Introduction à la
poésie de Akl Awit
Par Jean-Baptiste
Para
La voix d’Akl Awit est de celles que l’on n’oublie
pas. Elle nous saisit d’emblée et crée en nous l’espace immédiat de sa
résonance. Dès le premier coup d’archet, elle fait vibrer des fibres qui sont
l’indistinct du corps et de l’âme. Cette voix semble jaillir d’un noyau de
nuit, d’une matière obscure qui est son foyer rythmique et visionnaire. Sa
propre naissance lui inspire à la fois désir et tremblement. Désir d’éprouver
toute la puissance du vide au moment où s’y engouffre la langue. Tremblement
devant l’innommable, devant l’abîme qui s’étend entre les signes et les choses.
Tout commence par une dépossession volontaire, un
dénuement consenti, l’abandon de toute certitude. « J’ai renoncé à mon règne »,
déclare Akl Awit. Celui qui ressent son insignifiance est mieux que tout autre
préparé à tenter le geste du poème. Il lui faut être aussi pauvre et nu qu’un
enfant « qui baigne encore sa langue à la mamelle », disait Dante au
dernier chant du Paradis. Akl Awit est fasciné par ce moment initial, et
plus encore par l’énigme de l’engendrement du poème, par « le fossé entre
le néant et les prémices de l’écriture ». Le poème est un événement de
langage. Cet événement, dans son ordre propre et à son échelle, est
l’équivalent d’un fait cosmique. Dans les deux cas, un univers est engendré.
Mais la spécificité du poème, selon Akl Awit, est d’être le plus court chemin
d’une genèse à une apocalypse. Ou de l’enfer au paradis : « Dans les
ruches de l’enfer, tu produis ton miel, ô page blanche ».
La poésie d’Akl Awit est chargée d’énergie. Elle se
distingue par son élan, son ardeur, sa trépidation, mais aussi par un sens aigu
de la pause, de l’accalmie, de la nuance la plus vulnérable, de la fragilité
désarmante et désarmée. Des forces antagonistes et des principes
contradictoires mettent la parole en tension. On perçoit une rivalité latente
ou un conflit tenace entre l’orage et l’apathie, le tumulte et la torpeur, la
splendeur et la déréliction. Un tourment s’installe aussi entre le visage et le
masque. Au premier rang des figures emblématiques qui illuminent les poèmes,
s’étonnera-t-on de voir siéger le clown et l’ange ? Et de l’un à l’autre,
entre la comédie et le sublime, le profane et le sacré, le visage grimé et la
face de lumière, Akl Awit ne cherche-t-il pas « la sagesse des
contraires » ?
Il faut insister sur la force des images dans cette
poésie. Elles peuvent être étranges, insolites, paradoxales, leur effet de
surprise n’a d’égal que leur pouvoir de commotion et elles ont toujours
l’éblouissante justesse de l’évidence. Pour n’en donner qu’un exemple :
« L’été nous efface et nous devenons le chagrin du blé ». Octavio Paz
disait que l’image poétique est scandaleuse parce qu’elle attente aux
fondements de notre pensée : non seulement elle défie le principe de
contradiction, mais elle est irréductible à toute explication ou
interprétation. C’est un même scandale qui se fait jour dans cet aveu
mélancolique d’Akl Awit :
J’aurais préféré naître dans la Chine septentrionale,
Ou dans une tribu africaine,
Parler des dialectes que je ne comprends pas,
Et produire des gestes qui n’expriment pas des idées
claires…
Le propos n’a rien d’une boutade, d’une extravagance
ou d’une provocation gratuite et légère. Ces vers témoignent au contraire d’une
méditation profonde sur la relation de l’homme à la poésie. Ils recèlent le
noyau mental autour duquel s’organisent à la fois une machine
linguistique et une forme de vie. Ils font allusion à ce fait
d’importance : la poésie place l’homme hors de soi et, d’un même geste,
elle le reconduit à son être originel, en amont de toute signification
établie, en deçà ou au-delà de tout sens constitué.
