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Erving Goffman





La sociologie américaine des années 50 préconisait l’analyse quantitative et l’utilisation de l’informatique. Goffman, à l’encontre de ce mouvement, va privilégier la démarche qualitative et l’ethnométhodologie. Ses instruments de travail seront ainsi souvent des caméras, des magnétophones. Il ira sur le terrain, fera de l’observation participante. (Barnhart) C’est la vie quotidienne qu’il tente de comprendre et c’est, justement, avec La mise en scène de la vie quotidienne (1959), que Goffman fera sa marque, en étudiant les interactions usuelles de la vie de tous les jours . Si l’on doit décrire en quelques mots la base de la théorie élaborée par l’auteur, on pourrait dire qu’il en a conclu que la dramaturgie est nécessaire et centrale dans l’établissement et la conservation des liens et interactions: For exemple, The Presentation of Self in Everyday Life uses the theatrical stage as a metaphor to explain how we “stage manage” the images we try to convey to those around us. 1

1.1.1 La dramaturgie

Goffman emploie ce qu’il qualifie d’approche dramaturgique pour comprendre la réalité sociale. Ce faisant, il s’interroge sur le mode de présentation qui sera employé par l’acteur social, autant que sur les significations de l’action dans un contexte social élargi. De cette façon, l’interaction est vue comme une performance influencée par l’environnement, par le public qui en est spectateur, ainsi que par toute tierce partie qui se trouverait à être en contact, volontairement ou accidentellement, avec la performance de l’acteur. Cette performance a pour but de donner aux autres des impressions concordantes aux buts, aux intentions de l’acteur. La performance existe indépendamment de l’état mental de la personne. 2


La présentation de soi, tome premier de La mise en scène de la vie quotidienne 3, nous donne un aperçu détaillé et analytique des processus et des significations des interactions sociales. Très inspiré par les tenants de l’École de Chicago, M. Goffman situe ses travaux dans une perspective interactionniste symbolique (Barnhart); il fait l’analyse qualitative des parties composant les processus d’interaction. “L’originalité de l’interactionnisme symbolique est de considérer l’action réciproque des êtres humains et les signes qui la rendent visible comme le phénomène social majeur”. C’est ainsi que Goffman, en étudiant les interactions entre les individus et en insérant le tout dans un carcan théorique, la dramaturgie, il arrive à saisir le fil qui dirige sa compréhension de l’action sociale. Aussi, c’est par l’analyse microsociale que Goffman explore les détails de l’identité individuelle, des relations de groupe, les impacts de l’environnement, ainsi que des mouvements et significations interactives de l’information. 4


1.2 L’objet

1.2.1 L’identité sociale

L’identité sociale est l’objet principal des travaux de Goffman. Il s’intéresse au sujet comme Parsons s’intéresse aux structures sociales. L’identité sociale est un processus en constante évolution. “A status, a position, a social place is not a material thing, to be possessed and then displayed; it is a pattern of appropriate conduct, coherent, embellished, and well articulated. Performed with ease or clumsiness, awereness or not, guile or good faith, it is none the less something that must be enacted and portrayed, something that must be realized.” 5

“Pour Goffman, tout est une construction sociale.” 6 Dans la vie, tout le monde joue un jeu et les règles de ce jeu sont construites socialement. Par la dramaturgie, chacun joue un rôle, le sien propre, qui a été construit et peaufiné au fil des interactions précédentes et des normes sociales en vigueur. “Le soi est comme un crochet; on peut y accrocher plusieurs rôles. Donc, l’identité est construite et mouvante”. 7 C’est ainsi que l’identité est moins substantive et plus axée sur la définition de la situation. L’identité est donc sociale.

