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Top Cinéma de Salade d'endives



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Mysterious Skin

Comment passer à l’âge adulte quand l’enfance est ponctuée d’un abîme nébuleux, voûte où sont enchaînés d’horribles souvenirs qu’on cherche (pour le meilleur et pour le pire) à libérer... Comment apprendre à se définir quand ces mêmes souvenirs deviennent une obsession malsaine, sorte de mantra qui passe en boucle dans notre âme blessée, définissant nos comportements, notre rapport avec autrui et agitant notre être en permanence... « Mysterious Skin » ne propose pas de réponses à ces questions, ni même de résolutions ou de morale facile. Il ne fait qu’illustrer ces deux destinées tragiques, tristes à en crever, qui vont finir par se croiser dans un dénouement où la vérité éclatera solennellement dans le crépuscule d’une nuit de Noël à couper le souffle... Celui qui veut savoir et celui qui ne pourra jamais oublier. Le film le plus dur, le plus beau, le plus destructeur, le plus tendre, le plus authentique sur ce thème difficile qu’est la pédophilie ou « l’innocence volée »... Le tout est présenté comme un rêve planant, habité par le spectre érodé d’une époque déjà révolue (fin des 80s / début 90s) et flottant sur les relents mélancoliques du shoegaze vertigineux de Slowdive et de la Dream Pop cotoneuse des Cocteau Twins. Musique géniale, photographie magnifique, histoire coup-de-poing et performances remarquables de deux jeunes acteurs fabuleux font de ce « grand petit film » le chef d’œuvre de Gregg Araki.


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Le Locataire

Le final triomphant (et on ne peut plus dérangeant) de la trilogie d'appartement (comprenant aussi le terrifiant "Rosemary's Baby" et le nauséeux "Répulsion") de Roman Polanski est une énigme, un mystère aux milles facettes ; une œuvre infiniment dense, glaciale, noire comme la suie et parsemée de personnages tous plus malsains les uns que les autres. Paranoïa aiguë, dépersonnalisation, voyeurisme, persécution, ambiguïté sexuelle (les scènes où Trelkowsky se travestit en Simone), humour noir, trésors abjects (la dent dans le mur), décors post-expressionnistes, mythologie égyptienne et désespoir absolu... Les couloirs de ce bloc-appartement maudit en sont imprégnés jusqu'à plus soif... "Le Locataire" se distingue par cette ambiance indescriptible, cette atmosphère omniprésente de cauchemar dément, où les murs, les placards, les objets et les gens prennent des contours horrifiants dans le regard trouble du protagoniste (et, par le fait même, du spectateur). Un grand délire d’imagerie grotesque et un voyage intense jusqu’aux confins de la folie brute. L'insoutenable du quotidien interprété par l'esprit d'un schizophrène en crise. Magistral.


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Kwaidan

Masaki Kobayashi est un des grands génies oubliés du 20ème siècle. Réalisateur de drames existentiels avant-gardistes et de fresques samurais oniriques, l’homme se plonge dans l’univers fantastique des légendes japonaises pour ce « Kwaidan » aux teintes surréalistes. Quatre histoires de fantôme japonais tirées d’un recueil de nouvelles écrit en 1904 par Lafcadio Hearns, un auteur irlandais exilé au Japon. Ici, l’horreur est intimement liée avec la tragédie. En affrontant ces spectres d’un passé lointain ou rapproché, les mortels font face à leurs propres faiblesses, leurs peurs, les démons qui les habitent. Il y a le mari cupide, abandonnant la femme qu’il aime pour en épouser une autre et ainsi faire fortune. L’homme, rongé par le remord, revient des années plus tard retrouver son unique amour mais ce dernier, en son absence, n’est devenu qu’horreur ; une apparition vengeresse d’un passé qu’il ne peut se pardonner. Il y a aussi la femme des neiges, aussi abominable que magnifique, qui tombe amoureuse d’un jeune homme dans cette nuit hivernale ponctuée d’une neige cosmique. Drame d’un amour impossible entre un homme et la faucheuse. Et comment oublier le musicien aveugle, qui joue du biwa pour apaiser l’esprit des guerriers fantômes, morts au combat et oubliés par les siècles. Et cette plongée brute dans la folie qu’est celle de ce noble samurai qui voit apparaître le visage d’un inconnu souriant dans sa tasse de thé... «Kwaidan » est un de ces films qui reste en tête des semaines après en avoir fait l’expérience unique (bref : qui nous hante, en fait)... Des acteurs géniaux de subtilité, une mise en scène minimaliste, des décors somptueux et hyper-travaillés (les ciels sont en fait d’énorme toiles peintes, aux couleurs éclatantes, un peu surréelles), des effets spéciaux incroyables pour l’époque, une musique avant-gardiste foutrement inquiétante signée Toru Takemitsu et la photographie irréelle de Yoshio Miyajima. Un film riche en émotions et mué par une beauté visuelle incomparable.


