(André Baubault, Connaissance de l'astrologie, Seuil, 1975)

Chapitre 3 : GRANDEURS, DÉCADENCE ET RENAISSANCE

En gagnant l’Occident, l’astrologie s’engage sur la voie d’une conquête de civilisation.

Elle pénètre la médecine dans le cadre de l’école de Salerne, d’Hippocrate à Arnaud de Villeneuve et Marcile Ficin, en passant par Celse, Galien et Avicenne. C’est la tradition de l’astrologie médicale que propagent le Passionarium de Guarinpotus et le poème zodiacal Flos medecinae ou de Regimen Sanitatis Salernitanum.

Au Moyen Age, le mouvement est surtout repris par les Arabes. Al-Bumazar rédige les Fleurs de l’astrologie et le grand Albategnius son Traité des avantages de l’astrologie, fondant un système de partage astrologique de la sphère terrestre. Les autres astronomes, Ali-Ebn-Younis, Al-Birouni, Ibn Esra, Haly, Almansor... exposent des méthodes techniques ; de même le philosophe Alfarabius, Averroès ne l’abordant que légèrement. Mais, à sa suite, ce mouvement enfoncera l’astrologie ans un fatras de recettes, dans la divination et la superstition.

Parallèlement, l’Église exprime l’adhésion et la réprobation. Saint Denys l’Aréopagite, saint Césaire et un saint Jérôme manifestent leur acceptation de l’astrologie naturelle. Saint Augustin est d’abord acquis au manichéisme et à l’astrologie, puis les rejette tous deux. Après Jean Scot Érigène, Albert le Grand reprend l’étude du sujet et la fera connaître à saint Thomas d’Aquin qui admet et situe judicieusement les possibilités et limites du déterminismes des astres. Certains papes : Léon III, Sylvestre II, Honorius III, Urbain V, sont amis ou protecteurs d’astrologues. Mais devant une pratique qui ne s’assigne aucune limite et compromet l’existence du libre-arbitre, le concile de Trente fait barrage à l’horoscopie, sans rejeter pour autant l’esprit de l’astrologie naturelle.

La prospérité qui conduira à l’âge d’or de notre connaissance commence à partir du XIe siècle. Dante s’initie, et sa Divine Comédie est une épopée cosmologique fidèle à l’art. Alphonse X le Sage fait son initiation auprès d’Alcabitius et fait établir les « Tables alphonsines » au double usage astronomique et astrologique. Praticien aussi, Charles V le Sage, dont une récente exposition à la Bibliothèque nationale des œuvres et manuscrits de sa bibliothèque, a mis en valeur les pièces astrologiques. Campanus attache son nom à une théorie de la sphère astrologique, et le cardinal Pierre d’Ailly se classe comme grand de l’astrologie du temps. On ne saurait citer tous ceux qui les précèdent, les accompagnent et les suivent : Roger Bacon, Stoeffler, de Novara, Schoener, Fernel, Agrippa...

Il faudrait réserver une mention spéciale à Paracelse, médecin autant qu’astrologue et alchimiste, dont la pensée hermétique en fait, dans la lignée de Plotin, un grand théoricien.

Le grand astronome Jean Müller, dit Régiomontanus, attache son nom à un système de division astrologique du ciel. Luc Gauric, professeur de mathématiques à Ferrare, doit à l’astrologie de devenir évêque : il fut le protégé des papes Jules II, Léon X, Clément VII et Paul III. Catherine de Médicis lui demanda l’horoscope de Henri II, avant qu’elle ne s’attache le célèbre Nostradamus qui ne justifie pas sa réputation, ne laissant aucune œuvre et dans l’ignorance où nous sommes de la part d’astrologie qui entre dans ses prophéties.

