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Roger Lemelin

Roger Lemelin est sans contredit un des plus grands, sinon le plus grand auteur québécois. Né en 1919 dans la Basse-Ville de Québec, il vit au sein d'une grande famille et s'avère un garnement toujours prêt à faire des coups pendables. Vers l'âge de 20 ans, il se passionne pour le ski, au point où il envisage de participer aux championnats canadiens, qui doivent avoir lieu à Banff. C'est lors d'une de ses pratiques sur les pentes enneigées du Cap-Diamant, où il tente de réussir un saut périlleux à ski, qu'un accident déterminera pour lui un tout autre destin. À la suite de ce saut qui tourne mal, Roger est gravement blessé et se retrouve en chaise roulante; il lui faudra 8 ans pour remarcher normalement. À 20ans, Roger contemple ses rêves effondrés et se demande ce que sera sa vie maintenant qu'il se croît infirme à jamais. C'est lors de son séjour à l'hôpital qu'il remarque un curieux personnage dans le lit voisin, un certain Généreux Ruest, un horloger qui s'était fabriqué un réveil-matin en fixant une montre à une radio miniature. Il était loin de se douter que celui-ci lui inspirerait le personnage malfaisant de Pacifique Berthet, presque 40 ans plus tard. Après une déprime profonde, Roger Lemelin reprend lentement le dessus. Devant d'abord rester alité, il ne peut faire grand-chose d'autre que lire; un ami, travaillant à la bibliothèque du Parlement de Québec, lui fournit des ouvrages de choix: Roger développe alors un goût pour la littérature que ce garçon sportif, jadis sans cesse dehors, n'aurait jamais cru trouver en lui-même. Quelques mois plus tard, Roger apprend à se déplacer avec des béquilles et ne se sert de son fauteuil que chez lui, parce que c'est plus pratique dans la maison et moins éreintant. Il apprendra la sténographie et d'autres matières qui pourront lui permettre de "trouver un métier", comme sa carrière prometteuse de champion sportif ne peut plus être envisagée. Il travaillera comme copiste et publiera même quelques articles dans des revues de littérature, pour finir par décrocher un emploi permanent dans une de ces revues, dont les bureaux sont situés... à la Haute-Ville. Le trajet que Roger aura à parcourir chaque matin sera déterminant et donnera lieu à sa première oeuvre littéraire, qui le rendra instantanément célèbre. La Côte de la Pente-Douce est déjà essouflante à monter à pied, et c'est en béquilles que Roger Lemelin la gravit chaque matin pour se rendre travailler. Lui, le p'tit gars de la Basse-Ville, un authentique "Mulot", regarde les "Soyeux" passer dans leurs autos alors que lui force et trime pour monter la côte jusqu'à la Haute-Ville aux belles maisons, aux bureaux climatisés, et lorsqu'il redescend la côte le soir, toujours sur ses béquilles, pour regagner son pâté de maisons sales, crasseuses et surpeuplées, il a une vision: cette ascension pénible, longue, douloureuse qu'il a à accomplir physiquement et concrètement chaque jour lui laisse entrevoir une autre ascension, une autre côte que bien des gens de son milieu ne graviront jamais, n'essaieront même jamais de gravir, par certitude de ne pas y arriver. Il abandonne son emploi pour se consacrer à temps plein à transcrire sur papier tout un monde dans lequel il a vécu toute sa vie, qu'il voit tous les jours, qu'il connaît par coeur: l'écriture d' "Au pied de la Pente Douce" est amorcée. Dans ce premier roman, c'est plutôt à Jean Colin, le boiteux dont la bosse au genou empirera au point qu'il en mourra, qu'il s'identifie. Plus tard, on le retrouvera sous les traits de Denis Boucher, le journaliste intrépide, qui arrive dans la cuisine des Plouffe comme un clin d'oeil de Lemelin, débarquant de Cincinnati ou de New York pour un reportage du Time (un emploi que Lemelin lui-même a occupé). Voyant que son fils passe des heures à écrire chaque jour, et qu'il prend vraiment cette tâche au sérieux, son père, un ouvrier au salaire modeste, lui fait un cadeau de taille: une machine à écrire Underwood. Toute sa vie, même cinquante ans plus tard, Lemelin tapera ses textes sur la Underwood noire et blanche; il ne voulut jamais taper ses textes sur un ordinateur (un point en commun avec moi!). À 25 ans, Roger Lemelin publie "Au Pied de la Pente Douce" et abandonne du coup ses béquilles, bien décidé à remarcher par lui-même malgré la douleur que cela lui cause. Le roman remporte un vif succès, et ce même jusqu'aux États-Unis. Le magazine Time lui propose de devenir son reporter attitré pour la région de Québec, section politique principalement. Roger accepte l'emploi, se forçant en même temps à apprendre l'anglais puisqu'il devra maintenant écrire dans cette langue. Tout en accomplissant son travail de journaliste, Roger songe à son prochain roman, qui est encore très vague dans sa tête. Il aimerait bien y incorporer un personnage inspiré d'un de ses voisins, David L'Heureux, un tailleur de cuir au physique maigre, amateur de littérature, de disques d'opéra, bref un personnage singulier bien différent de ceux que l'on croise habituellement dans son quartier. Il arrivera un jour chez lui pour apercevoir la mère de celui-ci, Mme L'Heureux, dont le plus jeune fils, Adrien, est parti à la guerre. Ayant reçu une lettre de son fils soldat, qui voyant la guerre finie décida enfin de lui avouer, après le lui avoir caché durant des années, qu'il avait lui-même tué plusieurs ennemis, la pauvre femme sortit sur sa galerie, pour crier son désespoir au monde; de là la fameuse