre sous-sol.
- Comment ça? s'étonna Mulder.
Après avoir dit à son chauffeur d'y aller, Weston tendit à l'agent le journal du jour, où Jack figurait toujours en bonne place.
Reconnaissant la photo, Mulder le déchira presque en l'ouvrant pour lire l'article, donnant par maladresse un coup de coude à Scully.
- Merci Mulder... se plaignit-elle.
- Ils l'ont tués!! s'exclama-t-il.
- Scully, se pencha, comme Derns, sur l'article. Mais au bout de trois secondes, Mulder écrasa le journal entre ses mains et le jeta sur le parquet. Furieux qu'une fois de plus les choses aient mal tourné.
- Où en êtes-vous dans cette enquête? demanda-t-il sévèrement.
Derns ramassa la boulette pour finir l'article.
- Puisque la créature est morte juste après votre disparition, qu'il faudra d'ailleurs éclaircir, vous étiez certainement suivis lors de votre rencontre.
Mais si vous n'êtes pas en mesure de nous dire quoi que ce soit à ce sujet, alors nous piétinons.
- Nous ne sommes pas suspects, au moins? s'inquiéta Scully, arrivée au paragraphe où, par goût du sensationnel, l'omniprésent Korda faisait l'amalgame entre ce meurtre et la disparition, la veille, de Symon.
- Pas du tout, sourit Weston, la regardant dans le rétro. Votre appel à Washington vous a disculpé. D'ailleurs le FBI a déjà arrangé votre retour au Bureau. Je suis chargé de m'assurer qu'il se passera bien.

Washington, D.C. 23h00, 17 Novembre.
Le Fumeur ferma le rapport sur l'affaire Longster et alluma enfin la cigarette qu'il avait prise une demi-heure plus tôt. Il fixa la couverture bleue du dossier, qui lui rappelait le drap de la morgue. Il n'arrivait toujours pas à comprendre comment cela avait pu arriver? Il avait assez de relations pour être au courant de toute activité extraterrestre. Et pourtant, dans le Montana, il s'était passé des événements étranges derrière son dos. Les choses allaient de pire en pire...

Enfin, si Mulder, avec l'optimisme qui le caractérisait, laissait entendre que Jack avait un compagnon qui aurait provoqué la disparition de Symon. Par recoupement il savait que ce Symon - retrouvé, depuis, en piteux état dans le désert du Colorado - avait recruté un tueur à gage pour éliminer Jack. Il y avait des traces du contrat, mais non de son règlement... De là à donner un visage humain au meurtrier, il n'y avait qu'un pas.

Le fumeur rouvrit le rapport. Il fallait régler cette affaire à son avantage. Contacter cette personne, bien sûr, et lui envoyer quelqu'un. Derns par exemple, qui était à Longster. Une toute jeune recrue, encore innocente, et d'après son dossier, très ambitieuse. Pourquoi ne pas modeler l'homme, puis l'envoyer au front...?

Washington, D.C. Bureaux du FBI, 20h50, 18 Novembre.
Mulder retourna dans son bureau muni d'un bol de café brûlant. Il lui fallait bien ça pour affronter cette soirée. Il en but une gorgée.
Il se sentait au bout du rouleau. Il y avait bien sûr la fatigue du voyage, mais celle aussi, plus palpable, de la frustration. Une fois de plus, ILS l'avaient empêché de faire son travail. Et ILS l'avaient démis du dossier Longster.
Mulder s'assit à son ordinateur et chaussa une paire de lunettes. Les choses ne s'arrêteraient pas là. Il finirait par découvrir qui avait tué Jack, et pourquoi!
Il avait d'abord misé sur le réseau Internet et la presse à sensation pour lui révéler la moindre disparition bizarre, mais cela lui prendrait trop de temps. Il avait donc donné une autre tournure à son obsession : le rapport de Derns. Il stipulait que Symon avait engagé une femme pour éclaircir le mystère pesant sur sa ville. Ca ne devait pas être sorcier de la contacter.

Il restait pourtant convaincu que Jack n'était pas seul - comment aurait-il pu construire à lui tout seul la caverne qu'ils avaient vue? - et qu'il s'agissait effectivement d'un extraterrestre, mais bien entendu le Bureau refusait cette théorie. Même Scully s'était dégonflée, se rangeant à l'idée qu'il ne s'agissait que d'un mutant. Rien ne prouvait son origine extraterrestre, pas même les symboles elliptiques que Jack avait tracés un peu partout.
- Peut-être ne s'agit-il que d'un message codé, avait-elle répondu. Ce type était tellement coupé du monde qu'il avait inventé son propre univers, sa propre écriture...
- Pourquoi était-il intéressé par le fait que je puisse côtoyer des extraterrestres alors?
- Mulder, rien que dans cette ville, il y a des centaines de gens qui réagiraient de la même manière.
Il s'était énervé.
- Tu te moques de moi, Scully? Dis que tu ne crois pas à l'existence des extraterrestres, tant que tu y es!
- J'y crois, Mulder, avait-elle répondu en gardant son sang froid. Mais dans le cas présent j'ai des doutes. De plus, Jack est mort - et comme tu le sais, je n'ai pas été chargée de son autopsie. Une fois de plus nous n'avons pas de preuves concrètes...
- Et bien, pour la mémoire de Jack, moi je vais en trouver des preuves! Tu peux partir Scully, je n'ai plus besoin de toi.
- Je travaille ici, avait-elle protesté, le regardant bizarrement.
- Tu travailles surtout pour moi, et tu as ta journée. J'en ai assez de tout ce cinéma!
- Tu n'as pas à me parler sur ce ton, Mulder, je ne suis pas responsable de ce qui s'est passé!
- Tu prends l'air... Va t'amuser un peu, ça m'fera du bien.

