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Matthias Zschokke est un auteur qui s'arrange toujours pour se mettre en travers des tendances du moment, qui avance à pas feutrés en évitant tous les sentiers battus. Sur un mode aussi comique que mélancolique, il accomplit le travail de deuil que les imbus de pouvoir et les agents en relations médias s'efforcent d'esquiver en s'activant. Et voilà qu'il a inventé le personnage d'une commissaire chantante pour attirer son public non pas dans un traquenard, mais sur des sentiers de réflexion qui avancent à contre-courant… Matthias Zschokke prend, et nous accorde aussi, le temps nécessaire pour présenter nos déséquilibres de vie sous un jour empli de compréhension. C'est pour cela qu'il aime les naufragés bavards de l'existence, comme cette commissaire toute occupée à supporter la vie et qui tente d'atteindre l'essence des vibrations du bonheur flottant. Klaus Völker







Interview



"LE TEMPS"/ GENÈVE



SAMEDI CULTUREL : «Etre Suisse à Berlin me permet de rester à l'écart»

Date de parution: Samedi 30 mars 2002
Auteur: Isabelle Rüf

LETTRES ALEMANIQUES. Depuis vingt ans qu'il a choisi de vivre en Allemagne, Matthias Zschokke explore tous les registres de l'écriture: roman, nouvelle, théâtre, cinéma ou reportage. Rencontre avec un auteur profondément original.

Si le temps qui passe hante les navigateurs en eau douce du Bonheur flottant, il ne semble guère avoir de prise sur Matthias Zschokke. Difficile de croire que ce jeune homme, le frère de Max, à peine griffé par la vie, aura 48 ans en octobre. Depuis ce livre scintillant, premier Prix Walser en 1981, traduit chez Zoé en 1988, une œuvre s'est constituée par éclats: des romans, des nouvelles, trois films, hélas très mal distribués,
des pièces de théâtre: L'Heure bleue, monté par Martine Paschoud en 1993, L'Ami riche, par Philippe Mentha en 1999, et cette Commissaire chantante (lire ci-dessous) que l'auteur met en scène à Genève, lui qui a commencé par être comédien chez Peter
Zadek à Bochum. Ce spectacle, la parution en français de Bonheur flottant, et celle en allemand, d'un livre de récits: trois raisons bienvenues de rencontrer un auteur suisse au talent profondément original.

Samedi Culturel: Vous vivez depuis plus de vingt ans à Berlin. Vous sentez-vous encore Suisse?
Matthias Zschokke: Plus que jamais! Je me ressens comme Suisse dans le cœur, ça me détermine. Actuellement, en Allemagne, on ne croit plus trop à l'idée européenne. L'arrivée de l'euro, la perte des symboles nationaux, tous ces pays pauvres pour lesquels il faut payer, cela crée une atmosphère de crise. Etre Suisse me permet de rester à l'écart: je ne représente rien, je peux juste être Matthias Zschokke. Dans les quelques lectures publiques que je fais, je me rends bien compte que le public alémanique réagit plus fort que l'allemand, alors que je crois décrire des sentiments universels!

Comment votre rapport à la ville a-t-il évolué?
Berlin a changé, il y a une nouvelle vie culturelle, plus d'argent aussi, c'est très sensible. Mais je ne fréquente pas ces lieux, je vis très retiré. Le public est conservateur; la scène artistique n'est pas très novatrice, les critères de rentabilité prédominent. Zurich est beaucoup plus intéressant. Bon, je suis quand même content de pouvoir boire un vrai café maintenant! Mais ce que j'aime vraiment dans cette ville immense, c'est l'espace, la liberté. Il y a de la place partout, on ne gêne personne.

L'argent est un thème récurrent chez vous. Il rend les rapports difficiles entre ceux qui en ont et les autres, obère les amitiés. Comment vous débrouillez-vous en tant qu'auteur indépendant?
Comme je manque d'argent, j'y pense beaucoup, forcément! C'est quelque chose dont on ne peut pas parler, un non-dit. Je ne viens pas d'une famille riche et je gagne peu, mais comme je suis Suisse, on me croit fortuné! Je suis fasciné par les contrastes, l'extrême richesse qu'on côtoie dans les Rues-Basses à Genève, par exemple, et la grande pauvreté juste à côté. Regardez cette chemise, je l'ai payée 5 francs dans une brocante. Elle vient d'un grand chemisier. J'ai été le voir, il m'a raconté des histoires extraordinaires sur la provenance des tissus, les exigences des clients. Il y a un luxe accessible. J'écris, je n'ai rien appris d'autre. Je fais parfois des reportages pour le Tages-Anzeiger. J'ai découvert ainsi que la contrainte de la commande peut être intéressante. Quant au théâtre, c'est de plus en plus difficile: je fais surtout un travail sur la langue alors qu'on demande de l'action. Le public veut être diverti. Moi, je ne peux qu'établir des constats. Aux gens de penser par eux-mêmes! Mais cela rend la vie matérielle plus compliquée.