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Gummo

L'autre Amérique. Une ballade étrange et sauvage dans un petit bled pourri de l'Ohio, préalablement dévasté par une tornade meurtrière dans les années 70. Sur fond de Black Metal scandinave, deux très jeunes garçons chevauchent leurs bicyclettes rouillées à travers cet univers empreint d'un mal être insondable, tuent des chats errants qu'ils revendent au propriétaire véreux d'un resto local, sniffent de la colle dans les sous-bois avoisinants, perdent leur argent de poche chez la prostituée du coin (qui est en fait la femme handicapée d’un voisin). À travers cette errance nihiliste, sans buts précis, notre duo croise un lot de personnages aussi déréglés qu’eux : l’enfant-lapin muet, une Chloé Sevigny fantomatique qui colle des bouts de ruban noirs sur ses nichons, un nain noir à robe ET champion de tir-au-poignet, un garçon qui vit seul avec sa grand-mère malade et qui se travestit la nuit, des jumeaux qui aiment bien se taper dessus jusqu’à s’en donner des commotions cérébrales... de même qu’une colonie de rednecks consanguins (avec ou sans coupe Longueuil) perdant leur temps dans des interminables « party de bière » en bédaine. Ce qu’on voit à l’écran, c’est ni plus ni moins l’inutilité totale de l’existence dans ce trou de cul de l’univers. Présenté sous forme de patchwork expérimental, quelque part entre le documentaire, la photo ou la fiction, « Gummo » est un des films les plus libres de tous les temps. S’entrecroisent des scénettes cocasses (la destruction de la chaise), d’autres plus sombres (le massacre des chats, l’infiltration du domicile de la grand-mère, l’horrible scène du bain), des passages ultra-barrés tournés avec une caméra-vidéo ultra-cheap, des bouts de photo-roman avec narration à l’appui, etc... « Gummo », hanté par sa panoplie d’images magnifiquement laides, est le plus éloquent constat de cette Amérique insoupçonné. Critique ou hommage ? Un peu des deux...


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Come and See (Requiem pour un massacre)

Comme ça tu crois aimer la guerre, petit ? T’as la rage ? Tu voudrais virilement manier les armes, faire éclater les membres de tes ennemis, les dépecer à mains nues et boire leur sang au nom de la patrie ? Va et Regarde. Prend donc cette dose d’horreur absolue en pleine gueule. Et réalise l’erreur de ton chemin...

Dur… très dur de parler de ce film, ou plutôt de cette « expérience sensorielle » qui te laisse pantois, dans un état voisin du choc post-traumatique... qui te marque le cerveau au fer rouge, le chargeant d’images insoutenables, qui te remue jusqu’au fond des tripes, qui te dégoûte, t’obsède, te terrifie, te fait pleurer et t’effondrer tour à tour. Cette fresque d’apocalypse raconte l’invasion nazie de l’Ukraine en 1941, se soldant par le massacre ordonné ou la mise en esclavage des slaves. Une véritable boucherie. « Come and See », c’est la rencontre absurde entre l’enfance et cette boucherie. C’est l’innommable vu par les yeux d’un gamin... Ces bombes qui détruisent tout et qui rendent sourd, ces corps pourrissants, entassés grotesquement derrière la maison, ces mannequins d’Hitler faits à même les os des victimes, ces gens entassés comme des animaux dans une grange qui s’apprête à passer au lance-flamme, ces soldats nazis au regard vide et froid, qui ont plus l’air d’insectes géants que d’êtres humains. C’est la peur qui rôde, qui ne vous lâche pas, vous rappelant que l’abominable peut survenir à tout moment (du sol, du ciel, de l’horizon). C’est aussi l’œuvre ultime d’Elem Klimov, réalisateur génial qui signe ici son testament, hommage (d’où le titre : Requiem) à la mémoire de ses compatriotes disparus dans ce quasi-génocide. Images somptueuses, photographie pouvant évoquer un Malick en pleine crise d’angoisse, mouvements de caméra étourdissants, bande son inoubliable (des cris d’animaux superposés à du Mozart), acteurs stupéfiants (Aleksei Kravchenko, âgé alors de 14 ans, vieillit de 50 ans sous nos regards consternés)... Klimov nous montre la guerre, la vraie… Et ça fait mal.


