(André Baubault, Connaissance de l'astrologie, Seuil, 1975)

Chapitre 2 : LES SOURCES LOINTAINES

En dépit des riches ressources d’information que nous procurent l’archéologie, l’ethnologie, l’anthropologie et la psychanalyse, il n’est pas aisé de se représenter la pensée sensible des hommes des temps lointains en face de l’univers. Outre les ouvertes et éclairages de ces disciplines, il faudrait, en quelque sorte, rejoindre le placenta de l’alma mater.

L’esprit collectif qui domine dans notre monde moderne relève de la schizoïdie : il s’agit d’une disposition mentale marquée par une perte de contact affectif avec la réalité, une non-participation sensible à la vie du monde. Devenu un roi grisé sur la Terre, l’homme se tient pour une créature à part, affranchi de la nature et sorti de la voie où se lient les choses de ce monde, au point de devenir un « hors-la-loi » du cosmos.

Autre était l’homme d’une époque ancienne, par nécessité attaché à sa condition de créature terrestre, respectant la loi qui le liait au sol, aux éléments, à la plante, à la bête, un tissu de son âme de « participation magique » tendu entre les choses et lui. Cet homme-là appartenait réellement au système du monde, était fondu dans l’univers ; il en était même la pièce maîtresse. C’était une condition idéale pour lire dans les ombres de la terre comme dans les étoiles les signes par lesquels le Divin parlait aux hommes du temps de la Nature. C’est ainsi que la marche des astres et la croissance des plantes ont inspiré à l’esprit des hommes, et par lesquelles, unissant intimement la force vitale et la loi mathématique, ils ont rattaché la vie de l’humanité et l’ordre qui la règle à la vie de la nature et aux lois de l’univers. Il s’agit là de la manière de penser la plus répandue à la surface de notre planète entre l’époque néolithique et l’ère moderne de la science européenne, et plus particulièrement de l’Asie, dont elle est originaire, où elle a joué un rôle déterminant dans l’édification de ses religions, de sa science embryonnaire, de ses philosophies sociales, de ses morales et de ses métaphysiques. Ainsi généralisée dans l’espace et le temps, elle présente un véritable caractère civilisateur.

Cette « astrobiologie » (1) [Voir La Pensée de l’Asie et l’Astrobiologie de René Berthelot (réédition Payot, 1972).] est l’ancêtre de l’astrologie, sa souche première, On la voit d’abord se développer, plusieurs milliers d’années avant l’ère chrétienne, dans les plaines de la Mésopotamie, la formation de cette pensée étant connexe du développement de la grande culture d’une société agricole, comme l’essor de la science expérimentale des modernes sera connexe du développement européen de la grande industrie. C’est, en effet, dans la solidarité vitale de la plante et de l’astre, la découverte des premiers éléments de la science qu’inspire aux observateurs chaldéens la relation de la croissance du blé dans leurs champs et des mouvements du soleil dans leur ciel.

Dans la civilisation chaldéenne, l’ordre du ciel se transmet à la terre et aux organismes terrestres dans une vision unitaire de la nature, de l’homme et de l’univers. Les hommes transportent à la succession des événements terrestres l’idée des relations numériques qu’ils ont établies dans les phénomènes célestes par la mesure et le calcul. On les voit transmettre la loi mathématique impersonnelle de la périodicité des cycles astronomiques à celle des rythmes de la vie végétale, dans la conception d’une unité générale de la vie, de la nature et de la loi.

Le pas en direction de l’astrologie est définitivement franchi à partir de l’apparition de l’idée d’une union ou interpénétration entre la vie des corps célestes et la vie des organismes terrestres ; et si la vie de l’organisme humain lui-même y participe, c’est qu’elle ne diffère pas fondamentalement de la vie des organismes végétaux et de la nature, conception débouchant nécessairement sur la notion d’unité de la loi humaine et de l’ordre cosmique.

Chaque ville de la Mésopotamie a son temple-observatoire en forme de tour ou de pyramide à étages, dont les angles sont orientés selon les quatre points cardinaux. Cette « colline du ciel » ou « zigourat », où se tiennent les docteurs des collèges sacerdotaux, porte à son sommet le sanctuaire d’un dieu et est censée relier le ciel à la Terre.