Les penseurs humanistes reprennent et complètent la tradition microcosmique des liens du grand monde astronomique et du petit monde humain. La philosophie humaniste reçoit du Moyen Age la théorie de l’homme-microcosme à travers Scot Érigène, Alain de Lille, Bernardus Sylvestris, Bouelles, Agrippa de Nettesheim, Jérôme Cardan, grand maître en la partie, et Pic de la Mirandole, bien que ce dernier ait été un des rares négateurs de l’époque (sa virulence lui valut la prévision exacte de l’année de sa mort par trois astrologues !). Après l’introduction en France, par Jacques Peletier du Mans, de la poésie scientifique et du discours initiatique sous l’invocation d’Uranie, les poètes scientifiques du temps chantent le ciel, les astres et leurs pouvoirs sur notre monde, la pensée astrologique étant objet privilégié de poésie. Il en est ainsi de Maurice Scève, avec ses chants du Microcosme, et des poètes de la Pléiade : Du Bartas, Baïf, Remy Belleau et, en particulier, Ronsard qui place l’astrologie au centre de son univers spirituel, Montaigne, de son côté, s’étant tenu dans une respectueuse considération de sa tradition.

La célébration du cinq centième anniversaire de la naissance de Nicolas Copernic donne l’occasion de citer ce passage de l’œuvre du grand astronome, De Revolutionibus orbium celestium : « ... C’est pourquoi, si la dignité des arts était évaluée d’après les matières dont ils traitent, celui que certains appellent astronomie, d’autres astrologie, d’autres enfin, parmi les anciens, l’achèvement des mathématiques, serait de beaucoup le plus haut. » Le professeur L.A. Birkenmejer, de l’université de Cracovie, a démontré que Copernic fut toute sa vie acquis à l’astrologie, la pratiquant en « amateur éclairé », ses meilleurs amis étant d’ailleurs des astrologues.

Alors que Calvin est un de ses plus acharnés contempteurs, entraînant Agrippa d’Aubigné dans le scepticisme, Melanchton l’étude avec passion, traduit et commente l’œuvre de Ptolémée. On n’en finirait pas de citer les astrologues parmi les célébrités de cette époque : Scaliger, Léovitius, Moestlin, Magini, Fludd, Wolf..., les œuvres astrologiques marquantes étant de Cardan, Oger Ferrier et François Junctin, ce dernier supérieur de l’Ordre des carmélites.

« L’homme renferme en lui-même une influence bien plus grande que celle des astres ; il surmontera les influences s’il vit selon la justice, mais s’il suis ses aveugles penchants, s’il descend à la classe des brutes et des animaux en vivant comme eux, le roi de la nature ne commande plus, il est commandé par la nature. » Cette déclaration de Tycho-Brahé situe l’intelligence profonde qu’avait ce grand astronome de notre connaissance, dont il fit constamment l’apologie dans son cours public d’astronomie à Copenhague. L’empereur Rodolphe II, qui interprétait lui-même les thèmes, le fit appeler auprès de lui et lui fit calculer les « Tables rudolphines ».

« Je puis me vanter d’avoir expérimenté cette vérité : l’homme lors de son entrée dans la vie, quand il ne peut plus rester dans les entrailles maternelles mais qu’il vit par lui-même, reçoit une marque, une image de toutes les constellations célestes, c’est-à-dire les marques des influences planétaires ; et il conserve ce caractère jusqu’à la tombe. (...) J’ai de quoi me glorifier à peu de frais et en toute sincérité de mon expérience personnelle de trente années. » ... Celui qui parle ainsi est un des plus grands génies de l’humanité, Johannes Képler. L’astrologie dans sa vie tient une place aussi grande que l’astronomie ; c’est une longue expérience critique, sévère à l’égard des astrologues en général, qui devient finalement une conviction chevillée dans l’épuration de la tradition. Il laisse une œuvre astrologique entière. Plusieurs ouvrages de fond : Sur les certitudes fondamentales en astrologie, Réponse au discours du Dr Roslin, Tertius interveniens Harmonices Mundi (où il annonce sa troisième grande loi astronomique, les citations astrologiques parmi ses textes astronomiques n’étant pas rares non plus) ; divers almanachs (son calendrier de 1618 y annonce, pour le mois de mai, une catastrophe qui correspondit au déclenchement de la guerre de Trente ans) ainsi que la rédaction de certains horoscopes (son thème de Wallestein, le héros de cette guerre, constitue un document historique)...

