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texte de l'édition de 1971

LE DRUIDISME

ou la lumiere d'occident

AVANT-PROPOS

«Ecoute moi, petit marcassin, si tu ne sais pas, toi, moi, je sais.»

Toute journée commence au coucher du soleil, heure qui marque l'achèvement de la journée précédente. Toute année commence à la fête de Saman (environ le 1er novembre), date qui marque l'achèvement de l'année précédente et le début du Temps Noir (novembre et décembre). Toute existence individuelle en Abred commence à l'heure de la Mort, instant qui marque l'achèvement de l'existence précédente. En somme, toute manifestation particulière, constituant la trame chronologique sur laquelle se tisse l'Evolution de tout ce qui est, débute sitôt la fin de la manifestation précédente, par un temps de repos auquel succédera une nouvelle période d'activité. Au cours de la nuit, l'individu sombre dans le sommeil qui détend ses muscles et ses nerfs, régularise ses fonctions organiques et renouvelle ses forces physiques et mentales, en vue d'une nouvelle période d'activité diurne. Au cours du Temps Noir, la Nature inactive puise dans l'univers les forces cosmiques qui, sitôt passé le Solstice d'hiver, lui permettront d'affronter, avec le maximum de puissance, l'effort ininterrompu de dix mois d'accomplissement végétal. Au cours de la période post mortem, l'Esprit en évolution puise les forces spirituelles qui lui seront nécessaires pour aborder et réaliser une nouvelle incarnation et ce, jusqu'à ce qu'ayant atteint, dans l'Abred, l'état de perfection compatible avec les conditions contraignantes qui le régissent et l'enserrent, il quitte ce cycle pour pénétrer au Gwenved (monde blanc) où il recouvrera la plénitude de son Awen (génie particulier) avec le souvenir exact et détaillé de ses expériences passées. L'exposé de ces simples considérations chronologiques, allant de la succession des jours jusqu'à celle des existences prouve l'indiscutable originalité et l'éternelle actualité des conceptions celtodruidiques. Cette originalité et cette indéfectible actualité sont les plus sûrs garants de l'intérêt que peut présenter l'étude même succincte, du Druidisme et de l'enrichissement spirituel que cette étude peut nous apporter. Mieux vaut, pour mettre les choses au point d'une façon nette et précise, définir ce que n'était pas le Druidisme et ce qu'il ne saurait être, car depuis un millénaire et demi il a été proféré à son sujet les stupidités et les contre-vérités les plus énormes. Malgré le danger que crée le plasticage du colossal monument érigé conjointement par Pline et César, le Vatican, la Sorbonne et toutes les Universités nous devons à la stricte Vérité d'affirmer que le Druidisme ne fut jamais une religion et les Druides n'étaient pas des prêtres. Pour étayer cette affirmation, deux preuves suffisent: Les prêtres des religions celtiques étaient désignés sous l'appellation spécifique de Gutuatres. Les religions celtiques étaient polythéistes alors que le Druidisme était monothéiste. Grands initiés d'une doctrine ésotérique, qu'ils ne découvraient qu'à leurs disciples, les Druides enseignaient l'existence d'un Dieu unique et parfaitement inconnaissable. Ce Dieu étant insaisissable et incontactable, le meilleur moyen pour l'honorer leur semblait être de s'instruire de tout ce qui était déjà connu et, partant de cette base, de chercher la Vérité supérieure en scrutant les lois naturelles physiques et psychiques, en fouissant la Nature, avec la ténacité du sanglier fouillant pour trouver sa provende de glands et de truffes Mais, sachant de science certaine, qu'il est impossible d'imposer, durablement, le Monothéisme au peuple (le Christianisme a tenté l'expérience et a échoué, le culte des Saints n'étant qu'un polythéisme larvé), ils laissaient ledit peuple à l'adoration de ses dieux multiples, lesquels n'étaient en fait que des aspects différenciés de l'Inconnaissable Unique ou des divinisations de forces naturelles dont les effets étaient connus, mais les causes ignorées. Autre absurdité répandue à l'encontre des Druides: les sacrifices humains. N'étant pas prêtres, les Druides ne pouvaient être sacrificateurs. De plus, nous le verrons plus tard, ils enseignaient le respect et l'amour de tout ce qui vit, étaient non violents au sens moderne de l'expression et la règle de leur Classe leur interdisait de se servir des armes, de les porter et même de les toucher. Calomniez, il en restera toujours quelque chose. La Rome impériale, puis la papale, se devaient de salir le Druidisme et les Druides. Les archéologues, les préhistoriens et, à leur suite, les pédagogues tant de l'enseignement public que privé pourraient, aisément, réduire à néant cette légende infamante. En effet, les tables dites de sacrifice sont des monuments mégalithiques au même titre que les dolmens, les menhirs, etc. Or, celles de ces pierres qui ont été traitées au Carbone 14 accusent une ancienneté d'au moins 8 à 12 mille ans. Elles étaient donc érigées et utilisées des milliers et des milliers d'années avant l'implantation des peuples celtiques en Europe occidentale; implantation qui se produisit entre 1000 et 800 avant J.-C. Mais les intellectuels français sont trop profondément intoxiqués par la culture méditerranéenne pour se permettre de l'accuser d'avoir commis une grossière erreur, mieux, une calomnie éhontée. En foi de quoi, les Druides, dont la blanche saie de lin pur ne fut jamais souillée par le sang d'autrui, demeureront pour les touristes amateurs de sensations fortes, mais sans danger, les émules du sinistre Calchas.

GLOSSAIRE ABRED Cycle de la nécessité, au cours duquel l'esprit subit différentes incarnations. ANKEN Douleur ANKOU le Trépas ANKOUN l'Oubli ANOUN Chaos primordial AWEN Esprit débarrassé des contraintes de l'incarnation et retrouvant la mémoire de ses expériences antérieures. (cf Spered). BARZAS (breton) ou Barddas (gallois): recueil de poèmes d'inspiration bardique. ENE Ame, corps animique. GWENVED Monde blanc, lieu de félicité et de repos. GORSEDD Assemblée. KAD Combat. KENMIL Co-animalité KONAN Roi. KORF Le corps, la matière par extension. KORIDWENN Divinité représentant un lieu-état favorable à la condition terrestre. KORRIGAN ("petite magicienne blache") Femme consacrée. KRWI "Casier judiciare métaphysique", comparable au Karma des Hindous. KYTHROL Divinité représentant un lieu-état défavorable de la condition terrestre. Parèdre de Korridwenn. MABINOG Disciple, fils spirituel. NWYVRE (alias: la Farine de l'Air), cinquième élément, composante universelle de la matière. PENTYERN chef suprême des Tyerns, élu pour un temps limité. SPERED Esprit, corps spirituel lié à une manifestation ncarnée. TYERN Comte, chef de clan.

PREMIÈRE PARTIE Le Druidisme Son essence, sa raison d'être, et sa vision du monde

CHAPITRE I

Le ternaire sacré Il existe un document précieux pour qui veut étudier le Druidisme. Ce document est constitué par les Triades des Bardes de Bretagne. Il s'agit, sans contradiction possible, des vestiges de l'enseignement oral que les Druides donnaient, jadis, à leurs disciples. Il est indiscutable qu'elles durent subir un certain nombre d'édulcorations, au cours des siècles. Les retrouver intactes eût tenu du prodige. Il en est, sans doute, également beaucoup qui ont sombré dans l'oubli. Toutefois, pour ne plus avoir de nez, le Sphynx de Giseh n'en est pas moins le Sphynx. Les Triades furent publiées, d'abord, en Gallois et en Anglais dans un ouvrage intitulé Barddas. Traduites en Breton et en Français, elles ont été offertes aux lecteurs continentaux par Yves Berthou-Kalledwoulc'h, par Léon Denis, puis par G. Berthou-Kerverziou et J. Piette. Une nouvelle traduction, effectuée par l'un des meilleurs celtisants de l'heure présente, est actuellement en cours de réalisation. Les premières sont dites Triades philosophiques, les autres Triades historiques. Chacune d'entre elles débute, inéluctablement, par le mot Trois. Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour conclure de cette continuelle répétition que le nombre 3 revêtait, pour les lointains auteurs de ce document, une importance toute particulière. Cette importance est intégralement contenue dans la première Triade, celle qui ouvre l'énumération des Triades philosophiques. La voici «Trois choses primitivement contemporaines et de chacune il n'en saurait être qu'une: Dieu, La Lumière ou Vérité et un point de Liberté où se font équilibre toutes oppositions ». Avant tout commentaire et toute exégèse, une évidence jaillit de cette Triade et s'impose définitivement: le monothéisme druidique. Reprenons, un à un, les divers termes de cette proposition fondamentale. Au commencement de tout sont les trois Choses, puisqu'elles sont primitivement contemporaines. On ne peut donc pas envisager l'existence manifestée de l'une sans celle des deux autres. Elles sont marquées du sceau de l'unicité: Un seul Dieu, Une seule Lumière ou Vérité, Un seul point de Liberté où s'équilibrent toutes oppositions. Dans cette tri-unité primordiale, dont tout découle, chaque partie a son caractère propre. Dieu, que par ailleurs, la doctrine druidique nous présente comme immobile, enfermé dans un habitat particulier appelé Ceucan ou Keugant où, seul, il peut résider. Sa pensée est la Lumière ou Vérité. Celle-ci est active, car, la nature même de la lumière est d'éclairer, et, celle de la Vérité est de convaincre. La Lumière ou Vérité est une lorsque Dieu l'émet. Mais, de même que la lumière blanche se divise lorsqu'elle rencontre un prisme et donne le spectre solaire, la lumière ou Vérité se présentera sous des aspects différents lorsqu'elle rencontrera le cerveau des êtres pensants. D'où cette conclusion: la Vérité est une, mais ses modes de manifestation sont multiples. Du seul fait qu'elle agit, la Lumière ou Vérité rencontre une certaine résistance, sinon, elle se bornerait à stagner. Cette résistance qui lui est offerte entraîne une imperfection de sa réalisation, si minime soit-elle, alors que la pensée de Dieu ne peut être que parfaite. Il y a donc un certain décalage entre la perfection de l'émission et l'imperfection de la réalisation, d'où opposition entre les desiderata de Dieu et les résultats acquis par l'action de sa pensée. C'est alors qu'entre en jeu le point de Liberté où se font équilibre ces oppositions, afin de recouvrer l'Harmonie nécessaire à l'équilibre primordial. Ce qui permet d'établir, en parallèle de la première Triade, ce système à la fois puissant, efficace et souple du Ternaire sacré: «Un élément statique pensant. Un élément dynamique réalisant et, entre les deux, un élément harmonisateur maintenant l'équilibre de la combinaison.» Si nous trouvons le nombre 3 au commencement de chaque Triade, c'est que tout ce qui a été établi par la pensée druidique, et dans tous les domaines, est basé sur le système idéal du Ternaire. Les Druides rejetèrent le système unitaire, qui est l'apanage de Dieu. Dieu est un et Il réside seul, dans le Keugant, mais l'unicité, la solitude perpétuelle ne peuvent être supportées valablement par l'être créé. Certes, chaque être vivant est né seul et mourra seul. Mais, profondément enraciné en lui se trouve la nécessité d'être au contact d'autres êtres vivants. C'est un lieu commun que de dire que l'Homme est fait pour vivre en société. Si le système unitaire s'avère être insoutenable à l'être créé, le binaire ne semble par devoir lui être plus favorable. Là, deux éléments sont en présence. S'ils fusionnent c'est l'anéantissement volontaire du binaire et le retour au système unitaire. S'ils ne fusionnent pas, ce processus de retour au système unitaire sera plus lent, certes, mais, tout aussi inéluctable que dans le premier cas. En effet, le seul cas où la combinaison binaire serait susceptible de se maintenir durablement en harmonie équilibrée, implique que les deux éléments en présence soient de force égale. Un tel cas d'égalité ne peut s'imaginer que dans la perfection absolue. Or, l'être créé étant, par conséquence de la loi de cause à effet, frappé d'imperfection, il se trouvera, immanquablement que l'un des éléments dominera l'autre, le subjuguera et finira par l'annihiler, d'où retour au système unitaire. Seul, le Ternaire sacré des Druides convient au créé, grâce à la souplesse qu'entraîne la présence de l'élément harmonisateur où s'équilibrent toutes oppositions. Grâce à lui les deux autres éléments, même de forces inégales, et il ne saurait en être autrement, demeurent dans une condition idéale de coexistence sans fusion et sans annihilation, grâce au jeu de compensation libératrice du troisième élément. Cette indéniable supériorité du Ternaire sacré, les Druides le découvrirent par autorévélation, au cours de leurs méditations introspectives, car il constitue le schéma type de l'être créé.