L’astrologie chaldéenne qu’on y pratique repose déjà sur une astronomie scientifique, fondée sur des observations méthodiques, calculant pour prévoir l’évolution du temps. C’est déjà « l’astronomie des positions » et c’est en particulier une astronomie des mouvements angulaires. Les prévisions-prédictions qu’elle en tire tiennent au sort du souverain et de l’État, permettent l’établissement d’un calendrier agricole, d’une calendrier des cérémonies religieuses, tous les actes importants de la vie publique étant subordonnés aux interprétations astrales. Nombreuses, par exemple, sont les inscriptions sur tel temple ou palais : « Moi... roi d’Assur et de Chaldée, j’ai érigé ce temple en l’honneur de mon Seigneur, à l’heure propice... » Les documents relatifs à ces époques anciennes remontent au quatrième millénaire avant notre ère, mais la première attestation épigraphique a trait au célèbre présage de Sargon d’Akkad (-2400) : il s’agit d’un présage fondé sur une observation de Vénus et concernant le fondateur de la dynastie d’Akkad. Une tablette de brique cuite en parfait état de conservation concerne un présage basé sur une éclipse lunaire :

Le Roi d’Akkad meurt et ses sujets sont saufs
Le pouvoir du Roi d’Akkad s’affaiblira.
Ses sujets sont prospères.

Cette éclipse est survenue le 11 mai (calendrier julien) 2259 av. J-C et a coïncidé avec la mort de Narâm-Sin, le petit fils de Sargon. Il existe, conservée au British Museum, des milliers de tablettes provenant de la bibliothèque d’Assourbanipal, à Ninive, et les cinquante mille tablettes trouvées dans la bibliothèque du temps de Nippour, au sud-est de Babylone, contiennent des documents échelonnés entre 3000 et 500 av. J-C.

Les présages concernait la communauté à travers son représentant royal, mais ils passèrent graduellement du roi aux particuliers. Voici quelques présages de l’astrologie assyrienne qui ne surprendront pas les astrologues d’aujourd’hui :

« Si un enfant naît quand Vénus se lève : sa vie sera calme, voluptueuse ; où qu’il aille, on l’aimera ; ses jours seront longs. » « Si un enfant naît quand Vénus se lève et que Jupiter se couche : plus tard, sa femme sera plus forte que lui. » « Si un enfant naît quand Jupiter se lève et que Mars se couche : il aura du bonheur et verra l’abaissement de son ennemi. »

Le passage d’une planète à l’horizon... Ces premières gouttes du lait de l’astrologie généthliaque (individuelle) tirées des mamelles d’Uranie (ce sont, effectivement, nos premiers documents historiques en la matière) posent déjà les bases de l’horoscopie, et nous verrons de quel respect elles tinrent ceux qui recoururent au verdict du calcul des probabilités...

Il est naturel que ce soit dans une vision animiste et vitaliste généralisée du système du monde que s’ordonne cette astrologie-astronomie chaldéenne. Dans la plus ancienne écriture à caractères cunéiformes de la langue sumérienne – la plus vieille langue de l’humanité – l’idéogramme qui désigne le dieu a la figure d’une étoile, outre qu’en beaucoup de langues le mot « Dieu » dérive d’une commune racine sanscrite « div » qui signifie « éclairer » ou « briller ». c’est dans cette lointaine tradition que nous nous moulons lorsque nous invoquons dans notre première : « Notre Père qui êtes aux cieux... »

L’appel divin fut d’abord projeté au ciel, vers ces astres qui se meuvent là-haut, dans un autre univers, et l’on admet de plus en plus que la croyance sidérale a été la phase primordiale de l’évolution générale des religions, celles-ci s’étant graduellement élevées de l’animisme et du fétichisme aux formes supérieures du culte.

Dans le système spirituel qui en découle, l’astre est imprégné de vitalisme végétal, en même temps que le dieu y est « bio-astral ». Dans les plus vieux documents, les dieux sumériens sont mis directement en rapport avec les arbres et les plantes, comme Sin le dieu lunaire associé (ainsi qu’Osiris en Égypte) à la force de vie qui fait croître la végétation. Les astres sont vivants, animés, divins ; les planètes sont identifiées aux grands dieux ; leurs mouvements expriment l’activité des dieux incarnés en elles, divins régulateurs de la vie naturelle, végétale, animale, humaine. Ces étoiles mobiles, qui se meuvent dans leur ciel, deviendront les « interprètes » de ces puissances spirituelles auxquelles elles sont assimilées.