Képler faisant des horoscopes au besoin, Léonard de Vinci par curiosité méfiante et Galilée par amusement, c’est tout ce que trouva à dire pendant un demi-siècle la verve des adversaires. En ce qui concerne Galilée, les preuves de son intérêt scientifique à la question sont aussi formelles que pour Képler : rédaction de nombreux thèmes interprétés, notamment pour sa famille ; soin particulier mis à l’élaboration de ces études ; recours au jugement d’autres astrologues devant un cas délicat ; conservation dans ses archives des preuves de ses commandes de thèmes ; nombre d’ouvrages astrologiques, soigneusement annotés de sa propre main, figurant dans sa bibliothèque ; recherches astrologiques pures (notamment concernant les satellites de Jupiter relativement à l’influence de cette planète)... C’est d’ailleurs pour avoir retrouvé le dessin de son propre thème dressé par ses soins (en deux versions comparatives : l’une pour 16 heures et l’autre pour 15h30 mn) que l’astrologue Francesco Fisoni a pu prouver que le grand Pisan était né le 15 (et non le 18 ou le 19 comme on le déclare généralement) février 1564.

En ce qui concerne Isaac Newton, les savants anglais ne purent passer sous silence ses lettres et écrits astrologiques, lorsqu’ils célébrèrent à Londres, en 1927, le bicentenaire de sa mort. On sait qu’à Halley, qui manifestait des doutes au sujet de l’astrologie, il répondit : « J’ai étudié la question, vous pas. »

Au XVIIe siècle, l’adhésion ne recueille plus l’unanimité et les astrologues vont faire de plus en plus figure d’isolés ; parmi eux, citons D. Fabricius, Vanini, Boulliaud, Cunitz, Malvasia, Kircher, Bourdin, Morin..., Gassendi se posant en grand adversaire de l’époque. Leibniz tiendra l’astrologie pour une simple illusion, en tolérant, en sa qualité de président de l’Académie de Berlin, que l’almanach officiel contienne des prévisions astrométéorologiques, et que les fonctionnaires de l’observatoire dressent des thèmes pour les personnages illustres.

C’est la fin. Il y a bien encore un Henri de Boulainvilliers, qui œuvre d’ailleurs sous les sarcasmes de Voltaire. Pingré, Euler, Bode s’y intéressent encore, entre le doute et la critique, et Goethe a beau proclamer bien haut la vérité qu’il sent en l’astrologie, comme Balzac un peu plus tard, l’esprit du temps n’y est plus. Le signe du déclin est donné par J.D. Cassini, partisan en privé, qui n’en déclare pas moins que, seule, l’astronomie mérite de l’intérêt ; dorénavant, il ne fera plus bon d’interroger une carte du ciel de naissance dans un observatoire...

La condamnation et le rejet de l’astrologie mériteraient une thèse entière car on s’y perd dans un abîme de réflexions.

On croit et on dit communément que la révolution copernicienne, en ruinant la conception géocentrique de l’univers, abattit définitivement cette connaissance, comme si celle-ci reposait sur le postulat d’une Terre fixe au centre du monde. Mais nous avons vu que les trois savants qui accomplirent cette révolution scientifique furent astrologues. Copernic fut persuadé que la réalité des mouvements de la Terre tournant autour du Soleil n’enlevait rien à la véracité de l’astrologie ; il confia d’ailleurs le manuscrit de son De Revolutionibus... à son grand ami astrologue Rhéticus qui le copia, le mit en forme, obtint du roi de Saxe l’autorisation d’imprimer ainsi que de subsides, et le donna à l’impression. C’est encore à un astrologue, Praetorius, que l’on doit le premier exposé sur le nouveau système que des savants réputés allèrent combattre. Dans la thèse 40 de son Tertius interveniens, Képler qui prend parti pour le système héliocentrique et contribue à le faire triompher, expose les raisons de configurer le Ciel par rapport à la Terre pour juger des manifestations du système solaire ici-bas. Enfin, Galilée, qui apporte avec sa lunette la preuve oculaire de la réalité de ce système, déclare à son élève Paolo Dini que la théorie héliocentrique « ne peut point ébranler les fondements de l’astrologie ». On peut compléter ce dossier historique en ajoutant que, dans la seconde moitié du XVIe siècle, tandis que la théorie copernicienne était rejetée par les universités, ce furent en majorité des astrologues qui, passant outre les moqueries du monde savant et aux menaces d’excommunication des théologiens, défendirent la nouvelle doctrine...