Mais voici encore des vers d’Akl Awit qui doivent
retenir notre attention : « J’ai fait subir à mon ombre toutes les
cruautés / Je suis devenu mon propre tortionnaire, mon propre assassin / Pour
ne plus être victime, pour devenir sacrifice… » Cette formule d’un
poète contemporain est saisissante, car elle nous reconduit à une intuition
majeure et très ancienne, attestée aussi bien en Grèce que dans l’Inde
védique. « Les premiers poètes ont marché dans le chemin de la Parole
grâce au sacrifice », lit-on dans le Rg-Veda (X, 71). Et dans le Shatapatha-Brâhmana,
composé entre le Xe et le VIe siècle avant notre ère, on
trouve ces mots : « Le Sacrifice désira la Parole : “Ah !
comme je voudrais faire l’amour avec elle !” Et ils s’unirent. » En
ces temps lointains, la pensée du poème était étroitement liée à la pensée du
sacrifice. En Grèce, Apollon n’était pas seulement le dieu dont Pindare assure
qu’il octroie le don de la cithare et de la Muse à qui lui plaît. Il était
aussi le dieu boucher et sacrificateur, « celui qui aiguise, innombrables,
les coutelas de Delphes et instruit ses serviteurs en cet office »
(Aristophane, fr. 684). Sur ce qui fait lien entre poème et sacrifice,
l’anthropologue Charles Malamoud nous apporte un précieux éclairage :
« Pindare, arrivant à Delphes, offre un péan, en guise de victime ;
le poète taille dans la matière verbale comme le sacrificateur dans la chair de
l’animal ; les articulations du vers sont l’image des membres du corps, et
les césures une transposition des incisions. Le poème peut être une offrande,
parce qu’il est l’analogue d’une victime. Dans l’Inde, la victime peut être une
offrande, parce que le couteau du dépeceur en fait l’analogue d’un
poème. »
La fonction du sacrifice est de revivifier
l’univers, de garantir l’ordre cosmique contre les dégénérescences de
l’entropie. Le poème est comparable au sacrifice dans la mesure où il régénère
la vie par le langage. Il est un défi à la narcose de l’âme, à l’usure du sens
constitué. Il est un défi lancé à la mort psychique et spirituelle. Et c’est
justement par là que commence le livre d’Akl Awit : « Il me fallait
regarder la vie du côté de la mort / je veux dire du côté de l’amour… »
La poésie est ce qui relie l’énergie de l’âme à
l’énergie de la langue. Quand ces deux énergies ne sont pas au contact ou
restent assoupies, l’humanité en nous mortifie son essor. Nous gisons alors,
disait Shelley, « sous les cendres de notre propre naissance ». Akl
Awit ne dit pas autre chose, même s’il le dit autrement : « Je pars à
l’assaut / Sous la braise sous les mots ».
L’Échappée est un livre où la mort
manifeste une présence assidue. Jusqu’à devenir l’interlocutrice
privilégiée : « Je ne détournerai pas mon regard de tes mains
mystérieuses, / Je ne te châtierai point ô ma traîtresse ô ma douce, /… Je
mettrai du baume sur ton cœur pour que tu couvres d’herbes ma douleur / Maintiens
donc entre nous toute la distance, ô Mort. » Comme toujours, le soupçon
s’éveille : dans un poème, la mort n’est-elle pas d’abord une clé de
lecture, une figure de rhétorique — une chose, en somme, dont il est impossible
de dire si elle est « vraie » ou « fausse » ? Le
problème est peut-être d’une absolue inconsistance. La seule révélation qui
importe, c’est que dans le poème, même la mort est un signe de vie.
Lorsqu’elles affrontent crûment le néant des choses, source pour nous d’accablement
et de désespoir, les œuvres de l’art ont le singulier pouvoir de ranimer le
souffle qui nous avait fui. Par le chant, disait Leopardi, « l’âme reçoit
la vie selon la force même avec laquelle elle éprouve la mort perpétuelle des
choses et la sienne propre ».
Tel est le don que nous recevons de la poésie d’Akl
Awit, conjonction de la mort et de la vie, de la voix et du silence, de
l’énigme et de l’évidence, de la grâce et de la simplicité :
Des gens qui se promènent dans leurs prières.
Un chemin qui s’en va vers le mystère du fleuve.
Le vacarme de l’extérieur qui parvient tamisé.
Un téléphone qui sonne.
Rien d’autre ici que le lieu.
***
Le clown
Je suis le
clown.
L’arc tendre, le
séquestré dispersé dans les miroirs.
J’attends à
l’intérieur d’une pomme,
Et dans la
surprise, je ménage mon entrée.
Je suis le
poète, l’envoûtement,
Feuille verte
transpercée par une tragédie mais qui n’exhale aucun soupir
Je succombe à
l’égarement et me perds entre moi-même et mon masque.
De moi on ne
connaît que la silhouette.
Mes habits sont
les ancêtres des contes et mon histoire un arbre grandissant.