La religion officielle de la Babylonie est une religion du Destin imposé par les dieux (1) [1.M.David, Les Dieux et le Destin en Babylone, Puf, 1949]. Le régime du Destin, avec sa qualification du temps, s’affirme par le lien du divin, de l’historique et de l’universel. Il est avant tout la volonté divine, les dieux étant les rois véritables de l’univers, de qui, par délégation, les rois terrestres tiennent leur puissance. Ce monde des dieux, eux-mêmes figurés sous forme humaine, n’est qu’une représentation exemplaire supérieure du monde humain. L’homme est objet de Destin ; vivre, c’est, dans un temps chargé de destin, participer à un destin. Mais aussi, les pierres et les plantes apparaissent en qualité d’objets de Destin ; aussi sera-t-il question du destin des temples, des statues, des villes, des édifices ; aussi comprend-on le sens des cérémonies de construction et de dédicace en temps donné, le roi ou le prêtre agissant pour la divinité, dans une opération de « fixation du destin ». Tout destin apparaît donc comme une décision émanant d’une volonté transcendante à l’homme et par laquelle celui-ci est investi d’une fonction ou mission à remplir ; c’est un déterminisme qui le dépasse et l’intègre à la ronde du monde, sans être tout à fait une fatalité car il est conçu dans une vision organiste de la vie.

Dans le Panthéon babylonien, le régime du Destin est exercé par une communauté hiérarchisée de grands dieux, chacun d’eux possédant sa tâche ou son domaine séparé, un lien très fort unissant toutefois les membres de la divine assemblée qui exerce conjointement le pouvoir. La société sumérienne possède à sa tête le roi-prêtre, régisseur d’un patrimoine divin ; porteur lui-même d’un destin intérieur (grâce, prédestination, don...), il sert et complète l’action des dieux comme prêtre et comme chef de la société humaine. Cette notion babylonienne de destin, déclare M.David, constitue « le premier anneau ferme de civilisation auquel nous puissions raisonnablement suspendre toute une chaîne de croyances, d’idées, de doctrines, qui nous ramène jusqu’au seuil des temps modernes. »

De la plaine mésopotamienne, cette astrologie naissante gagne du terrain concentriquement en se propageant dans toutes les directions : Perse, Indes, Chine, Arabie, Égypte, Grèce...

Nous voyons également en Chine le roi-prêtre d’une religion céleste servant d’intermédiaire entre Dieu et les hommes. On y retrouve l’union de l’astronomie, de l’agriculture et de la loi (calendrier agricole), ainsi que la base d’un ordre social : le culte impérial du Ciel, l’empereur étant chargé de faire passer dans la vie publique des hommes l’ordre invariable des mouvements célestes ; il est le Fils du Ciel. À travers ce culte, la société humaine se relie astrobiologiquement à l’ordre céleste. La chute de la première dynastie, celle des Hia, aurait été entraînée par une erreur astronomique : l’apparition d’une éclipse de Soleil non prévue. Puisque le Ciel manifestait par ce désordre qu’il se détournait de cette dynastie, il fallait faire appel à un nouvel empereur pour restaurer l’ordre troublé et rétablir l’accord entre la Terre et le Ciel dont le pouvoir doit être dépositaire de la vertu vitale. Le confucianisme et la taoïsme se nourrissent à leur source de cette pensée astrobiologique. Le tao est la force vitale de l’univers et de l’homme : « le tao, qui se manifeste au ciel dans le soleil, se manifeste aussi dans le cœur de l’homme. » Si le taoïsme s’assimile carrément à l’astrologie, le confucianisme modèle la nature humaine sur la nature de l’univers et fonde une morale sur la loi du ciel.

En Inde, cette même pensée de fond constitue la racine ou la trame des principales voies philosophiques. La religion bio-solaire des Védas est évidente, et les spéculations des Oupanishads aboutissent à l’identité de l’âme humaine et de l’âme du monde, tandis que, de son côté, la technique du yoga se rattache à une théorie vitaliste de l’accord microcosme-macrocosme. Pour sa part, la pensée bouddhiste est une philosophie de la nature mêlée à l’astronomie ; elle en adopte la notion de loi impersonnelle dont elle fait le support de la morale. Le Sankhya et la Vaiçeshika sont voisins du taoïsme comme philosophie astrobiologique, et le djaïnisme en porte de fortes traces ; l’apparition de la notion d’amour universel est liée historiquement à l’affirmation de la loi astronomique universelle.

Le monothéisme islamique et judaïque a subi également l’influence astrobiologique, car l’idée d’un Dieu unique émane de celle de l’unité de l’univers, venue de cette conception du monde, d’autant que le dieu solaire est vite devenu le dieu suprême, la divinité prépondérante du panthéon polythéiste.

L’Égypte s’ouvre plus tardivement à l’astrologie qui revêt, chez elle, un caractère stellaire avec l’établissement de la triple relation du commencement de la crue du Nil, du solstice d’été et du lever héliaque de Sirius. Le calendrier civil est fondé sur ce phénomène : quand cette étoile, la plus brillante de nos cieux, se lève à l’orient avec le soleil, le grand fleuve renouvelle la fertilité de la terre qui emplira les greniers du pays. Le lever acronyque de Sirius à également fait l’objet de prévisions d’ordre national.