« Une fois la Terre réduite à l’état de planète et lancée dans l’espace, la base se dérobant, tout l’échafaudage croula. Il n’y a d’incompatible avec l’astrologie que le système proposé jadis par Aristarque de Samos, repris et démontré depuis par Copernic », déclare l’historien A. Bouché-Leclercq dans son académique et célèbre Astrologie grecque (Leroux, 1899, Paris). On s’étonne que cet auteur n’ait pas précisé que ce système était aussi celui de Pythagore et Philolaüs dont il connaît les liens avec la pensée astrologique ; outre les rapports de Copernic, Képler et Galilée avec l’astrologie, dont il n’a pas dit mot, on peut juger les inconséquences historiques de cet historien officiel. Mais au-delà, on se demande bien en quoi l’astrologie pourrait-elle être gênée par l’héliocentricité ? La démonstration scientifique n’a pas été donnée et est encore attendue...

En vérité, le problème n’est qu’une simple question d’angle d’observation, le principe étant que toute configuration est fonction de son champ d’application : si nous voulons étudier une influence supposée du milieu cosmique sur nous, terriens, il nous faut par nécessité configurer le système solaire en mode géocentrique ; de même que, mutatis mutandis, nous pratiquerions un système sélénocentrique si nous habitions la Lune, chronocentrique si nous étions sur Saturne... Quant à l’argument de l’astre Terre devenu « simple planète », il se retourne contre la critique : si la Terre avait été le centre du monde, astre gigantesque autour duquel auraient gravité d’autres astres forcément de moindre importance, c’est moins elle qui aurait subi l’influence de ces astres qu’eux qui eussent subi la sienne. A l’inverse, n’étant qu’une toute petite chose dans le système solaire auquel elle participe, un puceron à côté du mammouth Soleil – outre que nous sommes, humains, des pucerons infinitésimaux sur ce globule ! – cette terre ne peut que d’autant plus subir le déterminisme de son appartenance au cosmos qui l’environne.

Derrière l’inexistence de cette critique historico-astronomique s’en précise une autre d’ordre psychologique, qui incrimine l’anthropocentrisme humain. Le premier à l’avoir exprimé est Montesquieu dans Mes pensées : « L’entêtement pour l’astrologie est une orgueilleuse extravagance. Nous croyons que nos actions sont assez importantes pour mériter d’être écrites dans le grand-livre du Ciel. Et il n’y a pas jusqu’au plus misérable artisan qui ne croie que les corps immenses et lumineux qui roulent sur sa tête ne sont faits que pour annoncer à l’univers l’heure où il sortira de sa boutique. » L’argument a été repris par Laplace : « L’homme, porté par les illusions des sens à se regarder comme le centre de l’univers, se persuada facilement que les astres influent sur sa destinée et qu’il est possible de la prévoir par l’observation de leurs aspects au moment de la naissance. Cette erreur, chère à son amour-propre et nécessaire à son inquiète curiosité, est aussi ancienne que l’astronomie... » (Exposition du Système du Monde). Depuis lors, cet argument continue de faire fortune : « Comme il est donc flatteur, pour le pauvre individu humain, de croire qu’il a un « destin », et que ce destin est inscrit dans les astres. » (Jean Rostand). « Quel orgueil démesuré de croire que les destinées d’un mammifère naissant sur une petite planète puissent être en relation avec le cours des corps célestes ! Mettez à leur place dans la galaxie le Soleil, la Terre, la vie et la race humaine, et ces croyances vous paraîtront futiles. » (M.Dauvillier, professeur de physique cosmique au Collège de France)...

