1- « De l’audace, et de la prudence, des idées parfois subversives, de l’humour tempéré, des rosseries enveloppées. Beaucoup de lectures, beaucoup de références aux philosophes critiques de l’histoire, fort peu aux philosophes interprétatifs (la crise de l’histoire qui s’écrit n’a-t-elle rien à voir avec les crises de l’histoire réelle? le progrès et la régression, le sens ou les sens, les non-sens de l’histoire... » p. 7

2- « On comprend, à lire le chapitre sur la collection « L’univers historique », quelle puissance d’intégration, facteur de « pensée unique », possède le marché des livres d’histoire, puisque non seulement les chefs de file de courants opposés se retrouvent côte à côte dans la même collection, mais qu’ils dirigent ensemble des ouvrages (l’Histoire de la France religieuse, dirigée par Le Goff et Rémon [...]). Gérard Noiriel se trouve être lui-même un des auteurs de la collection : est-ce un hasard si le chapitre commence par une dénonciation, relativement acérée, [...] de la « critique de dénonciation » (Francois Dosse est visé), si la « volonté de nuire » est énergiquement répudiée au profit de la pure « volonté de savoir » [...] ? » p. 8

3- « Tout rapetisse, y compris les querelles. Celles de Lucien Febvre étaient grandes, même quand le calcul individuel s’en mêlait. » p. 9

4- « [...] le cas de Francois Furet, président élu, à deux reprises, de l’EHESS, professeur à Chicago, dont le Monde Diplomatique d’août 1996 révèle qu’il a reçu de la Fondation Olin (droite reaganienne) la somme de 470.000 dollars pour mener à bien sa mission de démarxisation de la Révolution française et de liquidation définitive du danger communiste. » p.10

5- «Que la créativité ne soit plus ce qu’elle était, passe encore, puisque la baisse de la qualité et l’apogée quantitatif étaient à peu près synchrones. Mais aujourd’hui l’apogée est loin. Les sciences sociales et la philosophie reprennent du poil de la bête. Le concept est à l’offensive. L’histoire elle-même se conceptualise irrésistiblement. » p.11

6- «  Le « pragmatisme » de Noiriel et de ses amis se réclame, tout simplement, de Marc Bloch, de métier d’historien. Il se propose de clarifier les pratiques de recherche des historiens. Il envisage l’histoire « sous l’angle des relation de pouvoir », sous l’angle de l’action, professionnelle ou civique. Certes, Marc Bloch ne méprisait pas l’action. On peu même dire qu’il est mort de cela. » p. 12

7- « Historiens d’aujourd’hui, dans votre « tournant critique », puissiez-vous rejoindre bientôt le Marc Bloch de 1990 et le Jean-Pierre Vernant de 1950 ! » p. 13

8- «  La « nouvelle histoire », c’est un peu comme l’ « art moderne ». Ils étaient vraiment modernes autour de 1900, à la rigueur dans les années 1920 et 1930. Quand James Harvey Robinson publiait The New History (1912) et Harry Elmer Barnes The New History and the Social Sciences (1925) [...] ils étaient assurément plus révolutionnaires que nous, quand nous disons la même chose , en 1979, au nom de la « nouvelle histoire ». » p. 13-14

10- « Par rapport à la Belle Époque, l’entre-deux-guerres est bien terne. La sociologie périclite, renonce. La pensée historienne piétine. Mais il y a progrès des applications, et de diffusion surtout. Le lancement des Annales d’histoire économique et sociales par Marc Bloch et Lucien Febvre, à la date-tournant de 1929 (Henri Berr salue en 1930 l’ « histoire nouvelle »), relève de l’innovation autant que de l’invention. » p. 14

11- «Le bilan [de la Nouvelle Histoire], l’inventaire, méritent des éloges. Peut-être toutefois le rôle d’Henri-Irénée Marrou dans la survie d’une réflexion épistémologique proprement historienne aurait-il dû être rappelé. Peut-être l’histoire économique, qui a occupé le gros des forces de la jeune historiographie française pendant des dizaines d’années, aurait-elle dû avoir autant de place que l’anthropologie et la psychologie historiques. Peut-être l’histoire des mouvements sociaux et la psychologie historiques. Peut-être l’histoire des mouvements sociaux et révolutionnaires aurait-elle dû être mentionnées, ne serait-ce qu’à cause de Borkenau et de Finley [...] » p. 15