Deux bouquets de
regards et une grande discrétion.
Le visage est
mien mais non le masque, entre eux une lutte sourde, un abîme.
Et pour que
s’ouvre la scène, le masque triomphe du visage.
J’écarte le
rideau avec un rire fracassant et des mains victimes
Je raconte, je
divague et vous applaudissez.
Comme un
seigneur, j’accueille d’abord les spectateurs
Mais j’abandonne
ensuite.
Les enfants
n’ont pas peur de moi car je suis l’ange aux ailes légères.
Je vous livre ma
sueur,
Le rythme du
masque et les gestes du funambule.
La victime, par
contre, se retire dans son coin.
Je suis l’eau
meurtrie qui distille le mirage et le voile,
Je suis le
caméléon, je louvoie avec mon ironie.
Par la surprise,
je confirme ma performance pour cacher un autre rire.
Entre nous, il y
a une âme qui s’enfonce dans la destruction,
Et dans mon
sang, des générations d’ivrognes, de blessés.
Me déplaçant sur
la corde, je vacille avec des frissons meurtriers
Je titube comme
un pommier.
Sur mon visage,
il y a la familiarité de la douleur et de la rancune
La distance de la peur.
La salle est
intime et ses lumières aveuglantes.
Entre nous, il y
a un espace proche et une tragédie implicite,
J’enfile les
vêtements qui m’emporteraient sur la montagne
Et pourtant je
fais le clown.
La nuit vous
masque avec un surplus de pensées,
Une forêt de
souvenirs me protège et me délivre,
Je monte vers
vous pour dissiper le besoin, la tristesse.
Et, à l’instant
meurtrier, une flèche me transperce, je m’écroule sur scène,
Puis me relève,
titubant, je tire ma révérence.
Un dernier gémissement s’exhale, une étoile
s’élance.
Une fois
Une multitude de
larmes a jailli, ainsi qu’une forêt de fleurs.
Je me suis
déplacé sur la corde, du précipice vers le précipice.
Et lorsque j’ai
failli tomber,
Un vent m’a soutenu et m’a porté jusqu’au bout de la
scène.
Seuls me
connaissent mes pareils, ceux qui ne sont pas apprivoisés.
Je fais le clown
pour apaiser la détresse de ma mort,
Et je trace la frontière pour que n’advienne pas ce qui
pourrait advenir.
Je suis le clown
Lorsque je me
dégage de mon corps, je livre mon âme comme un noble qui se retire.
Lorsque je me
lave le visage, seules les plaies demeurent.
Un ciel lointain
me surveille,
Et un autre m’envoie le masque pour que je
subsiste.
***
La vie du côté
de la mort
Il me fallait
aller regarder la vie du côté de la mort
Je veux dire du
côté de l’amour
Plus dénué que
le désert, j’y suis allé et j’ai vu
Le réveil me
couronne, il m’installe dans l’incertitude
J’ai été frappé
par le soleil
Pétrifié par le
cycle de la lune,
Envoûté par le
dieu de la solitude.
La déroute ne
m’a pas épargné
Emporté par le
flux, dévoré par le regard
J’ai resserré ma
peur, j’ai renoncé à mon règne
J’ai aimé
l’imprudence, je me suis jeté dans le puits.
J’ai souscrit à
ce que tu dis, ô page blanche :
« Nul ciel n’est
plus élevé que mon imagination »
Mais qu’y a-t-il
de plus atroce que d’être avec toi
Et de plus
difficile que d’être en vie ?
Je suis
l’assassiné, voici ce qui se répand de moi
Peu m’importe
que tu me crois ou pas
Ô vie du côté de
la mort
A présent, rien
ne serait plus simple que de reculer
Mais l’extérieur
est si peu de chose, je suis si peu de chose à l’extérieur
Ne sachant pas
m’enfuir et refusant les certitudes
Donne-moi la
grâce de pouvoir donner
De maudire ce
que je ne connais pas.
***
Quand je suis
monté au sommet d’un arbre
Je ne prétendais
pas rester dans l’immensité des cimes
Spoliateur,
spolié, je m’attends à l’erreur de mon assassin
Pour comprendre
comment approche l’heure des rendez-vous
Pour arriver
assez tôt dans le temps
Pour que le
temps m’ignore
Rien de plus
beau ni de plus agréable
Je pose ma main
droite sur les pages pour t’écrire
Avec
familiarité, avec respect mais non avec habitude
Avec la férocité
de l’instinct, avec l’intuition dont je dispose
Je rassemble mes
éparpillements sans pouvoir arrêter l’hémorragie
Souffrant, je
libère les sources sans pouvoir guérir les passions.