Et le cinéma?
Il vaut mieux l'oublier: les films que je fais coûtent de l'argent plutôt qu'ils n'en rapportent. Les bobines du dernier, Erhöhte Waldbrandgefahr, dorment sous mon lit.

Qu'est devenu Max, le jeune homme qui vous ressemblait, plein de désirs et d'illusions?
Il a vingt ans de plus. Il n'est pas amer mais très sérieux. Toujours plus réservé. On ne se retire pas parce qu'on est blessé par la vie, mais parce qu'il devient de plus en plus difficile d'écrire. Des auteurs comme Canetti, Borges ou Pinget ont fini par se taire. En lisant davantage, on voit que d'autres ont mieux exprimé ce qu'on voudrait dire. Cela rend timide, on n'est plus un jeune écrivain sans scrupule. Il faut rechercher l'expression absolument adéquate, la sensation juste. Je crois avoir réussi cela dans certaines pages de mon dernier livre, mais il faut toujours chercher une précision plus grande. Cela mène à un minimalisme: j'aime atteindre le squelette de la narration. Mais peut-être faudra-t-il ouvrir à nouveau, revenir à plus de chair. J'aimerais bien écrire un best-seller, mais je n'y arrive pas!

Sur scène ou dans vos livres, vos personnages parlent par monologues. Ils ne semblent plus croire à l'amitié ni à l'amour. D'où vient cette mélancolie?
Je ne trouve pas qu'ils soient dépressifs. Ils sont honnêtes, c'est tout. J'aime installer des êtres qui n'ont pas besoin de croire, qui ne se sentent pas obligés d'exercer une «pensée positive». Ils ne font plus semblant, mais apprécient de se réchauffer un peu les uns aux autres. Ce n'est pas facile de vivre, mais on y parvient quand même pas si mal! Le pouvoir de la littérature est d'apprendre à ne pas juger trop vite, à regarder les détails avec tendresse et précision, un moineau, une fenêtre, des gens.

Un de vos romans s'intitule «ErSieEs», les trois genres en un seul être. Pourquoi l'identité sexuelle de vos personnages est-elle souvent floue?
J'entretiens l'espoir romantique qu'il y a un noyau commun à tous les humains. Ce qui distingue les hommes et les femmes est très superficiel. A un niveau plus fondamental, nous sommes tous pareils. Moi-même, je me sens très attiré par des écritures féminines: Virginia Woolf, Clarisse Lispector, Alice Rivaz.






Le doux clapotis de la «soupe aux mots» Quand un auteur fait chanter la police au théâtre
Alexandre Demidoff

Matthias Zschokke se lance dans la mise en scène en montant «La Commissaire chantante»,
sa propre pièce au Poche de Genève.


