(André Baubault, Connaissance de l'astrologie, Seuil, 1975)

Chapitre 1 : L'ART D'URANIE

Depuis plusieurs millénaires, peut-être même depuis la première antiquité, l'homme a interrogé les astres pour tenter de percer l'énigme de son être et de son destin sur la terre.

Son inquiétude existentielle première lui fraya le chemin de son élan spirituel. Cette interminable interrogation sous l'écrasante voûte étoilée, participe à l’œuvre de la Nature, où le mystère humain s'étend à tout notre globe jusqu'à embrasser le ciel qui l'enveloppe.

Très tôt, les astres ont reçu les hommages empressés des mortels. Des Chaldéens postés sur leurs tours pyramidales aux Incas en haut de leurs terrasses cyclopéennes, tous les peuples anciens ont adoré le Soleil et rendu un culte aux célestes flambeaux, dans le silence des nuits et des espaces infinis. A ces origines, l'étude du ciel est tout à la fois religion, science et poésie : au départ confondues, astrologie et astronomie sont intimement liées à la mythologie et associées à un culte astral.

C'est sur cette trame de pensée humaine paléontologique que se fonde l'astrologie et que commence sa longue histoire.

Mais, aussi loin qu'il remonte, cet oeil interrogateur pointé en direction du firmament, était-il, au départ, un regard absurde ?

Que l'on songe seulement à ce Soleil qui projette sous nos yeux ses tempêtes et éruptions fantastiques ; à chaque temps de palpitation du coeur de notre organisme planétaire, plus d'un million de fois plus volumineux que notre globe, il perturbe sous divers aspects - on connaît l'effet des "taches solaires" - cette petite Terre qui roule à cent cinquante millions de kilomètres de lui !

Quelle affligeante vanité de l'esprit incite parfois l'homme dit "scientifique" à croire que ces Anciens, qui s'adonnaient à la contemplation des spectacles célestes, ne pouvaient que choir dans l'illusion, l'erreur et la superstition ? Joignant leur intelligence et leur foi pour sonder l'univers et eux-mêmes, ils ont édifié un palais d'Uranie à la dimension de leur aventure spirituelle directement campée entre terre et ciel ; ars regia qui semble avoir voulu être le couronnement d'un savoir quasi universel. Dans sa tradition, c'est une pensée cosmique qui donne l'échelle constitutive de l'être humain. Celui-ci n'est pas seulement le produit de son hérédité, de son milieu géographique, de son cadre économique, de la civilisation à laquelle il appartient : il est aussi, il est même d'abord posé sur un fond céleste. L'astrologie prend d'ailleurs racine au plus profond de notre condition terrestre qui est du même coup cosmique ; notre globe, astre parmi les astres, ne pouvant se séparer du reste du monde.

Telle une ruine dévorée par les broussailles, cet édifice a quasi disparu sous l'usure du temps, de sorte qu'à la manière d'un lointain écho qui nous rendrait un message non seulement mais informe, l'idée même de l'astrologie s'est effacée. De là, toutes les substitutions possibles. Un si lointain et douteux héritage... Au musée d'une astrologie sans visage, nous ne pouvons faire que de la "récupération". Nous nous emparons de plus ou moins bonnes idées, mais nous n'assimilons qu'un simulacre ; nous en dévions le sens pour le mettre à notre portée. Il ne peut y avoir que perte de substance et dénaturation ; mieux vaut d'ailleurs le savoir.

Il ne faut donc pas s'étonner qu'aujourd'hui triomphent les images d'Épinal : d'un côté, l'opinion consacrée d'un rationalisme biffant d'un trait noir deux millénaires de savoir transmis, étudié, pratiqué ; et décrétant - sans preuve - que l'astrologie est la "fausse science", sinon un art fallacieux ; de l'autre, la croyance populaire incurablement friande de merveilleux, éprise de chapeaux pointus et de robes étoilées, selon laquelle il suffit de déchiffrer les décrets des astres pour connaître tout le mystérieux destin des humains... Tout nous conduira à nous arracher au piétinement moutonnier des uns et des autres. Là où les premiers ne voient qu'une "fille de l'ignorance", les seconds n'imaginent qu'une déesse parée du prestige de sa fabuleuse antiquité et de sa haute lignée. L'erreur est la vue fractionnaire ; chercher la vérité consistera à regrouper toutes les pièces du puzzle pour tenter de les ordonner.