Évidemment, il est plus facile de jouer son propre rôle que de s’en inventer un. Regardez comment, dans les premiers temps d’une relation, on cherche à paraître sous notre meilleur jour. En fait, on veut projeter l’image d’une perfection factice, tout en sachant très bien que ce n’est pas vrai; personne n’est parfait. Ce rôle emprunté et qui n’est pas naturel chez nous pourrait expliquer pourquoi on a des papillons dans l’estomac quand on pense à son bien-aimé. On a peur qu’il réalise que nous ne sommes pas aussi parfait qu’on le laisse croire et qu’il nous quittera. Il est tellement plus facile, après quelques temps de vie commune, de se laisser aller qu’aux débuts de la relation. Ceci serait dû à l’aisance que l’on aurait acquis à jouer notre rôle au sein du couple et à la reconnaissance que l’on en retire de la part de notre partenaire. Ceci est d’autant plus important que, pour Goffman comme pour George Hebert Mead, “l’identité est construite à travers la compréhension de la projection du soi sur les autres.” 8

“On dépend tous des impressions que nous laisse notre environnement.” 9Selon Goffman, cette impression, cette interprétation de la réalité, est construite à partir de plusieurs éléments. Ceux-ci constituent le cadre de l’expérience dit “primaire”, en raison de son caractère stable et dont la validité n’est pas remise en question. “Goffman uses the concept of frame: “principles of organization which govern events and our objective involvement in them.” 10

L’utilité d’un tel cadre est d’aider l’homme à comprendre le monde qui l’entoure, en lui donnant des points de repères qu’il saura utiliser afin de fonctionner en société. Comme Goffman le dit lui-même: “The elements and processes he assumes in his readings of the activity often are ones that the activity itself manifests - and why not, since social life itself is often organized as something that individuals will be able to understand and deal with.” 11

C’est par l’impression qui est donnée aux autres, soit par la qualité de notre interprétation, que l’on pourrait véritablement acquérir du pouvoir. C’est en emmenant les autres à avoir confiance en l’authenticité du rôle que l’on joue qu’il serait possible d’arriver à avoir un réel pouvoir sur eux et sur les situations dans lesquelles on se trouve. Les manipulateurs, qui, on le sait, arrivent à leurs fins en prenant le contrôle d’une situation impliquant d’autres acteurs, acquièrent probablement leur pouvoir par la facilité qu’ils ont de manier les techniques dramaturgiques. Ils arrivent facilement à se glisser dans un rôle qui, s’il est bien joué, fera en sorte que le public qui assiste à leur “représentation” y donnera suite en posant des gestes conséquents. Même chose pour les politiciens. S’il s’avérait qu’ils jouent mal le rôle qui leur est dévolu, ils perdraient toute crédibilité et, ainsi, tout pouvoir.

1.3 Fragilité des rapports sociaux

“Les rapports sociaux sont ténus et fragiles”12 selon Goffman. “Ce qu’on voit quand les situations tombent, c’est le soi nu et démocratique”. 13 Il est facile de faire tomber une situation. Quand le rôle joué est perçu comme manquant d’authenticité ou encore, comme n’étant pas conforme aux attentes découlant du cadre de l’expérience en place lors d’une interaction particulière, les règles de base du maintien de l’interaction sont alors brisés. Il faut donc, pour pouvoir maintenir les rapports prêts à s’effondrer, utiliser des techniques dramaturgiques telles que, par exemple, le tact.

Il existe donc des qualités à développer pour un acteur afin de bien le rôle qui lui est dévolu dans une situation particulière; celui-ci doit agir d’une façon qui est perçue comme adéquate. Si tel n’est pas le cas, la situation tombera. Il peut arriver, lors de toute interaction, que des éléments, des gestes non planifiés, viennent déranger l’établissement du lien social: “Unmeant gestures, innoportune intrusion, and faux pas are sources of embarrassment and dissonance which are typically unintended by the person who is responsible for making them and which would be avoided were the individual to know in advance the consequence of his activity.” 14 Il y a quand même des situations où l’individu tente, sciemment, de saboter les interactions, de mettre fin au consensus en place: dans le langage populaire, on appelle cela “faire une scène”. Il est intéressant de constater que dans cette expression, on peut relever le mot “scène”, qui peut facilement emmener à faire des liens avec le concept dramaturgique. Ces éléments qui dérangent l’ordre des interactions, sont qualifiés “d’incidents” par Goffman. Quand un tel incident est mis en scène, le rôle joué par l’acteur est remis en question. Les personnes qui assistent à sa “performance” peuvent se sentir déboussolées, embarrassées, frustrées ou nerveuses: elles perdent leur contenance. (Goffman, 1959)

