paul valery

PAUL VALERY

Référence pour les citations #1 à #88 :

/VALERY / TEL QUEL 2/
idées / 1943/



1- " rreur ridicule de Rousseau : - Prendre pour une vérité une envie d'aller aux champs. - Prendre un mouvement et un moment de mouvement pour un "idéal". " Rhumbs, p.18


2- " Celui qui, enchaîné à la ville, désire l'arbre et l'odeur des terres - il appelle Nature la campagne. Mais il y a d'atroces campagnes et il la voit toute fraîche et toute bonne. " Rhumbs, p.18


3- " L'imagination du désir ne voit jamais qu'un coin, - un fragment favorable des choses ... qui voit tout ne désire rien et tremble de bouger. " Rhumbs, p.18


4- " Je ne puis penser que la "Nature" était inconnue avant Rousseau ; ni la méthode avant Descartes ; ni l'expérience avec Bacon ; ni tout ce qui est évident avant quelqu'un. - Mais quelqu'un a battu le tambour. " Rhumbs, p.18


5- " Le jeu c'est : l'ennui peut délier ce que l'entrain avait lié. " Rhumbs, p.19


6- " La conscience semble un miroir d'eau d'où tantôt le ciel, tantôt le fond, viennent vers le spectateur [...] " Rhumbs, p.20


7- " L'art est aussi mauvais que l'amour. L'art et l'amour sont criminels en puissance, - ou ne sont pas. " Rhumbs, p.24


8- " [...] meurtre de soi-même qui est imposé par les circonstances [...] On supprime l'ensemble et l'avenir pour supprimer le détail et le présent. On supprime toute la conscience, parce qu'on ne sait pas supprimer telle penser. " Rhumbs, p.26


9- " L'histoire des hommes est une collection de solutions grossières. Toute nos opinions, la plupart de nos jugements, le plus grand nombre de nos actes sont de purs expédients. " Rhumbs, p.26


10- " La signification d'une contradiction logique qui oppose deux courants d'idées n'apparaît pleinement que si l'on remonte à leur source, à l'intuition, à la décision originelle qui les rend possible. " Rhumbs, p.28


11- « Il y a donc un instinct qui distingue et amplifie la différence de la probabilité avec la certitude, et qui exploite contre les lois, contre les forces, contre l’évidence même, les moindres défauts de la connaissance que nous en avons. » Rhumbs, p.29


12- « On se réfugie dans ce qu’on ignore. On s’y cache de ce qu’on sait. L’inconnu est l’espoir de l’espoir. La pensée cesserait avec l’indétermination. L’espoir est l’acte qui crée de l’ignorance, change le mur en nuage. » Rhumbs, p.29-30


13- « Brièvetés. L’action est une brève folie. Ce que l’homme a de plus précieux est une brève épilepsie. Le génie tient dans un instant. L’amour naît d’un regard ; et un regard suffit pour engendrer une éternelle haine. » p.30-31


14- « L’idée que le temps est de l’argent est le comble de la vilenie. Le temps est de la maturation, de la classification, de l’ordre, de la perfection. Le temps construit un vin et la valeur d’un vin [...] » p.31


15- « Le pouvoir et l’argent ont le prestige de l’infini ; ce n’est pas telle chose, telle faculté que l’on désire précisément posséder [...] Mais c’est le vague du pouvoir qui fait le grand désir, - parce que je ne sais jamais ce que je pourrais venir à désirer. » p.33


16- « La politique est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde. » p.34


17- « L’homme de goût est une manière d’incrédule. Il ne croit pas à la surprise : unique loi des arts modernes. Car la surprise est une chose finie. » p.34


18- « La tendance la plus naïve est celle qui fait découvrir la « nature » tous les trente ans. » p.37


19- « L’homme ne se développe et ne déploie ses ressources que pour défendre sa particularité et l’imposer aux autres. » p.36


20- « Du moment que les sentiments s’expriment en termes finis, ils sont sur leur fin. » p.38


21- « (Napoléon, César, Frédéric, - hommes de lettres, éminemment doués pour la manœuvre des hommes et des choses – par les mots.) » p.40


22- « L’humanité s’en tirera comme elle pourra. L’inhumanité a peut-être un bel avenir... » p.41