« Prédire l’avenir par l’horoscope », c’est là tout le propos qu’on prête à cet « art royal ». Certes, il est entendu que celui-ci ambitionne notamment un objectif « apotélesmatique » ou art de prévoire « l’accomplissement lointain ». Mais réduire l’astrologie à son état d’exercice prévisionnel constitue une mince saisie de sa vérité. Il ne faut pas oublier qu’elle est, à l’origine, la conception et l’expression d’un ordre cosmologique, première approche de l’homme vers la reconnaissance d’un « logos » animant l’univers et d’une relation personnelle ave ce logos ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’elle a véritablement façonné les sociétés et la vie du monde.

De même que, partageant absolument tous les mouvements du globe, avec tout ce qui nous entoure, nous ne pouvons pas sentir ces mouvements – on ne les a constatés que par l’observation des astres qui ne les partagent pas -, de même, il nous est naturel de vivre le jour et de dormir la nuit, comme de nous intérioriser à la saison froide et de nous extérioriser à la saison chaude… L’astrologie est pourtant déjà là, car dans les mouvements de la Terre par rapport au Soleil sont les principes mêmes de la biologie humaine, empiriquement intégrés dans sa vision des choses. Les mesures et divisions du temps qui règlent notre vie sont d’ailleurs fondées par les relation de notre globe avec les luminaires : rythme solaire de l’année et ses saisons, rythme lunaire du mois et de la semaine, outre le patronage planétaire des jours et de la semaine.

Dans la société des hommes, l’ordre cosmologique solennise les phénomènes naturels, institue l’aménagement des sites, l’orientation des temples, le règlement des fêtes magicoreligieuses et exercices publics, le but poursuivi étant invariablement d’assurer la bonne marche du monde en accordant la vie terrestre aux battements du pouls de l’univers.

C’est déjà à un second stade que l’on voit la pratique astrologique servir à prévoir le temps et à régler le cours de la vie des plantes et des bêtes : détermination des époques propices pour semer et planter, couper et cueillir, pour la reproduction, la tonte, l’abattage des animaux…

À une étape suivante, on glisse de l’état d’astrologie naturelle s’appliquant aux phénomènes généraux à l’état d’astrologie généthliaque s’adressant à l’individu particulier ; mais comme l’on descend parallèlement de son stade officiel à son expression populaire, on voit graduellement s’opérer une dégradation de son utilisation au service de piètres intérêts de la vie prosaïque. C’est ainsi qu’on en arrivera à rechercher les temps favorables pour se purger, se baigner, se couper les cheveux, la barbe, les ongles… Mais, fait-on tellement mieux de nos jours, avec les chroniques astrologiques de la presse qui, perpétuant au cœur de la vie moderne les croyances de la Babylone préchrétienne et de la Rome antique, distribuent, chaque jour et chaque semaine, la ration de présages relatifs à la santé, à la situation et aux amours des natifs de chaque décan zodiacal ?

Rien de plus grand, pourtant, que l’idée qui préside à la naissance de l’astrologie. Rien de plus noble aussi que l’esprit qui l’anime. Ne fût-ce que par sa simple élévation de pensée – inhérente au regard braqué en direction des hauteurs célestes – qui implique forcément la saisie de la vie du monde à la plus large échelle.

Mais avant de chercher à découvrir le visage de cette inconnue ou de lever ses masques divers, il faut surmonter l’obstacle de tomber dans le piège des idées reçues. C’est déjà là une réalité psychosociologique de son histoire : dans l’état des réactions qu’elle a suscitées, il n’est plus possible de traiter son sujet que sur le terrain de la critique, car on se heurte automatiquement et immédiatement aux passions, et il n’est pire aveuglement que la passion intellectuelle.

Il est exact qu’il y a encore aujourd’hui, comme il y en eut depuis toujours, des inconditionnels à la foi de granit, qui croient en l’idéalité d’une astrologie parfaite, révélée par une gnose antique et transmise par les fils de la lumière et de la sagesse, connaisseurs avisés des voies sidérales s’appuyant sur de milliers d’années d’observations… En face, ce n’est pas moins énorme. Qu’on en juge :

« … cette misérable imbécillité dont les hommes furent si longtemps dupes » (Lalande). « … ridicule chimère... erreur si méprisable... cette extravagance universelle qui a si longtemps infecté le genre humain » (Voltaire). « La maladie la plus longue qui ait affligé la raison humaine » (Bailly). « ... faits absurdes et honteux enregistrés dans les annales de l’astrologie » (Arago). « ... une des faiblesses qui ont le plus déshonoré l’esprit humain » (Letronne). Etc.