Il a la mine ensoleillée d'un patrouilleur de glaciers. Avec son pantalon de toile et son pull blanc d'estivant, ses yeux qui glissent du vert au brun selon l'humeur, il ne ressemble en tout cas pas à l'auteur désenchanté que ses pièces laissent transparaître. Matthias Zschokke frappe au contraire par son élégance, une façon de pointer d'un index pudique une fêlure, puis de passer aussitôt à autre chose. Il ne l'avoue donc pas, mais il se fait un sang d'encre à dix jours de la première au Poche de Genève de La Commissaire chantante, pièce qu'il signe et met en scène. Pas de panique toutefois: il peut compter sur deux comédiens rompus à toutes les gymnastiques de la pensée, Martine Paschoud et Jacques Denis.
Soumettre sa propre écriture aux feux de la rampe. Telle est l'expérience rare que Matthias Zschokke vit depuis quatre semaines. Et le voilà qui retrouve les sensations de ses 20 ans, lorsqu'il lui suffisait d'un petit pas pour passer de la page blanche de l'écrivain aux plan-ches. A l'époque, le jeune homme se rêve acteur. Il rallie Bochum, où règne Peter Zadek qui, avec Peter Stein à Berlin, dynamite la scène allemande. Il est charmé par les brumes de la grande ville industrielle. Et grisé par le chaos artistique voulu par Zadek. «En tant que bourgeois suisse, j'étais émerveillé par ce vent de liberté créatrice.» Il est aussi ébloui par Pina Bausch, la grande dame du Tanztheater de Wuppertal, qui jette la danse dans les bras du théâtre. Mais c'est aussi à Bochum que Matthias Zschokke comprend qu'il ne sera jamais acteur: «J'ai beaucoup trop de doutes pour jouer. Un comédien doit avoir le geste sûr. Moi, j'aurais toujours tendance à hésiter entre mille possibilités.»
Au Poche, Matthias Zschokke doute ouvertement. Et tente de trouver sa vérité de metteur en scène novice. «Je n'ai qu'un objectif: qu'on croie à ce que font les acteurs. Qu'ils n'affichent surtout pas leur virtuosité! Je n'aime pas le narcissisme.» Cela tombe bien, Jacques Denis et Martine Paschoud ne succombent pas à ce genre de tentations. Mieux, Martine Paschoud est une inconditionnelle de Zschokke depuis longtemps. En 1993, alors qu'elle était encore directrice du Poche, elle montait L'Heure bleue; il y a deux saisons, elle s'emparait des Alphabètes à la Comédie de Genève. C'est d'ailleurs Martine Paschoud qui a demandé à l'auteur de les diriger, elle et Jacques Denis, dans La Commissaire chantante.
Une commissaire chantante? Mais oui. Sauf qu'elle serait plutôt du genre désenchantée. Ce qui ne l'empêche pas de livrer des aveux torrentiels un soir de la Saint-Sylvestre, ultime gardienne de l'ordre dans un poste de police converti en studio de radio – Loft Story n'est pas loin. Et l'officier de police de raconter alors mille histoires insomniaques au micro, histoire d'exorciser des peines innommables. Le texte est volubile, le climat joliment nuageux et l'héroïne tiraillée entre pulsions suicidaires et bavardage compulsif. C'est une tirade à perdre haleine, scandée par les apparitions scabreuses d'un certain Monsieur Schwartzkopf. Un seul mot d'ordre alors: que cette coulée ne se transforme pas en interminable tunnel. «L'essentiel, c'est de trouver la musique de la pièce, sa tonalité et son rythme», explique Matthias Zschokke. D'accord. Mais comment s'accommode-t-il du français, lui qui, de son propre aveu, ne maîtrise pas toutes les subtilités de la langue de Racine? «C'est une chance, sourit-il, d'aborder cette affaire en français. Je souffre moins, parce que je ne comprends pas tout. En allemand, certaines phrases m'apparaîtraient aussitôt fausses. Ici, non.»
Un souffle de coureur de fond pour faire passer le chagrin. Matthias Zschokke exige cela de ses interprètes. «C'est vrai, mes personnages me ressemblent. Je suis désenchanté et je n'aime d'ailleurs pas l'optimisme volontariste cher aux Américains. Mais je crois aussi qu'on peut rire de nos désenchantements. C'est à la légèreté que j'aspire.»

La Commissaire chantante,
Genève, Théâtre de Poche, rue du Cheval-Blanc 7, du 10 avril au 5 mai
(Loc. 022/ 310 37 59).

CULTURE : Une commissaire chantante trinque aux mensonges de la vie qui la rendent si belle

Date de parution: Vendredi 12 avril 2002
Auteur: Lisbeth Koutchoumoff

THÉÂTRE. Succès complet à Genève pour la comédie écrite et mise en scène par Matthias Zschokke. Le duo formé par Martine Paschoud et Jacques Denis est magistral par sa justesse comique et sa façon de raconter, sans mot dire, un amour inavoué

«La Commissaire chantante» de Matthias Zschokke, mis en scène par l'auteur lui-même au Poche à Genève, est un bijou de comédie douce-amère sur les contradictions, les faux-semblants de l'existence, et sur l'art et la manière d'y croire pour, au bout du compte, mieux vivre. Martine Paschoud, dans le rôle-titre, et Jacques Denis forment un duo exceptionnel: elle, tout à la maîtrise de son petit monde; lui, le supérieur hiérarchique, pris par l'alcool et l'amour, dans le lâcher-prise progressif. Tous deux offrent une leçon de précision comique et d'abandon (cette capacité de se laisser traverser par la dureté et la poésie de l'instant.)
Philippe Morand, à la tête du Poche, a encore une fois vu juste en donnant carte blanche au romancier et homme de théâtre biennois, résidant à Berlin depuis vingt ans, et qui se retrouvait là pour la première fois dans le costume de metteur en scène. Cette décision, prise alors que la pièce n'avait encore jamais été montée, donne aussi enfin un beau rôle à Martine Paschoud, ces derniers temps abonnée aux apparitions fugaces. Quand on sait qu'on lui doit la première mise en scène d'une pièce de Zschokke en français – L'Heure bleue, en 1993 – alors qu'elle était directrice du Poche, on comprend que ce succès ait un éclat particulier.
Le rideau du théâtre est encore baissé. Un petit poste de radio traverse, cahin-caha, l'avant-scène. Un animateur en verve annonce un drôle de programme: en cette nuit de Saint-Sylvestre, la Commissaire chantante, star oubliée de la chanson avec son groupe Les Swinging Vopos, va tenir le micro depuis son commissariat et raconter des faits divers bien saignants.
Martine Paschoud se tient de dos. En robe prune de soirée. Tout autour d'elle, le décor morne d'un commissariat tout ce qu'il y a de plus commissariat (Jean-Claude Maret). «Raconter?.... Que voulez-vous que je vous dise? Il n'y a rien. A cette heure-ci.» Le décalage entre les attentes de l'animateur de radio et la platitude totale de la réalité est bien le premier ressort comique du spectacle. Mais alors même que la commissaire annonce le vide, c'est bien le plein qui se fait sentir.
Le talent de Matthias Zschokke réside dans le fait d'avoir réussi à mêler processus comique et vade-mecum de survie dans l'existence. En racontant les petits riens de son univers (la colle sur le bureau, les pigeons dans la cour), en les décrivant avec une précision policière, la commissaire livre, en silence, des pans entiers de vie. Cette partition non écrite est bien entendu le fait du talent de Martine Paschoud dont les yeux, le port de tête racontent l'épaisseur d'une vie.
Petit à petit, entre deux chansons des Swinging Vopos, la réalité se laisse manger par un fantastique particulier. La commissaire a un amoureux perché dans un château à la campagne. Et la description de ce monde-là, idéalisé, devient une incursion folle en terre surnaturelle. Mais très vite, la commissaire démonte elle-même point par point son rêve éveillé. Pour mieux redessiner la géographie de sa vie au ras du comptoir de la pizzeria du coin. Comédienne de sa propre vie, tel sera le décor de ses nouveaux arrangements avec la réalité.