CHAPITRE II

La tripartition de l'être

«Quand tu dors, es-tu un corps, une âme ou un repaire de sensations?» Taliesin, barde gallois des Ve - VIe siècles Pour plus de facilité dans les expressions et partant, pour une compréhension plus rapide et plus aisée, il sied de prendre l'être humain: comme sujet d'étude. N'est-il pas celui que nous connaissons le mieux? L'être humain est composé, schématiquement, de trois parties et de chacune il n'en saurait être qu'une: Le corps physique ou Korf, le corps animique ou Ene, le corps spirituel ou Spered. Le corps physique est, évidemment, celui que nous connaissons le mieux au cours d'une incarnation, car, il est l'élément visible, palpable, pondérable de la combinaison. Issu de la matière, ou plus exactement de l'imbroglio de vibrations que nous nommons matière, il est appelé à y retourner, lorsque l'expérience en cours sera achevée et que la tri-unité humaine se disloquera. Il est, en quelque sorte la machine complexe, aux mille rouages divers conçue par une intelligence géniale, mais qui n'est rien, ne peut rien sans une mise en activité venant du moteur qu'est le corps spirituel et transmise par le corps animique. Dans le ternaire humain, le corps physique est l'élément dynamique. Il est une comparaison qui, quoique n'ayant aucun rapport avec le Druidisme, n'en est pas moins susceptible d'illustrer ce qui précède. La combinaison tri-partite de l'être est semblable à la Radio: Le corps spirituel est l'émetteur; le corps animique, les ondes hertziennes qui transmettent l'émission qui leur est confiée; le corps physique est le poste récepteur qui captant ces ondes, diffuse l'émission lancée par l'émetteur. Si l'ensemble fonctionne bien, l'émission est idéale, ce qui correspond à une existence aussi harmonieuse que le permet la condition en Abred. Si les ondes sont perturbées ou que le récepteur présente quelque défaillance mineure l'émission est imparfaite, c'est-à-dire que la vie est troublée soit par la maladie, soit par des épreuves d'ordre moral. Si le poste récepteur ne fonctionne plus c'est l'arrêt de l'audition, total et définitif. Il ne reste plus qu'à changer de récepteur. Car tandis que le poste refuse de détecter, l'émetteur continue d'émettre et les ondes de transmettre. Durant le sommeil, la cohésion étroite des trois éléments de la tri-unité se relâche sans, pour cela, cesser d'exister. Le corps physique endormi détend ses muscles et ses nerfs, tout en captant les ondes qui sourdent de la terre et qui le rechargent. C'est pourquoi dormir à même le sol tout en étant moins confortable et moins douillet, est nettement meilleur que tout autre mode de couchage. C'est ce qui fait que les vagabonds et les clochards font preuve d'une aussi surprenante résistance physique. Tandis que le corps physique dort, le corps animique qui ne connaît pas le sommeil, voyage dans le Cosmos et s'y recharge, également, au contact des fluides et courants cosmiques, qui sont de même nature que lui. De son côté, le corps spirituel procède de même au sein du milieu qui lui est propre. Le réveil est marqué par la reprise de contact étroit entre les trois éléments. Toutefois, il est préjudiciable d'avoir un réveil brusque ou brutal. Les deux éléments en errance réintègrent, alors, trop rapidement leur place normale ce qui produit des réactions qui troublent l'harmonie de la tri-unité. C'est ce que nous appelons un réveil en sursaut, suivi, dans la plupart des cas, d'un temps d'hébétude, voir d'incohérence, de tremblements nerveux, de maux de tête, qui se prolongent aussi longtemps que les trois éléments n'ont pas retrouvé leur disposition normale. Ce qui semble étonnant à qui ne connaît pas, déjà, la liberté d'allure des corps spirituel et animique, est qu'ils puissent s'éloigner, passer au travers des murs, plafonds et portes, sans trouver de résistance et sans faire de bruit. En réalité, ces corps étant, le premier totalement immatériel, le second compose d'une matière extrêmement légère et ténue, les obstacles dressés pour enfermer le corps physique n'existent pratiquement pas pour eux. Le corps spirituel, lui, est le contraire total du corps physique qui constitue son support et son véhicule terrestre, son outil de manifestation. Il émane de Dieu. Sa caractéristique principale est l'immortalité. C'est lui qui périgrine au travers de l'Abred, s'incarne, se désincarne et s'incarne à nouveau. A chaque incarnation, il est doté d'un corps physique nouveau, mais, lui, demeure perpétuellement ce qu'il était au début de ses transmigrations. Il est invisible aux yeux charnels, impalpable et impondérable et pourtant c'est de lui que jaillit la vie qu'il transmet au corps physique par le truchement du corps animique. Alors que le corps physique paie, en un laps de temps relativement restreint, ses erreurs et ses fautes, ses imprudences et ses excès d'ordre matériel par la maladie, puis par la mort, le corps spirituel, lui, comptabilise tout ce qui a trait à la vie supérieure du Moi. Chaque manquement aux lois de l'Esprit, connues de chacun de nous sous la forme de cette insaisissable Voix de la conscience que tous nous avons entendue, est classée par le corps spirituel dans le Krwi, c'est-à-dire dans ce que les orientaux nomment Karma et dont une très intelligente définition a été donnée par l'auteur de «Fakirs et Yogi de l'Inde»: «Une sorte de casier judiciaire métaphysique.» Ce n'est qu'après le rachat de toutes ces fautes inscrites sur ce peu banal casier judiciaire que Spered, sortant d'une longue suite d'incarnations, sera admis à pénétrer au Gwenved. Entre le corps spirituel pensant et le corps physique agissant et les reliant l'un à l'autre, se trouve le corps animique, élément harmonisateur et stabilisateur de la combinaison. Invisible pour la plupart des humains, il est cependant aperçu par certaines personnes douées d'une grande sensibilité. Il apparaît, alors, sous la forme de l'Aura, sorte d'enveloppe semifluidique, de forme ovoïde entourant le corps physique et prenant des colorations diverses suivant les sentiments et les réactions émotives, l'état de santé ou le degré d'évolution de l'être qu'il environne. Il est certainement perçu, aussi, par les animaux, qui changent de comportement à l'égard de l'Homme, sans que celui-ci ait manifesté sa pensée par geste ou par parole. C'est ce corps animique que l'on aperçoit, de façon toujours imprécise, lors des apparitions fantomatiques et des matérialisations médiumniques. Sa substance quasi immatérielle est issue du Cosmos et parcourue par le fluide ou les fluides très puissants qui manifestent la vie à son degré. Pratiquement impondérable, il s'avère être, dans certains cas, réellement palpable. Plonger la main dans un corps animique séparé de son corps physique donne la sensation, d'ailleurs très désagréable, de toucher une sorte de toile d'araignée ténue et froide. Il est, en sus, doté d'un pouvoir émotionnel intense, dont le contrecoup se répercute, inéluctablement, sur le cerveau, le cœur et le foie du corps physique. C'est en lui que s'équilibrent les oppositions qui se manifestent entre les desiderata de l'Esprit et les possibilités réalisatrices du corps physique. Le déplacement d'un corps spirituel ne se manifeste par strictement rien, ni bruit, ni variation de quelque ordre que ce soit dans l'atmosphère. Il n'en est pas tout à fait de même, pour le corps animique. Lorsque celui-ci traverse un obstacle matériel, l'on perçoit, si le silence est total, un très léger craquement. Ce sont ces craquements que les personnes dotées d'une ouïe fine entendent lors d'une veillée mortuaire ou dans la chambre d'un défunt de fraîche date. Les esprits forts, les matérialistes à tous crins et les peureux de toutes espèces désireux de se rassurer prétendent que ces craquements sont produits par le bois des meubles vétustes. L'ennui est qu'ils se produisent également, si les meubles sont neufs et même s'il n'y a pas de meubles du tout. En fait, ces craquements légers sont dûs au passage de la semi-matière animique, qui disjoint momentanément les cellules du bois ou de la pierre, sans, d'ailleurs, laisser la moindre trace de son effraction. De même, la présence, en un lieu clos, d'un corps animique en errance crée un presque imperceptible courant d'air froid dû, d'une part, à l'infime mouvement de l'atmosphère qu'entraîne sa mobilité et, aussi, à sa totale absence de chaleur. Ces manifestations ne sont d'ailleurs perceptibles que lors de l'arrivée d'un corps animique désincarné par la mort. Cela nous amène, tout naturellement, à connaître le comportement des trois éléments de la tri-unité, lors du décès de l'être qu'ils constituaient. La mort entraîne la dissociation des trois corps. Le corps spirituel s'évade le premier. L'expérience qu'il vient de vivre est achevée. Il en fait le bilan (le fait est confirmé par les noyés et asphyxiés que l'on a réussi à ramener à la vie et qui, tous, affirment avoir fait, en un éclair, le compte à rebours de leur existence) puis se retire, réintégrant le monde spirituel dont il est issu et où il va goûter un temps de repos variable, suivant le libellé de son casier judiciaire métaphysique, dont le poids l'attirera, inévitablement, tôt ou tard, vers une nouvelle incarnation, à moins qu'ayant racheté toutes ses erreurs et ses fautes, il sorte, définitivement, du cycle de l'Abred. C'est, alors, l'entrée au Gwenved. Plus fidèle à son compagnon de lutte, le corps animique demeure soit près de lui, soit dans les parages immédiats. N'étant pas doté d'intelligence particulière, il ne comprend pas que le corps physique est mort. De plus, étant le siège des réflexes automatiques, il est attiré par les lieux et les objets qui lui étaient familiers durant la vie. L'habitude l'entraînant, il se dirige vers les meubles qui lui étaient les plus familiers et, naturellement, n'ayant plus le support du corps physique, pour s'y arrêter, les traverse, d'où les craquements précités. Mais, ne recevant plus du corps spirituel l'influx vital nécessaire à sa propre cohésion, il se dissoudra, au bout d'un certain temps, dans l'atmosphère et ses diverses composantes retourneront au Cosmos. Pour ce qui est du corps physique le processus est connu de tout un chacun: Refroidissement total, rigidité puis décomposition et grâce à ce dernier phénomène, retour à la vie terrestre de chacune des composantes du cadavre, par le truchement de la terre où il est enfermé. Et c'est ce qui est admirable! La mort n'est en fait que la dissociation des trois éléments, non leur anéantissement. Chacun d'eux retourne au milieu dont il est issu, terrestre, cosmique ou spirituel, pour reprendre place dans l'éternelle activité vitale, et ce, selon les conditions qui lui sont propres et en fonction du rôle qu'il a à jouer dans la marche d'ensemble de l'Univers. Pas d'anéantissement parce que le Néant n'existe pas, l'Enfer non plus. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, disait Lavoisier. Le Druidisme, longtemps avant l'existence du grand savant, avait complété sa formule par: Tout évolue, selon sa nature et par les moyens qui lui sont propres, vers la sublimation terminale: le retour à l'Inconnaissable Unique. Afin que l'enseignement expliquant le rôle de la tri-unité de l'être et son achèvement ne se perde pas, les Druides l'ont résumé en un seul tercet monorime, inclus dans le chant des Séries, lequel fut recueilli par Hersart de la Villemarqué (et bien d'autres aussi, d'ailleurs) et publié dans son ouvrage intitulé Barzaz Breiz. Voici ces trois vers: «Deux bœufs devant une coque. - Soufflant et tirant. - Voyez la merveille.» Ces trois vers font allusion à une parabole mythologique celtique où il est conté que deux bœufs sont attelés à une coque enlisée dans la vase. Ils tirent. Ils soufflent. Ils sortent la coque de sa fange. Mais l'un des bœufs, épuisé par l'effort, meurt. Son compagnon se couche près de lui et périt à son tour. La coque seule demeure, hors de la vase où elle gisait précédemment. Le bœuf qui meurt le premier est le corps physique. Le second est le corps animique et la coque représente le corps spirituel sauvé de l'enlisement dans la matière. La compréhension de cette parabole est d'autant plus aisée qu'un conte, en tout point semblable, se trouve dans les textes sacrés de l'Inde et y est largement expliqué. Le conte hindou ne se différencie du celtique que par le remplacement de la coque indéterminée par un char et des deux bœufs blancs par deux chevaux de la même couleur. Nous ne nous sommes référés à la tri-unité humaine que pour faciliter la compréhension de l'antique doctrine druidique. Mais, il est nécessaire de préciser que la même loi s'impose à tout ce qui est dans la création. Sur ce plan, rien ne nous différencie des animaux ou des végétaux. Les Triades le stipulent, au sujet des animaux, en précisant que certaines fautes ramènent l'Esprit en Abred, singulièrement la Cruauté le replonge dans la co-animalité. Si donc, comme l'affirment les Triades, un corps spirituel, ayant déjà plus ou moins expérimenté l'état d'Humanité, peut se réincarner en Kenmil, c'est-à-dire dans l'état d'Animalité, la présence d'un corps animique s'impose pour faire la liaison entre le corps physique de la bête et son corps spirituel, ne fut-ce que pour jouer son rôle de transformateur, car, sans sa présence, la première décharge d'influx vital émise par le corps spirituel suffirait à désintégrer le corps physique. Il appert donc de ceci que l'Animal est édifié sur le même schéma tri-unitaire que l'Homme. Et il en découle, tout naturellement, que la bête est, tout comme l'être humain, dotée d'intelligence, de sensibilité, de sentiments élevés ou bas, d'aspirations spirituelles et, par voie de conséquence, d'une Conscience, le tout se manifestant et s'exprimant par les moyens sensoriels dont elle dispose. Elle n'a pas la parole, car le langage des animaux est extrêmement restreint; mais il est indiscutablement prouvé qu'ils correspondent entre eux par télépathie, ce qui, admettons-le avec modestie, constitue une très réelle supériorité. Si la Sagesse consiste, partiellement du moins, à se détacher des biens de la Terre et à borner ses désirs à ce qui est absolument nécessaire pour subsister et assurer la perpétuation de la race, condition nécessaire à l'évolution d'autres corps spirituels, il ressort d'un examen sommaire que l'Animal est plus près de la Sagesse que l'Homme qui, lui, se crée des besoins et des désirs avec dilection, et qui s'ingénie à les assouvir par ce qu'il appelle le Progrès. Faut-il en conclure que l'Animal s'avère supérieur à l'Homme? Rien ne nous y autorise. Mais, rien ne nous autorise non plus à déclarer qu'il lui soit inférieur. Ce sont des formes d'évolution différentes et parallèles, auxquelles un corps spirituel peut s'intégrer, pour une ou plusieurs expériences, suivant les besoins du degré de son évolution personnelle et les bénéfices qu'il peut en tirer pour l'allégement de son casier judiciaire métaphysique ou Krwi. L'important, le but unique des épreuves de l'Abred étant d'échapper à la nécessité des réincarnations et d'accéder au Gwenved. Quant au règne végétal, ce ne sont pas les Triades qui proclament son exacte similitude par rapport aux autres états de vie, mais le Chant des Séries. La Série du nombre 3 affirme catégoriquement: «La tri-partition est de règle en ce monde-ci. - Trois commencements et trois fins. Pour l'homme et pour le chêne aussi.» Les trois commencements sont, évidemment: La constitution d'un corps animique, lorsque le corps spirituel est en voie de réincarnation. Celle d'un corps physique, consécutive à la fécondation de l'ovule par le spermatozoïde. Corps physique auquel le corps animique apportera le flux vital émis par le corps spirituel, tandis que les fonctions génésiques de la mère assureront son développement matériel. Celui, enfin, de l'entité, dès la naissance. Pour être différent, le processus de formation de la tri-unité végétale n'en est pas moins similaire. La seule différence résidant dans le fait de ce qu'au lieu d'apporter le flux vital à un embryon se développant dans une matrice humaine ou animale, le corps animique l'apportera à un germe se développant en terre, à partir d'une semence. Quant aux trois fins, elles sont: La fin de la cohésion entre les trois éléments, c'est-à-dire la mort qui entraîne le dégagement du corps spirituel. La fin du corps physique puis celle du corps animique. La dissociation des trois éléments se manifestant, chez le végétal, par le non-renouvellement des feuilles, puis le pourrissement ou la dessiccation du tronc ou des tiges. La présence affirmée par la Série 3 des trois éléments constitutifs dans l'entité végétale, nous amène à tirer, en faveur de l'état de végétalité, les mêmes conclusions que pour l'état d'animalité par rapport à celui d'Humanité. Soit: Le végétal est doté d'une intelligence, d'une sensibilité qui se manifestent par les moyens propres à ce règne et si nous ne connaissons pas de moyen d'expression au végétal, c'est, de deux choses l'une, ou qu'il n'en a pas besoin, ou bien que nous ne sommes pas encore parvenus à l'identifier. De toute façon, l'état de végétalité est une plate-forme d'évolution, comme les deux autres états, il est différent d'eux, certes, mais parallèle et mène au même but. Tout ceci est confirmé par le grand Barde Taliesin, qui vivait au Ve siècle et qui, dans un poème inspiré et saisissant, énumère toutes ses incarnations. Taliesin ne cache pas avoir été arbre dans la foret et sanglier fouissant sous le chêne et cette énumération s'achève par l'affirmation éclatante: «Et maintenant, je suis Barde et je chante!» Il est certain que cette tri-partition de l'être et cette fraternité entre les règnes végétal, animal et humain sont bien faites pour surprendre, voire même choquer, ceux qui, dès la plus petite enfance, ont été modelés par les conceptions judéo-chrétiennes.

