
L'histoire d'une fille …
« Elle confie à ses deux meilleures copines de classe qu'elle n'en peut plus. Elle a depuis quelque temps des idées de suicide dans la tête et craint de poser un geste sans même vraiment le vouloir.»
Ses amies, comme il convient, consultent un professeur qui les oriente vers la travailleuse sociale de l'école. Cette dernière avise la mère et amène la jeune fille à l'urgence de sa région.
Jusque-là, tout se passe relativement bien. L'adolescente avait besoin d'aide. Elle a pris le moyen de le faire savoir. Elle devrait donc recevoir les services nécessaires.
Mais que serait-il arrivé si la confidence avait été faite avec l'interdiction d'en parler à qui que ce soit... Surtout pas à ses parents. «Ils auraient tellement de peine. De toute façon, ils ne comprendraient pas et ne pourraient rien faire. Ça ne changerait rien...»
Et c'est ici que la situation se complique. En effet, la notion de confidentialité entre en jeu. Cette jeune personne a 14 ans. Elle peut refuser des soins et peut exiger que vous respectiez l'information qu'elle vient de vous confier, ou que vous avez obtenue d'elle.
Autre scénario qui mène au même problème. Sa mère, par hasard, ou peut-être en fouillant un peu, est tombée sur son journal ou sur une lettre où elle parle de son malheur et de ce projet de mort qui la hante.
Que faire avec cette connaissance nouvelle et inquiétante que l'on vous a confiée, en preuve d'amitié, d'intimité et de confiance, ou que l'on a découverte par hasard, par indiscrétion, ou encore dans le rapport privilégié de la rencontre clinique?
Lorsqu'on est l'ami ou le parent, cette inquiétude peut nous envahir de façon inattendue ou venir alourdir une relation déjà complexe. Il faut avant tout clarifier cette donnée, en en parlant clairement avec l'intéressé. Il s'agit d'une demande qu'il faut pouvoir préciser, même dans les cas de «manipulation».
L'inquiétude doit nous inciter à consulter les gens compétents. La grande majorité des suicidés souffraient d'une psychopathologie et, à ce titre, ils justifient une évaluation et une intervention clinique. Si l'on est inquiet pour un ami ou un enfant, l'affection qu'on lui porte doit devenir le moteur qui nous fera demander de l'aide pour lui ou pour elle. Il peut arriver que l'on évalue mal le danger dans un sens ou dans l'autre, mais on ne peut en aucun cas rester le prisonnier silencieux de la confidence d'un suicide annoncé.
Qu'en est-il du clinicien qui se trouve en face d'un adolescent qui lui parle d'intention ou de projet suicidaire et lui interdit d'en parler à qui que ce soit? Cet adolescent, souvent d'ailleurs bien informé, peut invoquer le secret professionnel, son droit à refuser les traitement et à refuser aussi que l'on transmette l'information contenue dans son dossier.
Il faut s'arrêter ici afin d'analyser et de comprendre ce qu'implique cliniquement cette «confidence». On ne saurait adopter une attitude systématique. L'évaluation du risque suicidaire et de la pathologie présente est indispensable, dans un premier temps. Ensuite, une attention particulière devrait être portée à la relation parents-enfant ainsi qu'au rôle pour lequel on est sollicité (opposition, séduction, manipulation, alliance thérapeutique...).
À cet âge, le rapport aux parents est souvent complexe, déchiré entre le désir de s'en affranchir et le souhait secret et inavoué qu'ils nous protègent et nous réconfortent sans perdre la face. La négation de ce désir inavoué de protection parentale pousse l'adolescent à demander d'être traité comme une personne adulte et autonome à l'égard de son père ou de sa mère. Le clinicien doit éclairer son patient sur ces sentiments et ces besoins en apparence contradictoires.
Si nous croyons avoir établi une alliance suffisante et que la pathologie de notre client ne lui impose pas un risque au-delà de ses capacités (psychoses, dépression majeure...), nous nous devons de poursuivre l'intervention selon les ententes déjà prises. Ces moments sont parfois des moments de croissance ou de régression et le fait d'informer les parents pourrait favoriser cette régression en leur remettant à eux le fardeau de gérer la crise.
Et si nous sommes inquiets face au risque d'un agir suicidaire grave?... Il faut alors avertir notre patient que nous allons en aviser ses parents et les informer de notre inquiétude. Il faut toutefois soutenir le jeune et prendre le temps nécessaire pour bien l'accompagner dans cette démarche.
Dans certains cas, si nous évaluons que les parents comprennent mal le risque encouru par leur enfant et ne prennent pas les mesures suffisantes pour le protéger, il nous incombe alors de signaler le cas à la protection de la jeunesse (DPJ).
Le devoir de confidentialité découle d'abord de notre code d'éthique. Le danger pour soi ou autrui constitue une exception classique à ce devoir. Cette même règle d'éthique m'oblige, si je crois que la vie de l'autre est en danger, à pousser plus loin les moyens de lui venir en aide.
J'introduis ici une distinction qui m'apparaît non négligeable et que j'expliquerai à mon jeune patient. Je m'engage à respecter la confidentialité sur le contenu de nos échanges et n'en parlerai à des tiers qu'avec son accord. Mais je devrai communiquer à ses parents ou tuteurs mon opinion, si je crois que sa vie est en danger.
Notre devoir clinique de bien évaluer, d'identifier les risques, d'interpeller ceux qui ont des responsabilités face à ce jeune, avec tout le respect et l'habileté possibles, demeure primordial.
La confidentialité prend tout son sens dans le travail à poursuivre, mais il ne peut y avoir de traitement que si mon patient demeure en vie. Il faut donc que j'évalue qu'il ne posera pas de geste fatal pour garder entre nous cette confidence et lui donner tout son sens. La confidentialité dans le cas de l'évaluation du patient suicidaire ne doit donc jamais devenir un artefact nuisible à un travail rigoureux, nécessaire et toujours difficile.
Sans l'aide de ses deux meilleures amies, peut-être qu'elle aurait passer à l'acte. Ses amis l'ont aidé et c'est un geste extraordinaire. Dans ce cas là… on peut voir un travailleur social ou un psychologue.
le suicide