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TOUISO BITOUOS

(Commencement du Monde)





Cosmologie celtique
par Boutios


Origines indo-européennes


À la base, la religion indo-européenne, dans sa vision du monde, est essentiellement cosmique. C’est-à-dire que l’ensemble des croyances et de la pensée philosophique est centré sur la notion du ciel, de la lumière et de la noirceur du ciel et des astres, lustres et luminaires qui s’y trouvent. Ceci inclut, aussi, leurs aspects, leurs motions et leurs fixités, si ce n’est tout ce qui est relatif au Monde et de ses qualités tant physiques ou matérielles, qu’énergétiques ou spirituelles, voire élémentaires ou « élémentales ».


Le Cosmos, non pas l’univers mais le multivers perçu comme deux bols jantés sur une roue ou disque formant une sphère et tournant sur un axe (axis mundi), se divise en deux moitiés. Il est aussi réparti en trois mondes : monde d’en haut, monde du milieu et monde d’en bas. À chacun de ces mondes est associée une qualité lumineuse selon les trois couleurs de l’ordre cosmique :

- *Dyew- « blanc » : le jour, le monde d’en haut ;

  • *Regwos- « rouge » : l’aube et l’aurore, le monde du milieu ;

  • *Temó- « sombre » ou *Dhūw- « noir » : la nuit, le monde d’en bas.


À leur tour, chacun de ces mondes est divisé en trois parties. Ainsi, neuf régions ou « étapes » séparent le niveau médian du ciel et des enfers dans lesquels l’Arbre cosmique prend racine. Aussi appelé axe ou étai, il relie la terre et soutient la voûte céleste. Chez les Hittites, une échelle à neuf marches, correspondant aux neuf étapes, relie la terre au ciel. Donc, du monde des humains à celui des dieux. Selon cette dualité d’être, le monde est conditionné par les deux états du plein et du vide en tant que principes physiques ou métaphysiques de vacuité et de plénitude (lettre d’Épicure à Pythoclès). Seule la lumière prise au sens métaphysique semble transcender ces deux conditions.

Le principe de la lumière et son élément, le feu, pénètrent tout le vide cosmique, incluant le liquide. À l’exemple de la lumière, les eaux sont d’origine céleste (Rig Veda). Dans ce cas, sublimées, moins denses et froides que les eaux terrestres, elles sont majoritairement constituées de lumière et d’énergie (les Grecs disaient électricité), de là leur éclat et leur transparence. Ainsi, tout le Cosmos est baigné dans une mer fluide d’où coule un fleuve céleste. De là la formule homérique : « les fleuves qui volent dans le ciel ».

Et c’est de l’onde de ce flot ou cours céleste, non pas du vacarme du torrent de montagne, mais plutôt du chuchotement de la source que retentit le son. Tout émane des trois sources, même le prototype du monde sacrifié. Premier Verbe aux trois syllabes, le son est la semence de la création, du principe de l’être et du désir de l’existence. Appelons-le l’œuf du Serpent, du Cygne, ou l’Embryon d’or. Le Feu étant d’or comme l’or est dans l’eau (R.V., Agni).

Et les dieux sont aussi de lumière. Elle émane d’eux comme ils en expriment le principe. Pensons à la racine proto-indo-européenne *dei- « lumière du jour » donnant dies en latin, gaélique, dia, thrace, dios, lithuanien, diena. Ou encore, *deiw- « briller », donnant *deiwòs « dieu », attestée par les dérivés : celtique, déuos ; latin, divus / deus ; sanskrit, deva / dyaus ; grec, zeus / dios ; hittite, šiuna- et Louvite, tiwaz-. Le temps diurne est exprimé par la racine *agh- (« jour », « durée ») et *ayer- pour le « matin ». Les étoiles sont très tôt nommées, ce qui est attesté par la racine *(a)s-tér-, à la fois pour astre et étoile (hittite, šittar ; grec, astēr ; arménien, astł / astġ/asdġ ; gaulois, sdira > sira ; vieil irlandais, sera ; tokharien, śre / śćirye ; latin, stella ; gothique, stairno ; sanskrit, tāras ; persan setāre ; kalash, istari, tari ; ossète, sthaly ; kurde, stérk / estére). Les planètes, telles que nous les comprenons de nos jours, étaient perçues comme des sphères, des étoiles ou astres errants. D’où le terme grec planêtês < planâthai < *ple-t(h)- « plaine dans laquelle on bouge », de la racine i.e., *pele-, *plae-, en contraction *plâ-, pris au sens de « plaine » et « plein ». Le terme gaélique tect (< tectos « messager ») pour la planète Jupiter va dans le même sens.

On retrouve dans la poésie du barde légendaire Taliesin, le Ptolémée des Bretons en quelque sorte, des éléments de la vieille cosmologie celtique.

Il déclare ceci dans un des poèmes du Llyfr Taliesin (Livre de Taliesin): « Je possède des connaissances approfondies dans les principales sciences et dans le fonctionnement des veines et des humeurs, et je connais très bien la nature générale de l’homme

[...] et j'ai été créé par les plus sages des druides avant que le monde ne fut et je connais la science des étoiles depuis le commencement des temps. » (Cad Goddeu, Taliesin)

Et comme en fait foi la mythologie d’Irlande, le dieu Lugh, roi des Tuatha Dé Danann, avait la réputation de connaître le jour de la fin et du commencement du temps (in La seconde bataille de Mag Tured, v. 76, p. 66.):

