Site hosted by Angelfire.com: Build your free website today!
Daniel Boucher ou la folie en cage


Par Patrick Gauthier pour Canoe
Article paru le 3 mars 2000



Il a été comparé à tellement de gens qu'on a de la difficulté à s'en faire une image nette, à bien cerner l'homme et le musicien. À l'instar de la pochette de son premier disque, "Dix mille matins", Daniel Boucher demeure un artiste un peu flou. Faut dire aussi que, si les critiques en ont beaucoup parlé - toujours en termes élogieux - , on l'a peu vu, peu entendu. Sa rentrée montréalaise permettra sûrement d'ajuster nos appareils et de se faire une image un peu plus claire de Daniel Boucher.

Parcourir le dossier de presse de Daniel Boucher, c'est un peu comme lire le "who's who" de la musique québécoise: Robert Charlebois, Kevin Parent, Jean Leloup, Fred Fortin, Offenbach, Plume, Aut'Chose, Dan Bigras, Michel Rivard, Richard Desjardins, Raoûl Duguay... Rares sont ceux à qui Daniel Boucher n'a pas été comparé.

Que pense le principal intéressé de ces comparaisons, certes flatteuses mais sûrement lourdes à porter? Ce n'est pas ici que vous allez le savoir: le jeune musicien devait me donner un coup de fil, ce qu'il n'a pas fait. Mais n'allez surtout pas croire que si je lui brasse (un peu) la cage dans cette chronique, c'est pas vengeance. Ce que je vais écrire, je lui aurais dit "en pleine face", ou au téléphone, plutôt. Boucher aurait donc eu la chance de s'expliquer.

En fait, ce que je reproche à ces "Dix mille matins" c'est que la folie portée par ces onze chansons soit mise en contention, soit retenue par des musiques, parfois des arrangements, qui ne sortent que trop rarement des sentiers battus. Dans une entrevue publiée dans La Presse, en octobre, Daniel Boucher avouait «avoir écrit plus de mots que de notes». Ça s'entend.

La poésie de Boucher est renversante, ses idées éclatées, ses mélodies peu orthodoxes et, pourtant, les musiques sont plutôt conventionnelles et provoquent parfois de désagréables impressions de déjà-entendu. Qu'on le compare à des artistes qui faisaient déjà des disques il y a trente ans est assez révélateur.

Pourtant, Daniel Boucher semble être un gars de son temps. En entrevue, il cite Beck, Soundgarden, Morcheeba... Pourquoi est-ce qu'on n'entend pas Beck, Soundgarden ou Morcheeba en écoutant "Dix mille matins"? J'aurais aimé lui poser la question. Moi je pense que le réalisateur Marc Pérusse a eu son mot à dire là-dedans. Je ne suis pas sûr que le partenaire de Luc De Larochelière ait été le meilleur homme pour diriger la construction de l'immeuble musical de Daniel Boucher. Ce dernier flotte entre deux eaux, entre Charlebois et Marc Déry. Je pense qu'il fallait lui trouver un réalisateur qui l'aurait rapproché de Déry. Pérusse a fait le contraire.

Prenez "Délire", par exemple, hommage avoué à "Rireolarma", vieux classique d'Offenbach, période Harel. Écoutez attentivement. Qu'est-ce que vous entendez? Oui, du Pink Floyd, mais plus loin derrière? Eh oui, du Radiohead. Pourquoi, sur la plupart des pièces, ces maigres références à ce qui est moderne sont cachées, alors que les références aux Charlebois et compagnie sautent toujours aux oreilles? Pourquoi le clin d'oeil à Tom Waits (l'excellente "Ma croûte") détonne-t-il de l'ensemble. Pourquoi, quand Boucher chante "À soir, on fouille les boules à mites", a-t-on l'impression qu'il parle du contenu musical de son disque? Pourquoi, dès que je pense à ce qu'un James Di Salvio ou un Jean-Robert Bisaillon aurait fait avec ce disque, je me mets à saliver?

Mais après le pot, lançons les fleurs: le plus extraordinaire avec Daniel Boucher, c'est que, malgré toutes mes réserves à l'endroit de l'enrobage musical de ses chansons, je suis tout de même tombé sous son charme. Parce que la force du contenu fait oublier la faiblesse du contenant. Est-il nécessaire de préciser que c'est très rare? Et c'est pourquoi c'est en courant que j'irai assister à sa rentrée montréalaise, cette semaine au Corona.