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La Stanza del figlio (La Chambre du Fils)

La perte soudaine d'un proche. Un moment que beaucoup d'entre nous ont (ou auront) à vivre un jour ou l'autre, pour le meilleur et pour le pire. Nanni Moretti, réalisateur et interprète touchant du père, réussit l'impossible avec ce film magnifique : stigmatiser l'essentiel de cette perte et ce, de la manière la plus réaliste possible, sans jamais tomber dans le mélodrame grossier et manipulateur. C’est dans cette sobriété authentique, ce jeu impeccable des acteurs qui ne font qu’uns avec leurs personnages, cette absence de « petite morale bien pensante » (j’aime les films qui laissent réfléchir le spectateur) que « La Chambre du Fils » réussit à nous atteindre au plus profond de notre âme et à nous faire pleurer. On suit cette petite famille dans leur vie quotidienne. Ils sont beaux, unis, en symbiose. Et puis soudain, l’absurdité de la mort frappe un beau dimanche ensoleillé, remettant tout en cause... détruisant cette cohésion entre « ceux qui restent ». La mort isole d’abord ; elle ne rassemble pas (du moins, pas tout de suite). C’est chacun à leur manière que le père, la mère et la sœur vont faire leur deuil, se confrontant à leur désarroi, leurs frustrations, leur sentiment de culpabilité. Ces trois chemins de croix vont se rencontrer près de cette mer qui a emporté le fils... Le film se termine avec l’acceptation de la mort et le désir d’aller de l’avant, de rebâtir une réalité habitable, ensemble… Un film tendre, beau, simple et tout en pudeur.


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The Wicker Man

Film-culte par excellence, "The Wicker Man" de Robin Hardy est un ovni dans la filmographie de la Hammer, compagnie anglaise réputé pour ses innombrables films de Dracula et Frankenstein. Ici, pas de monstres au sens propre ; nous avons plutôt affaire à un thriller policier philosophique, surréaliste, dantesque et bigrement dérangé. Un enquêteur anglais puritain jusqu’à la moelle (interprété magistralement par Edward Woodward) se rend sur l’île minuscule de « Summerisle » pour tenter d’élucider la disparition d’une jeune fille. Embêté d’abord par le manque de support des villageois qui n’auront cesse de se moquer de lui, il se retrouvera ensuite épouvanté par les us et coutumes de la petite communauté, qui semble avoir abandonné le judéo-christianisme il y a bien longtemps pour s’adonner à un néo-paganisme (hédonisme, nudité, liberté sexuelle, vénération du phallus, sacrifices ?) qu’il juge décadent. Rencontre explosive entre deux modes de pensées diamétralement opposés (sur fond d’enquête absurde). « The Wicker Man » est porté par son ambiance résolument unique (un mélange de burlesque et d’horreur pure), son scénario aussi subtil qu’adroit (signé Anthony Schaffer, à qui l’on doit aussi « Frenzy » de Hitchcock), sa brochette d’acteurs étonnants (dont un Christopher Lee rayonnant dans le rôle du seigneur de l’île), sa photographie sublissime (nature onirique à perte de vue, vieux village écossais austère, cimetière lumineusement décrépit et femmes nues sont au menu), son dénouement on ne peut plus percutant et surtout... la musique chef d’oeuvrifique de Paul Giovanni, qui occupe une place extrêmement importante dans un film qui peut pratiquement être considéré comme une « comédie musicale à temps partiel »... De la folk mystérieuse, joyeusement sombre et belle comme jamais. Peut-être la meilleure trame sonore de tous les temps. « The Wicker Man » demeurera toujours une énigme.