CHAPITRE III

La cellule trinitaire: la famille

Si l'Homme est l'élément de base de la Société, la Famille en est la cellule fondamentale. C'est elle qui permet à l'être humain de rompre avec la solitude de sa naissance et de prendre un premier contact avec ses semblables. Institution traditionnelle, dont l'origine se perd dans l'accumulation des dizaines de millénaires, elle est basée, comme tout ce qui est naturel, sur le ternaire sacré. Certes, elle existait avant les Druides et le Druidisme. Mais, ils l'ont codifiée et lui ont donné une structure solide, puisqu'elle a tenu bon, jusqu'à nos jours, exactement régie par les mêmes règles imprescriptibles, qui la régissaient il y a trois mille ans. La Famille est un ternaire: Père, Mère, Enfant. Le père en est l'élément pensant. C'est à lui qu'incombe, traditionnellement, le soin de penser la vie de la Famille, son développement, son avenir. C'est en lui que réside l'autorité, qu'il peut appliquer selon ses conceptions personnelles, par la rigidité et la sévérité, ou tout au contraire, par la douceur et la souplesse compréhensive. L'enfant constitue l'élément dynamique. C'est lui qui réalisera, lorsqu'il aura atteint l'age d'adulte, le développement et l'avenir de la famille conçue par le père. Il s'acquittera de cette tâche selon son génie particulier et avec les moyens qui lui seront propres, ce qui entraînera, fatalement, des oppositions entre père et enfant, l'un et l'autre étant des êtres humains, donc sujets à l'erreur. C'est à la mère, élément harmonisateur, qu'incombe la lourde charge, toute de compréhension et d'intuition, de dévouement et d'amour, de sauvegarder l'équilibre. C'est sur elle que repose l'harmonie de la maisonnée. Elle doit comprendre et rectifier, au besoin, dès le départ, les décisions paternelles. Par la suite, il lui échoit le devoir de stimuler, avec adresse l'ardeur de l'enfant, dans ses réalisations. Puis, desiderata et exécutions s'avérant, inéluctablement, présenter un certain décalage, employer toute son astuce féminine pour rétablir l'équilibre compromis. La constitution de la Famille est si parfaitement connue de tous et l'identification de chacun de ses éléments à l'un de ceux du ternaire sacré est si limpide qu'il est inutile de s'attarder sur ce thème. Par contre, il est particulièrement intéressant d'étudier, avec attention, à la lumière du Druidisme, les rapports de chacun de ces éléments vis-à-vis des deux autres. Et, avant toute autre, chose une vérité s'impose. Toute loi humaine, tout décret tendant à modifier le rôle que ces éléments jouent dans la vie de sa famille traditionnelle idéale ne saurait être que néfaste. D'ailleurs, marqué du sceau de l'imperfection humaine, il ne pourrait qu'être frappé de brièveté, comme tout ce qu'un monde en perpétuel délire érige en dehors des normes consacrées par l'usage. Enoncer cette vérité n'est pas faire preuve d'un esprit rétrograde, tant s'en faut. L'expérience a surabondamment démontré que les innovations les plus hardies s'avéraient être viables et efficaces, si elles étaient des harmoniques des concepts traditionnels. La Famille est, depuis la plus haute antiquité, régie par des règles naturelles et spirituelles, non par des lois. D'ailleurs, qui dit Loi sous-entend Droit. Or, si la vie familiale crée des droits à ses membres, elle leur impose, également, des devoirs. On ne fonde pas une famille uniquement par plaisir ou parce que c'est la coutume. Fonder une famille est autrement important que d'offrir des cadeaux au début de l'an, ou de tirer des feux d'artifices aux fêtes réputées nationales. Créer une famille, c'est engager l'avenir des deux êtres qui s'unissent et de ceux qui naîtront d'eux, lesquels, se mettant en famille à leur tour commenceront à édifier un clan, pouvant arriver à grouper un nombre respectable d'individus, et constituer, de ce fait, une partie non négligeable de la Société. Telles sont les raisons qui font que le mariage revêt une exceptionnelle gravité et est, depuis toujours, entouré de rites et de solennités susceptibles de frapper l'imagination de ceux qui le contractent, aussi bien que de ceux qui y assistent.

Le divorce.

Nul ne sera étonné d'apprendre que l'on ne trouve aucune trace du divorce ni dans l'Histoire des peuples celtiques, ni dans leurs traditions. Cette institution étant par trop récente. Par contre, on eût pu espérer y rencontrer des histoires de répudiation. En fait, s'il y eut répudiation et il dut certainement y en avoir, ce ne furent que des cas d'espèce, comme on en rencontre chez tous les peuples: répudiation d'une souveraine ou d'une dame de très haut lignage incapable de mettre des enfants au monde et renvoyée, pour laisser place à une autre femme capable d'assurer la poursuite de la dynastie. Au demeurant, la répudiation princière semble ne pas avoir été fréquemment utilisée chez les Celtes. Nombre de frères ou de neveux étant cités, dans l'Histoire et la Tradition, comme ayant succédé au souverain demeuré sans descendance directe. Le rejet de la femme mariée par son époux s'avère donc avoir été rare, et ceci s'explique parfaitement, compte tenu de l'exposé précédemment fait sur la façon dont s'opéraient les mariages. Toutefois, il nous est possible d'examiner le divorce, tel qu'il est pratiqué de nos jours, en nous basant sur les concepts druidiques et tout naturellement, sur la loi du ternaire, puisque la famille en relève directement. Un ménage se constitue. Deux éléments se trouvent donc désormais en présence, pour le meilleur et pour le pire. C'est un binaire. La jeunesse, l'attirance sexuelle, l'Amour le rendent supportable. Ce n'est qu'après un laps de temps relativement long que l'un de ces éléments prendra le dessus au détriment de l'autre et comme dit la Sagesse populaire: «C'est celui des deux qui aime le mieux qui sera la victime.» Il est donc à souhaiter que tout jeune ménage ait bientôt des enfants. Le Binaire se transforme, alors, en ternaire, forme équilibrée de la famille, les malentendus naissant entre les parents s'effacent plus aisément, grâce à leur commun amour de l'enfant. Toutefois, si la mésentente s'installe durablement entre les époux avant l'apparition de l'enfant, le divorce, sans être recommandable, est admissible. Le Binaire se dissocie et chaque élément reprend sa liberté et va de son côté, où bien lui semble, dans l'espoir de construire, à plus ou moins longue échéance, un ternaire familial durable et harmonieux. Par contre, dès l'apparition de l'enfant, le divorce doit être, purement et simplement radié de la liste des possibilités. Car, élevé dans un système binaire, tiraillé à hue et à dia par les parents désunis qui n'hésitent devant rien pour s'assurer la confiance et l'amour de leur enfant, ce dernier connaîtra, durant toute sa jeunesse, un déséquilibre permanent dont son développement mental, moral et même physique pâtira gravement. Hors du ternaire sacré familial, le psychisme enfantin se trouve dans la situation d'un voyageur qui, longeant un torrent, serait contraint, pour poursuivre sa route, de sauter tantôt de la rive gauche sur la rive droite et vice versa pour finalement, peut-être, épuisé par ce manège, manquer l'un de ses bonds et choir dans le cours d'eau tumultueux et s'y fracasser tête et membres. Dure loi, en l'occurrence, que celle du ternaire druidique. Mais, qu'on le veuille ou non, lorsque la présence d'un enfant vient donner tout son sens au mot Famille, la règle de vie des époux change du tout au tout. Alors que le ménage basé sur le Binaire, tant que dure l'Amour, est une sorte d'égoïsme à deux, du jour où l'enfant est là, il doit, impérieusement, se transformer en altruisme à trois. La règle de vie de chacun des parents doit être: Pense à l'enfant, d'abord, à ton conjoint ensuite, à toi en dernier. Ce ne sera que lorsque les enfants seront élevés, instruits, éduqués, en un mot parvenus à l'age d'adulte, le ménage redevenant Binaire, qu'il sera possible, pour les parents, de se séparer, si bon leur semble. Telle eût été, certainement, la prise de position des Druides de l'ancienne Celtie, si l'idée du divorce légal avait, seulement, effleuré les populations dont ils pensaient la vie.

CHAPITRE IV

La société celtique: travailleurs, nobles et guerriers, sages

De toutes les institutions destinées à organiser les peuples européens, la constitution de la Société celtique fut celle qui présenta le plus d'équilibre, de souplesse et surtout de longévité. Conçue par les Sages, à une époque si reculée que l'on ne peut, valablement, la dater, elle perdura jusqu'à la fin du Moyen Age. La domination romaine ne l'entama pas. Les divisions sociales traditionnelles coexistèrent avec le dualisme Patricien-Plébéien des Latins, dans les cités. Dans les campagnes, là où vivaient les quatre cinquièmes de la population celtique, on ne connut même pas cette coexistence. Les apports romains étaient considérés comme nuls et non advenus. L'arrivée d'une partie des Bretons de Grande Bretagne en Armorique (fin III-IVe siècle) donna un regain de vigueur à cette conception de la Société. Le Christianisme ne la combattit pas, trop heureux d'envahir la Classe des Sages, ou les clergés régulier et séculier prirent la place des Druides, Bardes et Ovates. Enfin, le système féodal qui fut inventé par le Duc de Bretagne Alain Barbe-Torte, au milieu du Xe siècle l'ancra plus solidement encore, pour un demi-millénaire. La féodalité ayant déferlé de Bretagne sur l'Europe entière ou, du moins, sur tout ce que l'on appelait, alors, la Chrétienté. Ce fut la Renaissance qui en marqua le déclin. Au contact de la noblesse déliquescente des Principautés italiennes, les autres aristocraties perdirent le sens exact de leur rôle dans la Société. Et cette défection causa l'écroulement lent mais sûr d'un type de Société plusieurs fois millénaire. 1515 sonna son glas. 1789 la mit en terre. Cette étonnante longévité, cette souplesse, cet équilibre avaient pour cause le système qui servit de plan à la constitution de cette société et, naturellement, les Sages de la Celtie en ayant été les architectes, ce système était le Ternaire sacré. La Société celtique était divisée en trois classes perméables, comme nous l'avons vu précédemment, tout un chacun pouvant passer d'une classe à l'autre, pourvu qu'il possédât les aptitudes et les connaissances nécessaires à sa nouvelle appartenance. Ces trois classes étaient: L'élément pensant: La Classe des Sages, chargée de penser la vie de la Société. L'élément dynamique: la Classe des Travailleurs, chargée de réaliser cette vie et d'en assurer la pérennité. Entre les deux, l'élément harmonisateur: les Nobles et les Guerriers, chargés, non seulement de défendre la Société, mais encore et plus peut-être, d'assurer l'équilibre entre les desiderata idéaux de la pensée des Sages et les possibilités de réalisation du monde du Travail. Equilibre qui devait être maintenu grâce à la pondération et à l'équité des gouvernements et du maintien de l'ordre. Voyons, à présent, comment était composée chacune de ces Classes, quels étaient ses Droits et quels étaient ses Devoirs.

Classe des Travailleurs.

Elle comprenait tous ceux qui par leur labeur quotidien nourrissaient, habillaient, armaient, ornaient la population ou lui fournissaient les outils et instruments nécessaires ou agréables. En étudiant la Jeunesse, nous verrons comment et avec quel soin étaient préparés les gens du Travail, en vue de la plus parfaite des efficacités. La durée quotidienne du labeur suivait le rythme des saisons, se trouvant, en cela, en totale harmonie avec la Nature et spécialement la Nature humaine. Les ouvriers, à quelque corporation qu'ils appartinssent, étaient payés soit à la fin de la journée, soit à la fin de chaque quinzaine, car la semaine de 7 jours n'était pas connue des Celtes anciens qui divisaient le Temps en Hattenux ou période de 14 jours de travail et un de repos. La quinzaine ouvrière qui disparaît grâce à la généralisation de la mensualisation était un ultime vestige des règlements du travail en vigueur chez les anciens travailleurs celtes. Il n'existait ni capitalisme anonyme, ni patronat doré. Toute exploitation était à l'échelle artisanale et le Maître artisan travaillait de ses mains, autant sinon plus que ses ouvriers et apprentis. Une exception, cependant, le monde de l'agriculture et de l'élevage où le métayage était la règle pour les agriculteurs, et les bergers (qui étaient souvent des hommes montés, comme les cow-boys et les gauchos, compte tenu de l'importance des troupeaux) étaient intégrés au personnel du château et directement rétribués par le seigneur, suivant les conditions prises d'un commun accord, lors de l'engagement. Le très important privilège de cette classe était qu'elle était dégagée de toute obligation militaire, même en temps de guerre. Les combats étaient affaire des nobles et guerriers, non des travailleurs. Par réciprocité, l'adversaire, occupant une région, payait, honnêtement, ce qu'il achetait pour l'entretien de ses troupes. La mise en coupe réglée d'un peuple ou la dévastation systématique ne sont que les produits d'une littérature romantique exacerbée. La première des règles de ce monde du travail était que la vie doit continuer, que l'ouvrier ou le laboureur doit toucher ce qui lui est dû pour assurer son existence et celle des siens. Dire qu'il n'y ait pas eu des exceptions tournant au détriment des travailleurs serait mentir ou faire preuve d'une grande méconnaissance des Hommes. Toutefois, la règle fondamentale était le respect de qui travaille. Chaque classe était représentée au sein de celle des Sages, par des initiés dont les connaissances réellement très supérieures relevaient du genre d'occupation de la classe qu'ils représentaient sur un plan transcendental. Les inities de la classe des Travailleurs étaient les Ovates, que nous étudierons plus en détail, lorsque nous aborderons la Classe des Sages.

Classe des Nobles et Guerriers.