La civilisation hellénique fournit elle-même son édifice définitif à l’astrologie. Ses divers systèmes philosophiques contribuent à apporter des matériaux de construction, toujours dans l’esprit de la pensée astrobiologique. Avec les physiciens (Thalès, Anaximandre, Anaximène...) la science ou « sagesse » grecque affirme l’unité essentielle et substantielle du monde ; le dogme astrologique par excellence se forge ici : la solidarité de l’homme et de l’univers dans l’interdépendance de la partie et du tout. Avec Pythagore (dans son école est forgé le titre de « mathématicien » que les astrologues vont porter), cette solidarité universelle trouve la voie de ses expressions harmoniques, rythmiques, numériques, géométriques. Avec l’école d’Élée, Héraclite, Empédocle, Leucippe, Démocrite et Anaxagore, cette relation de l’homme et du monde passe par le code des Éléments. Chez les socratiques, Platon apporte une pierre de choix à l’édifice avec les propositions de son Timée qui deviendra le bréviaire des astrologues : le monde est un, il est n être vivant, les astres sont des dieux vivants, l’homme terrestre est le produit de la collaboration de tous les dieux-planètes ; il est une copie du monde qui est lui-même une copie de Dieu, thème repris plus tard par Philo et quelques autres... Puis, Aristote contribue à fixer le code d’interprétation astrologique de base avec sa théorie des rapports des quatre Éléments avec les quatre principes élémentaux : chaud, froid, sec et humide. Mais ce sont surtout les stoïciens (Zénon, Chrysippe...) qui prennent la part la plus considérable à l’élaboration de la théorie astrologique, fondant l’influence des astres sur la notion de « sympathie », exprimant les épopées des mythes en allégories astronomiques ou cosmogoniques, achevant le thème de l’homme-microcosme... En médecine, Hippocrate fonde les principes d’une astrobiologie en appliquant à l’organisme humain la mesure des rythmes que les astronomes observent dans l’organisme universel (cycles des maladies, des jours critiques)...

Au dire de Pline, le grand astronome Hipparque croyait fermement « à la parenté des astres avec l’homme et que nos âmes sont une partie du ciel ». Un texte astrologique venant de lui est le Commentaire d’Aratus, lui-même inspiré du Traité des Phénomènes d’Eudoxe de Cnide. Ce sera essentiellement à Ptolémée de se faire le recenseur de la tradition astrologique. La civilisation hellénique s’était définitivement ouverte à l’astrologie avec Bérose (vers –280), qui avait quitté sa Mésopotamie natale pour venir l’enseigner à Cos, ainsi que son contemporain Conon de Samos, ami d’Archimède. Ils eurent pour premiers disciples et collaborateurs les stoïciens, qui lui fournirent les plus indispensables de ses instruments et l’introduisirent dans le sanctuaire de la philosophie ; ceux-ci furent suivis par les néo-pythagoriciens et les néo-platoniciens.

C’est ainsi que l’astrologie généthliaque prend définitivement corps en Grèce. Dégagée des images primitives des premiers peuples, des formes fantastiques et des mythes de l’astrologie orientale, la religion astrale hellénique enfante des entités spirituelles parfaites et immortelles. La mythologie du panthéon grec efface la relation directe astre-dieu derrière la transformation bio-cosmique des volontés divines en lois naturelles, le stoïcien Posidonius posant l’astrologie dans le cadre d’une théorie générale des forces de la Nature. Dans cet univers spirituel sont liées une cosmologie élaborée et une doctrine des correspondances (doctrine de la sympathie universelle – les aphorismes astrologiques étant fondés sur le principe similia similibus - s’exerçant dans l’unité du cosmos et l’interdépendance de tous ses constituants), cadre constituant encore les fondements philosophiques de l’astrologie.

L’influence de celle-ci a signé ouvertement une bonne partie de la civilisation hellénique. Elle a marqué de son cachet la tragédie d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide. Elle a inspiré l’œuvre d’Homène : les Hymnes homériques à Apollon ou Aphrodite, et l’Illiade, qui reflète la religion anthropocentrique de l’époque. Dans les Travaux et les Jours, Hésiode en est aussi le témoin. L’architecture et la sculpture oeuvrent dans la même pensée. La valeur symbolique de l’astrologie figure derrière les temples et sanctuaires édifiés à l’idole divine : Zeus, Poséidon, Diane... Les plus beaux chefs-d’œuvre de la statuaire illustreront à jamais les divinités astrales, qui ne sont que les prototypes humains de tous les temps. Le rêve astro-mythique des origines enfante ici les plus prestigieuses créations de l’art et de la culture.