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Koyaanisqatsi

Apocalypse Now prise deux. « Koyaanisqatsi » est grand, très grand. Film-opéra, semi documentaire écologique sans narration et sans aucun autre son que la musique monumentale d’un Philip Glass possédé, symphonie d’images abasourdissantes, délire vertigineux qui plane, virevolte autour d’un monde complètement cinglé (et qui pourtant est le nôtre), s’interroge solennellement sur le sort de tout et de rien (humains, faune, flore, technologie, pollution, urbanisme, capitalisme, consommation, télévision, vie, mort). On suit la genèse de la vie à travers les milles et une caméras de Reggio, qui nous entraîne à travers les grottes primitives, les déserts immémoriaux, les chutes insondables, les plaines fécondes, l’air, l’eau, le ciel, la Terre... Et soudain, la trace de l’invasion humaine dans ce domaine sacré apparaît sous nos yeux ébahis. Pylônes et centrale hydro-électrique à l’affût. La musique s’accentue, devient plus lourde et mathématique (Bach version robot). On suit ces fils qui mènent droit à la civilisation, lieu d’habitation que l’homme, tel un Dieu, s’est sculpté à sa mesure. Les gratte-ciels, grandioses et inquiétants, projettent l’infini bleuté du firmament sur la ville. On voit alors l’évolution de l’homme à travers cet univers de béton, de rues bruyantes, de buildings à perte de vue, de stations de métro bondées, d’usines ultra productives, de magasins où sont entassées des postes de télévisions vomissant une surdose d’informations, de quartiers abandonnés qu’on dynamite pour mieux les reconstruire, de smog, de voitures, d’autobus, d’avions, de richesse, de pauvreté… Le film explore la routine quasi-schizophrénique de ce ballet urbain, où l’homme en vient à alimenter sa propre création, ce bébé métallique qui est toujours plus affamé et exigeant... Avec son regard shooté aux amphétamines et ses accélérés hypnotiques, Reggio transforme la cité en un gigantesque organisme vivant, dont les autoroutes nocturnes seraient les vaisseaux sanguins. Alors que l’œil magique nous fait voyager à bord d’une voiture allant à quatre mille à l’heure ou nous assoit sur une chaîne de montage (pour voir la vie à travers les yeux d’un produit), l’œuvre ténébreuse / lumineuse de Philip Glass monte en intensité, encore et encore, merveilleusement, avant d’éclater dans un paroxysme orgiaque. Hommage ET critique du monde dans lequel nous vivons, « Koyaanisqatsi » est une expérience cinématographique singulièrement passionnante.


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L'Eclisse

L’Éclipse, succédant à "L'Avventura" et "La Notte", est le parachèvement d’une trilogie capitale où Antonioni explore le thème des relations et des sentiments humains dans un 20ème siècle où l’incommunicabilité, la déshumanisation et la solitude règnent en maître. Affranchis de l’endoctrinement complet de la religion et de l’ordre établi, les hommes et les femmes modernes doivent apprendre à cohabiter ensemble dans un univers changeant, à explorer leurs mondes intérieurs, à trouver un sens à leur existence, à vivre, à aimer, à souffrir, à pleurer... Bref, à correspondre à quelque chose, ce qui n’est pas toujours chose facile. Ce ne l’est pas pour Vittoria (fantomatique Monica Vitti), qui, au terme d’un échec amoureux, erre sans repères dans une Rome désertique et glaciale, en quête d’un ailleurs pas encore défini... Sur sa route incongrue, elle rencontrera Piero (néant sous forme d’Alain Delon), agent de bourse, avec qui elle croira un moment à un bonheur possible avant de réaliser que cette relation potentielle est vouée à l’échec, tant les deux partis sont incapables de ressentir la moindre petite parcelle d’émotion. C’est ça, L’Éclipse : le plus ahurissant constat de vide sentimental jamais exprimé à travers le 7ième art. Un grand vertige cinématographique, mué par la mélancolie, la vision singulière et l’âme (chargée de doutes) d’un des plus grands philosophe-cinéaste de tous les temps (avec ses frères spirituels Bergman, Tarkovsky et Herzog)... C’est aussi une œuvre éminemment artistique. Plans surréels de cette ville dépeuplée, vue sous l’angle de la modernité, avec le spectre de la guerre froide (« guerra atomica ») qui plane au dessus. Silence pesant, vaguement inquiétant, entrecoupé de ces divagations musicales avant-gardistes et austères. Photographie aussi irréelle que magnifique (la magie du noir et blanc). Et que dire de cette scène finale sinon qu’elle est l’une des plus intenses, des plus incroyables, des plus énigmatiques et des plus belles qu’il m’ait été donné de voir dans ma courte vie.