Elle comprenait les souverains chargés de gouverner leur nation, les Tyerns ou Nobles, chargés de régir, en accord avec le souverain, un fief, originellement déterminé par la présence sur sa terre, des membres d'un seul clan, et les Guerriers, nobles ou non, chargés d'assurer le maintien de l'ordre, de veiller sur la sécurité des voyageurs et d'effectuer toutes opérations de police nécessaires, durant la paix, mais aussi de défendre et protéger les membres des autres classes et leurs biens, en cas de guerre. Les souverains n'avaient rien de commun avec les monarques tels qu'on les imagine de nos jours. L'hérédité du pouvoir royal ne s'instaura qu'en assez basse époque et encore ne fut-elle pas absolument générale. En réalité, le souverain était, surtout, l'émanation des Tyerns, lesquels, lors d'une situation critique, telle qu'une guerre, s'assemblaient en hâte et désignaient celui d'entre eux qui leur semblait réunir le plus de qualités, d'adresse et de science des combats, pour commander en chef. C'était le Pentyern. Le ou les conflits terminés, chacun rentrait chez soi, le Pentyern comme les autres. et retrouvait sa bonne petite indépendance. Le Pentyern conservait son titre et son auréole de gloire, ce qui, au demeurant, ne lui conférait aucunement un pouvoir despotique. Le conflit rebondissait-il, ou un autre se faisait-il jour? A nouveau, l'on s'assemblait et si le commandement du Pentyern s'était avéré être valable, il était maintenu dans cette fonction, sinon, un autre était nommé à sa place. La précarité du rôle de Pentyern, les retards apportés aux opérations défensives par l'obligation de réunir les Tyerns et les inévitables querelles intestines qu'entraînaient ces nominations, firent qu'insensiblement on en vint au maintien en place du Pentyern élu et ce jusqu'à ce qu'il fut mort ou hors d'état physique ou intellectuel d'assumer les charges et responsabilités inhérentes à cette fonction. De là à la monarchie héréditaire, il n'y avait qu'un pas, qui fut vite franchi. En cas d'incapacité notoire du souverain, il fut remplacé de son vivant par son fils ou, à défaut, par son neveu, qui devenait, de ce fait, une sorte de Lieutenant général du royaume et qui ne manquait pas, lorsque le souverain en titre trépassait, de faire ratifier sa succession au trône, par l'assemblée des Tyerns. Abandonnant alors le titre de Pentyern, qui rappelait trop leur dépendance par rapport à ceux qu'ils devaient commander, les souverains prirent, désormais, celui de Konan (roi. Venu de la racine indo-européenne K.N. qui donna l'allemand Konig et l'anglais King). Le fait d'être Konan à vie et d'avoir la quasi certitude que leur héritier le plus proche lui succéderait, ne conférait pas au souverain plus de puissance qu'il n'en avait auparavant, puisqu'il déléguait la plus grande partie de ses pouvoirs aux Tyerns. Cette organisation constituait, en somme, une sorte de Fédéralisme monarchique, qui dura jusqu'à la fin du Moyen Age et de la Féodalité. En sus de leur pouvoir de guerre, Konans et Tyerns disposaient du droit de basse justice, sous réserve d'appliquer les lois édictées par les Druides et en prenant, lors de leurs jugements, conseil d'un Druide. Point de condamnation, ni d'exécution arbitraire. La saie blanche du Druide était, toujours, derrière le Konan et le Tyern et, en cas de cause douteuse, c'était le Druide qui tranchait, en dernier ressort. Combattant durant les guerres, gendarmes pendant la paix, les Guerriers comptaient peu d'hommes de pied dans leurs rangs. Les seuls archers constituaient la piétaille. Cavaliers nés, montant avec adresse, courage et même témérité, de fougueux chevaux, ils furent la terreur des troupes latines et causèrent bien des cauchemars aux chefs de guerre romains, lesquels, ne disposant que d'une piètre cavalerie, durent finalement, engager des Reîtres germaniques, qui étaient, eux aussi, de parfaits cavaliers. C'est que cette cavalerie celtique comportait, dans ses rangs, des éléments d'élite: les Chevaliers ou Brihent. Car l'Eglise chrétienne a beau prétendre avoir fondé l'Ordre de la Chevalerie, elle ne fit, en fait, que reprendre et christianiser une organisation qui existait bien longtemps avant la naissance du Christ. Ecuyers émérites, tous les cavaliers celtes l'étaient. Mais le Brihentin adjoignait à sa connaissance parfaite de l'équitation quasi acrobatique, une formation morale et spirituelle, sorte d'initiation mineure, acquise sous la direction des Druides, qui, par le jeu de devoirs particuliers, de règles de vie et d'obligations impératives, en faisait un redoutable guerrier très supérieur à la moyenne des soldats de son époque, grâce à son abnégation et à son esprit de sacrifice, soutenus par une indéfectible loyauté. La certitude de ce que la mort n'était pas le passage d'une existence à une autre ne contribuait pas peu à maintenir très haut le courage des guerriers celtes. Cette certitude était si grande que l'on cite l'exemple de Celtes prêtant de l'argent remboursable dans la vie suivante. Ce qui, toute réflexion faite, était, peut-être, un peu simpliste. Mais si le mépris de la mort portait le courage des Celtes à son paroxysme il est certain que, par compensation, la crainte de rétrograder lors de la prochaine incarnation minimisait en eux la tendance aux cruautés inutiles et au vandalisme stupide, qui fut, est et sera toujours l'une des caractéristiques du soudard en état de belligérance. Il y eut, certainement, des cas d'exception, mais, la réplique ne se fit, alors, jamais attendre. Tout homme de guerre convaincu d'avoir outrepassé ses droits de combattant en se livrant à des cruautés ou des sévices interdits était, tout bonnement, radié des cadres de l'Armée, si l'on peut employer cette expression moderne. Cette radiation équivalait à une mise au ban de la Société, car n'ayant reçu aucune autre formation que celle de Guerrier, il lui était impossible de se reclasser dans une profession civile. Réduit à l'état de déchet de sa nation, il sombrait, bientôt, dans le banditisme, ce qui n'allait jamais bien loin, la répression du brigandage étant chez les Celtes, d'une sévérité extrême. Si le contrevenant était un Tyern ou un souverain, les Druides le déclaraient déchu, déliaient ses sujets de l'obligation d'obéissance et suscitaient une révolte ouverte ou une expédition punitive, qui tournait obligatoirement au désastre final pour le délinquant. Le roi Vortigwern, usurpateur et félon, régnant par la terreur et la cruauté, en Grande-Bretagne, le célèbre Marzin (surnommé dans la légende, Merlin) alla le trouver, le tança vertement et lui prédit sa fin prochaine. La prédiction ne demandait pas beaucoup de don de voyance, assurément. Marzin savait, à coup sûr, que ses pairs de la Classe des Sages avaient condamné Vortigwern et pour exécution de ce jugement, pressenti un prince légitime et connu pour sa loyauté. De fait, peu de temps après la prophétie de Marzin, Uter et son frère, tous deux princes armoricains traversèrent la mer, à la tête d'une armée, débarquèrent en Grande-Bretagne, rassemblèrent les Tyerns de bonne volonté et attaquèrent Vortigwern. Celui-ci fut écrasé et détrôné. Uter se fit, alors, avec la bénédiction de Marzin, reconnaître par les Tyerns et régna aux lieu et place de l'usurpateur. Plus tard, à l'époque où les moines de rite Chrétien celtique commençaient à supplanter les Druides comme Sages, le roi Konomor étant accusé de meurtres et de félonie, une assemblée, comprenant des Tyerns et des gens d'Eglise (dont Saint Hervé, qui cumulait les fonctions de Barde et moine) se tint sur le Menez Bré (vieille montagne sise non loin de Lannion et de Guingamp). Convaincu de crime, Konomor fut condamné par contumace et le roi Warok, son propre beau-père, fut chargé de l'exécution de la sentence. Konomor périt, enseveli sous les ruines de la forteresse. Malgré l'entrée en lice du Christianisme celtique, la vieille réglementation druidique de la Classe des Nobles et Guerriers était toujours en vigueur. A qui pourrait croire qu'il y a exagération quant à la dignité, la loyauté et la discipline des Nobles et Guerriers celtes, l'Histoire romaine permet une comparaison éloquente: Chacun sait que les Celtes (les Gaulois en l'occurrence) portèrent la guerre jusqu'en Rome, dont le Capitole ne fut sauvé que par la vigilance de ses oies. Les Celtes, opérant de nuit, étaient entrés dans Rome, pénétrant jusqu'au cœur de la cité, sans que personne ne s'en aperçut. Pas un bruit, par une clameur, pas une violation de domicile. Exécution impeccable d'une opération militaire osée et qui réclamait de tous le respect absolu des ordres donnés. Pour sauver la ville des exactions supposées probables de la soldatesque celtique, les gouvernements romains consentirent le versement d'un certain poids d'or au vainqueur. Le cri fameux du Brenn (chef de guerre): « Malheur aux vaincus!» a été et est encore considéré par les Historiens latinophiles, comme une tache indélébile faite à l'honneur des Celtes. Or, la malédiction du Brenn se traduisait dans les faits par l'augmentation ridicule du poids d'or à verser, d'environ un kilo, poids de son épée de bronze. ... Mais pour réfréner leur nature, pour les maintenir dans le droit chemin, il y avait les règles du Druidisme et le jugement sévère mais juste des Druides; de ces Druides qui enseignaient aux Nobles et Guerriers, comme aux autres, que les deux lois fondamentales sont: le dédain de la Mort, qui n'est qu'un changement d'apparence, et le respect de tout ce qui vit, parce qu'en chaque être vivant se trouve un corps spirituel en évolution. Comme les Travailleurs qui étaient représentés dans la Classe des Sages, les Nobles et Guerriers avaient eux aussi leurs représentants dans cette classe supérieure. C'étaient les Bardes, dont nous allons bientôt étudier les fonctions.

