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Pour en revenir à ma langue, je me dis souvent que peut-être un jour je l'apprendrai à quelqu'un, mais je ne crois pas avoir encore trouvé cette personne et suis pour le moment destinée à emporter les secrets de cette langue vivante non-répertoriée avec moi dans la tombe! Toujours est-il qu'on remarqua mon comportement bizarre très rapidement, puisque je dormais au cimetière et y passait le gros de mes journées. Entre les jours qui suivirent l'enterrement en juin 1987 et l'automne 1989 environ, j'arrive à me souvenir de très peu de choses. Toujours est-il que des psychiâtres voulurent me faire passer des tests en tous genres. Je refusais de leur répondre et, ce qu'il y avait de bien avec ma langue, c'est que je pouvais leur dire d'aller se faire foutre sans qu'ils le sachent. Ils n'y comprenaient rien et pensaient que je ne faisais que dire n'importe quoi, mais je m'exprimais bel et bien avec une certaine structure. Cependant, on ne peut pratiquement pas écrire en sorlingaa. On pourrait essayer, mais le récit s'avérerait intraduisible, parce que c'est une langue parlée, et qu'un mot de cette langue a 3 ou 4 sens proches, mais différents, qui sont déterminés par la situation et leur agencement dans la phrase. C'est très difficile à expliquer! Par exemple on a un mot qui veut dire hiver, froid, glace et geler à la fois, mais le sens choisi pour la situation devient évident quand on considère les autres éléments de la phrase et la situation dans laquelle elle est dite. Bref, on commença par me placer dans un centre d'où je me sauvai. Même si je ne parlais plus, j'entendais tout. On me ramena devant les psychiâtres et je commençais à vraiment en avoir assez. Ma dernière consultation eut lieu un jour où un malencontreux psy laissa une tasse de café bouillant à portée de ma main. Je le menaçai de lui lancer dessus et il dût me laisser partir. J'ai fait plusieurs fugues, ça je m'en rappelle, puis quand je suis revenue plus personne ne s'est occupé de mon cas, plus de psys, ni rien. Ma vie pendant 2 ans s'apparenta plus à celle d'un loup qu'à celle d'une petite fille. Je n'écrivais plus du tout et ne me parlais qu'à moi-même dans ma langue, en fuyant autant que possible tout contact humain. À la fin 1989, je retrouvai Sylvie, avec qui j'avais perdu contact depuis 3 ans, à cause de la maladie de ma mère, et de celle de la sienne, qui à la même époque fit une ambolie au cerveau et devint paralysée. L'amitié de Sylvie fut une bonne raison de recommencer à parler à du monde. Seulement, j'ai conscience que je suis toujours restée un peu croche, un peu brisée après ça. Avant, j'étais une petite fille gracieuse, mais depuis ce temps-là et jusqu'à aujourd'hui, j'ai toujours l'impression d'être maladroite (je ne l'étais pas avant), de passer mon temps à m'enfarger, de tout échapper, et de très mal parler. Ces traits ont fait partie de moi depuis plus d'une décennie maintenant, alors j'en viens habituellement à les considérer comme MA personnalité propre, car c'est bien ce que je suis devenue, ce que je SUIS aujourd'hui et la plupart du temps je n'y pense pas trop, je ne suis pas toujours à me dire que je parle mal et tout mais comme on est sur le sujet je dirai que oui j'en suis consciente, surtout quand j'ai des remarques de du monde.... Nous enregistrons parfois des partys qu'on fait et un jour, alors qu'on se ré-écoutait, Étienne m'a dit d'un ton peu encourageant: "C'est comme ça qu'on t'entend nous autres". Cette remarque m'a un peu bouleversée. Parlais-je donc si mal que ça? Je crois que la réponse est oui. C'est vrai que quand je m'attarde à y penser en le faisant, j'ai toujours l'impression de parler maladroitement en français; je suis modérément plus à l'aise en anglais, sûrement parce que c'est une langue plus souple, moins rigide dans les syllabes et donc plus proche de ce qui me viendrait naturellement. Non seulement je trouve souvent que j'ai de la difficulté à trouver les mots exacts pour m'exprimer, mais c'est la sonorité de la langue qui s'adapte mal à comment je me sens à l'intérieur. On dirait toujours que j'ai un accent, MON accent -pas un accent venant d'une façon de parler, mais d'une façon de penser, de se sentir- qui déforme les mots en français et la manière dont ils sonnent, et ça j'en suis consciente depuis longtemps parce que j'ai depuis ma tendre enfance la manie de l'enregistrement. Il y a aussi à prendre en considération que ma mère avait une façon de parler assez bizarre dont j'ai en partie hérité, bien sûr. Tout ça mélangé ensemble... (Là vous vous dîtes "Eille! A'divague! 'Est rendue qu'a'parle de son accent quand qu'on est dans une chronique sus son écriture!" Ouain, on y vient!!!)

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