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Extrait du poème de Michèle Lalonde
Speak white
Il est si beau de vous entendre
parler de Paradise Lost
ou du profil gracieux et anonyme qui tremble
dans les sonnets de Shakespeare
nous sommes un peuple inculte et bègue
mais ne sommes pas sourds au génie d'une langue
parlez avec l'accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
Speak white
et pardonnez-nous de n'avoir pour réponse que les chants rauques de nos ancêtres
et le chagrin de Nelligan
Speak white
parlez de choses et d'autres
parlez-nous de la Grande Charte
ou du monument à Lincoln
du charme gris de la Tamise
de l'eau rose du Potomac
parlez-nous de vos traditions
nous sommes un peuple peu brillant
mais fort capable d'apprécier
toute l'importance des crumpets
ou du Boston Tea Party
mais quand vous really speak white
quand vous get down to brass tacks
pour parler du gracious living
et parler du standard de vie
et de la Grande Société
un peu plus fort alors speak white (.....)
Michèle Lalonde
Référence. Michèle Lalonde, Speak White, Montréal, l'Hexagone,
1974.
Explication. Ce n'est pas, formellement, un manifeste car il n'y avait
pas, à la rédaction du texte, de prise de position collective et publique. Ce
fut d'abord un poème, un poème engagé. Dès son apparition le 27 mai 1968 sur
la scène de la Comédie canadienne lors d'une manifestation intitulée Chants
et poèmes de la Résistance (avec Y. Deschamps, G. Miron, R. Charlebois,
etc.), il a été cité, et brandi comme une sorte de manifeste. Publié aussitôt
dans la revue Socialisme (comme poème), puis, en 1974 dans une plaquette
de poèmes à laquelle il donne son titre, il existe aussi sous la forme d'une
affiche, dessinée par Roland Giguère, où le texte est en rouge sur fond gris.
L'affiche visait à freiner le photocopillage, mais elle a contribué à donner
au texte une allure de dazibao.
Le titre, qui revient seize fois sur 108 lignes comme un leitmotiv, a un
grand impact. Il s'agit d'une formule stéréotypée utilisée assez couramment
dans l'Ouest canadien, injonction raciste permettant d'agresser ceux qui,
appartenant à un groupe minoritaire, se permettaient, dans un lieu public, de
parler autre chose que l'anglais. Le poème fut, à cause de son titre, considéré
comme séparatiste. Une autre lecture est cependant possible puisque, en
Ontario, on l'étudie dans les classes de français en tant qu'hommage à la
culture anglaise. L'auteure, en présentant son texte, au moment où il venait
d'être composé, à la comédienne Michèle Rossignol, avait obtenu de celle-ci
une diction nuancée, avec "des élans de tendresse envers la langue
anglaise, qui est aussi ma langue". On devrait donc sentir plus
d'amertume que d'ironie dans les allusions littéraires. Mais cette interprétation
contraste avec presque toutes les utilisations et citations ultérieures, qui
ont tiré le texte dans une interprétation partisane qui a, à son tour, été
dénoncée. (Comme dit Camus, l'artiste doit choisir entre être utilisé ou dénoncé,
mais compris, jamais.)
Le vers "nous sommes un peuple inculte et bègue" fait allusion au
mot de Durham dans son Rapport (1838): "les Québécois sont un
peuple sans histoire et sans littérature". (Remise dans son contexte,
cette phrase n'avait pas non plus les résonances qu'on lui a prêtées.)
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