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Avalon

Welcome to Avalon. Bienvenue dans le 21ième siècle. Ne laissez pas votre cerveau à la porte. Vous en aurez besoin. Votre cœur et votre âme vous seront utiles aussi. Seuls avec ces éléments biens en place dans votre entité corporelle (ou virtuelle) pourrez-vous un tant soit peu percer le chef d’œuvre métaphysique de Mamoru Oshii. Avalon, c’est l’aboutissement des thèmes et des préoccupations de la Science-Fiction durant tout le siècle précédant. Juste ça. Le principe de réalité, l’existentialisme + les différentes formes et anti-formes d’existence, la place grandissante de la technologie dans nos vies, le contrôle insidieux qu’exerce les pouvoirs établis (ou secrets) sur nos destinées et pensées, la philo, la psycho, la religion, la politique, la culture et j’en passe... À travers chaque image sépia d’« Avalon », je m’interroge sur ma propre existence. Le monde dans lequel je crois vivre existe-il vraiment ? Suis-je le seul à expérimenter cette dite réalité de cette façon particulière ? Est-ce que les gens et les objets qui m’entourent ne sont que des figurants et des décorations placés sur ma route par un malin génie ? Suis-je réel ? Suis-je moi ? Suis-je un songe, une divagation informatique, une série de chiffre alignés les uns à côté des autres ? Devant l’âpreté d’un monde réel souvent inhumain, ne vaut-il pas mieux vivre dans mon imagination, mon propre monde façonné à même mon idée utopique de la liberté ? Et ainsi de suite (je pourrais continuer loooooongtemps). Avalon renferme tout ça et bien plus encore. C’est un trésor brillant de milles feux, sous forme de labyrinthe cérébral. Avalon, c’est une plongée géniale dans la zone « tarkovskienne » (Stalker, quand tu nous tiens) où tout est possible (mais tout est dangereux). C’est le « 2001 » ou le « Blade Runner » injustement méconnu de notre génération. Ça déchire complètement le pitoyable Matrix, le faisant passer pour un vulgaire exercice de style. C’est une photo parfaite, une actrice sublime, des effets spéciaux remarquables, la musique céleste de Kenji Kawai qui vous file des malins petits frissons, une ambiance indescriptible, une finale « opéra-réalité-oui-non-fantôme-couleur-silence-fusils-sourire-énigmatique » qui provoque un choc violent de tous les sens et avant tout : un scénario profondément intelligent, qui peut-être interprété d’une infinité de façons... Je ne m’en suis pas encore remis.


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Eternal Sunshine of the Spotless Mind

Au premier visionnement, "Du Soleil Plein la Tête" peut sembler n'être qu'un bon petit délire cinématographique tout ce qu'il y a de plus sympathique, avec une histoire passablement éclatée (Charlie Kaufman est de la partie), des interprètes géniaux (Jim Carrey, Kate Winslet, Mark Ruffalo, Kirsten Dunst, Elijah Wood, Tom Wilkinson), des personnages touchants, une musique sublime et de l'expérimentation visuelle à foison... On se dit qu'on a affaire à un divertissement intelligent, rien de plus, rien de moins... Mais c'est au fil des écoutes (nombreuses pour ma part) que ce petit film du français Michel Gondry se révèle être un chef d'œuvre de surréalisme et de profondeur insoupçonnée, une fresque onirique monumentale qui vous secoue l'âme comme un cocotier, une merveille du 7ième art qui me procure cette sensation de bien-être cinématographique (un genre de flottement spirituel) à chaque visionnement ponctué de nouvelles découvertes ahurissantes...

À mi-chemin entre la comédie absurde, le drame de couple (Bergman sous les tropiques) et la science-fiction, "Eternal Sunshine" est un road-movie de la matière grise, une ballade cérébrale inversée dans la mémoire de Joel Barish (Jim Carrey, absolument génial et touchant dans la peau d'un introspectif mélancolique) qui a décidé de faire effacer tout souvenir d'une relation tragique avec la belle Clementine Kruczynski (Kate Winslet, superbe sauvageonne délurée) après que cette dernière lui ait rendu la pareille. Le tout commence par la visite burlesque des techniciens un brin immatures de Laguna (la petite entreprise qui permet ce nouveau procédé technologique improbable) qui se mettent à l'œuvre sur le pauvre crâne de notre ami dépressif. On vit alors avec lui l'érosion (à rebours) de ses souvenirs tumultueux, de la rupture, des engueulades perpétuelles, des silences inconfortables, des regards froids et inexpressifs... bref, de tout ce qu'il y a de laid dans un couple moribond. Et ensuite, alors qu'on remonte dans le temps, on voit le beau de la relation : la complicité, la tendresse, la caresse, la confiance, la sincérité, l'émotivité à fleur de peau, ces moments magiques où on croit qu'on ne fait qu'un avec l'autre... Et là, notre pauvre protagoniste voit avec horreur l'inoubliable fondre sous ses yeux, impuissant. S'ensuit une véritable course à la montre pour la sauvegarde de ce patrimoine émotif. L'euphorie du cinéma survient et Gondry nous amène avec lui dans une aventure inoubliable.