Goffman énonce clairement les moyens à utiliser afin de sauver l’interaction et ceux-ci passent par la nécessité de tous les acteurs impliqués (l’acteur principal, le public et les gens qui pourraient possiblement se trouver en contact avec ces derniers), de posséder certaines qualités qui seront mises en application afin de sauver l’interaction : "These attributes and practices will be reviewed under three headings: the defensive measures used by performers to save their own show; the protective measures used by audience and outsiders to assist the performer in saving the performer’s show; and, finally, the measures the performers must take in order to make it possible for the audience and outsiders to employ protective measures on the performer’s behalf.” 15

1.4 Synthèse

Même si la perspective de Goffman peut sembler limitée au départ, elle emmène quand même une manière intéressante et originale d’entrevoir la nature des interactions sociales. La plus grande contribution de Goffman à la sociologie fut sans nul doute sa façon de traiter l’ordre de l’interaction en tant qu’unité distincte d’analyse.(Sannicolas, 1997) Ces interactions sont dépendantes d’attentes situationnelles qui influencent la conduite des acteurs individuels participant à l’échange. Donc, dans toutes les situations qui impliquent une communication interpersonnelle, les acteurs impliqués jouent des rôles, se situent dans un cadre (la scène) et leur performance est dirigée vers un public. C’est ainsi que Goffman explique ce qu’il appelle son concept de dramaturgie. On peut étudier ce concept par l’observation et par l’analyse du cadre de l’expérience. (Goffman, 1959) Goffman dit aussi qu’il y a des règles sociales, ainsi que des rituels qui sont pratiqués par les gens-acteurs et que ces règles et rituels sont souvent sous-entendus, implicites et bien intégrés; “When a person conducts himself or herself in a way that is not consistent with societal expectations, s/he often does it secretly if this behavior is satisfying to the individual.” 16

Un lien peut-être fait entre les travaux de Durkheim et ceux de Goffman en ce que les deux abordent le concept de spontanéité. Chez Goffman, il est facile de comprendre que la spontanéité est une qualité primordiale de toute “performance sociale”, car elle donne à cette dernière l’authenticité nécessaire à la conservation du lien social. Durkheim, lui, décrit une spontanéité de niveau macrosociologique, qui est “a finely articulated organisation in which each social value... is appreciated at its true worth.” 17 Chez Dukheim comme chez Goffman, la notion de vérité est donc importante à la création et au maintient des liens sociaux.“Each individual is bound to the contemporary social organization, while attempting to realize a sens of freedom in expressing truth.” 18


1 BLACKWOOD, B. Diane. Erving Goffman.,1997, p. 2 de 4

2 BARNHART, Adam. Erving Goffman: The Presentation of Self in Everyday Life. p.1 de 5.

3 GOFFMAN, Erving. La mise en scène de la vie quotidienne. Paris; Les Éditions de minuit, 1973.

4 BOUDON, Raymond, BESNATD, Philippe, CHERKAOUI, Mohamed et Bernard-Pierre Lécuyer. Dictionnaire de la sociologie. France; Larousse, 1996, page 126.

5 BARNHART, Adam. Erving Goffman: The Presentation of Self in Everyday Life. Http://www.cfmc.com/adamb/writings/goffman.htm, p. 1 de 5.

6 BLACKWOOD, B. Diane. Erving Goffman.,1997, p. 2 de 4

7 Ibidem

8 Ibidem

9 Ibidem

10Ibidem

11Ibidem

12Ibidem

13 Ibidem

14 SCHECTER, Stephen. Cours du 27 janvier 1999. Université du Québec à Montréal.

15 Ibidem

16 GOFFMAN, Erving. The Presentation of Self in Everyday Life. New-York: Doubleday, 1959, p. 210.


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