ÉMIL-MICHEL CIORAN

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Référence pour les citations #1 à #9c :

/CIORAN / PRÉCIS DE DÉCOMPOSITION / GALLIMARD / 1966/


1- « […]a vraie mort n’étant pas la pourriture, mais le dégoût de toute irradiation, la répulsion pour tout ce qui est germe, pour tout ce qui s’épanouit sous la chaleur de l’illusion. » p.70


2- « i le vertige devient notre loi, portons un nimbe souterrain, une couronne dans notre chute. Détrônés de ce monde, emportons-en le sceptre pour honorer la nuit d’un faste nouveau. » p.77


3- « […] ous avons peur de l’immensité du possible, n’étant pas préparé à une révélation si vaste et si subite, à ce bien dangereux [la Liberté] auquel nous aspirons et devant lequel nous reculons. » p.76


4- « endant des heures nous étions semblables à des dieux ivres – et, subitement, les yeux ouverts supprimant l’infini nocturne, il nous faut reprendre sous la médiocrité du jour, le ressassement de problèmes incolores […] » p.78


5- « ependant la volonté de miner le fondement de tout ce qui existe produit un désir d’efficacité négative, puissant et insaisissable comme un relent de remords corrompant la jeune vitalité d’un espoir… » p.80


6- « hacun est pour soi-même un dogme suprême ; nulle théologie ne protège son dieu comme nous protégeons notre moi ; et ce moi, si nous l’assiégeons de doutes, et le mettons en question, ce n’est que fausse élégance de notre orgueil : la cause est gagnée d’avance. » p.84


5- « ous sommes tous ridiculement prudents et timides : le cynisme ne s’apprend pas à l’école. La fierté non plus. » p.90


6- « e penseur qui réfléchit sans illusion sur la réalité humaine, s’il veut rester à l’intérieur du monde, et qu’il élimine la mystique comme échappatoire, aboutit à une vision dans laquelle se mélangent la sagesse, l’amertume et la farce […] » p.91


7- « a poésie : divagation cosmogonique du vocabulaire…A-t-on combiné plus efficacement le charlatanisme et l’extase ? » p.97


8- « ais ce jeu est sans limite : chacun de nos désirs recrée le monde et chacune de nos pensées l’anéanti…Dans la vie de tous les jours alternent la cosmogonie et l’apocalypse […] » p.99


9a- « es hommes disent : « tout passe », mais combien saisissent la portée de cette terrifiante banalité ? » p.65


9b- « […]’activité philosophique relève d’une sève diminuée et d’une profondeur suspecte, qui n’ont de prestiges que pour les timides et les tièdes. […] elle est le recours de tous ceux qui esquivent l’exubérance corruptrice de la vie. » p.67


9c- « […]ous ne sommes sûrs que dans notre univers verbal, maniable à plaisir – et inefficace. L’être est muet et l’esprit est bavard. Cela s’appelle connaître. » p.69


Référence pour les citations #10 à #58 :

/CIORAN / HISTOIRE ET UTOPIE / GALLIMARD / 1960/


10- « ivre véritablement, c’est refuser les autres ; pour les accepter, il faut savoir renoncer, se faire violence, agir contre sa propre nature, s’affaiblir […] » p.13


11- « on projet était-il condamnable ? Il exprimait simplement ce que tout homme attaché à son pays souhaite au fond de son cœur : la suppression de la moitié de ses compatriotes. » p.14


12- « quoi bon être connu […]? Nous n’aurons jamais existé pour tant de nos idoles, notre nom n’aura troublé aucun des siècles d’avant nous ; et ceux qui viennent après, qu’importent-ils ? » p.15


13- « u fur et à mesure que mon énergie déclinait, s’accentuait mon penchant à la tolérance […] : étais-je fini ? Il faut l’être pour devenir un démocrate sincère. p.16


14- « la longue, la vie sans utopie devient irrespirable, pour la multitude du moins : sous peine de se pétrifier, il faut au monde un délire neuf. » p.24


15- « es libertés ne prospèrent que dans un corps malade : tolérance et impuissance sont synonymes. » p.27


16- « ésespérément mortelle, dès qu’elle [la liberté] s’instaure elle postule son manque d’avenir et travaille, de toutes ses forces minées, à sa négation et à son agonie. » p.28