Rome continuera sur la voie tracée. Varron et Figulus mettent à la portée du grand public les règles de la science des « mathématiciens » (qu’on avait antérieurement appelés les « chaldéens »). Dans ses Géorgiques, véritable Almanach astrologique avant la lettre, Virgile met sa poésie au service de l’astrologie naturelle. Manilius chante, dans son Astronomicon, les beautés du ciel, et célèbre l’astrologie comme une révélation divine réservée aux âmes nobles. Sénèque lui consacre une partie de ses Questions naturelles, fondant sa raison à croire à l’influence astrale ; il en sera de même pour Lucain, Horace, Perse, Quintilien, Tacite, Macrobe... Cicéron et Sextus Empiricus seront les grands adversaires d’une astrologie qu’ils refusent en soi, celle dont ils ont le spectacle sombrant d’ailleurs dans le charlatanisme, accompagnement naturel de l’avilissement des mœurs d’une civilisation tombant en décadence. Mais les grandes familles et les empereurs ont leurs astrologues attitrés : Octave, Auguste (qui frappe la monnaie d’argent de son signe natal, le Capricorne) Tibère, Agrippine, Othon, Vespasien, Domitien, certains même étant des adeptes ou connaisseurs comme Titus, Marc-Aurèle, Septime Sévère et Alexandre Sévère... Il y a là toute une histoire qui se prête au pittoresque anecdotique...

Dans ce tableau universel, il ne faut pas oublier la civilisation astrobiologique de l’Amérique précolombienne, celle des Mayas et des Aztèques. À l’apogée de la civilisation maya, entre 400 et 600 environ de notre ère, Copan était une cité de prêtres-astronomes à observatoire. Le temple rectangulaire s’élevait au sommet d’une pyramide à terrasses, comme à Babylone ; orienté vers les quatre points cardinaux, comme un temple chaldéen ou un palais chinois. Le maïs, qui était un culte du renouvellement périodique des forces vitales associé au culte du dieu solaire, y jouait le rôle tenu par le blé en Chaldée ou dans les cultes d’Osiris ou de Déméter.

Il conviendrait aussi de se pencher sur l’influence de la pensée astrobiologique dans le christianisme. Dans l’Évangile de Jean, le Christ est présenté originellement comme une valeur de vraie Lumière et de Vie immortelle, assimilé ainsi à un dieu bio-solaire spiritualisé sous l’influence philosophique de l’Hellade. Au reste, la Nativité du Seigneur est solennisée au solstice d’hiver et à minuit, au moment de toute l’année où le soleil est au plus bas, pur symbole de la remontée de la lumière. La passion et la résurrection du Christ – dont les douze apôtres forment un zodiaque pour ce Soleil -, l’Église en fixa la date vers l’équinoxe du printemps, un dimanche, jour consacré au Soleil ; et les chrétiens des premiers siècles priaient, tournés vers l’est, suivant le soleil levant. On peut d’ailleurs ajouter que la morale de l’amour universel est issue de la croyance à la solidarité astrobiologique, à l’universelle « sympathie » entre toutes les créatures vivantes ; c’est un idéal d’universalité de source astronomique.

Il n’apparaît donc pas tellement excessif de convenir qu’en ligne générale, toute la vie des civilisations anciennes a été dominée par l’idée astrologique. Sur tous les continents, les lois du Ciel président à l’ordonnance de la vie terrestre. Les empires sont organisés en harmonie avec la marche des astres, leur structure sociale reflétant l’ordre cosmique. Partout, les temples et les autels sont à l’image de l’univers céleste, et l’on rencontre au Mexique comme en Chine et en Chaldée, ainsi qu’ailleurs (temple d’Angkor...), la pyramide aux sept terrasses planétaires, orientées vers les points cardinaux, du haut de laquelle le prêtre-astrologue-astronome observe les astres. Le calendrier est à programmation astronomique, naturaliste, politique et religieuse ; les rites sociaux font partie des lois que le Ciel impose à la Nature entière ; également les coutumes et croyances. Les religions : taoïsme, manichéisme, mazdéisme principalement, mais aussi bouddhisme, confucianisme et christianisme prennent racine dans la pensée cosmobiologique. On peut même avancer que, jusqu’à un stade donné, la pensée symbolique de l’astrologie se confond avec l’ésotérisme religieux de toutes les anciennes civilisations en même temps qu’elle est la pensée vivante de ces sociétés antiques.

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