Mulder but son café d'une traite pour chasser de ses pensées cette phrase idiote. Il avait fichu dehors la seule personne qui le comprenne. Et son absence aujourd'hui était plus stressante que son scepticisme. Il se remit au travail. Il irait la voir demain matin, pour s'excuser. Il trouverait bien quelque chose de gentil à dire....

Annapolis, Maryland, 3170 W, 53 Rd. 21h00, 18 Novembre.
Derns se gara, regrettant qu'il fasse déjà noir. Mais il n'avait pu se libérer plus tôt. Tout s'était enchaîné si vite.... D'abord cette entrevue bizarre avec ce type à Quantico, qui grillait trois cigarettes à la minute, comme dans les dessins animés. Probablement un chasseur de têtes du Grand Bureau. Un agent payé pour ouvrir le crâne des recrues et voir ce qu'il y avait dedans. Le gars ne s'était même pas présenté, mais avait su lui poser des tonnes de questions embarrassantes sur son passé, ses ambitions... Lui qui faisait tout pour oublier son enfance à Bowery, le vide ordure de la Côte Est... Comment se sont passées vos études ici? Pourquoi avez-vous voulu rejoindre le FBI? Vous jugeriez-vous introverti ou extraverti? Le fait de collaborer avec les agents Mulder et Scully avait-il posé problème? Bon dieu, il s'en foutait de tout ça! D'ailleurs il n'avait pas coopéré avec les agents, juste suivit, grosse nuance. Mais bien sûr pour l'entrevue il avait enjolivé les faits. Ici comme ailleurs le but du jeu consistait à passer du point M, minable, au point F, friqué. Une ligne droite bien définie dans son esprit, mais émaillée d'étapes dont les plus ennuyeuses étaient ces tests psychologiques, qui, non contents de dresser le profil d'un homme, le plongeaient tête première dans ses faiblesses. Grâce au ciel cela faisait un bout de temps qu'il avait décidé de ne plus assumer les erreurs de sa famille. Il retirait même une certaine force du fait de s'en être sorti. Il sourit. Le contraire ne lui aurait peut-être même pas empêché de rencontrer Scully. Mais cela se serait fait sous les traits moins avantageux de L'enfant exclusivement nourrit à la Budweiser. Un monstre gras et pale de 150 kg...

Enfin, il avait dû réussir l'examen de passage, puisque les portes du Temple de Washington s'étaient ouvertes à lui. Agent Spécial Peter Derns. Département de Justice. En charge, avec deux collègues, des systèmes de sécurité des bâtiments qui recevaient les témoins sous protection fédérale. Pompeux, et pas exactement ce qu'il voulait, mais il n'aurait pu rêver promotion si rapide.

Il vérifia l'adresse gribouillée par ses soins avec l'immeuble qui se dressait devant lui. A moins de faire l'objet d'une conspiration des renseignements téléphoniques, ça devait être ici. Il quitta sa voiture et renifla les violettes blanches achetées à la sauvette. Top ringardise, auraient dit ses copains de Quantico, mais, et surtout à cette heure-ci, il fallait un minimum de savoir vivre.
Il consulta les noms sur l'Interphone. Modèle de base, démodé, et appuya sur le 35.
- Oui, fit une voix féminine, mais sibérienne.
- Euh... P...Peter Derns, vous vous souvenez? Le type qui se déguise en fille et qui fait mannequin chez Urgo. Avec cette affaire spectaculaire j'ai été propulsé à Washington, mais je n'ai pas encore eu la chance de vous croiser.
- Il est un peu tard non? fit remarquer Dana, regardant le début d'Alerte! à la TV.
- J'ai fait aussi vite que j'ai pu, s'excusa-t-il.
- Il y a longtemps que je ne fais plus de baby-sitting, agent Derns. Vous feriez mieux de rentrer chez vous. J'ai eu une journée exécrable et...
- Un beau geste, Mlle, se pressa-t-il d'ajouter, de peur qu'elle ne raccroche. Vous n'allez pas me laisser là. Un tueur en série pourrait passer et me découper en rondelles sur votre perron, ça ferait mauvais genre.
Dana secoua la tête. Elle commençait à développer une phobie des hommes qui sautaient sur la moindre occasion pour faire de l'humour. Mais elle le laissa tout de même entrer.
Aventure d'un soir, espoir...se dit-elle.