Cette critique psychologique est-elle plus fondée que la critique historico-astronomique ? Que sait-on de plus sur la réalité de l’existence ou de la non-existence du phénomène après avoir invoqué la motivation de l’orgueil, l’amour-propre, l’illusion des sens, la flatterie ou la futilité dans la croyance en ce phénomène ? Nous n’avons là rien de plus qu’un jugement de valeur sur une chose « crue », alors que l’on prétend émettre un jugement de réalité sur la chose en soi, ce jugement s’appuyant implicitement sur la généralisation d’une observation scientifique historique : à savoir que l’anthropocentrisme est notre principale source d’erreur, d’aveuglement et d’obscurantisme. Mais, cette généralisation n’est nullement une démarche scientifique fondée et ne peut constituer, dans le cas présent, aucune preuve. D’autant que l’on peut dangereusement renverser du tout au tout la proposition sur laquelle cette critique s’appuie : là où, en se basant seulement sur un sentiment ou un comportement humain, l’on a voulu ne voir qu’un égocentrisme hypertrophié à l’échelle astronomique, on peut voir aussi bien, en se référant cette fois à une situation objective, la réalité concrète de la condition humaine dans son état le plus humble : l’infinie petitesse de l’homme dans l’immensité du cosmos. Comment cette créature microscopique si délicate et impressionnable à tant de choses, par milliards dispersée sur la croûte du globe, pourrait-elle rester insensible aux fantastiques déplacements des mondes planétaires gigantesques qui l’entourent. Certes, cet argument opposé d’un infiniment petit pouvant être tributaire d’un infiniment grand n’est plus une preuve en faveur que l’astrologie que l’autre en est une en sa défaveur. Néanmoins, après ces déclarations de savants si peu scientifiques, on peut se permettre d’apprécier, comme plus conforme à la réalité, cette pensée d’Emmanuel Berl : « Je crois à l’astrologie d’abord parce qu’il me semble que des phénomènes aussi importants que le mouvement des astres développe leur action jusqu’à moi. Dans le monde où je vis, c’est le contraire qui m’apparaîtrait surnaturel. J’y crois aussi parce qu’étant historien, je ne saurais méconnaître le rôle considérable de l’astrologie dans l’Humanité » (Ciel astral, no.1).

Finalement, les raisons historiques, astronomiques, et anthropologiques, invoquées pour motiver le rejet de l’astrologie, s’avèrent manifestement sans valeur. Il reste donc à se demander pourquoi ces faux arguments ont suffi, néanmoins, à la renverser.

C’est que nous assistons à une mutation profonde de la sensibilité et de la pensée collective : l’esprit se détache du subjectif pour s’attacher à l’objectif, adressant son intérêt à la démarche extravertie d’une conquête du monde. L’apparition de la lunette détourne l’astronome de la spéculation astrologique pour alimenter sa curiosité du ciel, l’agrandissement objectif lui ouvrant ses mystères : c’est une nouvelle carrière de l’astronomie qui commence, immense en soi, lancée sur plusieurs siècles, dispensant de l’étude des rapports du ciel et de l’homme, une astronomie du ciel pour le ciel. D’un autre côté, il y a autre chose à faire que de s’attarder à regarder une carte du ciel de naissance pour suivre l’évolution d’un malade. Nous sommes à l’époque de Pascal, de Torricelli, de Malpighi, de Boerhaave..., qui invitent à descendre des astres aux cellules pour faire de la pathologie. Les découvertes des globules sanguins, des spermatozoïdes, de l’ovule, éclairent d’un jour nouveau les mystères de la vie : l’aventure de l’esprit consiste, dorénavant, à regarder le dedans de l’homme pour en comprendre l’histoire interne, et non à le suivre dans le macrocosme qui lui est extérieur. On se détourne du ciel pour conquérir la terre, la vie d’ici-bas ayant tout à coup tellement à nous apprendre, les mystères à révéler étant ici même... Là-dessus, les philosophes vont proclamer la liberté de l’homme au sein du monde !

Le destin de la société s’en mêle. Dans l’affaire des empoisonnements de la Brinvilliers, des astrologues sont suspectés et n’échappent qu’avec peine aux arrêts de la Chambre ardente et aux poursuites de La Reynie, lieutenant de la police royale, outre que l’astrologie elle-même tombe dans la déconsidération de la polémique. C’est dans un tel climat que le grand coup est donné en France, en 1666, quand Colbert fonde l’Académie des sciences : il interdit aux astronomes de se consacrer à l’astrologie, et ceux-ci cessent la pratique pour ne pas se voir refuser l’entrée de la docte assemblée. La rupture est ainsi officiellement consommée, sans cependant qu’aucun procès scientifique ne soit fait. On cherchera en vain la moindre pièce historique pouvant présenter une quelconque justification scientifique d’un tel interdit.

