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Les réactions qu’a entraînées la
mise à l’écart du Parti communiste libanais (PCL) lors de la cérémonie
officielle organisée à l’occasion de la libération des ex-détenus en Israël,
l’accueil chaleureux et populaire réservé au très guévariste Anouar Yassine,
le cortège de Libanais qui a accompagné les cérémonies funèbres réservées
aux résistants communistes décédés au front, la volonté exprimée mercredi
par le nouveau secrétaire général du parti, Khaled Hadadé, et par le chef du
Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, d’œuvrer de concert
pour une « nouvelle gauche », les projets de M. ةlias Atallah de créer une
formation différente, plus démocratique... Autant de signes qui seraient
annonciateurs de la naissance d’une dynamique nouvelle – centripète ? – au
sein des milieux de gauche, éclatés au maximum dans le Liban de l’après-guerre.
Cet éclatement est surtout perceptible sur la scène estudiantine, où
plusieurs groupuscules de jeunes ont émergé à partir de la moitié des années
1990, créant une nébuleuse complexe au potentiel très riche. Une nébuleuse
derrière laquelle on retrouve souvent les figures de ةlias Atallah et de
Adib Nehmé, deux principaux cadres de l’opposition au sein du PCL.
– D’abord, les « groupes indépendants », nés dans les universités privées :
« Sans frontières » à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), « Pablo
Neruda » à la Lebanese American University (LAU), « L’Action directe » à
l’Université Notre-Dame de Louayzé (NDU) et « Tanios Chahine » à
l’Université Saint-Joseph (USJ-rue Huvelin), groupe fondé par les étudiants
Wissam Saadé, Waël Wehbé et Ahmed Haïdar. « Tanios Chahine », qui a
aujourd’hui disparu de la scène estudiantine, avait été à l’origine de la
désormais célèbre manifestation d’Arnoun, en 1999. De toutes ces formations,
seule « Sans frontières », qui s’allie chaque année au Mouvement du peuple
de Najah Wakim à l’AUB en période électorale, a réussi à constituer un
certain poids politique au plan étudiant. Les « groupes indépendants », qui
ont toujours revendiqué leur autonomie vis-à-vis du Parti communiste, ont
été créés à majorité par des fils d’anciens militants de gauche, dans les
universités privées. ہ la base de leur existence, une volonté commune aux
étudiants concernés de ne pas rejoindre les rangs des partis et de garder
une indépendance réelle au niveau de la prise de décision. « Cela découle
d’une phobie d’être figé dans la structure partisane », affirme un militant
de gauche Farouk Yaacoub, membre d’une autre formation, les « étudiants
communistes ». Cette exigence d’autonomie et de plus de marge de manœuvre
dans la prise de décision explique probablement pourquoi certains membres du
PCL ont contribué à la création de ces groupes indépendants. Moment-clef
pour ses formations, un camp organisé en commun dans le Barouk en 1999 pour
l’élaboration d’une stratégie commune.
ہ noter par ailleurs l’existence de groupes de gauche dans les différentes
sections de l’Université libanaise-section I, qui dépendent généralement des
« étudiants communistes ».
– Les « étudiants communistes », à l’origine des étudiants affiliés au PCL,
ont vu le jour en l’an 2000, à la suite d’un désaccord avec le parti sur
plusieurs points, certains structurels et d’autres relatifs à la ligne
politique à adopter. Ces étudiants critiquaient principalement le manque de
démocratie au sein du PCL, notamment au niveau du processus de prise de
décision, et fixaient par ailleurs le rétablissement de la souveraineté et
la cessation des ingérences syriennes dans les affaires internes comme un
point prioritaire pour le parti. « La mentalité des dirigeants du parti est
sclérosée. Ils ont presque une vision salafiste-marxiste des événements.
Nous, nous aspirons au rétablissement de la souveraineté, à l’édification de
l’ةtat de droit et à la réalisation de la réconciliation nationale »,
indique M. Yaacoub. Un incident devait ensuite aboutir à l’expulsion d’une
poignée de jeunes du PCL, parmi lesquels Farouk Yaacoub, Omar Har’ouss,
Houssam Nassif, Kenj Hamadé, Bassam Nassereddine et Nabil Abi Saab : la
participation active de ces jeunes à un meeting du Courant patriotique libre
(CPL-aouniste) à Furn el-Chebbak. L’ouverture sur le CPL était surtout mue
par le caractère laïque du discours aouniste.
Yaacoub, Har’ouss, Nassif, Hamadé et Bassem Faqih devaient ensuite tenir des
réunions dans le village de Brihane au Liban-Sud aux lendemains de la
libération, en l’an 2000, pour former les « étudiants communistes ». « Nous
avons vraiment été présents sur le terrain pour la première fois lors des
manifestations pour l’intifada el-Aqsa en l’an 2000 », indique Yaacoub, qui
évoque également un autre conflit avec la direction du PCL sur la
participation à la réconciliation de la Montagne, en août 2001. Un événement
auquel les étudiants avaient finalement participé et que le PCL avait
boycotté. En collaboration avec le PSP, les « étudiants communistes »
devaient ensuite participer en 2001 à l’organisation du camp de Baakline,
auquel avaient pris part les aounistes, les Kataëb, les Forces libanaises et
le Parti national libéral. « Notre scission visait à faire pression sur le
parti, pour l’inciter à entreprendre des réformes vitales », affirme enfin
Yaacoub.
– Enfin, la « Ligne directe », plus connue sous le nom d’« el-Khatt el-Moubachar
», est née en 1997-1998. Il s’agirait d’un groupe restreint, qui se pose
relativement en tant que voie alternative à celle du PCL, et qui est proche
du professeur Fawaz Traboulsi. Selon Hani Mounif, ancien étudiant à l’Alba,
le problème au sein du PCL est « la bureaucratie qui existe désormais au
sein du parti » et le fait que la formation « ne pose pas les problèmes
comme il le faudrait, notamment pour ce qui est du problème socio-économique,
de la laïcité, de la démocratie ou de la lutte pour la défense des libertés
».
Pour les jeunes de gauche, « le grand conflit se situe aujourd’hui au niveau
du système sclérosé, parrainé et maintenu en place par la Syrie, qui fait
obstacle à tout développement au niveau démocratique », affirme Farouk
Yaacoub. Le PCL est dès lors voué aux gémonies parce qu’il cherche à se
trouver une place au sein de ce système inadapté qui contrevient à ses
propres principes. La solution ? Pour Yaacoub, il s’agirait d’une nouvelle
structure démocratique, au sein de laquelle tous ces groupes de gauche
pourraient faire fusion. Mais, pour Ahmed Haïdar, ancien étudiant en
sciences politiques à l’USJ, la priorité reste, malgré tous les obstacles, «
la réappropriation du PCL par la jeunesse réformiste, pour lui insuffler un
nouveau souffle démocratique, laïque et souverainiste ».
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