Dana fut agréablement surprise par les fleurs, et l'apparence impeccable de son invité. Derns avait adopté le look classique du FBI. Un peu trop même. Il ne lui manquait que les lunettes noires pour parfaire l'image populaire du fédéral arrogant. Mais ses cheveux, plaqués en arrière par une gomina assombrissant leur oxydation, lui donnaient un air inoffensif.
- Je prends votre manteau? proposa-t-elle.
Derns se dépêcha de retirer son pardessus noir, révélant un costume tout aussi sombre, où transparaissait une chemise blanche parfaitement amidonnée.
Sur la suggestion muette de Scully, il s'assit dans le divan.
- Je vois que vous regardez Alerte! avec ce bon vieux Dustin Hoffman. Cela ne va pas vous changer les idées.
- C'est sûr qu'il était plus amusant dans Tootsie. Sans arrières-pensées, se reprit-elle.
Derns haussa les épaules.
- J'aurais aimé gagner autant que lui pour m'être déguisé. Enfin, c'est fini les paillettes. La presse a tellement parlé de cette affaire que je suis grillé pour ce genre d'enquête. Et croyez moi, je ne m'en plains pas. Même en Alaska la pègre doit connaître mon visage!
- Vous êtes une sorte de vedette quoi...
- Comme vous dites, une sorte. Entre Divine et la Divine...
- Je vous sers quelque chose? demanda-t-elle, un peu gauche.
- La même chose, dit Pete, remarquant une tasse de chocolat sur la table.
Dana s'éloigna quelques minutes dans la cuisine. Lorsqu'elle revint, un peu nerveuse, elle faillit poser la boisson chaude à côté de la table. Derns, pas du tout passionné par la combinaison jaune de René Russo, le rattrapa avant de se faire ébouillanter.

Dover, Delaware, 22h40, 18 Novembre.
Du haut de son dixième étage, Brenda regardait le monde fourmiller sous elle. D'ici il, semblait être fait de pions sans âmes. Une idée l'obnubilait : entre deux contrats, pourquoi ne pas utiliser l'arme trouvée à Longster à des fins lucratives? Bien sûr, elle savait maintenant que la lance n'était pas mortelle. Mais transporter les indésirables dans le désert du Colorado lorsque l'on vivait dans le Nord, ce n'était pas si mal...

Elle pourrait même dévaliser une banque, en faisant disparaître le personnel. Bien sûr, ce ne serait pas discret. Les médias rappliqueraient dans l'heure, mais toute situation amenait son lot de problèmes. Et puis elle n'aurait pas besoin de faire un braquage par semaine...

En quittant la fenêtre, Brenda s'aperçut qu'elle avait un message. Elle s'installa devant son portable, et engagea la conversation en tapant l'usuel «Bonjour».
- Contrat sur Washington. Cela vous intéresse?
- Oui.
- 19 Nov. 20h00. 503 Barton Street.
? Tapa Brenda. A la réponse «Oui» suivait immanquablement la photo et le dossier de la victime, avec parfois quelques recommandations quant à la façon de procéder, et pas une simple adresse.
- Un de mes hommes serait ravi de vous y remettre 10 millions de dollars en échange de tout objet subtilisé chez Jack.
Brenda sursauta presque. Jack, ce stupide nom passe-partout. Une question lui brûlait les doigts : comment savez-vous? Mais ce serait admettre posséder quelque chose.
- Qui êtes-vous? préféra-t-elle demander.
- Un ami - j'espère - qui souhaite garder l'anonymat.
Brenda fronça les sourcils. Un de ses intermédiaires sur la côte Est l'avait prévenu un peu plus tôt qu'un Mr Mulder, journaliste, voulait lui parler. Perplexe, elle poursuivit la conversation.
- Comment pourrions-nous travailler ensemble si je n'ai ni garantie, ni repère... ni objet?
- 10 millions sont une garantie. Quant au repère, cela n'a pas servi à Mr Symon de vous en donner. Vous avez utilisé la technologie de Jack contre lui.
- Cela ne change pas ma question.
- Vous êtes une femme dangereuse, le fumeur soupira en frappant la phrase. Cette discussion serait tellement plus rapide au téléphone... Il me faut donc me protéger.
- Il en va de même pour moi. Je veux la description du contact que vous m'enverrez, et la moitié de cette somme, tout de suite.
Le Fumeur attendit quelques secondes pour simuler l'ennui. L'argent ne représentait rien pour lui. Mais il devait jouer le jeu.
- 1m73, 70kg. Type européen. Cheveux clairs, très courts. Yeux marrons. 28 ans. Aucun signes particuliers. Où dois-je transférer l'argent?

C'était envoyé comme un rapport de police, mais, tout en étant banal, ne correspondait pas au Mulder qu'elle connaissait. Hagen transmit son numéro de compte dans cet état, puis la communication prit fin. Ses plans étaient donc changés. Pas de braquage, juste une vente. Dangereuse. Mais elle ne partirait pas d'ici avant de pouvoir fermer un compte gonflé de plusieurs millions.

Elle n'appréciait pas le fait que quelqu'un soit au courant du rôle qu'elle avait tenue à Longster. Mais les choses étaient peut-être mieux ainsi. En se débarrassant de cet objet elle aurait une vie plus facile...