L’amour est
merveilleux, la solitude aussi
***
Dans les ruches
de l’enfer, tu produis ton miel, ô page blanche
Alors
accorde-lui la grâce d’être mangé.
Depuis mon
obscurité et ma lassitude, je te regarde
Délivre-moi !
Aide-moi à passer d’une tutelle à l’autre
Sous le toit de
tes nuages, j’attends
Pour désaltérer
mon visage et mon cœur
Le temps ne me
tue pas, toi seule me tues
Ta blancheur
m’apprête et me prépare
Je pars à
l’assaut
Sous la braise
sous les mots
D’avoir tant
reçu et de t’avoir tant donné
Accorde-moi la
violente douceur du passage
Pour ne pas
démériter
Je t’invoque,
non par ennui, mais pour que s’accomplissent les saisons
Ton enfer me
rend malade et ma braise n’en peut plus.
J’ai fait subir
à mon ombre toutes les cruautés
Je suis devenu
mon propre tortionnaire, mon propre assassin
Pour ne plus
être victime, pour devenir sacrifice
J’ai déposé ma
vie en gage pour qu’elle cesse d’être à ma portée
Je l’ai conduite
dans la vallée pour en cicatriser le fond
On m’a tué, j’ai
tué le monde autour de moi
Pour qu’il vive
loin de moi
Le loup du
silence m’a dévoré et m’a abandonné, ployant sous les secrets
J’ai fait ce que
j’ai fait pour que le grand chant ne recouvre pas le timbre du petit
Dans l’obscurité
du fleuve j’ai logé mon langage, mon corps et mes pensées
J’ai négligé la
prose et l’apologie de la vie pour ne pas révéler mon essence
Et chaque fois
que je m’approchais de toi, ô feuille blanche !
J’étais parcouru
par l’envie de la peur par l’instinct de la paresse
Au point
d’effacer toute poésie qui me souriait.
Tu possèdes la
blancheur et la nuit de mon imagination
Fais donc comme
il te plaira avec la sagesse des contraires
Unis-moi à la
densité des morts quand ils voient
Libère la source
Fais de mes
contradictions le fruit de la vie écrite
N’oublie jamais que ton encre est la mémoire de mes
propres infortunes.
***
Battement
d’ailes
Dans la
pénombre, son visage s’était retiré en ses états propres
Jardin débutant
dans les senteurs, sans barrières
Prière d’une
icône pécheresse et charme d’une lumière
Braises
d’haleine et lèvres assimilant l’hostie de la nuit
L’éclair de ses
dents étincelait sans bruit
Ses mains
chaotiques étaient deux jouissances dans mon voisinage obscur
L’instinct de ses mouvements, un froissement de pensées
et de poèmes
Sans rien faire
de particulier
Son corps avait
amassé l’obscurité et s’était drapé de la noirceur du lieu
Ses genoux
dénudés étaient meurtris, délaissés, poètes
Deux
jouissances, ressemblant à une bruine somnolente
La nuit
fougueuse les enveloppait
Se déversait sur
ses talons
Noirceur d’un
miel africain
Deux soleils,
deux jambes ou plutôt, chuchotement de deux voix
Rien qu’un
mystère, suscité par cette nudité
Et tellement
confus.
Rien que le
battement d’ailes des oiseaux
S’élevant du gémissement des deux genoux.
***
Un autre
paradis
Le matin léger
comprend ma petitesse devant la lumière
Pour moi, il
baisse les rayons et esquisse un sourire.
Il sait aussi
mon appétit pour la table nue
Pour les chaises
qui portent le poids de leurs lacunes
Pour une
autobiographie qui répand l’habilité de l’insouciance
Pour un paradis
de silhouettes refoulées
Et pour un autre
paradis sans archanges pour mes blessures.