Tout au plus est-on au cœur d’un courant des esprits qui tourne le dos à l’ancienne connaissance, son rejet n’étant en réalité qu’un reflux de vague de l’océan de pensée qui la porte. Cette manière de réprobation, intellectuellement malhonnête, ne manqua pas de susciter le malaise de la mauvaise conscience qui, par surcompensation, appela la surenchère de la critique : le surmoi des astronomes n’aura pas de plus virulente hostilité à libérer, passant outre à cette monumentale réalité que tous leurs prédécesseurs d’Hipparque à Newton furent astrologues ! Précisément, le problème est que ce qui n’avait été qu’une condamnation de principe va devenir par la suite, du fait de cette véritable tradition de l’hostilité fermant la porte à toute recherche objective, une condamnation absolue et définitive, sans plus de pièces justificatives à l’appui.

C’est, en fin de compte, sous le signe du cartésianisme scientifique et philosophique qu’a lieu cette inhumation de l’astrologie. Descartes est du reste lui-même le symbole de ce renversement. La vraisemblance de l’hypothèse astrologique lui vient à l’esprit, comme il l’écrit un jour au Père Mersenne : « Je suis devenu si hardi que j’ose maintenant chercher la cause de la situation de chaque étoile fixe. Car, encore qu’elles apparaissent fort irrégulièrement éparses ça et là dans le ciel, je ne doute pourtant pas qu’il n’y ait entre elles un ordre naturel, qui est régulier et déterminé. La connoissance de cet ordre est la clef et le fondement de la plus haute et plus parfaite science que les hommes avoir touchant les choses matérielles, d’autant que par son moyen on pourrait connoître a priori toutes les diverses formes et essences des corps terrestres au lieu que sans elle il nous faut contenter de les deviner a posteriori et par leurs effets » (t.II, lettre.67 ; Baillet, t.I, p.234). Ensuite, les années passant, après avoir décidé de cacher sa date de naissance, parce que, dit-il, « j’avais aversion pour les faiseurs d’horoscopes, à l’erreur desquels on semble contribuer quand on publie le jour de la naissance de quelqu’un », il formule cette condamnation radicale dans son Discours de la méthode : « Pour les mauvaises doctrines, je pense déjà connaître assez ce qu’elles valent pour n’être plus sujet à être trompé, ni par les promesses d’un alchimiste, ni par les prophéties d’un astrologue, ni par les impostures d’un magicien, ni par les artifices ou la vanterie d’aucun de ceux qui font profession de savoir plus qu’ils ne savent. » Finalement, l’aventure s’arrête au jugement d’un observateur pessimiste (qui rejettera aussi bien la découverte de Harvey sur la circulation du sang).

L’attaque se généralise. La Fontaine ordonne aux « Astrologues, charlatans, faiseurs d’horoscopes » de quitter les « cours des princes et d’Europe », ou les fait choir au fond d’un puits. Molière s’en prend aux « diseurs d’horoscopes (qui) par leurs prédictions trompeuses, profitent de la vanité et de l’ambition des crédules d’esprit. » Au siècle des Lumières, c’est l’extermination. Diderot donne le ton à l’article « Chaldéens » de l’Encyclopédie, bien qu’il nuance sa pensée au mot « astrologues », assortissant une ouverture d’une fermeture bien désuète au regard des probabilités : « Quand on conviendrait qu’en conséquence de liaison qui est nécessairement entre tous les êtres de l’univers, il ne serait pas impossible qu’un effet relatif au bonheur ou au malheur de l’homme dût absolument coexister avec quelque phénomène céleste, en sorte que l’un étant donné, l’autre résultât ou suivît toujours infailliblement - peut-on jamais avoir un assez grand nombre d’observations pour garder en pareil cas quelque certitude ? » Voltaire ne prendra pas de telles précautions et se contentera de jongler avec des objections légères et anecdotes amusantes, cherchant, suivant le procédé qui lui était cher, à gagner sa cause en mettant, avant tout, les rieurs de son côté. Pour Comte, l’utilité de l’examen positif de la question a cessé d’être concevable ; aussi ne fera-t-il que l’évocation des « attrayantes chimères de l’astrologie ». Mais la charge principale viendra surtout des astronomes qui procéderont à son enterrement, à l’instar de Laplace : (suite à la citation antérieure) « ... elle s’est maintenue jusqu’à la fin de l’avant-dernier siècle, époque à laquelle la connaissance, généralement répandue du vrai système du monde, l’a détruite sans retour » (Exposition du Système du Monde, seconde édition, an VII, p.292)

...