Annapolis, Maryland, 3170 W, 53 Rd. 6h00, 19 Novembre.
Dana tendit le bras pour éteindre le radio réveil qui écorchait un vieux Rolling Stones. Il faudrait qu'elle pense à rectifier la fréquence, mais définitivement pas ce matin.
Paisiblement endormi, Peter paraissait encore plus jeune. Elle l'observa. Ses sourcils, châtains clairs, qui trahissait la couleur originelle de ces cheveux. Ses lèvres pulpeuses... Puis elle passa un doigt le long de sa joue, dans l'espoir de le réveiller. Son geste n'ayant aucun effet, elle le secoua légèrement par l'épaule.
- Allez, debout...
Pete ouvrit les yeux. Tapisserie jaune pâle, bibliothèques vertes, fauteuils mauves, puis un parfum. Il sourit.
- Dana...
Il se pencha pour l'embrasser . - Il est déjà 6h10. Tu vas être en retard.
Il la regarda, étonné.
- Tu travailles pour le Bureau, non?
- Comme toi, mais tu n'as pas l'air pressée.
- Mulder m'a donné quelques jours.
- Mulder? répéta-t-il, passant un bras autours de sa taille.
- Je travaille pour lui.
- Tu travailles pour Mulder?! la taquina-t-il. Il n'a donc pas déniché de nouvelle enquête? Pas de nouveaux monstres à rencontrer?
Le sourire de Dana se voila.
- De la condescendance, agent Derns?
- Tout au plus de l'humour teinté d'appréhension, Dana. Si toutes vos enquêtes sont aussi tordues, je ne sais pas comment tu tiens le coup...
- Je prends des vitamines... Et toi tu ferais bien de te dépêcher.
- Je t'avouerai que je n'ai pas envie de sortir aujourd'hui.
- Si tu fais passer tes sentiments avant le travail, tu ne feras jamais carrière au FBI.
- Si j'arrive à faire carrière en tant qu'être humain, ce ne sera déjà pas...
Il fut interrompu par le bip d'un téléphone, le sien.
- ... si mal, acheva-t-il.
Il prit son portable, au pied de lit, noyé dans ses vêtements.

- Une urgence... Salle de bain? demanda-t-il, désignant la porte devant lui.
Dana hocha la tête, et, amusée le regarda s'éloigner. Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait passé la nuit avec quelqu'un. Du moins de façon si agréable. Pratiquement depuis Jack - Willis - en fait. Elle se couvrit d'une robe de chambre abricot et se rendit dans la cuisine. Elle se sentait d'humeur généreuse, à préparer un petit déjeuner complet. Pain grillé, confiture, café, fruits frais... Il n'y avait guère que le week-end qu'elle pouvait traîner au matin. Et encore, elle en ressentait rarement l'envie. L'Interphone réclamant sa présence, elle se dirigea vers le living.
- Mulder, annonça la voix. Je ne te dérange pas?
- Pas du tout, tu sais que je suis toujours debout aux aurores...
- Désolé Dana... Désolé pour jeudi soir. Cette affaire me met les nerfs en pelote. Tu reviens aujourd'hui?
Scully, qui savait très bien comment Mulder était en pareil cas, se retint de dire qu'officiellement le dossier Longster était classé.
- Uniquement si tu promets de te reposer. Je suis sûre que si j'avais l'image, tu me ferais peur.
- D'accord Dr Scully. Mais avant j'aurai voulu te demander quelque chose.
- Oui?
- Tu ne me laisserais pas entrer? J'arriverai mieux à te convaincre si tu vois ma tête de mort.

Mulder, le teint blafard et la barbe naissante, se laissa tomber dans le divan. Dana resta debout, face à lui, le sourcil interrogateur.
- J'ai besoin d'aide, Dana. Je risque de poireauter des semaines devant mon ordinateur avant de trouver une piste. Tout le pays à scruter, ce n'est pas rien.
- Je ne m'en serais pas doutée, ironisa Scully.
- Hum. Je... me suis souvenu que tu t'entendais pas mal avec Derns. Et je me demandais si d'une façon ou d'une autre tu pouvais lui tirer les vers du nez?
- D'une façon ou d'une autre?
- En l'invitant à dîner par exemple. Rien de... enfin... J'ai lu son rapport sur l'affaire Symon. Il est au Département de la Justice maintenant. Et il en ressort que Symon avait loué les services d'un tueur à gage féminin. Tu comprends, c'est mon chaînon manquant. Il avait quelqu'un à l'extérieur pour résoudre le mystère des disparitions. Et vu le résultat, le contrat a été honoré.
- Qu'attends-tu de moi si tu sais déjà tout ça?
- Que tu convaincs Derns de t'apprendres comment contacter cette femme. J'ai essayé, sans succès. Pour les flics telle créature semble même ne pas exister. Tu sais qu'il m'ont dit que cette profession était réservée aux hommes, comme les tueurs en séries... On voit qu'ils n'ont pas vu mes dossiers. Enfin, si je fais une demande officielle, au mieux ça prendra une éternité et je tiens à mettre la main dessus avant la justice.
- Encore un de tes plans biscornus, Mulder. Tu ferais mieux de laisser tomber. Ton obstination n'apportera rien de bon.
- Si. La vérité. Tu oublies que c'est ma raison de vivre.
Dana fit la moue.
- Tu vas pouvoir faire ta demande en personne alors, Mulder. Pete est ici. Je vais le chercher, ajouta-t-elle pour éviter toute remarque.
Mulder se précipita vers elle.
- Ici? répéta-t-il.
Dana se retourna et le stoppa d'une main.
- Ces quartiers sont privés Mulder.
- Ouais, ça dépend pour qui, marmonna-t-il d'une façon a peine audible.
Scully le considéra, elle avait toujours du mal à la définir.
- Je t'offre le petit déjeuner? Se ravisa-t-elle.
Mulder, encore plus las qu'à son arrivée, s'installa sur la première chaise.
- Je ne trouve pas que ce type soit digne de confiance, Dana.
Scully ferma les yeux une demi-seconde.
- Mulder... Epargne-moi ce chapitre. Je n'ai pas besoin d'être chaperonnée.
L'agent fit la moue.
- Hum. Tu fais comme tu veux. Thé ou café?
- Quoi?
- Tu ne me demande pas ce que je bois? Dit pensivement Mulder, troublé, comprenant ce que son comportement avait d'irrationnel.
- C'est comme tu veux.
- Café alors, choisit Mulder, tournant ses pensées vers son problème actuel : Il ne savait pas encore comment rencontrer la tueuse rapidement. Que lui dire? Lancer un contrat fictif et se faire passer pour cible? Il faudrait en tout cas qu'il révise les polars de sa bibliothèque pour paraître crédible.
- Ce n'est pas la fin du monde, Mulder, fit Scully en le servant.
L'agent esquissa un sourire.
- Certes la fin du monde serait que je ne retrouve jamais ma soeur, et que tu épouses le premier capitaliste venu de plus de cent kilos.
Derns apparut à ce moment. Ces cheveux mouillés donnaient l'impression d'être gominés.
- Mr Mulder... Je me sauve, ajouta-t-il à regret devant les préparatifs de Dana. Ne te déranges pas, je prends mon manteau dans le vestibule.
Il l'embrassa sur le front avec un « je t'appelle dans la journée.»
- Je vous accompagne, Lança Mulder, le bol à la main. Ne t'inquiètes pas Scully, je te rends les deux dans quelques heures, promit-il, quittant la cuisine.
Lorsque la porte claqua, Dana croisa les bras devant son café et ses toasts. Finalement elle ne mangerait rien non plus ce matin...