Pour des
magiciens qui charment le vent et portent le rire sur leurs paumes
Qui enchaînent
le monde avec un fil écarlate et qui rusent
Pour un jour qui
ne luit pas derrière la fenêtre
Pour un bruit
qui, une fois seulement, m’apporte le monde
Et ne me toise
pas pour me provoquer
Pour des cafés
qui me devancent
Pour mon âme
pareille à des habits collant à une peau terne
Pour un ouragan
qui m’emporte sous son bras sans jamais s’arrêter
Pour un attrait
qui m’ensorcelle comme un éclair
Pour des renards
et des hyènes que j’utilise pour faire semblant
Qui se hâtent
vers leurs instincts et me reviennent chargés de connaissances
Pour une brise
que je brise du regard et pour que ce regard me brise en retour
Pour une forme
qui me dissimule aux autres et à moi-même
Pour un vent que
je tiens avec une ficelle et qui m’emporte tranquillement
Pour les mérites
de la frivolité qui ne se lasse pas de danser avec les femmes
Pour un piège
grâce auquel je piège mon propre vide lancé devant moi
Pour un couteau
avec lequel je poignarde le ciel sans que mon sang ne coule
Pour un nuage où
je ferai passer le soleil afin d’éveiller mon ombre
Pour des images
où je peux me réfugier afin d’avoir la nostalgie de moi-même
Pour l’attrait
du lit en mon absence
Pour mes mains
et mes instincts que j’amadoue afin qu’ils ne se rebellent pas contre moi
Pour une mort
qui vient sans crier gare à force d’avoir été attendue
Pour la rancœur
et le pardon afin qu’ils soient plus magnanimes que la vie
Pour un chapeau
qui sert à cacher les efforts de la tête et à boucher le sommet du précipice
Pour encore plus
de murs et de portes closes qui m’aident à dompter mon espace
Pour le désarroi
qui corrige l’aplomb de mes quarante ans
Pour ceux qui
n’applaudissent pas leurs maux
Pour une planète
d’où je pourrais observer le monde sans devoir y retourner
Pour une poésie
qui ne réclame pas tant d’absence
Pour des femmes
qui remplissent l’abîme de la tête
Et qui tissent
avec l’ardeur du sexe d’autres sensations
Qui recomposent
la vie pour me permettre d’être plus proche de moi-même
Pour des femmes
qui enveloppent le corps de soleil et marient les choses de nos lits et de nos
poésies
Qui scindent le temps
en deux regards
Un regard qui
rate sa cible et un autre qui la rate aussi
Qui
confectionnent de la tendresse et anesthésient discrètement l’espace
Qui effacent la poussière collée au regard.
Le matin léger
comprend que je suis minuscule dans la lumière
Là où sans fin
se consume l’astre des sensations
Et prépare pour
mes quarante ans passés le café chaud et la braise de la vengeance.
Il comprend que
je suis minuscule
Et il ferme le
rideau sur celles qui laissent filtrer la vie pour moi, subrepticement.
***
Les étoiles du
chemin
Je n’ai pas
désespéré de la tempête qui a semé le désordre
Et qui a mis les
scellés sur l’été.
J’avais pourtant
usé mes mains à lui inventer des formes
Et à l’enserrer
dans de troubles séductions.
L’hiver, j’ai
prélevé dans mon regard des manteaux
Pour la protéger
du froid,
Et des étoiles pour la guider.
Je n’ai pas
désespéré quand elle s’est imaginé des formes sans les réaliser,
Je n’ai pas
désespéré quand l’amour l’a troublée
Et lui a préparé
de fabuleux instincts.
Pour elle j’ai
fendu les montagnes,
Les arbres se
sont chargés de lui frayer un passage vers l’imaginaire,
Les soleils ont
chanté sa gloire
Et sans avoir
prévu des populations pour célébrer son arrivée
Ma terre l’a
accueillie,
Et mes bras étaient chargés de présents.
Je n’ai pas
désespéré
Parce que la tempête habitait mon amour.
***
Le tumulte des
pensées
Le tumulte des
pensées
Ce couteau de la
vie, ce guide de la parole vers les identités détruites,
Descend de la tête en y laissant ses stigmates.
Le tumulte des
pensées aiguise l’instinct de la tête
Il aiguise
l’instant où l’on approche de la fenêtre.
Voilà pourquoi
j’escalade la parole pour blesser son tumulte
Ou pour me
suicider,
Ce qui revient
au même.
Pourtant,
Personne n’est
au courant de mon suicide,
Parce que je
suis toujours en vie.
***
Un de ces
jours
Rares sont les
pensées que nous connaissons,
Parce que nous
nous rappelons les évènements qui n’ont pas eu lieu.
Malgré ça nous
nous en souvenons comme s’ils devaient arriver demain.
Dès lors, la
parole choisit ses amants, les regarde,
Se penche sur
eux avec un désir ardent.
Le poème devient
mémoire de sentiments et d’états,
Qui adviendront
peut-être un jour
Et pour lesquels
nous vivons dans des maisons sans cesse éclairées par leurs aveugles pensées.