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«Squatters dans notre propre pays»

Pourquoi les forestières ont-elles tant de pouvoir?

Richard Desjardins
Extraits du discours prononcé par l'artiste mardi dernier alors qu'il
recevait un doctorat honoris causa de l'Université du Québec en
Abitibi-Témiscamingue.

Édition du lundi 15 mars 2004

Dernier de deux textes La question m'est souvent posée et se pose avec
pertinence: «Comment se fait-il que le gouvernement, à qui nous avons
délégué la gestion de la ressource publique, qui, en principe, détient
un rapport de force important face aux compagnies [forestières], comment se
fait-il qu'il agisse comme s'il était plutôt le représentant des compagnies
auprès de la population?» Dans les déclarations publiques, les campagnes de
publicité, il m'est encore impossible de discerner lequel des deux  pouvoirs
parle tant leurs affirmations se confondent.

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Dossier(s) Écologie

J'ai eu l'occasion d'en discuter longuement avec un ancien premier
ministre, économiste et nationaliste. J'ai commencé par lui dire :
«Vous
m'arrêtez aussitôt que je dis une connerie : Hydro-Québec rapporte un
milliard et demi au trésor public, Loto-Québec un milliard, la Société
des alcools presque autant, et la forêt 50 millions. Est-ce que ça vaut la
peine de stresser autant la forêt pour si peu ?» Il dit : «Non.» Il
ajoute : «Cette industrie est la seule à n'avoir pas connu de révolution.
C'est un univers demeuré colonial. René Lévesque avait pensé la
nationaliser, mais avait jugé que, de front avec la nationalisation de
l'électricité, la tâche s'avérerait trop lourde.»

Je continue : «Comment se sent un ministre de la forêt face à un
patron de forestière ?» Il répond : «Il fait dans sa culotte.» Pourquoi ? Il
répond :
«C'est une longue culture.» «Et vous, pourquoi n'avez-vous pas fait
quelque chose ?» «Pas eu le temps», qu'il répond.

En fait, il faut remonter à l'origine même du gouvernement provincial
pour comprendre un peu le phénomène. En 1900, le gouvernement ne comprenait
que quelques employés. L'impôt n'existait pas. Ni la taxe de vente. Le
seul revenu dont il disposait pour construire écoles, hôpitaux et routes
provenait des maigres droits de coupe qu'il parvenait à soutirer aux
compagnies de bois. Son seul revenu. Le lien de dépendance était si
étroit que dans les années 20, le premier ministre, à part son boulot,
siégeait en même temps au conseil d'administration d'une papetière sans doute pour
arrondir ses fins de mois.


Depuis ce temps et jusqu'à ce jour, le ministère responsible des
forêts a été le théâtre d'une osmose quasi complète entre les intérêts des
compagnies et l'écriture des lois sensées les encadrer. Le va-et-vient
des gestionnaires et des cadres entrant et sortant du ministère pour
rejoindre les directions de compagnies et vice-versa est un sujet de rigolade
dans le milieu.


Encore plus drôle quand un de ceux-ci, ancien sous-ministre passé
directement à la direction de l'association de compagnies de bois,
m'écrit  par l'entremise le bureau d'avocat Ogilvy Renault de la Grande Allée à
Québec : «Nous vous mettons par la présente en demeure de cesser
immédiatement toute discussion, rédaction, diffusion, insinuation ou
référence quelconque visant notre client, sous réserve de tous les
droits et recours dont il dispose contre vous.» Fin de la citation. Un peu
plus et on m'interdisait de penser à lui.


 Cette mainmise totale des compagnies sur la ressource se traduit en
région par le pillage et par l'exclusion de la société du monde forestier.
Elle sont en effet les seules à détenir des droits. Celui qui va se couper
un sapin de Noël dans la forêt publique est maintenant passible d'une
amende de 500 $ car cet arbre, fatalement, appartient à une compagnie. Les
pourvoiries n'ont aucun contrôle sur leur environnement. Les
autochtones non plus. Nous sommes squatters dans notre propre pays.

Une valeur qui s'en va !