Washington D.C, Bureau du FBI, 18h00, 19 Novembre.
Mulder quitta l'ascenseur d'un bon pas et s'enfonça dans le parking du FBI. Plus éclairé que la plupart de ceux qu'on trouvait en ville, il n'en restait pas moins étonnamment sombre. Il essaya de se souvenir la lettre où il avait garé sa voiture. T où U? Lorsqu'il arrivait ici au matin, c'était toujours dans les M, une lettre facile à retenir. Mais aujourd'hui, à cause de l'insistance de Scully il n'était venu que dans l'après-midi, et sa place habituelle était prise. Ses chaussures résonnaient sur le sol, martelant ses pensées. Derns avait promis de l'aider, mais les choses n'avançaient toujours pas. Peut-être qu'en écumant les bars louches de la capitale, il aurait plus de chance, mais avant, il fallait qu'il se change. C'était tout de même hallucinant qu'il soit si difficile de localiser un simple tueur. Après tout n'importe quel citoyen pouvait avoir envie de se débarrasser de quelqu'un. Lui même avait quelques noms en tête...

Il reconnu enfin son véhicule, dans les U. Lorsqu'il fut sur le point de sortir, une femme l'accosta. Il remarqua d'abord ses mains tachées de cambouis, puis sa carte, Ellen Wendt, chimiste.
- Je suis soulagée de voir enfin quelqu'un, commença-t-elle, s'essuyant les mains sur un torchon pas très net. Vous pourriez me déposer sur Georgetown? J'ai déjà appelé un taxi, mais ils ne peuvent rien me promettre avant trente minutes.
- Vous en avez donc profité pour achever votre voiture, plaisanta Mulder, l'invitant à le rejoindre.
Mulder mit le contact, s'engagea dans une marche arrière, et ressentit une vive douleur dans le cou. Il eut le temps de jeter un regard étonné à Wendt et mémorisa son allure : très mince, des cheveux noirs, bouclés, assez courts, un visage presque poupin...

Brenda rattrapa la tête de l'agent avant qu'elle ne heurte le Klaxon, rangea son aiguillon électrique puis sortit pour prendre la place du conducteur. Elle vérifia l'heure. Il lui avait fallu agir rapidement. En arrivant en ville, elle avait opté pour un arrêt ici, comptant cueillir Mulder à son arrivée au boulot. Pour elle les fonctionnaires faisaient leurs 9 à 5. Mais Mulder lui, arrivait à 15h00 ( où elle l'avait raté ) et partait à 18...

Hagen oublia ces détails et se sentit beaucoup mieux en roulant dans la nuit. Les parkings étaient des endroits trop pesants, trop plein d'échos. Elle préférait l'engorgement de ces rues, où l'anonymat était assuré. Elle s'engagea dans l'artère qui s'éloignait de Georgetown. Son rendez-vous était dans une banlieue beaucoup moins cossue et elle voulait y jeter un oeil avant l'heure H. Vérifier qu'il n'y avait pas d'embrouille et faire parler son voisin.

Washington D.C, Adams Morgan Road, 18h30.
Scully reposa son portable, déçue, et fit demi-tour. Peter venait de lui apprendre qu'il n'était pas libre ce soir. Il lui avait déjà fait le coup de l'urgence ce matin. Passait de le taquiner en voulant le mettre dehors, mais c'était autre chose de le voir effectivement partir.

Dana prit la bretelle qui la ramenait en centre ville. Elle savait qu'elle se tracassait pour rien. Elle aussi, lors de ses débuts au Bureau, n'avait pas eu une minute à elle. La bleusaille était traitée partout avec le même manque d'égard. Mais la relative oisiveté dans laquelle son collègue l'avait plongée - puisqu'il ne démordait pas du cas Longster - la rendait plus sensible à ce genre de chose.
Enfin, tant pis, elle n'en était pas à sa première soirée de gâchée. Plutôt que de se retrouver seule chez elle, ou dans le centre d'Annapolis, ses crabes bleus et les uniformes de l'école Navale lui sortaient par les yeux. Elle irait passer une heure ou deux dans le café attitré du Bureau, histoire de se retrouver dans son milieu.

En attendant, elle était bloquée dans le trafic. Plusieurs voitures klaxonnaient d'impatience. Dana baissa sa vitre pour que l'air froid chasse la buée provoquée par l'attente, et lui permette de mieux voir la gravité du blocage. Une dizaine de voitures étaient retenu par un feu rouge, qui ne les libérait qu'au compte goutte.