Classe des Sages. Numériquement la plus faible, cette classe était, en réalité, la plus forte. Son rôle était de penser et les Sages pensèrent intensément. Une preuve nous en est fournie par les Latins eux-mêmes. Une chose est certaine: les Romains, si saturés de défauts et de vices qu'ils fussent, étaient des gens d'un grand sens pratique. Or, leur tactique, après la conquête fut de collaborer avec les Travailleurs (ce qui ne réussit guère, d'ailleurs, que dans les villes), d'intégrer les Nobles et Guerriers dans l'armée romaine (il y eut des légions gauloises, bretonnes et calédoniennes) mais, de frapper d'ostracisme les Sages. Rome avait parfaitement compris que tant que cette classe existerait et aurait la confiance des Celtes, il y aurait jamais de répit pour la Louve. Et ce fut ce qui se produisit. Frappés d'interdit, les Sages se retirèrent en forêt, se regroupèrent dans des lieux malaisément accessibles et, de là, entretinrent l'esprit de résistance à l'occupant, lequel dut, pendant trois siècles, maintenir ses légions, en permanence, sur des positions clés et des points stratégiques d'où les troupes fonçaient dès qu'éclatait une révolte populaire. Malgré ce déploiement de forces perpétuellement en alerte, la classe des Sages fut pour le Romain une épine plantée dans le pied, épine dont il ne put jamais se débarrasser. Car, jamais la Rome impériale ne vint à bout des Celtes ni de leurs Sages et si l'esprit celtique s'effaça de la Gaule, ce fut grâce au Christianisme. Encore ne parvint-il à ses fins qu'au bout de plusieurs siècles, en utilisant tantôt l'hypocrisie, tantôt la violence et, toujours, en tout temps et à toute heure, la conspiration du silence sur ce qu'avait été la pensée celtique, ses idéaux élevés, sa Sagesse profonde. Il fallait, n'est-ce pas, éviter, à tout prix de souffler sur les braises qui couvaient encore sous la cendre. Exemple frappant de cette incroyable résistance des Celtes: Au XIe siècle, l'évêque de Dublin dut se rendre, lui-même, à Kildara, pour disperser solennellement, avec accompagnement de Maledictus, un feu rituel de Lugubelios, soigneusement entretenu, ô ironie! dans un monastère! Cette Classe des Sages, dont ni l'épée, ni les bûchers ne vinrent totalement à bout, était composée de trois Ordres d'initiés, semblables par l'étendue de leurs connaissances mais, différents par les disciplines dont relevaient, précisément, ces connaissances. Ces trois Ordres étaient: Celui des Druides. Celui des Bardes. Celui des Ovates. A ces trois Ordres de première importance, il convient d'adjoindre celui des Femmes consacrées et les cohortes des Gutuatres, simples desservants des cultes, personnages subalternes, sans grande envergure. Ces prêtres (car, eux, l'étaient) durent avoir une certaine importance dans la vie quotidienne du peuple; mais ils n'eurent pas d'influence profonde et durable sur le comportement moral des Celtes. Ils étaient des diseurs de prières, non des Maîtres à penser. En conséquence, il semble inutile de nous appesantir sur le rôle, par trop superficiel, qu'ils jouèrent dans la vie celtique. Bornons-nous à noter au passage une anecdote assez pittoresque, à leur sujet: Gutuatre était le nom général donné aux desservants des cultes, sans tenir compte de la divinité qu'ils servaient. Toutefois, chaque catégorie de prêtres celtiques portait un nom spécifique, dérivant directement du dieu auquel ils avaient voué leur service. Le seul de ces noms qui soit resté connu jusqu'à notre époque, est celui des prêtres de Belen, dieu de la lumière physique et spirituelle. On les appelait Bellec (pluriel, Belleien). Or, c'est, précisément, le nom populaire donné en Breton, de nos jours, aux prêtres catholiques romains. Curieux cas de pérennité d'un terme, fondé, exclusivement, sur la similitude de fonction. - Les Ovates. Les Ovates étaient des initiés s'adonnant à l'étude des sciences exactes et s'appliquant à la matière active ou inerte. Ils étaient mathématiciens, astrologues (donc astronomes), thérapeutes (à la fois médecins, pharmaciens et guérisseurs), maîtres ès sciences techniques, agronomes, etc., etc., suivant la ou les branches scientifiques dans lesquelles ils se spécialisaient. D'aucuns souriront peut-être de l'utilisation du mot Science, au sujet des Ovates, grands initiés de la Classe des Travailleurs, ayant su sublimer le labeur manuel en labeur intellectuel. Ceux-là même qui esquissent ce sourire, ignorent, sans doute, que sans les Celtes et leurs savants, ils ne se laveraient pas avec du savon (de Saponos), qu'ils en seraient, encore, à conserver le vin dans des amphores, comme le pratiquaient les Latins, alors que, depuis belle lurette, les Celtes avaient inventé la tonne et les barils (de Ton, profond, et de Bar, vigne). Que ces mêmes savants celtes avaient découvert le moyen de tremper l'acier en le faisant demeurer un certain temps dans la luzerne, plante qui dégage une grande quantité d'azote, qui, en solution dans la rosée, nitrifiait le métal; qu'ils savaient traiter le lin de telle façon qu'après ce traitement, les vêtements faits avec ce lin résistaient aux atteintes du feu et aux coups assenés avec des armes tranchantes. On ignore que les Celtes savaient que la terre était ronde, alors que les Latins, les Grecs croyaient qu'elle était plate comme une crêpe; que cette connaissance permit aux pêcheurs bretons d'aller prendre de la morue sur les bancs de Terre-Neuve avant le XVe siècle; et que Brandan et Coetalenn avaient découvert le Nouveau Monde, lequel n'avait jamais été perdu, bien avant que Christophe Colomb n'enfonça, bruyamment, une porte ouverte. On ignore encore que ces mêmes savants celtes connaissaient l'existence des courants cosmiques et telluriques et qu'ils savaient les utiliser, à bon escient, chose dont nos modernes savants sont totalement incapables. Sait-on que l'illustre Pythagore, avant de fonder son Ecole, vint se mettre, modestement à celle des Sages de la Celtie, tout comme il était allé étudier chez les prêtres Egyptiens? Mais il faut le reconnaître à la décharge des ignorants, c'est que ni les Universités, ni la Sorbonne, ni l'Institut n'ont jamais ouvert la bouche ou consacré une ligne à ces vérités, pourtant dûment contrôlées. Les voix de d'Arbois de Jubainville et de Camille Jullian sont allées se perdre dans le désert, peuplé de toges et d'épitoges, où les échos conditionnés ne répètent que les enseignements venus du Sud-Est. Et pourtant cela est. A la tête de travailleurs intelligents, chercheurs et ouverts à toutes les inventions et les innovations, les Ovates et les sept mille, sept cents, sept vingts et sept personnages vénérables de la légende de Lanrivoare, auxquels on ajoute les sept pierres qui les représentent, permettent de travailler sur le Cercle, avec autant de précision qu'en employant le fameux Pi du glorieux Archimedios, dont les Celtes n'ont jamais tenté de nier ou de taire la valeur scientifique. Chacun des Ordres représentés dans la Classe des Sages avait pour emblème l'un des arbres de la forêt celtique. L'arbre sacré des Ovates est l'If, arbre modeste, sans ostentation, semblant, perpétuellement réfléchir et méditer, mais dont l'éternelle verdeur est le symbole de l'éternelle jeunesse de l'esprit ouvert à toutes les disciplines scientifiques. Par ailleurs, le vert est la couleur de la vêture rituelle des Ovates, dont le champ d'investigation préféré est la Nature. Chercheurs, novateurs, savants ayant le pouvoir de transcender le Travail et la recherche scientifique au contact de leur intellectualisme supérieur et d'un spiritualisme élevé, les Ovates, tout comme les Travailleurs de la base, étaient dégagés de toute obligation militaire. L'Initié n'a pas le droit de toucher les armes ni de s'en servir. - Les Bardes. Si les Ovates étaient des savants, les Bardes, eux, étaient des artistes. Poètes, ils composaient des Bardits d'une savante métrique et d'une prosodie très spéciale. Le style bardique est un style particulier, traitant sur pied d'égalité avec les poèmes homériques, les meilleurs passages des grands Prophètes bibliques et les écritures sacrées hindoues. Allitérations, successions d'onomatopées, répétitions totales ou partielles de certains thèmes, images et vers, confèrent à la poésie bardique le pouvoir de frapper vivement l'imagination de l'auditeur et d'être facile à retenir. En un mot, elle est percutante. Les poèmes de Taliesin, d'Aneurin, de Lewar henn, les Prophéties de Marzin et de Gwenc'hlan, et nombre d'autres œuvres dont les auteurs sont inconnus en fournissent surabondamment la preuve. Malheureusement, ces textes de première grandeur, manifestation d'un art poétique consommé, sont bannis des études littéraires et pour les connaître, il est nécessaire à l'étudiant ou au simple amateur de prendre sur son temps de loisir pour aller feuilleter les ouvrages qu'un Hersart de la Villemarqué ou un Markale leur ont consacrés. Conteurs, les Bardes rédigèrent des textes à base d'enseignement philosophique et ésotérique, dont l'exégèse est largement payante. Mais, là encore, il faut se ruer sur une Bibliothèque, possédant ces ouvrages, ce qui n'est pas le cas de toutes, pour compulser les Mabinogion de Joseph Loth ou les Cycles Irlandais. Tout en composant les œuvres qui magnifiaient les héros, citaient les Noms et les actes des sages souverains, pleuraient en contant les malheurs de tel personnage ou de tel peuple, vilipendaient les félons, les tyrans, les cruels, les Bardes faisaient, sans s'en rendre bien compte, peut-être, œuvre d'Historiens. Pour chanter leurs poèmes et conter leurs récits, ils avaient coutume de s'accompagner sur une courte harpe à cordes métalliques, dont un exemplaire se trouve au British Museum. Plusieurs harpeurs bretons (ils refusent l'appellation de harpistes) l'ont minutieusement copié pour pouvoir jouer sur les harpes bardiques, sinon d'époque, du moins aussi authentiques que possible. Utilisant, à longueur de temps, cet instrument, les Bardes parvenaient à devenir de véritables virtuoses. Transcendant leur jeu, à la lumière des connaissances acquises au cours de leurs longues études et de leur Initiation, nombre d'entre eux s'avéraient être des magiciens de la musique, au sens exact du mot, faisant naître, par les seules sonorités de leur instrument des sentiments d'amour ou de haine, d'ardeur ou de lassitude, de joie ou de tristesse, calmant la douleur de ceux qui souffraient et faisant sombrer les inquiets dans le sommeil. Aux esprits forts qui ne voudraient pas accepter de croire à la Magie de certaines musiques, qu'il soit conseillé d'aller faire un tour dans les fermes modèles, où l'on utilise la musique douce pour favoriser la lactation des vaches, ou qu'ils aillent écouter des clairons sonnant la charge. Si la musique est capable d'influencer les fonctions naturelles des bêtes et les réactions nerveuses des soldats, pourquoi celle des Bardes, qui avaient soigneusement étudié tous les ressorts de la sensibilité humaine, n'aurait-elle pas pu posséder certains pouvoirs? Si les Ovates vivaient parmi les travailleurs qu'ils conseillaient et auxquels ils enseignaient leurs découvertes, les Bardes, eux, vivaient auprès des souverains et des tyerns, qu'ils avaient pour mission de distraire et d'exalter dans leurs chants. Le protocole des cours celtiques leur assignait une place de choix près du seigneur, à table ou dans les assemblées. Certains d'entre eux, d'humeur sans doute plus indépendante, ne demeuraient pas attachés à un maître, mais parcouraient le pays, harpe au dos, trouvant toujours un accueil favorable chez les nobles de petite fortune, incapables d'entretenir un Barde à longueur d'année, ou auprès des Guerriers, voire des assemblées populaires. Ce furent ces derniers qui se muèrent, au Moyen Age, en Trouvères et Ménestrels. Le père de saint Hervé faisait partie de ces Bardes itinérants. Au début de notre XXe siècle, il existait encore, en Bretagne, de ces Bardes populaires errants, se nourrissant à la table des fermiers chez lesquels ils s'arrêtaient, pour animer de leurs contes et de leurs chansons, les veillées hivernales et vendant sur la place, les jours de foire ou de Pardon, leurs œuvres imprimées et souvent illustrées. Le disque et la Radio allaient tuer cette vénérable survivance. Mais les Bardes errants bretons furent, pour la plupart intégrés dans le Bardisme moderne et traités sur pied d'égalité par les Bardes érudits et connaissant déjà des succès littéraires. Vivant dans l'intimité des Nobles et Guerriers, les Bardes antiques allaient à la guerre avec le seigneur auquel ils s'étaient attachés. Mais, ils ne prenaient pas part aux combats. Armés, seulement de leur harpe, ils excitaient, par leurs chants et leur musique, l'ardeur des combattants, et, après la bataille, louaient les braves, cinglaient les lâches et pleuraient les vaincus et les morts. Tout au plus voit-on Marzin porter l'enseigne du roi Uter ou d'Arthur. «L'Initié ne doit pas toucher aux armes, ni s'en servir.» Si l'If était l'arbre sacre des Ovates, le Bouleau était celui des Bardes. Pourquoi cet arbre plus qu'un autre? Deux raisons militaient en faveur de ce choix. La première est d'ordre poétique. Quoi de plus normal pour des gens dont la fonction primordiale est de s'adonner à la poésie? Le Bouleau, arbre que l'on trouve fréquemment dans la forêt celtique, possède un feuillage extrêmement mobile, qui frémit au moindre souffle du vent, tout comme le poète vibre au moindre souffle de l'inspiration. La similitude n'échappera pas à qui sait voir les choses avec des yeux d'artiste. Beaucoup plus matérielle est la seconde et, de ce fait, les rationalistes l'admettront sans rechigner. L'on dit, souvent, que les Celtes n'écrivaient pas. Et pourtant, l'on a trouvé des inscriptions gravées sur des roches et sur les pierres des monuments mégalithiques. Inscriptions dont l'origine celtique est indubitable, en ce sens qu'elles sont à base de caractères ogamiques. De plus, il existe un alphabet irlandais, très différent des autres graphismes scripturaux. Comment résoudre cet apparent problème? De la façon la plus simple. Les Celtes n'écrivaient pas. Jamais les Druides n'ont couché leur enseignement sur quelque matière que ce soit. Jamais les Ovates n'ont consigné leurs connaissances scientifiques, pas plus que leurs découvertes, en utilisant tel ou tel alphabet. Seuls, les Bardes connaissaient et pratiquaient l'écriture. Cela leur était nécessaire, car, si entraînés qu'ils fussent à se servir de leur mémoire, jamais ils n'eussent pu garder souvenance de tous les poèmes qu'ils composaient fréquemment, parfois plusieurs dans une même journée et certains d'une longueur impressionnante. La technique du Barde consistait, une fois Le feu de l'inspiration passé ainsi que l'épreuve de la déclamation ou du chant en public, à opérer un tri minutieux. Ceux des poèmes qui étaient les mieux venus, d'une facture supérieure, commémorant des événements marquants ou plus favorablement accueillis par les auditeurs devaient être conservés de manière durable. Ces poèmes, les Bardes les écrivaient tout bonnement. Cette pratique conférait une supériorité de plus aux yeux des gens du peuple, aussi bien que des Nobles, qui étaient, tous, illettrés. Or, pour écrire, la condition première est d'avoir la surface plane sur laquelle il est possible de fixer les lettres et signes. N'ayant ni papyrus, ni parchemin, ni papier, bien entendu, les Bardes utilisaient ce qui était à leur portée. L'écorce blanche du Bouleau se détache aisément et l'on peut, sans difficulté majeure la préparer en feuilles planes, aptes à recevoir l'écriture et à la conserver durant un laps de temps, sinon considérable, du moins suffisant. Lorsqu'une de ces feuilles menaçait ruine, le Barde, devenant scribe, recopiait son œuvre sur une feuille neuve. Tel était le lien, bassement matériel, qui unissait le Barde au Bouleau, auquel il était, déjà, assimilé par le symbolisme poétique. Les Druides n'écrivaient pas, par discrétion, leur enseignement étant réservé à ceux qui étaient aptes à le comprendre et à l'assimiler. Les Ovates n'écrivaient pas, car, ce qu'ils savaient, avaient inventé ou découvert ne devait pas être susceptible de tomber entre les mains de n'importe qui, qui pourrait s'en servir à mauvais escient. Cette Loi du secret gardé par celui qui sait est constamment foulée aux pieds de nos jours, ce qui mène notre monde à sa perte. Seule l'œuvre des Bardes pouvait et même devait être portée à la connaissance de tous, parce qu'elle était une chronique poétique, soulignant les exemples à suivre aussi bien que les erreurs et les défaillances à ne pas commettre. Ainsi, jour après jour, l'Histoire des Celtes et leur Morale s'inscrivait sur les fragiles feuilles d'écorce du Bouleau. «Quand se cache le soleil et que mugit la mer, je sais chanter, au seuil de ma porte» Gwenc'hlan. Oui, chanter, tel était la mission du Barde, Initié, correspondant à la Classe des Nobles et Guerriers, qu'il représentait au sein des combats pour exalter le courage des braves. Chanter n'est pas sérieux, grommelleront les sociologues poussiéreux et tachés d'encre, adorateurs de l'Ordinateur-dieu. Les Bardes: des bateleurs, des cabotins, des histrions! Et pourtant, nous le verrons plus tard, ce sont les Bardes qui sauvèrent l'ensemble des Sages et leur pensée, quand vint l'Age noir et qu'il n'y eut de salut possible que grâce à la protection du Grand Bouleau, comme a dit Taliesin. - Les Druides. « Mar n'ouzez-te ket, Me oar. Si tu ne sais pas, moi, je sais ». Si les Ovates étaient les Initiés du Travail réalisateur, les Bardes les Initiés de l'Art évocateur, les Druides, eux, étaient les Initiés des Initiés, les Maîtres de la Connaissance. Educateurs des princes et de toute la Jeunesse qui voulait s'adonner au labeur supérieur de l'esprit. Légistes et Magistrats, statuant en ultime instance. Détenteurs et Conservateurs des traditions et de la Tradition. Conseillers respectueusement écoutés des Souverains. Diplomates, dont la saie de lin blanc assurait l'immunité, jusqu'au sein des camps ennemis. Mais surtout Philosophes et Métaphysiciens, tels étaient les Druides. Initiateurs des autres Initiés, ils ne fuyaient pas systématiquement le monde mais résidaient, généralement, au sein des bois, dans une clairière où leur demeure se dressait près d'un ou de plusieurs chênes - le chêne étant l'arbre sacré des Druides symbolisant, par la dispersion de ses glands, le Sage qui dispense son enseignement à ses Mabinogion ou disciples. Les Druides se comparaient, eux-mêmes, également, au Sanglier qui mène à la glandée ses Marcassins, appellation familière désignant ceux qui étudiaient sous leur direction. Comme le sanglier fouit la terre pour y trouver les racines, les tubercules, la truffe dont il se nourrit, le Druide fouissait la Nature entière, sur ses trois plans, spirituel, animique et physique, pour en saisir les Lois. Grands psychologues, ces Sages connaissaient parfaitement l'Homme et savaient en deviner les pensées et les déterminations les mieux scellées. Rois, tyerns et travailleurs venaient les consulter, quémander leur avis sur les sujets les plus divers, bien résolus à suivre les directives qui leur seraient données. Si grand était leur don de prescience et leur service de renseignements, si bien organisé, il faut le reconnaître loyalement, que souvent il était superfétatoire d'aller les trouver. Ils arrivaient, calmes et graves, pleins de la dignité de celui qui Sait, au moment exact où se précisait la nécessité de leur intervention. Comme les autres Sages, ils étaient dégagés de toute obligation militaire. César parle bien pourtant d'un Druide portant l'épée et s'appuyant sur un bouclier pour faire