23- « Il y a des tempéraments qui en « rajoutent ». Ils renforcent leurs émotions comme s’ils avaient le sentiment qu’elles ne sont pas assez pénibles – assez prolongées. Ils ne les peuvent laisser à leur intensité. Ce sont des résonateurs. Ils vont à l’exaspération. » p.44


24- « L’idéal est une manière de bouder. » p.44


25- « Esprit et pensées, vous seriez donc des puissances d’emprunt, comme des biens extérieurs, des armes surajoutées, et des parures qui se détachent ? Sa volonté reste toute nue, misérablement seule.
Mais il lui demeure cette lueur : que l’on peut perdre tout ceci, mais connaître qu’on l’a perdu.
C’est là le dernier atout de la connaissance. Tout se joue sur ce désespoir déclaré, suprême étincelle de l’âme et suprême occasion de tout regagner, et de relever tout le feu de l’intellect qui allait s’éteindre. » p.46


26- « Il y a donc deux écueils, deux manières de s’égarer et de périr : l’adaptation trop exacte au public ; la fidélité trop étroite à son propre système. » p.48


27- « Ce qui étonne dans les excès des novateurs de la veille, c’est toujours la timidité. » p.49


28- « Paradoxe. L’homme n’a qu’un moyen de donner de l’unité à un ouvrage : l’interrompre et y revenir. » p.50


29- « Est poète celui auquel la difficulté inhérente à son art donne des idées, - et ne l’est pas celui auquel elle les retire. » p.50


30- « Les dieux nous gardent du délire prophétique !
Je vois surtout dans ces transports, le mauvais rendement d’une machine – la machine imparfaite. Une bonne machine est silencieuse. Les masses excentrées ne font pas vibrer l’axe. – Parler sans crier. » p.51


31- « Un homme très vif, très intelligent, néglige son style, comme il se permet des folies et se moque de ce qu’il possède. » p.52


32- « Qui dit : Œuvre, dit : Sacrifices.
La grande question est de décider ce que l’on sacrifiera : il faut savoir qui, qui, sera mangé. » p.52


33- « Toute œuvre est l’œuvre de bien d’autres choses qu’un « auteur ». » p.53


34- « Je connais la littérature pour l’avoir interrogé à ma guise. (Et seulement ainsi.) » p.53


35- « Littérature. L’auteur a l’avantage sur le lecteur d’avoir pensé d’avance ; il s’est préparé, il a eu l’initiative. Mais si le lecteur lui reprend cet avantage ; s’il connaissait le sujet ; si l’auteur n’a pas profité de son avance pour approfondir et se mettre loin sur la route ; si le lecteur a l’esprit rapide – alors tout l’avantage est perdu, et il reste un duel d’esprits, mais où l’auteur est muet, où la manœuvre lui est interdite... Il est perdu. » p.53


36- « Ce que tu fais le mieux [en littérature], cela est un piège inévitable. » p.54


37- « Il y a quelque chose de plus précieux que l’originalité, c’est l’universalité. Celle-ci contient celle-là [...] » p.54


38- « Il est essentiel pour l’artiste qu’il sache s’imiter soi-même. C’est le seul moyen de bâtir une œuvre, - qui est nécessairement une entreprise entre la mobilité, l’inconstance de l’esprit, de la vigueur, et de l’humeur. L’artiste prend pour modèle son meilleur état. Ce qu’il a fait de mieux (à son jugement) lui sert d’étalon de valeur. » p.56


39- « La gloire d’aujourd’hui dore les œuvres du passé avec la même intelligence qu’un incendie ou un ver dans une bibliothèque en mettent à détruire ceci ou cela. » p.57


40- « [...] deux sortes de grands hommes : - les uns, qui donnent aux gens ce qui plaît aux gens ; les autres, qui leur apprennent à manger ce qu’ils n’aiment pas. » p.58


41- « Écrire pour le lecteur « intelligent ».
Pour celui à qui ni l’emphase, ni le ton n’en imposent.
Pour celui qui va : ou vivre votre idée, ou la détruire ou la rejeter [...] » p.58


42- « L’intelligence doit être présente ; soit cachée, soit manifestée. Elle nage en tenant la poésie hors de l’eau. » p.59


43- « Critiques. Le plus sale roquet peut faire une blessure mortelle ; il suffit qu’il ait la rage. » p.59