Dans l’antiquité, Favorinus s’était diverti à demander l’horoscope des grenouilles et des moucherons, et Sextus Empiricus avait ri de l’embarras d’un astrologue supposé mis en face d’un âne et d’un homme nés au même moment et pourtant destinés, l’un au moulin, l’autre à une existence humaine...

Il y a quelques années, un nouveau Sextus se réjouit d’une farce savoureuse : il fait établir l’horoscope sur ordinateur du Dr Petiot, proposa, par voie de petites annonces dans la presse la plus « populaire », d’offrir gratuitement, à titre d’expérience et de recherche, à chacun un horoscope électronique personnel, laissant même entendre qu’il pourrait envoyer par la suite, toujours gratuitement, une étude plus précise, afin d’obtenir les réactions des gens à la lecture de « leur » horoscope (on ne pouvait mieux les soudoyer). En guise d’analyse « personnelle », chacun avait reçu le même document : le texte de l’horoscope du Dr Petiot, tronqué.(1) [1. Par exemple, le document original signalait que le destin de Petiot pouvait être façonné par une ou plusieurs morts, et que « celles-ci joueraient un rôle important dans son existence »... Ce qui, - tout de même – aurait pu être mentionné dans le texte des conclusions de fin d’enquête.] Conclusion de cette opération « sociologique » : la grande majorité des gens s’étaient reconnus dans le portrait du célèbre criminel... La belle victoire !

Récemment, il fallait entendre deviser publiquement sur l’astrologie les hautes autorités de « l’union rationaliste » : « elle se suffit à elle-même », « elle a réponse à tout », elle est ceci, elle est cela, et le tour était joué...

On est encore au point où, dans certains milieux, le seul mot « astrologie » crée une attitude de défiance qui suffit à empêcher tout examen impartial des faits. Écoutons Rémy Chauvin parler de ses collègues, universitaires rationalistes :

« Passons le problème de Dieu : il est entendu depuis au moins deux siècles qu’il n’existe pas. Nous voilà soulagés. Mais il reste bien de mauvais herbes dans le champ du père de famille rationaliste. Par exemple, les planètes. Il ne faut pas parler des planètes ; qui parle des planètes est soupçonné d’être astrologue, surtout s’il insinue qu’elles peuvent avoir une influence quelconque sur quoi que ce soit. Mais, me direz-vous, la Lune et les marées ? Sans doute, un rationaliste admettra d’assez mauvaise grâce que la Lune n’est peut-être pas tout à fait inutile pour expliquer les marées. Mais tenez-vous-en là ; il serait malsain de vous demander si, parce qu’elle agite la mer, elle ne pourrait pas non plus agiter les pattes d’une mouche (Brown a cru distinguer une certaine influence des phases de la Lune sur le comportement de divers insectes) : mais ceci constitue une influence des astres sur le plan biologique, et donc de l’astrologie ! Je ne plaisante aucunement ; moi qui suis du métier, je vous jure bien que si un jeune s’avisait de faire une thèse sur l’influence de la Lune sur les végétaux et les animaux, il aurait tout le monde contre lui, et il faudrait que le travail soit diablement bon pour être admis ; et même dans cette hypothèse, je ne suis pas sûr que la thèse passerait. Donc les influences planétaires sont exclues. Reste le Soleil. Ce n’est pas une planète, mais il a tout de même un passé chargé du côté astrologique. Il n’est pas dépourvu de toute influence sur la terre ; on ne peut pas le nier, il est trop gros. Mais, s’il vous plaît, pas de recherches malsaines sur l’influence du Soleil en biologie ! Les taches solaires et leurs variations ? Oui, peut-être ; enfin il est admis qu’elles « font quelque chose » à la Terre. Mais des travaux là-dessus ne sont que modérément recommandés. Il y a tant de belles choses à faire, disent les rationalistes ; pourquoi vous exciter justement là-dessus ? N’auriez-vous pas des tendances mystiques refoulées et, pour tout dire, astrologiques, embusquées dans votre subconscient ?(1) [1.Préface de La Science devant l’étrange, de Pierre Duval, Denoël, 1973]