12- « Entre l’éclectisme circonspect et généreux et le conformisme sectaire, il n’y a d’ailleurs qu’un pas. Les imprécations contre Toynbee (qui travaillerait « de troisième main », qui philosopherait « à peu de frais »...) n’atteignent-elles pas Weber, Marx, et toute théorie, tout théoricien autre que d’occasion? Le comparatisme « extravagant » qui est condamné, ce n’est pas celui de Dumézil, qui a droit à un bel article ; ce n’est sûrement pas celui de Le Roy Ladurie, rapprochant, dans un numéro récent du Nouvel Observateur, le France de 1589 et l’Iran de 1979 ; où commence donc l’extravagance ? » p. 16

17. « Le règne de l’empirisme tempéré, et de la franche quantophrénie, a laissé comme un vide. Dans un premier temps, il conviendrait de prendre par rapport à soi-même, par rapport aux cinquante années des Annales, par rapport aux trois quarts de siècle de la « nouvelle histoire », suffisamment de recul critique. Il conviendrait d’être insatisfait. Est-ce si difficile? » p. 16

18. «  Le « marché commun des sciences humaines », sous la houlette régulatrice de l’histoire, est une réalité, et une réussite. Mais la véritable intégration? Elle était l’objectif des révolutionnaires de 1900 les plus authentiques. Elle reste un objectif enthousiasmant, autrement plus enthousiasmant que la défense et l’illustration d’une historiographe sempiternellement « nouvelle ». L’unification exige un concept unificateur qui ne peut être ni celui d’ « anthropologie », ni celui de « sociologie », ni évidemment celui d’ « histoire »). Elle exige une théorie fondatrice, ou plusieurs, mais coordonnées, une théorie des éléments, une théorie du changement, une théorie des espaces... La science moderne de la vie n’est-elle pas néé, au XIXe siècle, d’un concept unificateur (« biologie ») et de théories fondatrices (la théorie cellulaire, la théorie de l’évolution...) ? » p. 16

19- « Remarquons à ce propos l’absence d’articles « Histoire universelle », « Orientalisme », « Asie », etc., dans le dictionnaire de la Nouvelle Histoire, et que s’il y a, - gloire à Le Goff jusqu’au haut des cieux! – un article « Européocentrisme », il consiste en quelques renvois. Voilà pourtant un désenclavement, celui des disciples historiennes elles-mêmes, non moins indispensable que le désenclavement de diverses sciences de la société et de l’homme. Voilà un terrain où les tendances « sérielles » de la nouvelle histoire pourraient se donner libre cours : l’étude de la série (l’humanité) ne relaierait-elle pas avantageusement l’étude de l’unique (les spécificités culturelles, occidentales notamment) ? » p. 17

20- « L’historiographie dépolitisée (« non-événementielle », dit-on aussi) serait-elle le revers, le complément et la conséquence d’une histoire politiquement décevante, d’ « événements » toujours malheureux? ou serait-elle précieuse à quelques-uns parce qu’elle laisse à l’abri, en réserve, leurs mythes politiques vermoulus, voire parce ce qu’elle peut, tôt ou tard, renforcer ces mythes de son prestige du « tellurique » et de l’ « originel » ? » p. 21

21- « Charles Seignobos (ses principes, ses programmes valaient mieux, certes, que les applications qu’il en fît). » p.27

22- « À part le Collège, le principal sujet du livre est la confection des Annales, les Annales au quotidien, d’infinis problèmes de correction des épreuves (et de coût des corrections), de choix et de réécriture des articles (Lucien Febvre supporte mal le style de la plupart de ses collaborateurs), d’appointements directoriaux (mais oui!), de rémunération des auteurs (invraisemblable mais vrai!), d’abonnements gratuits (le soucis d’économie, ici, frise le sordide)...La tambouille! 5% d’inspiration, 95% de transpiration... » p. 33

23- «  Il y a une mode, vers 1929, des revues d’histoire économique : depuis novembre 1928 paraît aux Etats-Unis le Journal of Economic and Business History, depuis janvier 1929, en Angleterre, l’Economic Historic Review. Les Annales d’histoire économique et sociales (janvier 1929) sont en bonne compagnie. La Revue de synthèse historique d’Henri Berr, en revanche, passe de mode : trop conceptuelle, pas assez factuelle. » p. 34