l'exposé de ce qu'il avait à dire. Il y a toujours des éléments qui violent, froidement, les principes les plus sacrés qu'ils se sont engagés à respecter et, pour un seul Druide armé que mentionne l'Histoire, combien a-t-on vu, durant les derniers conflits de Prêtres et de Pasteurs maniant le fusil, le révolver ou la mitraillette, eux, dont le maître a dit: «Celui qui se sert de l'épée périra par l'épée.» Qu'un ou même plusieurs Druides aient porté les armes ne change rien à la règle: «L'Initié ne doit pas toucher aux armes, ni s'en servir.» D'ailleurs, en cas de guerre, les Druides avaient bien d'autres chats à fouetter qu'aller se battre. Profitant de l'immunité que leur conférait la saie blanche, ils n'hésitaient pas à se rendre auprès des chefs de guerre adverses et à parlementer avec eux. Ils se rencontraient avec les Sages du peuple ennemi et entamaient des pourparlers ayant pour but de rétablir la paix dans le plus proche avenir et, en attendant, de minimiser les conséquences du conflit. Etaient-ils des Non-violents au sens où nous l'entendons actuellement? Oui et non. Non violents, ils l'étaient pour eux-mêmes, par vocation, par initiation. Mais ils connaissaient trop bien l'espèce humaine, ses réactions brutales et ses instincts de domination, pour envisager, ne fut-ce qu'un instant, d'imposer à tous la règle qu'ils s'imposaient à eux-mêmes. De plus, il y a violence et violence. La violence stupide, cruelle, sans motif est à condamner. L'emploi de la force raisonnée, dans un but utile, est admissible. Attaquer est blâmable. Se défendre est naturel. Aussi, en tant qu'architectes et mainteneurs de la Société celtique, les Druides avaient-ils, sagement, prévu une Classe, où se regroupaient, d'instinct, tous ceux qui aimaient les combats et briguaient la gloire des armes. Elle était chargée d'employer la force pour maintenir l'ordre, faire respecter le bon droit et pour protéger le peuple contre toute agression. Toutes opérations qu'ils supervisaient, d'une manière ou d'une autre, afin d'éviter les excès. L'action des Guerriers-policiers s'achevait, inéluctablement, par un jugement, tablant sur des lois édictées par eux, les Druides qui, par surcroît avaient le dernier mot en matière de Justice. Pour ce qui était des opérations guerrières, nous venons de voir qu'ils intervenaient, immédiatement, en tant que diplomates, estimant, avec sagesse, que tant que dureraient les pourparlers, Tyerns, Chevaliers et Guerriers auraient largement le temps de prouver leur force et leur valeur, en se distribuant maints coups d'épée, de lance ou de masse et, partant, de satisfaire leur besoin d'action. La paix intervenant, imposée par les Sages des deux camps, tout le monde rentrait chez soi content: les uns d'avoir fait montre de leur courage et de leur science du combat, les autres de n'avoir pas trouvé le trépas au cours des engagements. En somme, Non-violents pour eux-mêmes, ils minimisaient au maximum l'usage de la force pour ceux dont ladite force était la raison d'être, le véritable mode d'expression. Interdire l'usage de la force relevait de la pure utopie. Laisser faire, au hasard, relevait de l'impéritie. Les Druides, dans leur grande Sagesse avaient choisi le moyen terme, le seul qui fut efficace et puisse satisfaire tout le monde. L'enseignement que les Druides donnaient à leurs marcassins était prodigieusement long. Les Triades, les Séries et autres textes du même genre, parvenus jusqu'à nous, n'en sont que les fragments: 20 à 30 mille vers, croit-on, groupés par tercets monorimes, appris par cœur par les disciples, qui devaient, finalement, être capables de les réciter, sans erreur, et ceci du premier au dernier, mais également, ce qui est plus acrobatique, du dernier au premier. De plus, chaque enseignement fragmentaire étant résumé à l'extrême dans cette poésie didactique, la parfaite compréhension de ces textes exigeait développement et explications, dont l'intellect de chaque élève devait s'imprégner. Venaient, ensuite, les contes ésotériques et les commentaires afférent. La tradition irlandaise nous apprend que pour être reçu File (barde irlandais) il fallait connaître cent de ces contes et savoir les interpréter clairement. La partie la plus importante de cet enseignement était consacrée à la Métaphysique et la Cosmogonie. Venaient, ensuite, les Sciences, les Lois, Us et Coutumes constituant le Droit celtique (le Droit breton appelé La Très Ancienne Coutume de Bretagne fut appliqué jusqu'à la mise en action du Code Napoléon) puis, suivaient les faits historiques donnant matière à enseignement. Comment s'étonner que 14 années d'études fussent nécessaires pour l'assimilation complète d'un tel bagage intellectuel et culturel? A ses 21 ans, le Mabinog était initié, solennellement, et reçu dans le cercle formé par les Sages déjà investis. Il était, alors, pour toute sa vie, intégré aux Druides, Bardes ou Ovates, suivant la spécialisation qu'il avait choisie. Bardes et Ovates pouvaient, cependant, après un certain temps d'exercice dans leur Ordre, acquérir le Druidicat, s'ils avaient atteint à une certaine notoriété dans leur partie et après avoir reçu une formation complémentaire. L'habitude acquise, au cours de ces longues années d'étude, de méditer et discuter sur tout, de tourner et retourner n'importe quel problème, de fouiller et scruter n'importe quelle proposition émise, augmentée de la certitude d'avoir, quelque part en mémoire, les arguments permettant de trancher tous les dilemmes et de vaincre toutes les difficultés, conférait aux Sages celtes une incroyable maîtrise d'eux-mêmes. Ce qui ne contribuait pas peu à en imposer au peuple qui était, alors, ce qu'il est encore aujourd'hui: impulsif, irréfléchi et souverainement versatile. Car, c'est une réelle force que de savoir que, sous l'avalanche désordonnée des questions de celui que trouble l'incertitude, le doute et l'ignorance, l'on pourra répondre, flegmatiquement: «Si tu ne sais pas, toi; moi, je sais ». Et ceci en toute sérénité, parce que l'on a tout étudié et que l'on sait être apte à répondre à tout, sans avoir recours au mensonge ou tout au moins au subterfuge d'une hypothèse hasardeuse; l'une des règles fondamentales du Druidisme étant: « Ar Gwir a eneb d'ar Bed. La Vérité à la face du Monde ». - Les femmes consacrées. Tout d'abord, une affirmation catégorique: L'utilisation des titres: Druidesse, Bardesse ou Ovate - femme est une erreur pernicieuse. L'habitude fait loi, soit, et l'on a coutume à présent de parler des femmes s'intéressant à la Sagesse celtique en disant, «ce sont des Druidesses, des Bardesses ou des Ovates femmes» admettons-le. Il n'en demeure pas moins vrai que ces titres sont inadéquats. La première Bardesse que l'Histoire mentionne est la mère de saint Hervé. Elle en portait le titre, certes, en exerçait les fonctions, certes encore, mais elle vivait au Ve siècle, époque ou l'antique Classe des Sages commençait à être sérieusement édulcorée par l'invasion du Christianisme celtique. Les Druides, Bardes et Ovates étaient-ils donc misogynes? Nullement. Mais, pour être Druide, Barde ou Ovate, il fallait être initié. Or, une femme ne peut pas être initiée. C'est net, précis et définitif. Que les sectes et obédiences qui prétendent initier des femmes, que les Eglises reformées qui confèrent le sacerdoce à des Femmes-Pasteurs se le tiennent pour dit. Elles sombrent dans l'hérésie absolue par rapport aux principes de l'Initiation quelle qu'elle soit. La Femme ne peut être que consacrée. Elle acquiert, alors, des Droits, des Pouvoirs et aussi des Devoirs supérieurs, mais totalement différents de ceux qu'acquiert l'Homme initié. Cette affirmation fera bondir, très certainement, les Féministes de toutes espèces. Peu nous en chaut. Cela est. Et cela est, pour des raisons d'ordre naturel, physique et psychique. L'homme est un poste émetteur. La femme est un poste récepteur. Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, a dit Hermès. Le Maître égyptien avait raison. Et, dans l'occurrence, ce qui est sur le plan physique se répercute, inévitablement, dans le domaine psychique. A l'un comme à l'autre stade, l'Homme ébauche et donne, tandis que la Femme reçoit et parachève. Ceci ne la minimise nullement d'ailleurs. Il y a fonctions différentes, soit, mais aucune d'entre elles n'est supérieure ou inférieure à sa parèdre. Pour prendre contact avec la Vérité, l'Homme s'extériorise, sa pensée se propage jusqu'à ce qu'elle rencontre le Vrai; alors que la Femme s'offre et c'est son intuition qui enregistre la secousse qui se produit lors de la prise de contact avec la Vérité. L'Homme est semblable à la chauve-souris qui détecte un obstacle en poussant une multitude de petits cris en infrasons; lorsque son cri lui revient en écho, c'est qu'elle a trouvé l'obstacle. La Femme, elle, au contraire est comme la camera. La camera photographie le vide, d'abord, puis l'objet ou l'obstacle. La Femme fait de même, elle attend que la Lumière vienne l'impressionner et, alors, elle enregistre, au-dedans d'elle, comme la camera. En définitive, le résultat est le même, ce qui fait qu'il n'y a ni supériorité, ni infériorité de quelque côté que ce soit, mais, les moyens sont profondément différents. Il convient donc de les affiner (car aussi bien la consécration et l'initiation sont des moyens permettant d'affiner la perception de la Vérité). L'application de l'initiation à la Femme ne peut rien produire. Celle de la Consécration, resterait entachée de nullité pour l'Homme. C'est pourquoi, au sein de la Classe des Sages se trouvait un Collège de Femmes, non pas initiées, mais consacrées. Collège qui faisait pendant aux Ordres masculins, mais ne se confondait pas avec eux. Rien de comparable, l'on s'en doute, dans les rites de leurs cérémonies d'investiture mais, rien de semblable, non plus, dans les règles de vie ni dans les fonctions, et pas même dans la vêture. Alors que Druides, Bardes et Ovates portaient la saie de lin pur qui, les enveloppant de la tête aux pieds les protégeait contre toute radiation, tout fluide extérieurs, ne laissant à nu que les mains et la face, l'Initié devant émettre et non détecter, les Femmes consacrées, elles, étaient vêtues de laine, textile éminemment récepteur, et couronnées de fleurs dont le parfum lourd ou subtil ne pouvait qu'agir sur leur sensibilité. Cette mise en condition, soigneusement étudiée, devait augmenter les facultés naturelles féminines de captation des fluides, radiations et autres influences extérieures. Leur rôle étant de se transformer en véritable accumulateur. Alors que les Druides résidaient, ordinairement, sous les arbres: bois ou foret; les Bardes, dans les châteaux, les Ovates, dans les cités; les Femmes consacrées avaient leur… On serait tenté de dire couvent, près de l'eau: île, comme Sein, marais, comme ceux de Donges, ou tout simplement près d'une fontaine, car l'eau est, d'une part, un élément féminin et, d'autre part, particulièrement radioactive. Alors que les Sages initiés mariés, pères de famille, allaient et venaient, à leur guise, parmi leurs concitoyens, les Femmes consacrées vivaient cloîtrées, ne recevant pour toute visite que celle du vieux Druide qui venait enseigner les plus jeunes d'entre elles. Si l'on n'exigeait pas d'elles qu'elles fussent vierges, du moins, étaient-elles astreintes à la chasteté la plus rigoureuse, durant le temps qu'elles passaient dans l'exercice de leurs fonctions: 4 années, suivant les uns, 5 suivant les autres. Ce, parce que le non-assouvissement de l'appétance sexuelle excite, exacerbe, même, les facultés féminines de réception psychique. De plus, si elles avaient eu rapport avec des hommes, elles eussent pu devenir enceintes, d'où superposition et mélange de leur corps animique avec celui de l'enfant en gestation, d'où, encore, trouble dans les facultés réceptrices au cas où l'être porté eût été du sexe mâle. Comme on peut en juger, tout était méticuleusement mis en œuvre pour accroître au maximum le fonctionnement de l'intuition et de la réceptivité naturelles à toute femme. Pourquoi? Tout simplement parce que les fonctions rituelles des Femmes consacrées étaient de deux sortes: L'une, parfaitement banale, que l'on retrouve chez tous les peuples anciens, était l'entretien du Feu. Le Tantad (Feu père) auquel l'on a recours lorsque, à la suite d'un cataclysme quelconque, ou d'une malveillance raisonnée d'un ennemi, les feux de tous les foyers domestiques se trouvaient éteints, en même temps, laissant peuple, nobles et Sages dans l'embarras que crée l'impossibilité de se chauffer et de faire cuire les aliments. Pour assurer, en permanence, l'existence de braises et de tisons capables de rallumer les foyers particuliers, l'on conférait au Feu rituel un caractère sacré et l'on en confiait la garde à des femmes d'autant plus vigilantes qu'elles savaient que faillir à leur devoir et laisser s'éteindre le brasier, équivalait à s'exposer aux plus graves représailles. L'autre fonction, celle qui nécessitait toutes les précautions, déjà signalées, déterminant un accroissement sensible de la réceptivité féminine, était de pressentir, prévoir et prophétiser l'Avenir. Lorsque, grâce à leur don très réel de prescience basée sur la réflexion et l'évaluation des conséquences qu'entraînait le libre jeu des relations de causes à effets, les Sages supputaient un événement extraordinaire en préparation, qu'il soit heureux ou malheureux, vite ils se rendaient auprès des Femmes consacrées. Celles-ci se mettant en transe, par les moyens les plus classiques, connus de tous ceux qui pratiquent, peu ou prou, l'art de la divination, confirmaient ou infirmaient les pressentiments des Sages, par leurs révélations, captées à même au sein de l'imbroglio des ondes qui circulent et s'enchevêtrent autour de la planète. Toutefois, l'exercice de ces facultés médiumniques, particulièrement développées chez certaines femmes, l'entraînement constant auquel elles devaient se soumettre, épuisaient rapidement les Femmes consacrées. Voilà pourquoi elles ne demeuraient en fonction que quelques années, alors que l'Initiation des Druides, Bardes et Ovates était acquise pour la vie entière. Celles qui jouissaient d'un tempérament de fer, leur permettant de surmonter ces fatigues, ou qui avaient des facultés si extraordinairement développées que l'on ne les employaient que dans les occasions extrêmement importantes, pouvaient renouveler leur engagement et constituaient les cadres fixes de cet Ordre singulièrement mouvant. Le Christianisme celtique triomphant, puis le Christianisme romain, luttèrent avec férocité contre les Femmes consacrées et toutes celles qui, après la disparition de l'Ordre, héritèrent des anciennes les méthodes si particulières de leur art. Elles furent taxées de sorcellerie, de commerce avec les démons, de possession et de bien d'autres… crimes… qui les menèrent au bûcher. Pourquoi? Tout simplement parce que, grâce à leurs puissants moyens d'investigation, elles étaient capables de surprendre les combinaisons, pas toujours très honnêtes, grâce auxquelles les clergés accroissaient leur puissance. Pour échapper à ce péril, ces femmes et celles auxquelles elles transmirent leurs connaissances, furent contraintes d'exercer dans la clandestinité, aidées en cela par la connivence du peuple, qui savait bien qu'elles n'étaient ni diaboliques ni même méchantes. Gênés dans leurs poursuites par cette clandestinité et par l'appui populaire, les prêtres et moines du Moyen Age changèrent, si l'on peut dire leur fusil d'épaule. Le problème comportait deux éléments complémentaires: les prétendues sorcières, qui rendaient service au peuple, et le peuple qui, moitié par crainte, moitié par sympathie, protégeait les sorcières. Ni les menaces, ni les tortures, ni les bûchers n'étant parvenus à mater le premier élément, force était de se retourner contre le second. Il eut été périlleux d'employer la violence arbitraire contre les foules dont (les clergés ne l'ignoraient pas) le Christianisme n'était qu'une mince pellicule, recouvrant, très superficiellement, l'ensemble des croyances antiques, lesquelles reparaissaient, sporadiquement, lorsque l'Eglise se montrait moins vigilante. Il fallait donc agir avec souplesse et adresse. Dom Basile n'était, certes, pas encore né, mais ses méthodes, elles, étaient déjà connues. Il s'imposait de dénigrer les sorcières d'une part et par ailleurs d'empêcher les braves gens d'aller les consulter. Or, c'était, précisément, la nuit que l'on se rendait, de préférence, chez les sorcières, afin d'éviter les rencontres intempestives, entraînant des explications douteuses. Partant de ces simples données, les clergés parvinrent à limiter, de façon très importante, ces visites nocturnes. Tout le monde a plus ou moins entendu parler des Korrigans bretons, que l'on a, d'ailleurs, fréquemment confondus avec les Duz, sorte de lutins et de farfadets. Le Korrigan, lui, était un être fabuleux, se situant, d'une manière mal définie, entre le réel et l'irréel. Noir de peau, de poil et de vêture, il était sensé n'opérer que la nuit, dans l'ombre de laquelle il lui était aisé de se dissimuler. Ceci lui permettait d'agresser les voyageurs et les promeneurs attardés, et de leur jouer mille tours pendables tels que les détrousser, les rosser ou les pousser dans les mares, étangs ou rivières. Par crainte de faire de telles rencontres, les bonnes gens ne sortirent que bien rarement la nuit et, de préférence, en bande, ce qui excluait toute velléité d'aller visiter la sorcière. C'était, d'ores et déjà, un gros point d'acquis. Si l'on connaît bien le nom des Korrigans, l'on ignore, généralement, son étymologie. Ce nom est composé d'un substantif et d'un adjectif: Korr signifie sorcier, magicien. Korrig en est le diminutif. Gan, de son coté signifie blanche (Kan, blanc argent, féminin Gan) Korrigan signifie donc, en réalité: la blanche petite magicienne et c'était l'appellation général qui était donnée aux membres de l'ordre des Femmes consacrées. Et voila comment la calomnieuse mauvaise foi des Dom Basile médiévaux vint à bout (au moins partiellement) des rapports existant jusqu'alors, entre le peuple celtique et celles qui avaient hérité de tout ou partie de l'Art des authentiques Korriganed, qui étaient les Femmes consacrées de la Classe des Sages. Aux Druides correspondait le Chêne. Aux Bardes, le Bouleau, aux Ovates l'If. Aux Korriganed ou Femmes consacrées correspondait le Pommier sauvage. « …La Laie et ses neuf marcassins - Petits! Petits! Petits! à l'Arbre à pomme - le vieux Sanglier vous enseignera.» (Série du Nombre 9) (Barzaz Breiz). La Laie étant la femelle du Sanglier, il est aisé de comprendre qu'il s'agit, dans ce texte, d'une Korrigan supérieure, qui rassemble ses jeunes consœurs, pour que le vieux Druide leur dispense son enseignement, précisément, sous le Pommier. Pourquoi ce Pommier? Si l'on coupe une pomme, en deux parties presque égales, en suivant non pas une coupe verticale allant de l'œil à la queue du fruit, mais l'équateur, si l'on peut dire, la pépinière apparaît sous la forme exacte d'un Pentagramme. Or, ce Pentagramme est, dans tous les symbolismes existant au monde, la représentation graphique sacrée de l'Homo sapiens. La Pomme est donc le symbole de la Femme qui porte, en elle, l'être humain en gestation et qui ne se réalise pleinement que dans cet état: c'est sa fonction spécifique. D'ailleurs, si le Pentagramme est le symbole universel de l'Homme pensant, la Pomme est le symbole, non moins universel, de la Féminité. Pomme offerte par l'Eve de la Genèse à son compagnon Adam. Pomme du berger Paris servant d'Oscar de Beauté et primant Vénus, au détriment de Diane et de Pallas-Athénée, etc., etc.