Autre écho du même symptôme : un astronome particulièrement aventureux, qui a daigné préfacer Le Dossier des influences cosmiques de M.Gauquelin, J.Allen Hynek, chef du département d’astronomie, Northwestern University, USA, raconte dans cette présentation qu’il avait effectué des recherches astrologiques aux résultats négatifs : « Entre parenthèses, le directeur de l’observatoire, dont j’étais à cette époque le collaborateur, me refusa la permission de publier même ce résultat négatif de peur que l’on imagine les astronomes passant une fraction de leur temps, si petite soit-elle, à l’étude d’un tel sujet ! » Comme si celui-ci était frivole... « Pour un astronome - ajoute-t-il - avoir affaire, même de loin, avec l’astrologie paraît l’exclure de la communauté scientifique. »

Mais derrière le morceau de bravoure, le surmoi n’a pas désarmé : quand arrive l’évocation des bilans statistiques de Michel Gauquelin (étudiés plus loin), notre astronome ne trouve rien de mieux à dire qu’ils « ne peuvent en aucun cas justifier la pratique des horoscopes » : ils ne font que réfuter et vaincre la « sottise astrologique ». C’est-à-dire que, maintenant, nous passons purement et simplement à la « piraterie scientifique » en parant une « science nouvelle » des plumes de la vieille connaissance. Uranie, qu’on aurait pu croire être quelque Belle-au-bois-dormant dans l’attente du prince Charmant, se voit métamorphosée en sorcière, sorte de maladie honteuse de l’esprit humain...

De fait, dans les milieux qui font autorité, il est manifeste qu’en face de ce sujet, le risque d’être ridicule retient la liberté d’esprit ou le courage des opinions ; comme s’il était plus important de n’être point ridicule que de faire progresser la vérité. On voit de la sorte quelle opacité d’esprit il faut percer pour sortir du terrain défendu qu’est l’astrologie comme simple sujet de recherche... Force est de reconnaître que celle-ci est livrée à une déréliction lamentable, et qu’il faut la faire sortir de ce champ d’infamie pour nous ouvrir à la lumière de la réalité. Ce qui revient à lui restituer un terrain neutre, délivré de la superstition et de la peur, seul espace possible d’une véritable recherche.

Ce n’est point un luxe dont elle soit, historiquement, indigne. Il faut tout de même se rappeler que, jusqu’au XVIIe siècle, les plus illustres génies de l’humanité ont eu « la faiblesse » de pratiquer ou de défendre l’astrologie : les astronomes d’Hipparque à Newton, en passant par Ptolémée, Copernic, Tycho-Brahé, Képler et Galilée, les philosophes comme Pythagore, Aristote, Plotin, Sénèque, Maïmonide... ; les médecins comme Hippocrate, Galien, Avicenne, Averroés... ; les théologiens comme Origène, Albert le Grand, Thomas d’Aquin ; les poètes comme Homère, Dante, Ronsard, Goethe... ; pour ne citer que quelques-uns des plus grands noms...

Un tel rappel nous place devant une contradiction monumentale : l’adhésion de tant des plus prestigieux esprits de l’humanité à ce qui n’aurait été qu’une indigne et stupide superstition... Que nos plus grands hommes se soient trompés, et en si grand nombre, sur ce sujet général, voilà qui dramatise hautement l’aventure de l’esprit humain. Ou bien qui soulève le problème de la validité de la pensée régnante, quand on sait – l’histoire de la science en constitue le principal témoignage – que le destin du savant est de procéder d’interrogation en interrogation, et de faire que la vérité qu’il professait hier soit l’erreur qu’il s’honorera de démontrer demain...

Mais qu’attend-on pour démontrer ? ...

Il se pourrait bien que la vérité – entendons par ce terme : ce qu’il y a de vrai dans le fond de l’astrologie – soit tout simplement dans le dépassement des contradictions entre la demi-erreur des uns et la demi-vérité des autres. C’est cette première clé que nous allons prendre pour entrer dans le vestibule du palais d’Uranie.

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