44- « Les règles nous enseignent par leur arbitraire que les pensées qui nous viennent de nos besoins, de nos sentiments, de nos expériences, ne sont qu’une petite partie des pensées dont nous sommes capables. » p.62


45- « La puissance des vers tient à une harmonie indéfinissable entre ce qu’ils disent et ce qu’ils sont [...] L’impossibilité de définir cette relation, combinée avec l’impossibilité de la nier, constitue l’essence du vers. » p.63


46- « Rien de beau ne se peut résumer. Les barbares pédagogues résument et font résumer des œuvres dont l’absurdité de les résumer est l’essence même. Leurs squelettes de l’Énéide ou de l’Odyssée sont privés des mouvements et des forces et des grâces [...] » p.65


47- « On appelle ces monstres [-les héros littéraires-] des exemplaires éternels d’humanité ! Ils ne sont que des résidus – des résumés de ce q’on trouvait d’intéressant dans l’homme à telle époque. » p.66


48- « Il n’y a pas de doctrine vraie en art, parce qu’on se lasse de tout et que l’on finit par s’intéresser à tout. » p.67


49- « Le genre le plus ennuyeux que l’on puisse trouver dans l’histoire littéraire n’est jamais tout à fait mort. Il reviendra, - comme remède à l’ennui que le genre le plus excitant finira bien par atteindre. » p.67


50- « Le type orateur se sert d’images insoutenables.
Magnifiques en mouvement, ridicules au repos. » p.68


51- « La logique ne fait peur qu’aux logiciens. » p.69


52- « Le martyr : J’aime mieux mourir que de... réfléchir. » p.69


53- « Pas de « vérité » sans passion, sans erreur. Je veux dire : la vérité ne s’obtient que passionnément. » p.69


54- « Le mensonge sera souvent le péché du questionneur lequel rend la vérité dangereuse. » p.70


55- « Un homme franc est un homme qui a des réactions simples. Son système de relation est un système de « plus courts chemins ». On pourrait reconnaître la franchise d’un homme à bien d’autres marques que dans ses modes d’agir à l’égard des autres hommes. Mais d’abord dans ses réactions devant n’importe quel objet et dans n’importe quelles circonstances. » p.70


56- « Nos plus importantes pensées sont celles qui contredisent nos sentiments. » p.70


57- « L’esprit, me disait un homme d’esprit, ce n’est que la bêtise en mouvement ; et le génie, c’est la bêtise en fureur. – Agitez-vous, lui dis-je. Irritez-vous, mon cher... » p.71


58- « Le jugement d’un croyant sur la pensée d’un incroyant, et le jugement réciproque ne comptent pas. » p.71


59- « Le débat religieux n’est plus entre religions, mais entre ceux qui croient que croire à une valeur quelconque, et les autres. » p.71


60- « On parle volontiers de ce qu’on ignore. Car c’est à quoi l’on pense. Le travail de l’esprit se porte là, et ne peut se porter que là. » p.72


61- « Types d’esprits. Les uns ont le mérite de voir clairement ce que tous voient confusément. Les autres ont le mérite de voir confusément ce que personne ne voit. La réunion de ces mérites est très rare. » p.73


62- « Ce n’est rien de surmonter le banal. On réagit contre des sottises par des folies. » p.73


63- « Le défi. Vous n’êtes pas pratique, - pas bon, pas sérieux, etc. – Non, Monsieur, car je ne suis rien – dans mon état ordinaire. – Au repos, je ne suis ni ceci ni cela... Mais il ne faudrait pas me défier d’être bon, pratique, et le reste... Donnez-m’en le besoin. » p.74


64- « Comment peuvent-ils supporter de rester dans leur opinion aussitôt qu’elle sonne, et devient distincte de e qui crée ? » p.75


65- « Ce n’est le nouveau ni le génie qui me séduisent, - mais la possession de soi. – Et elle revient à se douer du plus grand nombre de moyen d’expression, pour atteindre et saisir ce Soi et n’en pas laisser perdre les puissances natives, faute d’organes pour les servir. » p.76


66- « Je dispose de ce bien, et il est comme je pensais. Mais il y manque pourtant quelque chose. – Son absence – cette force de se faire imaginer. » p.78


67- « Conspiration. On voudrait unir entre eux tous ceux pour qui l’on pense, et auxquels nous offrons en nous-mêmes nos meilleures pensées. Une œuvre devrait être le monument d’une telle union. » p.79