DEUXIÈME PARTIE

Le respect Pierre angulaire de la pensée celtique

CHAPITRE I

L'école du respect: l'éducation

L'enfance et la jeunesse de la jeune fille celte ne différaient en rien, à vrai dire, de celles que connaissaient ses pareilles, dans les autres familles ethniques. Passe l'âge des jeux, la fillette apprenait de sa mère et des autres femmes vivant au logis: grand-mères, servantes, etc., son métier de future maîtresse de maison et de future mère. Cuisine, ménage, filage, couture, vente à l'échoppe, si les parents étaient artisans, soins du bétail et de la basse-cour, s'ils étaient paysans, tel était son lot, augmenté de la préparation de son trousseau, jusqu'au jour où elle était appelée à choisir un mari. L'éducation de la jeune fille noble ou de rang princier ne différant, d'ailleurs en rien de celle des filles de la classe des Travailleurs. Car même la fille d'un roi savait filer, coudre, broder et préparer un repas. Les seules occupations professionnelles, consécutives aux métiers paternels étaient remplacées par l'instruction, d'ailleurs relativement élémentaire et les arts d'agrément tels que la musique, le chant et la tapisserie. Par contre, l'enfance et la jeunesse des garçons connaissaient un rythme très particulier: Jusqu'à l'âge de 7 ans, l'enfant mâle aristocrate ou plébéien, restait dans la dépendance de sa mère et des autres femmes de la maisonnée. Son existence n'était guère différente de celle des filles. En bref, il demeurait intégré à un milieu affectif, tant que son corps spirituel n'était pas complètement incarné, variation de l'être qui se manifeste par la fermeture de la fontanelle et l'ossification complète du crâne. A cet âge, le jeune Celte était soustrait à la domination des femmes. Devenu petit homme, il convenait qu'il fut traité comme tel, avec tout ce que cela comportait de dignité, mais aussi d'obligations. En général, on le confiait, alors, à un père nourricier, chargé de le former, avec bonté, certes, mais également, avec fermeté, jusqu'à l'adolescence. Si l'enfant appartenait, par sa naissance, au monde du travail manuel, son père nourricier était choisi parmi les pairs des parents. Celui-ci logeait et nourrissait le petit bonhomme et lui enseignait patiemment son métier. Si l'enfant était de race noble, fils d'homme d'arme, etc., il était placé dans un château, où il apprenait tout ce qu'un membre de cette classe devait acquérir comme bagage élémentaire: dresser les chiens, les faucons, fourbir les armes, soigner les chevaux, les seller et dès qu'il avait les jambes assez longues, les monter. Si l'enfant relevait de la classe des Sages, il commençait, d'ores et déjà, à étudier pour pouvoir, par la suite, s'intégrer dans cette classe. Mais il ne faudrait pas croire que le fils d'un artisan était astreint à devenir ouvrier, celui d'un paysan à apprendre à cultiver la terre. Si le garçon faisait, réellement preuve d'un goût prononcé pour telle ou telle autre occupation, il était confié à un père nourricier capable de l'instruire dans le genre de profession qui l'attirait. L'on vit, de la sorte, des fils de paysans devenir mousse, des fils d'artisans servir dans un château, de petits nobles étudier auprès d'un membre de la classe des Sages et des enfants de Druides aller manier le soufflet, les pinces et la masse des forgerons. Tout n'était, dans cet aiguillage, que fondé sur les goûts, les aptitudes physiques et intellectuelles et la vocation du petit homme, - si tant est que l'on puisse parler de vocation dès l'âge de 7 ans. A 14 ans, nouveau changement. Possibilité était donnée à l'adolescent de quitter son père nourricier pour aller, de ci, de là, parfaire sa formation auprès d'autres maîtres. L'adolescent manœuvrier acquérait, de la sorte, le fini du tour de main professionnel, en collectionnant les... trucs... des maîtres sous la coupe desquels il s'engageait délibérément. De son côté, celui qui se destinait aux armes s'initiait au maniement de l'épée, de la lance, du javelot et parachevait sa formation de cavalier, devenant en somme, ce que l'on appellerait, plus tard, un écuyer. Quant à celui qui avait choisi ou accepté les études, il poursuivait dans cette voie, en choisissant de devenir Ovate, Barde, ou Druide. Mais, notons bien, une fois encore, que le garçon avait toujours la possibilité de changer de voie et de se reconvertir. De plus, l'apprentissage d'un manuel était, régulièrement contrôlé par un Ovate. Ce Sage, adonné aux études supérieures de la Matière et des Sciences, avait pour mission de le conseiller et de lui donner un rudiment d'instruction en rapport avec son état et la branche professionnelle dans laquelle il s'était engagé. De même, l'adolescent qui se préparait au métier des armes était sous le contrôle d'un Barde qui lui chantant ou récitant des poèmes épiques, lui apprenait à connaître l'histoire des grands guerriers, des héros et des peuples vaillants, de l'exemple de qui il devait tirer enseignement. Le fils d'un souverain ou d'un noble de haut lignage avait pour mentor un Druide qui l'initiait à l'art de gouverner. Au bout de sept années, alors qu'il atteignait sa majorité, le jeune homme achevait son cycle de formation. Devenu homme, il pénétrait de plein pied dans l'existence, en suivant une voie pour laquelle il avait été préparé durant 14 années de formation théorique et pratique, lui mettant tous les atouts en main. A lui d'être assez intelligent, courageux et consciencieux pour mettre tout ce bagage en valeur. Beaucoup s'étonnent en prenant connaissance de l'Histoire et des traditions celtiques aussi bien que des comptes-rendus des voyageurs étrangers, ne n'entendre jamais parler que de manœuvriers d'une habileté consommée, de guerriers possédant à fond la science du combat, de chefs sachant merveilleusement commander (beaucoup mieux qu'obéir, d'ailleurs, et c'est ce qui fit leur perte) et de Sages d'une élévation de pensée peu commune. Cette supériorité indéniable et contrôlée même par les ennemis des Celtes, tel César, était due à cette éducation, à cette formation, à ces connaissances profondes qui modelaient l'esprit et le savoir faire du jeune celte. De plus, la possibilité constante de passer d'une condition à une autre si l'on en avait les aptitudes et si l'on en acquérait la formation, joint à ce que l'esclavage n'existait pas chez les Celtes d'avant la conquête romaine, créait une sorte de mentalité égalitaire, qui, tout en respectant les classes établies et dûment établies comme on vient de le voir, bannissait l'esprit de caste et la vanité de rang. Par surcroît la formation spirituelle, imposée par les Druides éloignait toute tricherie, tout esprit d'exploitation de l'homme par l'homme. Chacun mettait la main à la pâte, selon ses compétences et ses possibilités. L'éducation de la jeunesse celtique d'avant l'intrusion latine donnait tout son sens à cette formule populaire, qui sous une apparente vulgarité, cache une grande philosophie: «A chacun son métier. Les vaches seront bien gardées.»