Et avec l'absolutisme, vient l'arrogance. Les grossistes en bois de
construction ne peuvent même pas s'approvisionner en région. Le bois
se retrouve à Toronto où il est classifié selon sa qualité. Le plus beau
s'en va aux États-Unis. Les grossistes doivent affréter des vannes pour
aller chercher le bois là-bas, se contenter de ce qui reste et le remonter.
De sorte qu'en pleine région productrice, le constructeur doit acheter
son madrier plein de nœuds au prix le plus élevé au pays.

Et l'appétit vient en mangeant. Par la manipulation des mesurages, par
le cadeau du petit bois de moins dix centimètres accordés aux compagnies,
il y a 20 % plus de bois qui sort de l'usine qu'il n'en rentre. Cela veut
dire qu'au cours des 15 dernières années, les compagnies ont joui de trois
années d'approvisionnement gratuit, pour lequel elles n'ont payé aucun
droit de coupe; 20 % de bois volé aussi aux travailleurs forestiers,
abatteurs et transporteurs, tous soumis à l'implacable régime de la
sous-traitance -- car la compagnie exige que son bois soit livré dans
sa cour --, tous vivotant au bord de la faillite et du découragement.
Telle est la situation.

En même temps les compagnies informatisent au maximum leurs opérations
en usine. L'industrie emploie à peu près le même nombre de travailleurs
qu'il y a 20 ans, mais la valeur de la production a été multipliée par six.
Nous n'avons en rien profité de tout cela. Cette nouvelle valeur marchande
sort de la région.

Ne vous demandez pas pourquoi les jeunes désertent la région. C'est
parce que la région les a d'abord désertés. C'est parce que leurs parents
n'ont pas encore pris possession de leur territoire. Le Québec détient le
deuxième rang mondial pour le taux de suicide chez les jeunes hommes.
Et le record québécois se situe en Abitibi. J'ai demandé à un groupe de
fonctionnaires du ministère des Ressources naturelles : «Si des jeunes
veulent se créer une entreprise forestière, que leur conseilleriez-vous ?»

Ils se sont tous regardés pour me répondre finalement : «Y a pus de
bois disponible.»

Miser sur la région

Le régime des multinationales a fait son temps. Elles ne créent plus
d'emploi, au contraire. Elles abusent de la ressource et saccagent le
>territoire. Je parlais avec un pourvoyeur de la région de Senneterre.
Il me livre son raisonnement : «La forestière vient chercher ma forêt, elle
ramasse deux millions en deux mois qu'elle envoie à ses actionnaires.

Moi, j'ai un chiffre d'affaires de 200 000 $. Dans dix ans, ça fait aussi
deux  millions mais l'argent reste en région et la forêt reste debout.» Ce
qui s'est réalisé en création d'emploi depuis dix ans, sauf erreur, fut
essentiellement le fruit d'initiatives régionales et de petites entreprises.
Il faut se tourner vers cette manière de faire.

Et opérer un profond changement de mentalité politique dans nos
relations avec le gouvernement pour en arriver à ce que les régions exercent un
minimum de souveraineté sur leur territoire. Un peu à l'image du
modèle adopté par plusieurs pays européens où des conseils régionaux gèrent
des enveloppes globales. C'est un immense pays que le Québec, et très diversifié.
Les besoins sont très différents, d'un méga écosystème à
un autre. Or le pouvoir y est démesurément concentré à Québec. [...]



Le professeur Moussaly de l'Université du Québec à Chicoutimi a estimé
que Québec effectuait une ponction de 100 millions chaque année en
Abitibi-Témiscamingue. Il perçoit un milliard en revenus d'impôt et de
taxes de toutes sortes pour en dépenser 900 millions en services. Cent
millions, ça ferait un bon fond de développement, ça, me semble.

D'autre part, la Caisse de Dépôt récolte 20 millions ici, mais n'y
investit rien. Même que le Fonds de Solidarité de la FTQ soutire 14 millions
d'épargne, mais n'en retourne qu'un seul. Même que la moitié des
droits de coupe perçus en Abitibi ne sont pas réinvestis ici. Nous avons de
l'ouvrage politique à faire mesdames, messieurs. Déjà la région du
Saguenay-Lac-Saint-Jean et celle de la vallée de la Matapédia
réclament le contrôle de la gestion forestière. C'est bon signe.