17- « our vous qui ne l’avez plus, elle [la liberté] est tout ; pour nous qui la possédons, elle n’est qu’illusion […] » p.28


18- « lors qu’il eût été de son devoir [à l’Europe] de mettre le communisme en pratique, de l’ajuster à ses traditions, de l’humaniser, de le libéraliser, et de le proposer ensuite au monde, elle a laissé à l’Orient le privilège de réaliser l’irréalisable […] » p.29


19- « ’homme inoccupé qui aime la violence sauvegarde son savoir-vivre en se confinant dans un enfer abstrait. » p.35


20- « ne civilisation se révèle féconde par la faculté qu’elle a d’inciter les autres à l’imiter […] » p.44


21- « t si vous ressemblez pourtant aux forcenés qui vous entourent, vous sentez qu’un rien vous en distinguera à jamais ; cette sensation, ou cette illusion, fait que, si vous exécutez les mêmes actes qu’eux, vous n’y mettez pas le même entrain ni la même conviction. » p.72


22- « e troupeau humain dispersé sera réuni sous la garde d’un berge impitoyable, sorte de monstre planétaire devant lequel les nations se prosterneront, dans un effarement voisin de l’extase. » p.72


23- « e savoir, ayant irrité et stimulé notre appétit de puissance, il nous conduira inexorablement à notre perte. » p.75


24- « laignons-le, ayons pitié d’un misérable qui, ne daignant entretenir ses vices ni rivaliser avec personne, demeure en deçà de lui-même et au-dessous de tous. » p.78


25- « a révolution étant son seul luxe, il [le peuple] s’y précipite, non pas tant pour en retirer quelques bénéfices ou améliorer son sort, que pour acquérir lui aussi le droit d’être insolent, avantage qui le console […] » p.81


26- « ’est que la tyrannie précisément, on peut y prendre goût, car […] elle répond aux exigences de notre misère et aux implorations de notre couardise. » p.93


27- « [...]elui qui n’ose se venger envenime ses jours, maudit ses jours, maudit ses scrupules et cet acte contre nature qu’est le pardon. » p.102


28- « a connaissance ruine l’amour : à mesure que nous pénétrons nos propres secrets, nous détestons nos semblables, précisément parce qu’ils nous ressemblent. Quand on n’a plus d’illusions sur soi, on n’en garde pas sur autrui […] » p.105


29- « ui aborde le même domaine ou le même problème que nous attente à notre originalité, à nos privilèges, à l’intégrité de notre existence, nous dépouille de nos chimères et de nos chances. » p.112


30- « i la gloire nous est interdite, ou inaccessible, nous en accusons ceux qui y ont atteint […] : elle nous revenait de droit, nous appartenait et, sans les machinations de ces usurpateurs, elle eût été nôtre. » p.113


31- « a volupté d’être inconnu ou incompris est rare ; cependant, à y bien réfléchir, n’équivaut-elle pas à la fierté d’avoir triomphé des vanités et des honneurs ? au désir d’une renommée inhabituelle [..]? » p.113


32- « ue tant de nos semblables nous surpassent, cette évidence insoutenable nous l’esquivons en nous arrogeant, par une ruse instinctive ou désespérée, tous les talents et en nous attribuant à nous seul l’avantage d’être unique. » p.115


33- « […] oute conviction est faites principalement de haine et, en second lieu seulement, d’amour. » p.119


34- « réer c’est léguer ses souffrances, c’est vouloir que les autres s’y plongent et les assument, s’en imprègnent et les revivent. » p.124


35- « e que nous cherchons, ce que nous quêtons dans le regard des autres, c’est l’expression servile, un engouement non dissimulé pour nos gestes et nos élucubrations […] » p.127


36- « oraliste profiteur, psychologue doublé d’un parasite, le flatteur connaît notre faiblesse et l’exploite sans vergogne. » p.128


37- « [...]a mélancolie, pour discrètes et aériennes qu’en soient les apparences, relève encore du ressentiment : c’est une songerie empreinte d’âcreté, une jalousie travestie en langueur, une rancune vaporeuse. » p.130


