
Le chœur est la première forme de théâtre que l'histoire a retenu dans sa mémoire. Avec Eschyle, Euripide et Sophocle, le 5e siècle av. J-C. a donné naissance à la tradition du théâtre en Occident.
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L'histoire de notre dramaturgie et de sa représentation prend racine au 5e siècle av. J-C., l'âge d'or de la tragédie grecque. Mais la tragédie n'est pas seulement un genre théâtral ou un modèle littéraire d'écriture dramatique; elle est avant tout le reflet d'une société, de ses croyances et de ses habitudes de vie. C'est à travers le filtre rigoureux de l'Histoire qu'il nous est possible d'apprécier la véritable envergure de la représentation à Athènes dans l'Antiquité.
La tragédie grecque s'est modelée au fil du temps, depuis les rituels sacrés des sociétés primitives. Ces rites exprimaient le désir humain fondamental de s'élever au-dessus de sa condition terrestre pour se rapprocher des dieux ou des esprits. Un groupe d'hommes se métamorphosait grâce à des mouvements dansés, au port d'un masque, à des jeux d'imitation et à des incantations. Cette mise en représentation s'est complexifiée au même rythme que les cérémonies pour devenir un art en soi, tout en demeurant intimement liée aux cultes. De cet esprit sacré, le théâtre du 5e siècle av. J-C. a hérité des présences centrales d'un autel – généralement dédié à Dionysos, dieu de l'exubérance – et d'un chœur, tous deux fondateurs du style tragique.
L'acteur tragique est né du chœur et s'en est détaché pour amorcer un dialogue avec lui. Le chef du chœur, le coryphée, était le seul à pouvoir s'exprimer directement aux personnages sur la scène; autrement, tous les choreutes parlaient, chantaient ou dansaient à l'unisson pour ne former qu'un seul être. Par sa fonction et sa position dramatique, le chœur, de l'orchestra, était à la fois complice des spectateurs et témoin actif de la fatalité. Au début du 5e siècle av. J-C., il portait toute la vitalité tragique en mettant en relief la nature vulnérable de l'homme face aux puissances divines. Cependant, en un siècle à peine, ses interventions se sont espacées irrémédiablement. L'écriture des pièces changeait et dessinait l'homme de plus en plus autonome et responsable face à son destin. Du coup, l'influence des dieux s'estompait; le chœur n'avait plus à créer de pont entre la réalité et le mystère terrifiant de la volonté divine. Ce changement des fonctions dramatiques a entraîné le déclin du rôle du chœur ainsi que celui du style tragique originel.
L'organisation politique et philosophique de la cité d'Athènes a aussi profondément marqué le théâtre antique. L'art de discourir assurait le prestige aux orateurs : il était un outil essentiel de communication et de la persuasion. La population, qui appréciait la valeur des mots, partageait sur les bancs du théâtre le plaisir du dialogue poétique. Le texte dramatique n'existait que pour être vu et entendu dans le cadre d'une seule représentation. Cet ultime spectacle prenait l'affiche lors de concours dramatiques qui attiraient une foule considérable au théâtre de l'Acropole – probablement plus de quinze mille personnes à la fois. L'État prévoyait ces concours dans son calendrier politique, organisait leur préparation et offrait même aux citoyens les plus démunis un billet gratuit. Au mois de mars, les Grandes Dionysies, le plus important des festivals athéniens en l'honneur de Dionysos, s'ouvraient par une procession et des sacrifices : la statue du dieu était transportée jusqu'à l'autel sacré, au milieu de l'orchestra. Chacun des trois poètes sélectionnés disposait d'une journée pour présenter leur tétralogie composée de trois tragédies et d'un drame satyrique. La compétition se terminait alors par la remise d'une couronne de lierre honorifique à l'auteur victorieux.
La tragédie grecque du 5e siècle av. J-C. est un genre développé par et pour les citoyens d'Athènes. Bien plus que le passe-temps favori d'une minorité, l'activité théâtrale était une cérémonie religieuse et civique solennelle qui rassemblait un nombre imposant de participants et de spectateurs. Certaines des spécificités historiques qui entouraient la représentation à l'époque nous échappent aujourd'hui puisque les codes sociaux et culturels ont complètement changé. Et 2500 ans après leur création, les tragédies grecques gardent donc leur part de mystère, mais leur force mythique agit encore sur nous : à travers un regard contemporain, la démesure et la fatalité tragique trouvent des échos actuels puisqu'elles sont résolument humaines.
Madeleine Philibert
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