Elle observa ses compagnons d'infortune. Deux gamins, devant, s'entre-tuaient avec des légos, leurs hurlements lui parvenaient, étouffés, mais ne semblait pas atteindre le chauffeur. Sur sa droite, un gros type encapuchonné agrippait son volant, prêt à démarrer au quart de tour pour avancer de quelques centimètres.

Un nouveau coup de Klaxon, juste au dessus, attira son attention. Une Ford bleue marine, aussi propre que si elle sortait d'usine. Lorsque le passager se tourna de trois-quarts pour jeter un mégot dehors, Scully remonta sa vitre et se sentit fondre. Si elle n'hallucinait pas, il s'agissait du Fumeur. Elle ne l'avait jamais vu à l'extérieur, dans la vie courante - s'il en avait une - et oublia ses plans. Elle le suivrait tant qu'elle pourrait. Tout détail relatif à se personnage pouvait avoir son importance.

Elle se fit remarquer en s'insérant dans la même file, à deux voitures d'intervalle, et là, il lui fallu attendre 20 minutes pour passer le carrefour et rouler enfin à une allure plus soutenue. Comme nombre de véhicules, la Ford quittait la capitale.

Quelques kilomètres plus loin, elle s'arrêta devant un cimetière de voitures, qui, à juger la place qu'il prenait, devait être la seule affaire rentable dans ce quartier. Scully se gara sur le trottoir opposé, entre deux vieilles Chrysler, où s'alignaient un marchand d'alcool - fermé - et un hôtel minable. Lorsque la Ford disparut dans la casse, plus curieuse que jamais, elle décida de louer une chambre plongeant dessus.

La réception ne dépareillait pas avec la devanture, la tapisserie rouge faisait penser à un vieux cinéma, et était agrémentée de deux individu glauques, tout droit sortit d'une série Z. Habitués aux bizarreries, ils lui donnèrent tout de suite ce qu'elle voulait. Sur le registre, foisonnant de Smith, Brown et Thompson, elle signa Doe.

* * *

L'agent Derns roula au ralenti. La radio émettait faiblement le stupide «Uptown Girl» de Billy Joel, qui jurait tellement avec le lugubre de cet endroit, qu'il fut content que son passager l'arrête.
Il était fou. Accepter une telle mission alors qu'il n'avait aucune expérience pratique... Dana avait raison. Peut-être n'aurait-il pas l'occasion de faire carrière au FBI...
Il chassa toute pensée personnelle en apercevant enfin les phares d'une voiture, et se gara devant une Ford, quasiment identique à la sienne. Une femme en sortit. 1m 65, très mince, sanglée dans des vêtements noirs, elle portait des lunettes de soleil, pour achever de passer inaperçue. Mais son allure féline lui était familière.
- Allez-y, ordonna l'homme qui l'accompagnait.

- Vous êtes mon contact, je suppose?
Le petit sourire narquois de la femme confirma ses doutes, elle lui avait rendu visite à Longster, un certain soir. Pour elle la situation était effectivement amusante.
- On ne peut rien vous cacher... dit-il.

Brenda ouvrit la portière arrière pour prendre l'objet qu'elle avait accepté de vendre.
- C'est tout ce que vous avez?
La femme hocha la tête.
- Posez-le par terre et éloignez vous, demanda-t-il par prudence.
Devant la perplexité de la femme, il exposa le contenu de sa mallette, emplie de billets verts, puis la posa sur le sol.
- Je m'éloignerai en même temps que vous, continua-t-il.

* * *

Mulder, réveillé par les voix, redressa la tête. Et observa, une douleur sourde dans le cou, la scène qui se déroulait en bas : deux personnes se déplaçaient en crabe, en une sorte de danse rituelle. Puis il s'aperçut qu'il s'agissait de Derns, et de Wendt. Son cerveau lui mit les points sur les i. Ils n'étaient pas nets.
Il se concentra sur le moyen de s'en sortir. Attaché par ses propres menottes, il se glissa pour ouvrir la portière de droite. Trois bons mètres s'offraient à lui : il était dans la dernière voiture d'une énorme pile promise au broyeur.

Derns quitta la scène à reculons, craignant le piège, et se remit au volant.
- Nous pouvons partir, dit son comparse, sans même avoir jeté un regard à l'objet qu'il avait rapporté.
- J'en conclu que vous êtes satisfait du deal, alors?
- Je verrai cela un peu plus tard, si vous le voulez bien. Pour l'instant il serait judicieux de se retirer, Mr Derns.
Il se fendit d'un sourire qui rappela à l'agent le Lon Chaney du Fantôme de l'opéra.

* * *

Sous le choc, Dana baissa ses jumelles et s'éloigna de la fenêtre. Voir des amis en compagnie du Fumeur était son pire cauchemar. Elle aurait voulu retourner chez elle dans la minute, pour désinfecter son appartement, effacer toute trace de la présence de Derns. Une dispute, dans la chambre voisine, la ramena à la réalité. Elle donna l'impression aux propriétaires de l'Olympus de fuir leur établissement, et reprit sa filature.