38- « a moindre avanie, un regard entaché de quelque restriction, nous ne les pardonnons jamais à un vivant. » p.131


39- « i nous démolissons les certitudes, ce n’est point par scrupule théorique ou par jeu, mais par fureur de les voir se dérober, par désir aussi qu’elles n’appartiennent à personne, dès lors qu’elles nous fuient […] » p.132


40- « e sceptique est le sadisme des âmes ulcérées. » p.132


41- « a sagesse, que rien ne fascine, recommande le bonheur donné, existant ; l’homme le refuse, et ce refus seul en fait un animal historique […] » p.139


42- « a misère est effectivement le grand auxiliaire de l’utopiste, la matière sur laquelle il travaille, la substance dont il nourrit ses pensées, la providence de ses obsessions. Sans elle, il serait vacant ; mais elle l’occupe, l’active […] » p.139


43- « lacé à l’antipode d’un LaRochefoucauld, l’inventeur d’utopies est un moraliste qui n’aperçoit en nous que désintéressement, appétit du sacrifice, oubli de soi. » p.144


44- « ous sommes noyés dans le mal […]; quand il nous arrive de commettre de bons actes, nous en souffrons, pour avoir contrecarré nos mouvements spontanés […] » p.147


45- « ant que le christianisme comblait les esprits, l’utopie ne pouvait les séduire ; dès qu’il commença à les décevoir, elle cherche à les conquérir et à s’y installer. Elle s’y employait déjà à la Renaissance, mais ne devait réussir que deux siècles plus tard, à une époque de superstitions « éclairées » ». p.150


46- « [...]’idée de perfectibilité a pénétré dans nos mœurs : y souscrit celui-là même qui la met en cause. Que l’histoire se déroule sans plus, indépendamment d’une direction déterminée, d’un but, personne ne veut en convenir. » p.153


47- « ous vous preniez pour le dernier des hommes, et voilà que, soudain, surpris et comme illuminé par votre dénuement, vous n’en souffrez plus ; bien au contraire, vous en tirez orgueil ! » p.159


48- « ous lancerions-nous dans la moindre entreprise, sans la persuasion secrète que l’absolu dépend de nous, de nos idées et de nos actes, et que nous pouvons en assurer le triomphe dans un délai assez bref. » p.175


49- « e n’est pas l’acte en lui-même qui l’intéresse [l’homme d’action], mais le but, l’intention de l’acte ; pareillement, le retiendra l’objet, et non le mécanisme de la volonté. » p.177


50- « e révolutionnaire pense que le bouleversement qu’il prépare sera le dernier […] Nous nous agitons parce qu’il nous revient, croyons-nous, d’achever l’histoire, de la clore […] » p.178


51- « ans son dessein général, l’utopie est un rêve cosmogonique au niveau de l’histoire. » p.178


52- « ous n’avons en somme le choix qu’entre une volonté malade et une volonté mauvaise […] » p.180


53- « [...]es inconvénients de la satiété sont incomparablement plus grands que ceux de la misère. » p.181


54- « ’histoire ne serait-elle pas, en dernière instance, le résultat de notre peur de l’ennui, de cette peur qui nous fera toujours chérir le piquant et la nouveauté du désastre, et préférer n’importe quel malheur à la stagnation ? » p.181


55- « égagés de soucis, et de toute entrave, nous serions livrés à nous-mêmes ; le vertige que nous en tirerions nous rendrait mille fois pires que ne le fait notre servitude. » p.182


56- « ar rapport à l’Occident, tout en Russie se hausse d’un degré : le scepticisme devient nihilisme, l’hypothèse dogme, l’idée icône. » p.185


57- « nutile de remonter vers le paradis ancien ou de courir vers le futur : l’un est inaccessible, l’autre irréalisable. Ce qui importe en revanche, c’est d’intérioriser la nostalgie ou l’attente, nécessairement frustrée lorsqu’elles se trouvent au-dehors, et de les contraindre à déceler, ou à créer en nous le bonheur que respectivement nous regrettons ou que nous escomptons. » p.194


58- « elui qui, avant la trentaine, n’a pas subi la fascination de toutes les formes d’extrémisme, je ne sais si je dois l’admirer ou le mépriser, le considérer comme un saint ou un cadavre. » p.12