24- «  La rareté des pensées neuves, ou leur refus (cela revient au même), crée comme un appel, une nostalgie de textes. Les brouillons des grands ancêtres ou leur correspondance (Bloch, Febvre, Braudel, Halévy, Michelet...), leurs notes préparatoires, leurs manuscrits oubliés, perdus, ou inachevés ont d’autant plus de prix que la créativité, et la réceptivité, dans les temps récents et actuels, sont plus faibles. » p. 40-41

25- «  Il n’est pas un historien, en France, qui ne soit animé à l’égard de l’homme Braudel de sentiments divers, même si l’admiration, ordinairement, l’emporte. C’est que ce retraité, cet écrivain, a été un homme puissant (un « général », un « dictateur », dit-il lui-même), un des trois hommes les plus puissants de la corporation historienne [...] Braudel fut un tyran débonnaire et caustique : dent dure, cœur innombrable, injustices insupportables et incroyables gentillesses. Le plus humain des hommes, le meilleur, à condition d’accepter ses caprices et ses avanies, ses lazzi. Et la nostalgie du pouvoir l’habite. » p. 46

26- «  Le vrai problème et de savoir si le braudélisme est l’horizon indépassable des sciences historiques et sociales de notre temps. Le vrai problème serait de savoir de quoi sera fait l’après-baudélisme. » p. 47

27- « Mais peut-on aller plus loin que Fernand Braudel? Et dans quelle direction? Risquons une hypothèse, avec le sourire, et tous les grains de sel qu’il faut. Il en est, il en sera du braudélisme ce qu’il en fut de l’hégélianisme. Il y aura, il y a déjà des braudéliens de gauche et des braudéliens de droite, des braudéliens d’avant-garde et des braudéliens d’arrière-garde. Il y a aussi des braudéliens centristes, le peloton, le gros de la troupe. » p. 47

28- « Fernand Braudel on le voit, est disciple de Seignobos : il fuit les « sujets insignifiants », préférés des « personnes d’esprit médiocres ». Dans ses fresques bourrées de données, dans ses survols brillants et elliptiques, la part de l’archive, du document de première main, est forcément réduite [...] » p. 47

29- Le « déboulonnage » de Braudel n’a pas seulement été la mise à l’écart d’un patron vieillissant. Il est allé de pair avec un « changement de paradigme », le triomphe de la parcellisation », le recul de la « grande histoire ». Le diagnostique [de Pierre Daix] est juste. On peut le préciser. Il y a l’aspect qualitatif, les nouvelles directions prises par l’histoire depuis 1968, les nouveaux thèmes historiographiques, la liberté bien sûr, les régions, les marginaux, les femmes, le corps, le sexe, la mort, la fête, les « racines » et le « patrimoine » : innombrables travaux, dont quelques-uns, surtout dans les débuts, sont très neufs, fièvre d’histoire et de mémoire, orgie du concret et de naturel, climat peu favorable à la théorie, au concept, aux abstractions de la science, aux modèles braudéliens, mais porté à la célébration des griots médiatiques... » p.58

30- « [À propos de Le Roy Ladurie] Entre cette orientation déjà ancienne vers ce qu’il y a de plus charnel dans l’homme, et la ferveur descriptive d’aujourd’hui, ces jaquettes, ces récits colorés, il n’est pas arbitraire d’apercevoir un lien. Et la clé du succès n’est-elle pas là, dans l’adéquation à l’esprit d’une époque naturaliste en diable, furieusement éprise de concret. » p.67

31- « S’il est vrai que l’esprit soixante-huitard exige que l’histoire ne soit pas seulement une activité intellectuelle mais aussi bien une pratique, un engagement de tout l’être, un combat où l’on va avec toute son âme et où s’affrontent des valeurs autant que des vérités, si l’esprit de mai, - qui est l’esprit du temps, - tend à faire en sorte que l’histoire serve le présent et que la froideur de la science, ses prudences et ses réserves fondent au brasier des luttes actuelles, alors Pierre Chaunu, qui prône une objectivité « de sympathie, non d’indifférence », qui voit en l’histoire un « instrument d’analyse du présent » pour la « construction d’un monde vivable », Pierre Chaunu est un soixante-huitard caractérisé. » p.73