Il faut pourtant se rendre à l’évidence : l’astrologie n’est pas morte.

...

C’est qu’elle n’était pas ce que pensaient d’elle les savants de ces derniers siècles : le vestige d’une préhistoire de la pensée, quelque chose comme un reste de mentalité primitive en sursis, sorte de gourme moyenâgeuse à décrasser, de parasite de l’esprit à exterminer. Non, il faut se rendre à l’évidence, elle a une destinée qui lui est propre et qui lui appartient, échappant aux condamnations de ses adversaires aussi bien qu’aux volontés de ses partisans. Cette destinée est tissée sur le fond des évolutions de l’inconscient collectif, celui-ci entendu comme processus de sensibilité profonde façonnant obscurément les esprits au gré du cheminement du monde.

Car, les noces du Ciel et de la Terre sont inscrites au cœur de l’homme.

C’est ainsi que l’astrologie prend racine au plus profond de notre condition terrestre, qui est aussi cosmique. Millénaire et universelle, son ancienneté, sa persistance comme sa généralisation, sont le témoignage intégral qu’elle porte en soi la dynamique d’une « idée-force » liées aux puissances mêmes du psychisme humain. Comme il en est de tout contenu de Psyché primitive, c’est une force indifférenciée, chargée de ténèbres autant que porteuse de lumière, véhiculant dans son souffle tout aussi bien un vil amas de superstitions, prêtant main-forte aux baraques foraines de la bonne aventure, que la plus noble spéculation de l’esprit, enracinée dans cette lointaine tradition, qui perce à travers les civilisations successives, immortelle malgré les mutations de l’intelligence humaine, se frayant un chemin en direction de son ultime révélation : une connaissance mûrie, consciente d’elle-même et rendue à sa pleine condition de savoir.

Les fouilles d’Égypte ordonnées par Bonaparte, qui devaient aboutir à la découverte et au déchiffrage des hiéroglyphes par Champollion et ses successeurs, ainsi que les recherches effectuées en Orient au milieu du XIXe siècle (tablettes de la bibliothèque de Ninive), sont à la base du renouveau astrologique, le courant interrompu depuis deux siècles (sauf en Angleterre où il continua en sourdine) ne s’étant guère manifesté qu’en décrépitude par la propagation d’almanachs (la Maison rustique, le Liégeois...) de type d’astrologie populaire relative au folklore de l’influence de la Lune. Ce n’est que dans la dernière décennie du siècle passé que l’on commença à examiner ces textes dans un esprit philologique et historique. Certains découvrirent que la désuétude des documents déchiffrés cachait une vision particulière de l’univers ayant marqué d’une influence profonde et étendue la vie des peuples anciens. Mais l’état d’esprit dominant n’était pas ouvert à pareille investigation...

C’est finalement par l’escalier de service que passa l’astrologie, sa renaissance s’effectuant dans le cadre général d’une rénovation désordonnées de l’occultisme, Uranie figurant quelque peu en maudite en compagnie de la cabale, de l’alchimie, de la chiromancie, de l’orientalisme, non loin des pratiques du marc de café et de la boule de cristal. D’estimables chercheurs – en France, les polytechniciens Paul Choisnard et Eugène Caslant, ainsi que Henri Selva, et en Allemagne von Kloeckler – reprenant de vieux grimoire sortis de réserves de bibliothèque, entreprirent de vérifier cette tradition astrologique couverte d’une réprobation unanime : il fallait un certain courage pour le faire. Les livres spécialisés commencèrent à faire leur apparition à l’entrée de notre siècle, et au fil des années se constitua une véritable bibliothèque astrologique ; hormis quelques solides ouvrages de gens sérieux, cette production n’est que trop souvent une compilation d’une affligeante médiocrité, farcie de fantaisies extravagantes et de grossières erreurs, conséquence d’un engouement déréglé de praticiens vivant en tour d’ivoire, et d’une recherche à portée de tous...