« Lugh prompt et hardi, à la longue main, aux coups guerriers, fils d’Eithe Imdhearg, fille de Balor Bhailchbheimnech, petite-fille de Neid Nuachrothach, pour considérer et regarder longuement la mer, pour observer l’aspect et la course des étoiles, pour examiner le ciel, étudier le soleil, pour retenir les planètes, qu’elles ne vinssent pas à leur coucher ou à leur crépuscule afin que fût plus long, plus durable, le combat des guerriers, et afin que le Polytechnicien aux nombreuses formes discernât s’il avait le signe du jour ou s’il était avec les armées…? …ni à son avantage. Il trouva cela cependant, à savoir la connaissance véritable qu’il avait du signe du commencement, de la fin et du…?... de ce jour. »

Selon les Séries ou le Druide et l'enfant tiré du Barzaz Breiz, Chants populaires de Bretagne, du vicomte Théodre Hersart de la Villemarqué, il y a trois débuts et trois fins pour le monde:

« Trois parties dans le monde, trois commencements et trois fins pour l'homme comme pour le chêne. »1

  1. « Trois parties dans le monde », c'est-à-dire le monde d'en haut, le mondedu milieu et le monde d'en bas.

  2. « Trois débuts et trois fins », c.-à-d., un début pour chaque monde et à la naissance de l'homme, un début pour chacune des trois composantes de l'être : corps, pensée, âme/esprit.

Rares sont les éléments de la cosmologie gauloise à parvenir jusqu'à nous, mais malgré la rareté d'écrits, nous avons ce passage de l'écrivain romain Pline l'Ancien (in Naturalis Historia, publié vers l'an 79 de notre ère):

« Il y a en outre une espèce d'œuf, omise par les Grecs et en grand renom dans les Gaules. En été, des serpents innombrables enroulés ensemble par la bave de leurs gosiers et les sécrétions de leurs corps, se rassemblent en une éteinte harmonieuse et cela s'appelle œuf de serpent, Les druides disent que cet œuf est projeté en l'air par les sifflements et qu'ils convient de les recueillir dans une saie avant qu'il ne touche la terre. Le ravisseur doit s'enfuir à cheval, car il est poursuivi par les serpents jusqu'à ce qu'ils en soient empêchés par l'obstacle d'une rivière. On reconnaît cet œuf à ce qu'il flotte à contre-courant, même s'il est attaché à de l'or. La finesse industrieuse des mages est telle pour cacher leurs fraudes qu'ils prétendent qu'on doit le prendre à une certaine lune, comme s'il était possible aux hommes de faire coïncider l'opération avec la volonté humaine. J'ai certes vu cet œuf, de la grosseur d'une moyenne pomme ronde, à la croûte cartilagineuse comme les nombreux bras du poulpe. Il est célèbre chez les druides. On en vante fort l'effet pour le gain des procès ou l'accès auprès des rois ; mais c'est si faux qu'un chevalier romain des Voconces qui en avait un dans son sein lors d'un procès fut mis à mort par le divin Claude, empereur, sans autre raison que je sache. Pourtant ces étreintes de serpents et leur entente féconde semblent être la raison pour laquelle les nations étrangères ont entouré le caducée en signe de paix de l'image des serpents, mais n'est pas coutume dans le caducée qu'ils soient crêtés »2

« L'œuf du monde (Brahmâda) est l'enveloppe de l'"Embryon d'Or" (Hiranyagarbha), genre primordial de la lumière cosmique et cet œuf est contenu dans les eaux primordiales cependant qu'il est couvé par le cygne symbolique Hamsa ("L'Oiseau Unique"). L'œuf cosmique est la forme prise par Brahma, qui existait avant l'Existence elle-même, au-delà de l'Être, et qui par sa propre énergie a divisé l'œuf divin en ciel et terre et créé le monde manifesté. Autrement dit l'embryon contenu dans l'œuf cosmique flottant dans les eaux primordiales explique ainsi pourquoi l'ouum anguinum flotte contre le courant, même attaché à de l'or : Pline n'a visiblement pas compris la relation de l'œuf et de Brahma rend compte pareillement de l'importance de l'œuf en tant que symbole "druidique", attaché à la prééminence de la classe sacerdotale ».3

Le thème du serpent et de l’œuf, c’est-à-dire la pierre philosophale se retrouve aussi dans la mythologie galloise. Bref, d'après le manuscrit du Mabinogion :

"Seigneur", dit l'homme noir, "je te dirai que c'est en me battant contre le serpent noir du cairn que j'ai perdu l'œil. Le grand tertre qui est devant nous est appelé le tertre douloureux. Dans ce tertre il y a un grand cairn de pierre et, dans le cairn, il y a un serpent. Dans la queue du serpent, il y a une pierre. La vertu de la pierre est que quiconque l'a dans sa main, a dans l'autre tout ce qu'il veut d'or".4

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Notes

  1. Hersart De la Villemarqué, Théodore. Barzaz Breiz, Chants populaires de Bretagne, éditeur A. Franck, 1846.

  2. Pline, Histoire Naturelle, XXIX, 52.

  3. Guyonvarc'h, Christian-J. et Le Roux, Françoise, Les Druides ; loc. cit, pp. 421 - 422. Les rapports de la conception celtique attachée à l'oursin fossile et du mythe classique de Zagreus, le serpent cornu, sont de parenté indo-européenne et non le résultat d'un emprunt, même s'il a existé au 2e siècle avant notre ère, en Thrace, un royaume celtique ayant fait de nombreux emprunts culturels; cf. revue Celtique 31, p. 131. Les oursins fossiles sont fréquents dans des sépultures et les sites archéologiques gallo-romains (Le Roux, Françoise, cf. supra les notes 134 et 135).

  4. Le Mabinogion, Peredur, fils d’Evrawc, traduction de Charlotte Guest, p. 41.





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