"Eternal Sunshine" est un film beau, tendre, drôle, triste et profondément humain. C'est le genre de film qui aurait fait sourire ce bon vieux Sigmund Freud... Et surtout, "Eternal Sunshine" est peut-être le plus beau film sur l'amour et la mémoire. Son message, caché sous dix tonnes d'artifices, est tout simple : chaque expérience humaine est essentielle, de ce fait qu'elle nous permet d'apprendre plus sur nous, de nous améliorer, d'évoluer dans cette drôle d'occupation qu'on appelle la vie. Et même une relation amoureuse s'étant très mal terminée comporte sa part de magnifique. À travers nos existences, il faut apprendre à chérir les bons moments et à transcender les moins bons, même si cela est parfois dur...


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Le Notti di Cabiria (Les Nuits de Cabiria)

Dernier film néoréaliste de Fellini (avant les oeuvres charnières que sont "La Dolce Vita" et "8 1/2") avec une Giulietta Masima en état de grâce, adorable, mignonne comme tout, naïve, drôle, tragique et si authentique dans le rôle (difficile) de cette prostituée au tempérament explosif qui, malgré les milles et unes embûches et trahisons qui pavent le chemin de sa vie, ose toujours rêver à mieux ; à une existence sereine avec un homme qui l'aimerait pour qui elle est réellement. D'ailleurs, Fellini dépeint de belle façon la cruauté dont est capable le mâle, qui bien souvent, exploite, vole, ment, triche, met de l'avant ses biens matériels et joue la comédie pour parvenir à ses fins. Critique habile d'une société italienne en pleine évolution où la prostituée est bien souvent plus pure que ses clients.

Et que dire de ces scènes inoubliables et de ces plans savoureux ? Le grandiloquent pèlerinage à la Vierge, où Cabiria livre ses tourments existentiels à la Sainte-Mère, entourée de gens malheureux (voir même pitoyables) qui cherchent eux aussi un sens à leur vie. Ce mambo approximatif dans un club chic et enfumé où elle ne pensait jamais mettre les pieds. L'électricité spectrale des réverbères illuminant ces magnifiques nuits urbaines où notre petit brin de femme attend un hypothétique client sur son bout de trottoir. Cette brève visite dans les bidonvilles romains, où, fascinée, elle suit un homme bienfaiteur mystérieux distribuer des denrées aux pauvres gens. Cette scène "hitchcockienne" sur le promontoire dominant la mer, où, trahit par celui qu'elle croyait être l'homme de sa vie (un François Perrier remarquable), elle explose en pleurs et le supplie de la tuer. Intense moment... Et surtout, ce final qui laisse présager les œuvres surréalistes du maître : Après cet ultime abandon, Cabiria, larme dessinée sous l'œil gauche, le cœur au bord du naufrage, dépouillée de sa fortune, erre dans cette nuit et se retrouve encerclée par une bande de joyeux musiciens saltimbanques... Et elle sourit timidement à la caméra. Grand moment de cinéma (peut-être le plus grand).

Un film splendide, qui nous habite et nous hante longuement... Fellini nous montre l'humanité des écorchés et des oubliés de notre monde et ce, sans jamais sombrer dans le misérabilisme nihiliste. Et Giulietta Masima, sorte d'équivalent féminin à Charlie Chaplin, livre une des plus belles performances d'acteurs de tous les temps.


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Barry Lyndon

Alors qu’en compagnie de moi-même, je discutais (oui, je suis un peu cinglé) des films à inclure dans ce top 20, ce qui en partant n’était pas une mince tâche, je savais dès le départ que j’y inclurais un Kubrick. Évidence même. Après tout, un top cinéma sans le maître, ce n’est pas très sérieux (voir même potentiellement offensant). Mais il s’agissait de choisir lequel ! Damnation... J’hésitais d’abord entre les grandeurs extatiques de « 2001 » (quelle expérience tout de même ; il est nécessaire de le mentionner) et la folie proto-cyber-punk de « L’Orange mécanique » (peut-être le film que j’ai regardé le plus grand nombre de fois dans mon adolescence trouble – je connais toutes les répliques par coeur). Puis je me suis posé la question : quel film de Kubrick m’a le plus touché ? Après maintes réflexions métaphysiques, j’en suis arrivé à une réponse.