Brenda transféra l'argent dans un sac à dos. La mallette, gracieusement offerte par son contact, pouvait très bien contenir un système pour la repérer, ou, pourquoi pas, la réduire en miette. Le sac sur les épaules, elle monta dans la grue. Deuxième partie du plan : faire parler Mulder. Elle avait eu la main lourde avec l'aiguillon, il est vrai que normalement il était utilisé sur les bestiaux, mais il devait être réveillé maintenant. Elle ramena la vieille Cadillac, complètement entamée par la rouille, sur le plancher des vaches.

Le coeur battant la chamade, Mulder feint l'inconscience, et, à son approche, lui balança les mains dans la figure. La femme perdit l'équilibre, mais sortit un Mac Ten avant qu'il n'ait pu la saisir au col. Il eut juste le temps de se jeter dans l'une des rangée de voitures.

Brenda se força à rester calme, torche allumée elle pivota sur elle même. Pour sûr, le salaud avait fini par se réveiller! Mais cet endroit était trop grand et trop sombre pour jouer à cache-cache. Mieux valait prêter l'oreille.
Elle n'eut pas longtemps à attendre. La clôture, au nord, vibra, telle une toile d'araignée ayant capturé un stupide insecte. Hagen s'y précipita en voiture.

Alors qu'il peinait à escalader le grillage, Mulder entendit le bruit de moteur. Il pressa la cadence, enjamba la grille, et redescendit de l'autre côté. Les mains liées, c'était encore plus difficile que la montée, il n'aurait jamais le temps de tout descendre.
Sa propre Ford, après s'être approché lentement, reculait avec agressivité, pour se jeter sur lui.
A moyen radical, réponse radicale. Mulder se laissa tomber. Roula en boule pour éviter les fractures, et couru vers la route. Il lui fallait rejoindre la civilisation, quoiqu'en cette fin de siècle, les âmes secourables se faisaient très rare...

* * *

L'autre voiture n'avait pas fait quelques mètres qu'un bruit horrible de tôle froissée sortit du cimetière. La Ford hésita un instant, puis quitta les lieux. Pour ne pas se faire repérer, Dana arrêta un peu plus longtemps, et, dans son rétro, aperçut une silhouette familière, poursuivi par une voiture. Oubliant Derns, elle s'engagea dans la pelouse éparse qui faisait suite à la casse.
- Mulder, par ici! cria-t-elle.
Remarquant ses menottes, elle lui ouvrit la portière passager.
- Coupe-lui la route, haleta l'agent en se jetant à ses côtés.
Comme elle s'obstinait à retourner sur la route, il s'empara du volant.
- Sa voiture est endommagée, elle ne tiendra pas longtemps, expliqua-t-il.
Scully tenta de reprendre le contrôle.
- Tu es fou! Elle nous fonce dess...

Une rafale fit plonger les deux agents sous le tableau de bord. Leur voiture dérapa en arc de cercle et s'immobilisa, vitres et pneus en miettes.
- Ton arme, exigea Mulder, qui protégeait le corps de sa partenaire.
- Reste tranquille...
Il tâta le manteau de sa collègue et délogea le Smith et Wesson.

En passant à hauteur des agents, Brenda les arrosa une seconde fois, puis prit la tangente, sous les protestations de son moteur.
Le mieux aurait été de les éliminer, mais elle ne pouvait pas courir le risque de s'arrêter. Dans l'état où se trouvait sa voiture, elle aurait de la chance si elle parvenait à mettre quelques kilomètres entre elle et cet endroit minable. D'autant plus qu'avec cette explosion de bruit, la populace ne tarderait pas à sortir de sa torpeur.

Mulder se redressa et vida le chargeur sur sa propre Ford, déjà méconnaissable aux mains de Wendt.
- Tu peux te relever, dit-il à Scully, lorsqu'ils furent seuls dans le terrain vague. Tout est fini. Et on ne va pas être à la fête. Deux voitures bousillées en une journée...
- Tu connais ta plaque d'immatriculation, j'espère? s'enquit Scully en composant le numéro de la police sur son portable.

Washington D.C. Bureau du FBI, 20 Novembre, 10h15.
Derns fut soulagé de trouver la porte où figurait le nom de Fox Mulder. Il frappa, et on lui dit immédiatement d'entrer.
Les deux agents, assis à quelques mètres l'un de l'autre, le fusillèrent du regard. Il accorda un signe de tête à Mulder, affublé d'une minerve, et se tourna vers Scully, contrarié qu'elle puisse travailler dans ce placard sombre, orné d'affiches douteuses.
- Tu es donc si fâchée après moi? commença-t-il, se gardant d'avouer qu'il avait eu du mal à trouver son repère.

Dana le considéra, les mâchoires serrées. Elle ne s'était pas attendu à ce qu'il vienne jusqu'ici, puis elle décida que c'était bien son genre. Le Fumeur avait dû lui dire de garder un oeil sur elle. Elle se sentait souillée d'être tombée dans leur piège. Mais ne tenant pas à se donner en spectacle devant Mulder, elle accompagna Derns dehors.