scène finale du roman "Les Plouffe", où l'on peut visualiser la grosse Maman Plouffe, debout sur le balcon, une lettre à la main, criant "Mon Guillaume qui tue des hommes!". Aussitôt inspiré, Lemelin écrira "Les Plouffe", qui est encore considéré aujourd'hui comme LE plus grand roman québécois de tous les temps. Il y décrira une famille étendue avec les détails qui font la vie, en plus de donner un portrait du Québec tout entier, englobant la politique, le clergé, les ouvriers. Tout cela enrobé d'un brin de fantaisie et de réalisme à la fois. À 30 ans, Roger Lemelin publie "Les Plouffe", qui sera aussi diffusé en Europe et traduit en anglais. Quelques années plus tard, "Les Plouffe" deviendra un feuilleton radiophonique sous le nom de "La Famille Plouffe", comme il était de mode de faire avec les romans populaires de cette époque (années '50). Roger dirige les acteurs et rescripte le texte pour la radio. Ensuite, Lemelin publie un autre roman, "Pierre le Magnifique", mais celui-ci sera moins apprécié et même critiqué assez sévèrement, et même Roger commence à douter de ses talents d'écrivain... aurait-il déjà épuisé tous ses dons? Au même moment, la télévision vient d'apparaître au Québec, et Radio-Canada envisage de faire de la Famille Plouffe le premier téléroman à être diffusé sur ses ondes. Le travail de scripteur accapare Roger qui écrit de moins en moins. Le premier épisode sera diffusé en novembre 1953 et "La Famille Plouffe" deviendra un évènement dans la province tous les mercredi soirs. La série sera présentée sur les ondes pendant 6 ans. Après la fin de la série télévisée, Roger Lemelin change totalement de branche. Il décide de devenir entrepreneur. Le produit choisi: les cretons de sa femme Valéda, qui sont réputés par tous ceux qui y goûtent comme les meilleurs qu'ils aient jamais connu. Avec son cousin, il crée la charcuterie Taillefer. Les affaires marchent bien et Roger se passionne maintenant pour le monde des affaires, les investissements, la bourse... il investira notamment dans les biscottes Grissol et les biscuits Viau. Au début des années 70', Roger se trouve sur un avion avec un haut employé au journal La Presse qui lui parle de problèmes syndicaux au journal. Roger expose son point de vue et ses idées à cet employé, qui les relatera plus tard à Paul Desmarais, actionnaire majoritaire de la Power Corporation, société de communications propriétaire de nombreux journaux au Canada. Paul Desmarais est impressionné et quand la grève à la Presse le force à des compromis tels le renvoi du président du journal, il pense aussitôt à un remplaçant possible. Roger Lemelin deviendra p.-d.-g. du journal en 1972, dont il signera les éditoriaux et supervisera la publication jusqu'en 1981. Entre-temps, Roger devient membre de l'Académie Goncourt en 1974 (il y sera le premier Canadien) et en 1980, le cinéaste Gilles Carle fera redécouvrir les Plouffe aux plus jeunes en portant le livre sur les écrans de cinéma plus de 30 ans après sa parution. Le film fait sensation, rendant encore plus vivants les personnages colorés de la plus célèbre famille québécoise. La sortie du film replonge Roger dans l'époque de sa jeunesse, il réfléchit... il commence à s'ennuyer à la tête du journal... il a envie de recommencer à écrire... à 63 ans, Roger Lemelin quitte son haut poste de direction et reprend sa vieille Underwood qui, il s'en rend compte maintenant, lui a grandement manqué. En 1949, un drame avait secoué le Québec lorsqu'un DC-3 avait explosé en plein vol, faisant 23 morts. On sut par après qu'un certain Albert Guay, dont la femme se trouvait parmi les victimes, avait organisé le crime pour toucher l'assurance-vie de sa femme et en partager la somme avec son complice, créateur de la bombe, ledit Généreux Ruest lui-même. Roger se rappela cette histoire non seulement parce qu'il avait été en contact avec Généreux Ruest, mais aussi parce qu'il avait connu Albert Guay dans sa jeunesse. Un jour qu'il revisionnait un épisode des Plouffe à la télévision, il les imagina prenant place dans cette histoire, évoluant dans ce nouveau scénario palpitant... il voyait Ovide devenir bijoutier, engager un horloger infirme pour l'aider, se débarassant de sa femme Rita... (mais attention!! N'oubliez jamais qu'Ovide Plouffe est innocent! ok!) Le retour de Stan Labrie, l'impuissant dont les chances auprès de Rita furent gâchées à jamais par Guillaume, fut une surprise de plus pour les lecteurs. "Le Crime d'Ovide Plouffe" fut publié en 1982, et fut tourné pour le cinéma par Denys Arcand, le frère de Gabriel Arcand, qui incarna Ovide, en 1984. Non seulement ce roman fut-il pour les amants des Plouffe une occasion de renouer avec ces merveilleux personnages, mais il permit aussi à Lemelin de compléter son oeuvre première, en nous présentant Guillaume, changé, marqué à jamais par son expérience de la guerre, en exposant un autre pan de politique québécoise, soit la période Duplessis, et en donnant enfin à Cécile la jeunesse dont elle n'avait jamais voulu, la transformant même en Miss Sweet Caporal d'un jour. En 1987, Roger Lemelin, qui a été un gros fumeur toute sa vie, arrête de fumer. Il publiera un livre sur le sujet afin d'aider les autres à le faire, mais il se sait déjà condamné: il souffre d'un cancer du poumon. Il vivra la fin des ses jours paisiblement auprès de sa femme à la "Villa du Capricorne", leur maison de Cap-Rouge, où il s'éteindra le 16 mars 1992 à l'âge de 72 ans.

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