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Amazon.fr: Vous considérez-vous comme un auteur « politique » ? Laurent Cantet: J'ai toujours beaucoup de mal à répondre à cette question. Effectivement, je ne renie pas le fait que mes films ont un vrai sens politique. En revanche, j'ai plus de mal à revendiquer le côté « militant » qu'on a essayé de me donner lorsque j'ai fait Ressources humaines. J'ai des sentiments politiques très forts mais, par exemple, je n'ai jamais réussi à militer dans un groupe. Mes films rendent compte d'une complexité du monde et des problèmes qui peuvent s'y poser, mais je n'ai pas l'impression que je donne des réponses ni même que je cherche à en donner. Amazon.fr: Avez-vous craint une récupération politique de vos films ? L.C.: Non, bien au contraire. Ainsi, Ressources humaines a été fait dans un mode de travail très expérimental, en cherchant ce qui pouvait être dit sur le sujet, en confrontant mes opinions et mes idées à celles de tous les participants et acteurs non professionnels qui s'étaient impliqués dans le film. Dès lors, il me semblait logique que, par la suite, il m'échappe un peu et que, par exemple, la syndicaliste puisse avoir envie de montrer le film, d'en parler, qu'elle pense que ce soit un vrai outil de lutte. Ça, ça me plaît assez. Amazon.fr: Qu'est-ce qui vous captive dans le monde du travail comme sujet cinématographique ? L.C.: Il me paraît difficile de ne pas en parler quand on veut décrire la complexité du monde qui nous entoure. Pour commencer, on y passe tous énormément de temps et, pour beaucoup, c'est une vraie aliénation quotidienne. Ensuite, on est tous plus ou moins modelé par le boulot qu'on fait : on parle comme les gens qu'on côtoie et on est vaguement obligé de se plier aux règles du jeu et aux apparences qu'on attend de nous. Enfin, c'est également un domaine où la violence sociale trouve un espace presque légitimé par l'attitude, par l'idée de profit. À ce moment-là, on peut avoir, dans le cadre du travail, des relations qu'on ne se permettrait nulle part ailleurs. Amazon.fr: Pour L'Emploi du temps, à quel point « l'affaire Roman » vous a-t-elle inspiré dans l'écriture du scénario ? L.C.: À l'époque du fait divers, surtout du procès, le sujet m'avait fasciné et j'avais déjà commencé à vaguement y réfléchir. Lorsque, avec le scénariste Robin Campillo, nous avons repris l'idée, nous n'avons pas fait de recherches bibliographiques car d'emblée, nous n'avions aucune envie de traiter le fait divers en lui-même. Sur la base de certains éléments, nous avons surtout essayé d'imaginer cette double vie, qui était l'essentiel qu'on pouvait retenir de ce fait divers. Nous voulions retrouver l'aspect précaire de cette vie parallèle, avec la voiture, les autoroutes, la solitude… plutôt que la vie d'un homme qui n'a plus envie de travailler et qui, au bout du compte, échoue et retrouve ce à quoi il voulait échapper. Amazon.fr: Choisir un comédien plus connu au théâtre qu'au cinéma avait-il comme but de renforcer l'anonymat du personnage vis-à-vis du spectateur ? L.C.: Tout à fait ! Dès le départ, je ne voulais pas que le personnage soit encombré par une notoriété cinématographique ou d'autres rôles déjà incarnés : il devait être le plus transparent et le plus « vierge » possible. Et puis, il y a eu la rencontre avec Aurélien Recoing que j'avais vu dans La Vie moderne de Ferreira-Barbosa. Il y a eu de sa part une ouverture telle à mes propositions qu'il a accepté de se plier à pas mal d'essais et à des séances de travail un peu longues avec d'autres acteurs, tous des non-professionnels. Petit à petit, nous avons senti que le personnage se dessinait, même s'il nous a fallu quelques semaines pour être convaincu que c'était bien lui qu'il nous fallait. À partir de ce moment-là, j'ai vu de sa part une implication rare chez un acteur. Amazon.fr: D'où vient votre envie de mettre en scène des comédiens non professionnels ? L.C.: Je l'ai toujours fait car je trouve toujours plus surprenant de découvrir quelqu'un qu'on n'a jamais vu, d'entendre des voix et des façons de parler rares au cinéma, d'intégrer tous ces petits incidents qui viennent d'un jeu un peu moins maîtrisé… J'ai l'impression d'y trouver énormément d'éléments qui viennent nourrir le film. Amazon.fr: Vous considérez-vous comme un metteur en scène « réaliste » ? L.C.: Je vois davantage L'Emploi du temps comme un film à suspens avec, parfois, des connotations fantastiques. Même si l'on parle d'une réalité très banale, celle d'une vie de famille bourgeoise, il semble que, petit à petit, on glisse dans la subjectivité du personnage, dans son regard, sa tête. C'est d'ailleurs ce que nous voulions dès le départ. Amazon.fr: Le fait que la fin de votre film ne « colle » pas au fait divers, était-ce également voulu dès le départ ? L.C.: Oui ! La dernière scène, c'est la première que j'avais en tête car je tenais absolument à ce qu'il y ait cette tentative d'évasion ratée. Amazon.fr: Quel regard portez-vous sur le DVD de L'Emploi du temps ? L.C.: Dès le départ, j'étais partie prenante et ce qui m'a surtout plu c'est d'y associer Les Sanguinaires. Ce sont deux films qui, selon moi, ont des points similaires, notamment dans la trajectoire des personnages, dans cet espèce d'éloignement progressif du monde. En plus, Les Sanguinaires a été très peu vu, très peu montré, puisqu'il n'est passé que sur Arte. Amazon.fr: Quels sont vos films de chevet ? L.C.: C'est une sorte de mélange. Il y a du Rossellini (Allemagne année zéro ou Europe 51), du Minnelli, La Règle du jeu de Jean Renoir et, parmi les plus récents, Roberto Succo de Cédric Kahn. Amazon.fr: Avez-vous un projet qui vous tient à cœur ? L.C.: Il y a ce premier projet que j'ai toujours eu en tête, celui que j'avais commencé en sortant de l'IDHEC, il y a des années de cela. Mais il était d'une telle ambition que j'ai dû l'arrêter. C'est l'adaptation de La Pornographie de Gombrowicz. Peut-être y arriverai-je un jour…--Propos recueillis par Jean-Pascal Grosso