- Où étais-tu hier soir? demanda-t-elle à voix basse, même si ce bout de couloir était réputé pour être déserté de tout le FBI. - Je te l'ai dit, en mission, murmura Derns, hébété.
- Mais où?
- Je n'ai pas le droit d'en parler... Dana, tu n'as aucune raison d'être jalouse.
Le regard de Scully se durcit.
- Il ne s'agit pas de ça. Hier soir tu étais avec le Fumeur, dans une casse de voitures.
Derns fronça les sourcils.
- Le Fumeur?
- Inutile de perdre du temps à mentir, je vous ai suivis.
- Alors pourquoi toutes ces questions? Je n'ai fait que remplir une mission. Et le type qui était à mes côtés n'avait rien d'une créature de rêve.
- Cet homme... a essayé plusieurs fois de me tuer. Il n'est pas du FBI.
- Ne dis pas de bêtises, j'ai vu son bureau, fit-il en s'approchant.
- Ne me touche pas! Et ne joue pas les imbéciles avec moi.
- Mais enfin, c'est un de mes supérieurs.
- Quel est son nom? Sa fonction?
- Il est du Département de Justice, c'est tout ce que je sais...
Scully s'éloigna.
- Dana, je t'en prie! s'exclama-t-il, la suivant. C'est vrai que ce gars est bizarre, mais de là à...
Aux portes de l'ascenseur, Scully se retourna brusquement.
- Ne m'approche plus. Tout est fini agent Derns. Les gens qui travaillent ici ont tous un nom et un matricule.
Il s'engouffra avec elle dans l'ascenseur.
- C'est pourtant lui qui m'a recruté.
- Je ne veux plus en entendre parler, dit-elle froidement, sans le regarder.
- Et bien moi si! Je veux comprendre. Encore même que ce type ne soit pas d'ici, il y a forcément sa place. Il est peut-être de la CIA, ou du NSA, sinon il n'aurait pas droit d'accès. Je ne vois pas où est le problème?
- Le problème, c'est qu'il t'a engagé pour me surveiller. Et après avoir profité de moi, je te saurais gré de m'épargner cette scène. J'ai fini de jouer.
Derns bloqua l'ascenseur entre deux étages.
- Tu es en plein délire paranoïaque Dana. On s'est rencontrés à Longster. Je ne connaissais même pas ce... Fumeur.
- C'est ça, prends-moi pour une idiote. Nous ne sommes pas dans le monde féerique de Walt Disney, Derns. Il t'engage pour effectuer une transaction avec l'assassin de Jack, et toi tu trouves ça tout à fait normal?
Elle remit l'ascenseur en marche, et le regarda dans les yeux.
Derns hésita un instant. Piqué une fois de plus par son principal défaut.
- Je n'y ai pas réfléchi. J'avais juste besoin d'argent...
Scully se mordit la lèvre inférieure.
Leur destination approchant, Derns frappa sur le bouton du dernier étage.
- Nom de Dieu Dana! Pour quoi me fais-tu passer?! Tu n'as rien à voir avec tout ça, comment faut-il te le dire? D'ailleurs j'ai reçu cette proposition bien après être passé chez toi. A la limite traite moi d'agent ripoux, mais pas de salaud.
- Laisse-moi partir, dit simplement Dana.
Derns l'observa. Sur la défensive, elle semblait prête à bondir à la moindre menace. Comme s'il avait l'intention de la violenter... Il abdiqua en s'adossant contre la parois du fond.
Scully s'engagea dans le couloir et reconnut le Département Comptable. Le royaume des litiges financiers. Il fallait qu'elle localise leurs toilettes au plus vite.

Washington D.C. 21 Novembre, 22h45.
Peter contempla la ville par la fenêtre de la cuisine. Chaque petits points lumineux représentait au moins une vie. Et combien parmi elles s'étaient saoulées ce soir?
Un bouteille de whisky aux trois quarts vide en main, il jeta un oeil las sur les cartons qui s'empilaient dans son appart. C'était aussi bien qu'il n'ait pas déballé. Il en avait marre de la Côte Est. Il avait toujours vécu dans la grisaille. Il lui fallait un endroit chaud. La Californie, Santa Monica. Des gens beaux, riches et bronzés.

Il vida son «J&B» d'une traite et ferma les yeux. Il avait un mal au crâne infernal. Mais il ne parvenait pas à s'évader de sa récente découverte : il n'y avait pas de Fumeur. Son bureau n'était qu'une remise pour ordinateurs nazes.
Dana avait raison.. C'était peut-être même toutes ces questions sur elle et Longster, lors de son entretien avec lui, à Quantico, qui l'avait poussé à la revoir.

Il ouvrit la fenêtre pour s'y accouder. L'air frais lui fit du bien. Il commençait à neiger. Les flocons, dans la nuit, étaient du meilleur effet sur le lac Potomac.

Peter Derns s'effondra sur le carrelage marbré de son domicile, dans un coma éthylique.

Epilogue. St Michaels, Maryland, 25 Novembre, 9h20.
Le Fumeur savourait un cigare en attendant l'arrivée de ses collègues. Il s'estimait toujours en retard s'il arrivait moins d'une demi-heure avant tout le monde.

Il s'amusa à l'idée que ses amis puissent arriver avant qu'il n'ait fini son Havane. C'était un signe que les autres curieusement, assimilaient aux problèmes. Les ennuis n'avaient pourtant que l'importance qu'on leur accordait...

Finalement Derns était un bon à rien. Il avait quitté la capitale comme si on y avait déclaré la peste, et s'était réfugié à Philadelphie, où il avait fourbi ses premières armes. Et où il ferait bien de ne pas faire de vagues...
Il baissa les yeux sur la couverture bleue défraîchie du dossier de l'agent, sur lequel il avait noté l'adresse de Mme Hagen - il ne connaissait pas encore son prénom - beaucoup plus conciliante que Krycek.

En facilitant son arrestation, sur la bretelle sud de la ville, Mulder lui avait rendu un fier service. Il faudrait qu'il pense à lui renvoyer l'ascenseur un de ces jours...



FIN

Autre Fanfic :  En Mémoire De...