La commissaire Paschoud chante et ravit le théâtre

"Tribune de Genève", 12.4.2oo2







"Le Courrier", Genève, 25.4.2oo2





RSR (RADIO SUISSE ROMANDE)
Toutes les écritures ont rendez-vous « Entre les lignes ». La programmation oscille entre les fictions radiophoniques, surtout contemporaines et souvent originales, les accueils de la Scène ouverte, les reportages et les rencontres - parfois publiques - avec des écrivains des tous les horizons littéraires.


SAMEDI 27 AVRIL
Scène ouverte : Matthias Zschokke
18h05  Scène ouverte
            Matthias Zschokke ou le gai désespoir


Le Poche-Genève présente du 10 avril au 5 mai La Commissaire chantante, pièce de l'auteur alémanique Matthias Zschokke, dans une mise en scène de l'auteur. Un événement scénique qui coïncide avec la parution française du dernier roman de Zschokke chez Zoé: Bonheur flottant. De bonnes raisons pour dresser le portrait de l'auteur lors d'une rencontre enregistrée en public le dimanche 14 avril à 15h00 à la Bibliothèque de la Cité de Genève.

Avec Matthias Zschokke, auteur, Patricia Zurcher, traductrice et Martine Paschoud, comédienne.
Rencontre animée Anne-Catherine Sutermeister et Jean-Marie Félix

Matthias Zschokke est un auteur connu et reconnu dans la sphère germanophone depuis longtemps. Mais en Suisse romande il a fallu attendre la parution française de son roman Max en 1988 chez Zoé,  pour que le talent de cet auteur alémanique se fasse connaître. Le regretté Gilbert Musy avait alors choisi d'être son traducteur et lui avait permis de se sentir un peu plus à l'aise dans les milieux culturels, notamment romands. "Tous ceux qui parlent d'art, et ils sont nombreux, me paraissent suspects" dit Matthias Zschokke. Lui, il préfère s'adonner à l'art: écrire bien sûr, mais aussi mettre en scène et réaliser des films.
Une pièce de Zschokke créée par lui-même au Poche-Genève, un dernier roman paraissant actuellement en français grâce à la traduction de Patricia Zurcher, enfin un recueil de textes - dont la moitié d'inédits - publié en allemand, une riche actualité qui justifie pleinement l'intérêt que l'on peut porter à cet auteur singulier.
Le Poche-Genève  - en collaboration avec le Centre de Traduction Littéraire de Lausanne, les Rencontre Culturelles, les Bibliothèques Municipales de Genève et Espace 2 -  organise le 14 avril une rencontre avec l'auteur, sa traductrice Patricia Zurcher et la comédienne Martine Paschoud qui interprète sur scène le rôle titre de la Commissaire. Au centre du débat: l'écriture de Zschokke, minimale, souvent monologuée; son univers empreint de désillusion et d'humour tendre; les problèmes de traduction que pose cette langue. Patricia Zurcher traductrice de La Commissaire chantante et de Bonheur flottant en parle en pleine connaissance de cause, tout comme Martine Paschoud, complice elle aussi de Zschokke,  qui a déjà mis en scène deux autres pièces de celui qui baigne – selon elle – dans "un gai désespoir".