C'est dans cet esprit de redéfinition de la gestion du territoire que
l'Université du Québec peut et doit jouer un rôle en conformité avec
son mandat, et je cite : «de se prononcer publiquement, en tant
qu'institution, sur des enjeux sociaux de façon à contribuer à la conscience que se
donne elle-même la société et à la définition des voies d'avenir qu'elle
veut tracer».

Comment évolue cette conscience ? Dans un sondage exhaustif réalisé
l'an passé dans le Bas-Saint-Laurent, une des régions les plus pauvres du
Canada, on y évalue le rapport que la société entretient aujourd'hui
avec son territoire. La valeur environnementale y surpasse la valeur
économique. Les gens craignent de voir se désagréger leurs écosystèmes. Il y a
lieu de penser que les résultats seraient semblables ici.

La société est prête pour un virage vert dont les avantages n'ont pas
encore été comptabilisés, mais qui surpassent certainement les
retombées du saccage généralisé. Dans l'état actuel de la foresterie, chaque arbre
qui reste debout devient un investissement. L'université peut devenir ce
laboratoire d'idées. Étant donné que le gouvernement se désengage
progressivement du financement de ses universités, il faudra prendre
bien garde cependant de contrôler la tétanisation des programmes
universitaires par les entreprises industrielles. [...]

Ma part

Pour ma part, à ma mesure et ma manière, je continuerai d'oeuvrer à la
reconstruction de mon cher territoire. J'ai le plaisir et l'honneur de
travailler depuis quatre ans au sein de l'Action boréale en
Abitibi-Témiscamingue, un mouvement citoyen qui vise à dresser un
portrait  de l'état réel de notre forêt, civiliser la foresterie et à susciter
la création d'espaces naturels protégés. [...]

Comme vous le savez probablement, le gouvernement a finalement décidé,
dix ans après l'avoir promis à Rio de Janeiro lors de la Convention sur la
biodiversité tenu en 1992, d'instaurer un réseau d'aires protégées sur
son territoire. Il entend d'ici 2005, en protéger 8 %. Son but est de se
rendre à 12 %, ce que l'Ontario a déjà atteint, ayant eu la prudence de ne
pas concéder la totalité de ses forêts aux compagnies. Ces 12 % sont déjà
un compromis politique qui ne correspond en fait qu'à la moitié de ce que
nécessiterait le maintien minimal de la biodiversité dans nos
écosystème, c'est-à-dire 25 %, tel qu'établi par des autorités scientifiques, et
tel que souhaité par la commission sénatoriale fédérale qui s'est penchée
sur l'état des forêts canadiennes.

Une bonne partie de ces 8 % a déjà été saupoudrée dans la toundra où
même les mouches noires n'osent pas aller. À l'heure actuelle le ministère
de l'Environnement s'active dans la région pour trouver l'emplacement
d'aires protégées et en déterminer les modalités d'usage.

Dans ces aires, les
activités humaines continueront de s'exercer normalement :
villégiature, chasse et pêche mais les opérations industrielles (minières,
forestières et hydroélectriques) seront interdites. Après avoir repéré ce qui nous
reste d'espaces naturels, après avoir fait le tour de la région pour
recueillir les suggestions de la population, l'Action boréale a élaboré son plan
et propose la mise sous protection de 36 espaces forestiers.




[...] Mesdames, messieurs, il m'a fait plaisir de vous adresser la
parole ce soir et je ne puis que vous inviter à devenir gestionnaire à part
entière de votre forêt boréale, la plus grande du monde, qui, by the
way, absorbe le tiers des gaz à effet de serre et qui passe ici. Elle est à
nous, elle est publique, c'est la loi. Où que vous soyez, défendez-la,
votre forêt. La liberté ne se quémande pas, elle se prend. [...]

«Caminante, no hay camino, se have camino al andar.

Chemineur, il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant.»

-Antonio Machado, poète espagnol

Maintenant,

Que les huards hurlent

Que les dorés remontent frayer même si c'est déjà fait.

Que je rentre dans deux bars à la fois

Quand je verrai double

On sera quatre

Pis on passe à l'attaque.

Merci.




''Mais tu n'es pas le Bon Dieu
Toi, tu es beaucoup mieux
Tu es un homme.''


J.Brel
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