Barry Lyndon. LE chef d’œuvre mal aimé (surtout incompris) du colérique barbu. Film épique empreint d’une beauté visuelle saisissante, « Barry Lyndon » est carrément à part dans la filmographie du réalisateur. Ici, Kubrick redéfinit complètement un genre, le film historique, lui greffant un cœur (émotivité à fleur de peau des personnages) et une profondeur unique, où chaque image devient un tableau vivant sous nos regards éberlués. Il faut aussi noter tout le travail nécessaire pour engendrer une telle création : recherches historiques pour recréer l’Europe du XVIIIe siècle avec le plus d’authenticité possible, créations de costumes somptueux et élaborés, localisation des lieux de tournages idéaux pour un film tourné essentiellement en décor naturel (et uniquement avec l’apport de l’éclairage naturel !), etc... Le tournage et le travail de montage d’une telle œuvre s’étalèrent sur plus de trois ans.

Pendant 3 heures envoûtantes, on suit la montée et l’impitoyable chute d’un homme (Redmond Barry, interprété avec brio par le Leonardo DiCaprio de son époque, Ryan O’Neal), qui, assoiffé de succès et de richesse, va progressivement perdre son humanité à travers l’aventure de sa vie (qui le mènera à travers l’Irlande, l’Allemagne et l’Angleterre) avant d’être dépossédé de tout le reste dans un final grandiose, porté par les airs tragiques de la Sarabande de Händel. Bien plus qu’un commentaire cynique sur la quête de pouvoir, « Barry Lyndon » est le plus touchant constat sur la fatalité, le temps qui passe, insaisissable et sans pitié, érodant les âmes et les corps au gré des saisons. Le héros, jeune homme insouciant et courageux qui évolue en seigneur glacial et manipulateur, demeure un des personnages les plus fascinants de l’histoire du cinéma. « Barry Lyndon » est un film profondément émouvant, qui subjugue et dont on se délecte longuement.


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Virgin Spring (La Source)

Karin, fille unique de Tore et de Mareta, a revêtu sa plus belle robe pour aller porter des cierges à l'église du village voisin. Inger, fille adoptive et servante est chargée de l'accompagner. En cours de route, elle s'attarde chez un vieux passeur, grand prêtre du culte d'Odin. La jalousie et la haine qu'Inger porte à Karin se manifestent dans un rituel de sorcellerie qui doit provoquer un mauvais sort. Pendant ce temps, Karin rencontre deux bergers accompagnés d'un enfant. Elle les invite à partager son repas, mais elle est violée et tuée. À la tombée de la nuit, les assassins demandent l'hospitalité à la ferme de Tore. Les parents s'inquiètent du retard de leur fille. Ils découvrent bientôt l'horrible vérité lorsque les bergers proposent de leur vendre la robe de Karin.

Le voilà le "Rape & Revenge Movie" de Ingmar Bergman. L'oeuvre qui fut adapté 13 ans plus tard par Wes Craven (et qui devint "La dernière maison sur la gauche..."). Et pourtant, la version de Bergman, pourtant plus artistique et onirique, est tellement plus dure, plus impitoyable, plus violente, plus intense (on est juste en 1960 !!!). "La Source" est d'abord un film moyenâgeux superbe, mué par les images magistrales d'un cinéaste en pleine extase. La vieille maison de bois, la grange poussiéreuse, les forêts nordiques, les collines, les plaines, la neige qui tombe gracieusement : tout est magnifique. Et c'est dans ce décor somptueux que va se dérouler cette histoire d'horreur absolue. Le viol et le meurtre de la jeune Karin sont montrés avec une froideur saisissante. C'est la même chose pour celui des deux assassins et du jeune garçon, pourtant innocent et plein de remords (il en est malade physiquement, suite aux actes de ses deux supposés frères). Le meurtre n'est pas un beau geste et ça, le cinéaste suédois nous le montre de la plus brutale façon.