32- « Et les mémoires d’historiens, les autobiographies de professeurs à la retraite (ou proches de la retraite) se multiplient, l’auto-histoire, l’égo-histoire prospèrent [...] Il est vrai que le genre est ambigu, qu’il permet à des spécialistes de l’Antiquité, du Moyen-Age ou du XVIIe siècle de se muer en historiens du XXe siècle, ou en anthropologues-sociologues de leur région ou de leurs lieux de vacances. Il permet aussi, il pourrait permettre à des spécialistes de prendre du recul par rapport à leur spécialité et à leur œuvre, de dresser des bilans, d’ouvrir des perspectives, d’accéder aux généralités sur l’histoire, à l’épistémologie, à la théorie, à la philosophie de l’histoire, ne serait-ce que pour dire du mal de tout ce qui ressemble à celle-ci. » p.78

33- « George Duby n’a ps de doctrine à nous proposer, ou plutôt il en a une multitude, éparpillée sur toute l’étendue de son Moyen-Age familier. Il connaît la vertu et les limites des grandes hypothèses systématiques ; il n’éprouve pas le besoin de les remplacer. Les problématiques nouvelles l’intéressent ; il y goûte avec prudence, sans se laisser dévorer par elles [...] Il n’est pas Malraux non plus. Pas de visions mondialistes, pas de dialogue des cultures. Un christianocentrisme résolu. Un Musée imaginaire sans exotisme. » p.92

34- « L’égo-histoire au XIXe siècle et à la Belle Époque n’aurait pas surpris (voir Michelet, Renan, Lavisse...). Mais dans la période qui va de la Première Guerre mondiale à 1968 elle est marginalisée : ni Febvre, ni Bloch, ni Braudel, ni Labrousse, ni Mousnier n’ont raconté leur vie (ils ont répondu quelquefois aux questions). L’histoire, marxiste ou pas, se veut scientifique. Elle se veut « non-événementielle ». Elle fuit l’anecdote. » p.95

35- « La fièvre égo-historique est récente. Elle semble s’être manifestée surtout à droite (Philippe Ariès, Raoul Girardet, Alain Besançon, François Bluche, Pierre Chaunu, Emmanuel Le Roy Ladurie...). Peut-être l’histoire traditionnelle, attachée aux grands hommes, soutenait-elle, obscurément, l’audace de ces auteurs, de certains d’entre eux... En partie grâce au volume de Nora, la fièvre a gagné à gauche. L’ « effondrement du marxisme et de l’histoire-science, le repli empirique et monographique, ou littéraire, la microstoria et les biographies Fayard, l’inflation mémorielle et commémorative, l’envahissement des médias, y ont aidé aussi. » p.95

36- « Le problème central de l’égo-histoire est celui-ci : la mémoire de l’historien vaut-elle mieux que la mémoire de tout un chacun ? si oui, dans quelle mesure ? la mémoire de l’histoire peut-elle se passer des enquêtes et des contre-enquêtes, de la collecte et de la critique des témoignages écrits et oraux, qui définissent les recherches historiques ? accède-t-elle de plein pied, de par la profession de son détenteur, à la dignité de l’histoire ? » p.96

37- « Les années 1970 et 1980, malgré Veyne et quelques métahistoriens soixante-huitards, anarcho-marxistes en majorité, ont été plus propices à l’histoire qu’aux sciences sociales, plus propices aux recherches de détail qu’aux interprétations théoriques audacieuses. Elles ont vu fleurir l’enquête pointilleuse et technique, la description, plus ou moins sophistiquée. L’archéologie a connu de beaux jours. La fin de la période, la chute de la créativité aidant, a battu des records d’émiettement ultrahistoriciste, de culte de l’unique ou du particulier, d’idiographie, d’égographie, de minigraphie, de pipigraphie... » p.99

38- « Les années 1980 sont des années relativement raisonnables, des années prosaïques. Ce n’est pas leur seul caractère. Plus encore que les années 1970 (qui virent le triomphe, en leur milieu, du Montaillou de Le Roy Ladurie et du Louis XI de Kendall), les années 1980 sont empiriques et historiennes, obsédées du fait et du passé [...] Conditions favorables à une épistémologie historique calme, moins critique ou hypercritique, moins masochiste ou obscurantiste que celles des années brûlantes, romantiques et moralistes, que nous vécûmes depuis les environs de 1968, - à une histoire de l’histoire. » p.104