68- « Les médiocres esprits deviennent toujours habiles, ne cessant de parcourir leur médiocre lieu. Mais celui qui d’habile se fait gauche... voilà l’homme. » p.79


69- « J’aime la pensée comme d’autres aiment le nu, qu’ils dessineraient toute leur vie. » p.80


70- « La vie des parties de l’être vivant déborde la vie de cet être. Mes éléments, même ceux de mon esprit, sont plus antiques que moi. – Mes mots viennent de loin. – Mes idées, de l’infini. Infini de combinaisons de cet ordre. » p.80


71- « Le suicide est comparable au geste désespéré du rêveur pour rompre son cauchemar. Celui qui par effort se tire d’un mauvais sommeil, tue ; tue son rêve. Se tue rêveur. » p.92


72- « Je me confonds à la douce chaleur de ma couche. Tout est possible à l’homme qui se tourne et se retourne entre la veille et le sommeil. Il peut prendre à droite ou à gauche. Sa substance de hasards est toute chaude encore ; les songes sont tout prêts à servir. De l’autre côté, il voit ses forces et ses actes. » p.97


73- « La quantité n’est rien pour l’esprit. Elle est tout pour le sens. Rien pour l’esprit, le géomètre l’ignore et s’absorbe dans les formes qu’il enfante. » p.108


74- « châtiments... ET POUR TA PUNITION, TU FERAS DE TRÈS BELLES CHOSES. Voilà ce qu’un Dieu, qui n’est pas du tout Jéhovah, dit véritablement à l’homme, après la faute. » p.121


75- « Travailler son ouvrage, c’est se familiariser avec lui, donc avec soi ; et il y a quelque chose d’étrange dans cette éducation échangée avec ce qui vient de venir. » p.121


76- « [...] mon esprit s’enrichit de différence bien plus que de ressources positives importées [...] C’est que l’esprit vit de différence, l’écart l’excite ; le défaut l’illumine ; la plénitude le laisse inerte. » p.122


77- « Celui qui vient d’achever une œuvre tend à se changer en celui capable de faire cette œuvre. Il réagit à la vue de son œuvre par la production en lui de l’auteur. – Et cet auteur est fiction. » p.122


78- « L’œuvre modifie l’auteur. A chacun des mouvements qui la tirent de lui, il subit une altération. Achevée, elle réagit encore une fois sur lui [...] De même un enfant finit par donner à son père l’idée, et comme la forme et la figure de la paternité. » p.122


79- « Avis. Nous sommes tous voués à devenir ennuyeux. » p.124


80- « Tout n’est pas faux dans ce qui fut abandonné. Tout n’est pas vrai dans ce qui se révèle. » p.124


81- « Don Juan non seulement séduisait, mais ne décevait point ; et (ce qui est bien autre chose que de séduire), il laissait désespérées les femmes après soi. C’est là le point. » p.126


82- « Philosopher en vers, ce fut, et c’est encore, vouloir jouer aux échecs selon les règles du jeu de dames. » p.127


83- « Plagiaire celui qui a mal digéré la substance des autres : il en rend les morceaux reconnaissables. L’originalité, affaire d’estomac. » p.128


84- « Que le poète multiplie tout ce qui sépare les vers de la prose. L’homme exalté ou ému croit que son verbe est un vers, et que tout ce qu’il place par le ton, la chaleur et le désir dans sa parole, s’y trouve et se communique. Mais c’est l’erreur commune en fait de poésie. Les mauvais vers sont faits de bonnes intentions. » p.128


85- « Il y a plus de bons vers faits froidement qu’il n’en est de chaudement faits ; et plus de mauvais faits chaudement. On dirait que l’intelligence est plus capable de suppléer à la chaleur, que la chaleur à l’intelligence. Une machine peut marcher à faible pression, mais une pression sans machine n’entraîne rien. » p.128


86- « Le sujet d’un ouvrage est à quoi se réduit un mauvais ouvrage. » p.131


87- « Il faut jeter des pierres dans les esprits, qui y fassent des sphères grandissantes ; et les jeter au point le plus central, et à intervalles harmoniques. » p.131


88- « Le moderne semble d’autant plus capable de goûter quoi que ce soit qu’il est moins capable d’attention. » p.132

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