Non seulement la momie s’est mise à bouger, mais la pièce de musée, après être passée au laboratoire, est descendue dans la rue, l’astrologie ayant aujourd’hui pris place un peu partout : dans les conversations courantes, ans la presse et l’édition, sur les ondes, en ordinateurs..., étant devenue un phénomène original de notre temps.

Il va sans dire que cette renaissance, comme il en a été l’éclipse, a poussé sur un terrain général qui en a favorisé sinon déterminé la venue.

Les adversaires ont beau jeu d’attribuer le retour de ce flot montant à l’apparition d’un climat psychopathologique. Un tel engouement participe d’un retour général à l’irrationnel, accompagné d’un déferlement de superstitions, inhérent à l’insécurité dans laquelle vit le monde moderne. Traumatisé par les guerres, révolutions, bouleversements et complications d’une société en crise de vertigineuse croissance ou de disparition, l’homme tend à se sentir de plus en plus étranger aux valeurs de la réalité objective, et se réfugie dans les zones de retraite de sa vie psychologique où règnent ses rêves et ses sentiments en marge du monde. Il tourne ainsi le dos au sens critique, à la logique et à la raison, et a soif de mythes et de merveilleux. Dans la mesure où l’astrologie se présente à lui comme une science ou un art destiné à prédire ou prévoir l’avenir, elle répond pleinement au besoin de son âme angoissée.

Pour évidente que soit cette explication, elle n’en est pas moins courte : elle ne justifie que l’engouement populaire, le scandale des courriéristes sidéraux et autres trafiquants d’étoiles. Il reste à expliquer la poussée de recherche désintéressée animant un véritable « mouvement astrologique » international qui travaille : étude, contrôle, perfectionnement, formation, information..., des universités américaines commençant à ouvrir leur porte à un enseignement du sujet, l’opinion des milieux les plus évolués s’ouvrant elle aussi, au point, maintenant, que se repose réellement le problème de l’astrologie dans notre vie intellectuelle et culturelle. Au-delà donc de cette antienne de curiosité maladive des gens anxieux, il faut chercher une explication plus large, plus lointaine, plus profonde.

En fait, le « phénomène astrologie » est une donnée de la vie du monde qui s’intègre à un processus historique général, en liaison avec la révolution scientifique et culturelle qui a commencé à la fin du siècle dernier. Au moment où l’on assiste à l’exhumation d’Uranie, un souffle nouveau passe sur la planète. Des découvertes d’un type inédit, proprement sensationnelles, ont lieu qui bouleversent les dimensions de la science : rayons cathodiques, rayons X, radiations, ondes électriques, TSF., radioactivité, atomes et électrons, microbes et virus, rayons cosmiques... Pendant que l’infiniment petit est découvert et exploré, des télescopes géants ouvrent l’univers des nébuleuses, puis des galaxies. Au moment où l’on s’apprête à conquérir le ciel avec l’aviation, le premier sous-marin explore le fond des mers. En philosophie, Bergson situe le rôle de l’intuition au cœur de la connaissance et Freud fait son forage dans les profondeurs de la vie psychique. Dans les arts, le Symbolisme donne à l’expérience poétique un caractère initiatique, en liant poésie et métaphysiques et en retrouvant l’idée traditionnelle à la source des philosophies et religions antiques. Puis viennent la théorie des quanta, la relativité, la mécanique ondulatoire, l’univers en expansion, la démonstration de l’unité de la matière (chère aux alchimistes), la phénoménologie transcendantale...

Qu’on est loin des tranquilles certitudes des Lagrange, des Laplace, des Comte ! Géométries non euclidiennes, mesure non archimédienne, mécanique non newtonienne, physique non maxwellienne, logique non aristotélicienne, épistémologie non cartésienne... Tout est remis en question dans une dimension nouvelle de l’univers.

Ce n’Est nullement un hasard si l’astrologie resurgit dans cet éclatement de la pensée humaine en état de plus entière respiration. Il a bien fallu attendre 2000 ans pour que l’homme admette le système héliocentrique du monde conçu par les penseurs grecs. Une fois de plus dans l’histoire des sciences, l’erreur d’hier tend à devenir la vérité de demain ; le tout est d’être prêt à recevoir cette vérité dont le terrain se prépare. L’astrologie refrappe à la porte...

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