39- « Les années 1980 sont factualistes, anti-conceptualistes. Elles contestent la synthèse historique, l’histoire totale, l’histoire nouvelle de Berr, de Febvre, de Bloch, de Braudel. Elles aiment prendre en flagrant délit de légèreté et d’idiologisme les champions de l’histoire intelligente, ambitieuse. Elles ont une autre caractéristique : leur médiocrité, propice aux combats douteux, aux querelles de subalternes, aux franches régressions. » p.107

40- « Seignobos n’était pas si « traditionnel ». Il était le contraire d’un esprit étroit, d’un homo academicus borné. Historien engagé, dreyfusard de la première heure, passionné d’histoire très contemporaine et d’épistémologie, ouvert à l’histoire économique et sociale comme à la philosophie de l’histoire, il protégea, entre les deux guerres, à la Revue historique, Charles-André Julien, l’historien (décolonisateur) des colonies, et Fernand Braudel. Mais il était trop puissant pour ne pas irriter. » p.108

41- « De quoi procède l’exclusion du politique et du militaire ? [...] Chez les historiens, d’une réaction saine, mais irréfléchie, excessive, dangereuse, contre une histoire trop sûre d’elle-même, qui a longtemps dominé la discipline et qui continue de dominer le marché. Raison annexe : la pacification des esprits. Pour faire sérieux, scientifique, pour ressembler aux savants véritables, pour atteindre la froideur, la sérénité, pour maintenir, dans la corporation ou le groupe, un minimum d’ordre et d’union, condition d’efficacité, de succès, d’influence, il vaut mieux éviter les sujets trop brûlants. Désarmons, ne parlons pas de ce qui fâche, laissons la politique au vestiaire. » p.115

42- « L’enracinement social du chercheur, et son engagement social [...] Parlons d’abord des racines. La classe (au sens très large) n’est pas la seule racine. Ce n’est pas toujours celle qui importe le plus. Il y a la nation (au sens très large également). Il y a le corps, l’enracinement psychosomatique, qu’on aurait tort de négliger. Il y a aussi l’époque, racine particulièrement profonde et coriace. Tout historien est quadruplement enraciné. Comme tout homme, et comme tout créateur.

Est-ce à dire que le créateur se borne à exprimer la vision des groupes auxquels il appartient et des époques qu’il vit ? Lukacs opposait les « grands écrivains » réalistes, chez qui la puissance du réel l’emporte finalement sur les préjugés, et les « petits écrivains » réalistes. De même, un historien sera d’autant plus grand qu’il surmontera de plus haut les préjugés régnants, qu’il résistera plus fermement aux sommations des puissances et des modes, qu’il outrepassera davantage, notamment, les visions hégémoniques, celles des groupes (sociaux, nationaux) dominants, et qu’il écoutera mieux le silence, les plaintes ou les sarcasmes des autres, des vaincus, des exploités, des minoritaires. » p.118

43- « L’erreur historique se définit par l’unilatéralité. Et la vision d’un groupe ou d’une époque est toujours unilatérale. » p.118

44- « Le grand créateur de discours historiques [...] traduit, à la fois, et transcende, sa situation historique et personnelle. » p.118

45- « [...] l’histoire se fait tous les jours, les expériences aussi, et il peut être utile à la pensée historique que l’historien, que certains historiens, y mettent la main. Si c’est pour la retirer, pleines d’enseignements, lourde de science possible. Engagez-vous ! Dégagez-vous ! » p.118

46- « La pensée se nourrit de l’action. L’action étouffe la pensée. Deux vérités partielles qu’il n’est peut-être pas impossible de concevoir ensemble, et d’honorer. » p.119

47- « [...] allons, bon, c’est terminé, le goût de vivre soixante-huitard, la prédilection historienne pour les jeux et les joies collectifs, pour les fêtes du coït, de la bouffe ? est-ce la crise qui engendre cette vision grise, cette historiographie déprimée ? ou, dans le socle épistémique, quelque fêlure, dont les historiens de l’avenir retrouveront la trace ?). » p.121

48- «