"Virgin Spring" est un film sur le côté sombre de l'être humain, cet instinct barbare qui existe en chacun de nous et qui peut être éveillé par l'innommable. C'est aussi un chef d'oeuvre existentiel sur la foi (Paganisme contre Christianisme), le pardon, la vengeance (évidemment), la colère, la rédemption... Plusieurs thèmes qui sont chers à Bergman (possiblement le réalisateur qui a su le mieux montrer l'humain dans toute sa profondeur, ce qui n'est pas une mince affaire). Il s'agit là d'un film puissant, porté par des acteurs fabuleux (en particulier Max von Sydow qui incarne le père), une direction exemplaire, des images inoubliables, une musique à donner le frisson et une fin ouverte qui pousse au questionnement. À l’instar d’un Nietzsche, Bergman filme à coups de marteau.


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Twin Peaks: Fire Walk With Me

D'abord, il y eu la série télé (probablement la meilleure de tous les temps). 30 épisodes de délire lynchien, d'euphorie imagée, de noirceur brute, d'angoisse, de mystères non résolus, de surréalisme en rideaux rouges, de retournements de situations impossibles... Bref, un pur bonheur pour le spectateur avide d'étrange que je suis. Twin Peaks, c'est une petite bourgade et ses sombres secrets, c'est aussi l'enquêteur Dale Cooper et son obsession pour le Dalaï Lama, l'insondable Laura Palmer, sa mort, l'affreux Bob, la chambre rouge, le géant, les rêves, le nain dansant et parlant à l'envers, les milliers de beignets, la délicieuse tarte aux cerises du "Double-R", le café aussi noir que "minuit lors d'une nuit sans lune", l'électricité qui déconne lorsque l'étrange vient frapper à la porte et cette pléiade de personnages tous plus géniaux (et bizarres) les uns que les autres. Oui, Twin Peaks est grand, très grand.

Et puis, il y eu le film. Putain de choc cinématographique. Avec "Fire Walk with me", David Lynch veut boucler la boucle sur la série (qui fut malheureusement mis à mort avant son véritable dénouement). Il nous entraîne à l'origine de l'histoire, aux racines mêmes de Twin Peaks : l'épopée tragique de Laura Palmer ; les sept derniers jours dans la vie de cette jeune fille qui est au coeur même de la saga. S'ensuit un film bouleversant à souhait, terriblement émouvant, infiniment sombre et torturé (beaucoup plus que la série) et pourtant si beau. C'est le chef d'oeuvre ultime d'un réalisateur que j'admire beaucoup.

Lynch nous propose un déluge insensé d'images ensorcelantes et d'atmosphères hypnotiques, une ballade insolite dans ce monde à mi chemin entre le réel et l'impossible (et empreint d'une richesse infinie), une multitude de personnages magnifiques et insensés (à noter le passage incompréhensible d'un David Bowie possédé), une structure non-narrative qui part dans tous les sens (passé-présent-rêve-cauchemar-flashback-lumière!), des effets spéciaux époustoufflants, des passages dignes d'une toile du Dali américain (Lynch), une bande son doom-jazzy absolument merveilleuse (merci monsieur Badalamenti), un malaise qui monte monte monte (encore et encore), de la violence, de l'érotisme, de l'humour noir, du polar, de l'amour, un brin de "high school" drama, des lumières qui explosent, de la drogue, des mégots de cigarettes qui scintillent lugubrement sous le stroboscope omniprésent, des plans de cette nature montagneuse superbe avec ses milliers d'arbres inquiétants, des dimensions parallèles, des questions avec et, en guise de réponse, d'autres énigmes à n'en plus finir... Il y a tout ça dans "Fire Walk With Me" ; et bien plus encore. Car Twin Peaks, c'est bien plus qu'un film parfait. C'est un univers complexe et incomplet, où chaque personne peut interpréter ce qu'il veut à sa façon, se plonger corps et âme dans un aspect ou plusieurs (ou tous, pour ma part). Bref, ça déchire à fond et chaque écoute est pleine de nouvelles surprises.

Puis "Fire Walk With Me", c'est aussi la performance exemplaire de Sheryl Lee en tant que Laura Palmer (LA vierge sacrificielle la plus schizophrène de tous les temps). Celle qu'on avait uniquement entrevu en quasi-figuration dans la série crève ici l'écran de tout son large et de tout son long... Elle incarne ce rôle pour le moins exigeant avec brio. À la fois intense, confuse, douce, froide, terrifiante, apeurée, résolue, hystérique et énigmatique, cette Laura Palmer nous est offerte comme un cadeau des cieux (et on se délecte, larme à l'oeil, de la voir finalement libérée des forces du mal à la fin).

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Alphaville


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Zerkalo (Le Miroir)


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Aguirre: La Colère de Dieu


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Sans Soleil


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The New World