CHAPITRE II

Le respect de la femme

Le degré d'évolution spirituelle d'un peuple ou d'une race ne saurait, en aucun cas, être fonction de l'étendue de son pouvoir temporel ou du standing que lui assure ce qu'il est convenu d'appeler le Progrès matériel. Tel petit peuple sans ambition, vivant selon des modes d'existence à peine supérieurs à ceux de l'âge de la pierre, peut, parfaitement, être spirituellement très évolué; tandis que tel autre doté de tout le confort matériel et jouissant d'une renommée et d'une influence quasi mondiale, peut, tout aussi bien, être, spirituellement non évolué. Quel est, donc, le critère qui permet d'évaluer, à coup sûr, ce degré d'évolution ou de non évolution spirituelle? Un test très simple: la physionomie des rapports sociaux existant entre les hommes et les femmes. Le peuple où l'Homme écrase la Femme, la tient en tutelle étroite, la considère comme quantité négligeable ou l'enferme au fond d'un sérail, est un peuple spirituellement non évolué. A l'opposé, celui où la Femme domine l'Homme, s'immisce tyraniquement dans ses affaires, le considère comme un plat valet, tout juste bon à gagner de l'argent, et assume, en ses lieu et place, les charges et responsabilités traditionnellement dévolues au mâle, ce peuple se trouve sur l'autre versant de la colline, en danger de chute et de retour à la sauvagerie primitive de l'obscurantisme spirituel. Tels étaient les Juifs d'avant la Diaspora et sont encore les peuples de l'Islam. Tels sont, également, la plupart des peuples de race blanche d'Europe et d'Amérique, où l'Homme est une machine à signer des chèques et où l'on rencontre la Femme-juge et la Femme-soldat. Bien sûr, comme en tout, il existe des exceptions, lesquelles confirment la règle: La reine Budika chargeant, sur son char, à la tête de ses guerriers bretons de Grande-Bretagne, pour défendre son peuple, Jeanne Laine, maniant solidement la hachette qui allait l'immortaliser, la Duchesse de Bretagne Jeanne, dite la Flamme, sortant nuitamment, avec ses Dames d'honneur, de la Ville d'Hennebont, où elle était assiégée, pour aller bouter le feu aux tentes du camp français qui l'investissait, constituent des cas d'espèce, suscités par des événements aussi cruciaux que fortuits. C'est le cas de principe de la tolérance épisodique qui se métamorphose en habitude, en coutume, puis en règle générale; qui constitue la tare marquant la régression accélérée dans l'évolution spirituelle. La Femme-juge est une aberration, sauf lorsqu'il s'agit d'un tribunal pour enfants. Là, tout au contraire, la Présidence de la Cour devrait, toujours être confiée à une femme, mère de famille, par surcroît, afin qu'elle ait une notion plus claire, parce que sourdant de son intuition maternelle, des causes de la délinquance et des remèdes qui peuvent y être apportés. Mais la femme présidant un tribunal pour adulte est un non-sens. Ayons le courage d'appeler les choses par leur nom et de parler de ce qui est, systématiquement, tu, par sotte pudibonderie: Tout adulte sait, parfaitement, qu'au moment du flux mensuel, l'énorme majorité des femmes sont sujettes à des réactions imprévisibles et incontrôlables: irritabilité excessive ou, au contraire, sensiblerie exacerbée. Abandonner, entre les mains d'une femme dans cet état le sort d'un être, quel que soit son crime ou délit, relève de la plus pure inconscience. L'homme-juge colérique ou hyperhépathique est déjà bien assez dangereux La Justice ne doit être rendue que par des magistrats ayant la calme, froide et pleine maîtrise de leurs nerfs. C'est pourquoi les Druides, pondérés par raison, entraînement et sagesse, supervisaient toujours les sentences prononcées. Enfin, l'abomination, en ce qui concerne les usurpations féminines, est bien la Femme-soldat, que ce soit pour le service armé ou pour le service auxiliaire. La fonction fondamentale de la Femme est de donner la vie et de la sauvegarder lorsqu'elle est en danger, non de donner la mort ou d'y collaborer. Si, en temps de conflit armé, les femmes se sentent un impérieux besoin de se rendre utiles, ce qui ne saurait qu'être louable, il existe alors, assez d'hôpitaux et infirmeries volantes, où leur place est toute indiquée comme docteur, infirmière, ambulancière, etc., etc. Ainsi seront-elles pleinement dans leur élément traditionnel. Le parfait épanouissement de l'évolution spirituelle d'un peuple ou d'une race se reconnaît au fait de ce que l'Homme et la Femme y œuvrent, face à face, dans une égalité harmonieuse et complémentaire, dénuée de tout esprit de rivalité ou de désir de subordination. L'un et l'autre ont des droits et des devoirs égaux mais différents, le devoir primordial de chacun étant de respecter, scrupuleusement, les droits de l'autre. Certes, Homme plus Femme, cela constitue un système binaire, qui sera fatalement appelé soit à se dissocier, soit à se réduire à un système unitaire par l'annihilation de l'une des deux parties. C'est alors qu'une inviolable et stricte règle morale doit s'imposer à l'un comme à l'autre, qui jouera le rôle d'élément harmonisateur où se font équilibre toutes oppositions. Cette règle morale supérieure consiste dans l'obligation d'entraide mutuelle. L'Homme aussi bien que la Femme, mais la Femme aussi bien que l'Homme sont des êtres en évolution au travers de l'Abred. Tous deux sont composés des trois corps indissociables durant l'expérience en cours, le physique, l'animique et le spirituel. La première des lois pour l'Esprit incarné est celle de la Solidarité entre évoluants. Y contrevenir équivaudrait à commettre une lourde faute, pesant intensément sur le Krwi. C'est pour que cette solidarité soit rigoureusement totale que les Sages avaient imposé la monogamie en matière de mariage. La seconde manifestation de cette loi morale réside dans la compréhension du partenaire, dans l'art de lui venir en aide, sans le vexer, sans lui infliger une commisération qui le blesse dans sa dignité. Elle correspond au corps animique où siègent la sensibilité et l'intuition. Le troisième volet de cette loi morale, devant tenir lieu d'élément harmonisateur, chargé de transformer le Binaire Homme-Femme en Ternaire sacré, correspond au corps physique, siège de la manifestation tangible de l'Etre, à son entretien, à son comportement social. L'entretien du corps, c'est-à-dire l'assouvissement de ses besoins naturels: faim, soif, vêture, etc., relevant pour ainsi dire de l'instinct de conservation, profondément ancré en tout être vivant, il semble inutile de nous y attarder. Il a été assuré, puisqu'il reste, encore quelques dizaines de millions de Celtes au monde. Ce sera la question du comportement social qui retiendra notre attention et singulièrement ce qui a trait à la Liberté. Il faut bien se dire et se répéter que la notion de liberté individuelle était chose peu commune à l'époque où les Celtes étaient régis par la Sagesse druidique. Et pourtant, le Celte était un homme libre. L'esclavage ne fut jamais pratiqué chez les Celtes, sauf en Gaule après la conquête romaine: ce système détestable y ayant été implanté par les Latins et, naturellement adopté d'enthousiasme par les chiens couchants qui se mirent au service de l'occupant, se faisant une impérieuse obligation de les imiter en tout point. Les peuples celtiques ne connurent pas le servage, cette coutume qui attachait l'agriculteur à sa terre. La preuve nous en est donnée par un fait historique, survenu, alors que le Druidisme était, déjà remplacé par le Christianisme, auquel cet événement ne peut être imputable, puisque ledit Christianisme n'a jamais condamné, ni interdit le servage. Alain Barbe-Torte, Duc souverain de Bretagne, qui régna de 937 à 952, acheta à son beau-frère le Comte d'Anjou, le territoire des Mauges. Comme dans toute l'ancienne Gaule en voie de francisation, et à l'exception de l'Ancienne confédération Armoricaine, devenue la Bretagne, le servage était de règle dans les Mauges. Le premier geste qu'accomplit Alain Barbe-Torte, après l'acquisition de ce territoire, fut l'abolition du servage, afin que ses habitants fussent traités sur pied d'égalité avec les autres sujets du Duché, qui n'avaient jamais subi cette contrainte. Si la liberté individuelle de l'Homme était chose peu courante, celle de la Femme était encore plus rare. Chez les Germains, et pour de nombreux siècles encore, la Femme était réservée pour le repos du Guerrier et son plaisir. A Rome, le Pater, chef absolu de la famille, avait droit de vie et de mort sur sa femme aussi bien que sur ses enfants et ses esclaves. (Charmante civilisation! Et comme l'on comprend qu'on nous la donne en modèle!) Chez les Arabes: Harem cantonné dans le sérail. Femmes voilées pour l'extérieur. Homme juché sur son âne, tandis que ses femmes trottinent autour de lui, à pied et chargées de lourds fardeaux. (Le voile et la femme chargée entourant l'âne du seigneur et maître étant encore en honneur chez certains peuple musulmans. Faits contrôlés par l'Auteur). Aux Indes, il a fallu l'interdiction formelle prononcée par les Anglais, pour que soit, officiellement, sinon pratiquement interdit le Suty, c'est-à-dire l'envoi au bûcher réduisant le cadavre du mari, de la ou des femmes d'un mort. Face à ces énormités, la Femme celte jouissait d'une appréciable liberté que ne limitaient, encore avec beaucoup de doigté, que les impératifs de la vie conjugale et des mœurs saines. Nous avons déjà vu de quelle liberté souveraine jouissait la jeune fille dans le choix de son époux. Nous avons, également, appris que les femmes et les femmes seules assumaient la responsabilité d'élever les enfants filles, jusqu'à la nubilité, garçons jusqu'à l'âge de 7 ans, et de diriger leur éducation, selon leur goût, durant ce laps de temps, ce qui constitue, indiscutablement, la plus belle des indépendances pour une mère de famille. Celles d'entre elles qui apportaient des biens, en dot, en demeuraient maîtresses et gérantes, si bon leur semblait, toute leur vie durant et, par ailleurs, un homme n'aurait pas conclu une acquisition, passé un arrangement, ou entamé un procès, sans prendre l'avis de sa femme. Comme l'on peut en juger, la liberté de la femme celte n'était pas un vain mot, mais, cette liberté devait s'exercer, en toute complémentarité de celle de l'homme. Tenons de l'un et mortaises de l'autre devant obligatoirement s'encastrer de façon harmonieuse, pour constituer un ensemble solide. Il fallait tout le génie pondéré des Druides pour construire un tel monument de Liberté, au sein d'une Humanité où les autres peuples s'adonnaient, le plus tranquillement du monde, à l'étouffement de la Femme et à l'esclavage des deux sexes. Comment s'étonner, alors, que les femmes se soient montrées des plus rétives à l'implantation du Christianisme, même de rite celtique? Le Christianisme, succédané de la pensée hébraïque, mal adapté aux conditions de la vie occidentale, allait fatalement réduire l'indépendance féminine, qui ne l'entendit pas de cette oreille. L'anecdote de la Keben, tirée de la vie du moine celtique Saint Ronan, en fait foi. Ronan s'était donne mission d'évangéliser la région où se trouve, aujourd'hui la ville de Locronan. Il fit, de la sorte, connaissance d'un certain nombre de familles bretonnes, dont une, où la femme portait le nom de Keben. Elle s'aperçut bientôt que le religieux n'avait pas de plus cher désir que de convertir son mari et ses fils et de les entraîner dans sa vie érémitique, en vertu de l'exemple qui lui avait été donné par Jésus: «Laisse là ta famille et ton métier et suis-moi». Réalisant l'étendue du péril qui menaçait ses croyances traditionnelles, sa liberté de femme, et l'unité de son foyer, la Keben se mit en campagne avec ardeur. Elle dressa contre le moine toutes les femmes de la contrée, qui firent tant et si bien que Ronan dut fuir et chercher refuge, dans la région de Saint Brieuc, en la localité appelée, de nos jours Locronan. Ce fut là qu'il mourut. Mais, lorsque sa dépouille mortelle, posée sur un char, traîné par ses deux bœufs, fut ramenée au lieu où il avait commencé son œuvre d'évangélisation, Keben, furieuse, abattit, d'un coup de bâton, une corne de l'un des bœufs, prouvant par ce geste brutal et, apparemment stupide, qu'elle n'avait pas désarmé et que c'était moins Ronan qu'elle avait combattu que les doctrines qu'il professait. Bien sûr, un millénaire et demi de Christianisme ont fait de la Keben une mégère diabolique, une sorte de démon femelle, écumant à la vue d'un authentique saint du Bon Dieu. Mais, nous qui jugeons. impartialement, avec la sérénité que nous confère le recul, nous sommes obligés de reconnaître que, tout compte fait, Keben ne faisait que défendre ses croyances, sa liberté de femme celte et ses amours, conjugal et maternel, ainsi que son foyer, contre les entreprises d'une sorte de révolutionnaire, combattant l'ordre établi depuis des millénaires, dont les innovations semblaient des plus douteuses à cette mainteneuse de l'équilibre druidique. Que diraient les femmes et mères d'aujourd'hui, si le missionnaire de quelque secte nouvelle venait, jusque chez elles, prêcher contre la foi, jusqu'alors admise par leurs familles et tenter d'entraîner leur mari et leurs fils, loin du logis, dans une action militante qui les laisseraient esseulées et sans ressource? L'une des preuves les plus frappantes du respect de la dignité et de la liberté féminine, chez les Celtes, réside dans l'absence totale dans leur Droit d'une loi, voire même d'une simple coutume semblable à la Loi salique. Jamais le législateur celtique n'a envisagé d'interdire à une femme de régner et il en fut ainsi jusqu'à la fin du Moyen Age, jusqu'à la Renaissance qui devait marquer la ruine de la Société celtique. A cheval sur le XVe et le XVIe siècle, l'on voit une belle figure de femme portant la couronne sur la tête et en main le sceptre: Anne de Bretagne, Duchesse royale et souveraine des Bretons, qui, après les heures douloureuses de son mariage forcé avec Charles VIII, recouvra la pleine souveraineté sur son Duché, malgré son union avec Louis XII. Car, si Anne fut reine de France, Louis XII ne fut jamais Duc de Bretagne. Le Droit Breton (Très ancienne Coutume de Bretagne) admettait parfaitement le règne d'une femme et imposait le respect de la personnalité féminine, aussi bien que de la personnalité masculine. Respect de la personnalité féminine qui fit que, de toute éternité, les marins bretons, irlandais, écossais ou gallois, confièrent, durant leurs souvent longues absences, la régie de leurs villages à leurs femmes, assistées des Sages vieillards qui n'embarquaient plus, considérant leur âge. Ataviquement, depuis l'époque druidique, le Celte a toujours considéré la Femme comme son égale et son complément.

CHAPITRE III

Le respect de la vie

«L'Amour de tout ce qui vit…» (Prière du Gorsedd.)

De tous les biens dont l'Etre, quel qu'il soit, peut jouir sur cette planète: terre grasse, climat favorable, fructification abondante; pour le Végétal. Nourriture copieuse, vastes espaces où s'ébattre et portées bien venantes pour l'Animal. Quiétude, richesse et Amour, pour l'Humain; de tous ces biens, tant prisés des uns et des autres, la Vie est le plus précieux. Pourquoi? Est-ce parce qu'elle permet au corps physique de goûter à des satisfactions sensorielles qui lui font oublier, momentanément, du moins, qu'Ankou (le trépas) est père d'Anken (la douleur) et d'Ankoun (l'oubli)? Est-ce parce qu'elle permet au corps animique de goûter à des joies d'ordre psychique telles que la Beauté, l'Harmonie, le Bonheur, qui lui font oublier que: « Avel ha Glao, Taran ha Tan Tornade et Déluge, Tonnerre et Feu» mettront fin au monde sur lequel nous nous mouvons. Est-ce parce qu'elle permet au corps spirituel de racheter ses erreurs passées, d'acquérir, bride après bride, la connaissance et de progresser vers le Gwenved, où il recouvrera la plénitude de son Awen (génie particulier)? Certes, toutes ces raisons sont valables et hautement appréciables et en tarir la source, en interrompant, volontairement, la Vie est une faute d'autant plus grave qu'elle retarde l'Evolution de celui qui subit cette interruption. Celui-ci se voit, de ce fait, contraint de renouveler son expérience, aussi bien qu'elle retarde l'Evolution de celui qui crée l'interruption, ce qui charge son Krwi et ajoute une nouvelle mention infamante à son casier judiciaire métaphysique. Mais, il est une autre raison, plus grave encore, c'est que, selon l'expression percutante du Barde moderne Garzhir a Retz: « Dieu, pour se réaliser, a besoin des incarnations» Dieu, enfermé dans le Keugant, est comme un homme en proie au sommeil. Il est, mais ne le réalise pas, par inaction. Mais, l'Inconnaissable Unique se pense et sa pensée déferle, elle est la Lumière ou Vérité qu'il projette dans l'infini et qui doit, inéluctablement lui revenir, comme le boomerang revient à celui qui l'a lancé et, lorsqu'elle lui reviendra, elle se sera enrichie de toutes les expériences qu'elle aura suscitées. Car la pensée de l'Inconnaissable se propage suivant trois rayons: les trois Cris de la Lumière, selon la formule druidique, un rayon spirituel, un rayon animique, un rayon physique, tant il est vrai que Dieu est Tout, que Tout est de Dieu, que Tout est en Dieu. Du contact pris entre le Spirituel, l'Animique et le Physique, lors du début d'une incarnation, jaillit cet incompréhensible courant inconnu que nous appelons la Vie. Interrompre le circuit, en brisant une existence, équivaut à s'opposer, partiellement, à la propagation de la pensée active de l'Inconnaissable et, violant le point de Liberté où se font équilibre toutes oppositions, attenter à la réalisation en cours de Dieu. C'est la faute contre l'Esprit, celle qu'aucun exégète chrétien n'est parvenu à expliquer valablement. La règle primordiale de tout Etre existant est donc le respect de la Vie et par elle le respect de l'Inconnaissable unique. Or, précisément, de tous les biens que nous pouvons posséder sur la planète Terre, la Vie est celui qui est le plus constamment en danger. Inévitablement, nous sommes amenés à donner ou à causer la Mort, ne serait-ce que pour entretenir notre propre existence: L'être humain dévore l'animal. L'animal dévore l'homme, l'animal son frère ou le végétal. Le végétal se repaît des sels minéraux de la terre et la terre, elle-même, s'engraisse de tous les cadavres, humains, animaux, et végétaux. C'est un cycle d'épouvante. C'est la loi qui régit la planète de l'Horreur, la plus basse dans l'échelle des sept planètes de l'Involution: «Sept planètes et sept destinées, y compris celles de la Poule» (la poule noire étant le symbole de la condition terrestre), nous dit la Série du nombre 7 (Barzas Breiz). S'il est, malheureusement exact qu'il faille tuer l'arbre pour avoir son bois, les animaux et les végétaux pour se nourrir, l'homme, même, parfois, pour protéger sa propre existence, les Druides, dans leur grande Sagesse limitaient le meurtre par tous les moyens en leur pouvoir: Ils condamnaient les dévastations inutiles de la Nature et ne se bornaient pas à instaurer, platoniquement, des années de protection de cette Nature. Ils condamnaient les hécatombes de gibiers et de poissons. Ils condamnaient, sévèrement l'assassinat et mettaient des freins aux tueries guerrières, en limitant le nombre des combattants à la seule classe ayant le droit de porter les armes, en œuvrant, eux-mêmes pour le rétablissement de la paix et en conseillant aux Guerriers de ne pas tuer l'ennemi, s'il lui était possible de le mettre seulement hors d'état de nuire. Ils condamnaient, également, le suicide. Toute personne ayant tenté de mettre fin à ses jours et n'y étant pas parvenue, était arrêtée et enfermée dans un centre druidique, où considérée, à juste titre, comme un malade mental, elle était apaisée et soignée par les Ovates médecins. Si la cure réussissait, l'ex-désespéré était remis en liberté et reclassé dans la Société. Si, après un internement de cinq années, il désirait encore mourir, il était exécuté, en même temps que les condamnés de droit commun, étant jugé incurable. Ces cinq années de vigilance bienveillante, la thérapeutique des Ovates et la psychanalyse (avant la lettre) des Druides prouvent combien les Sages apportaient de soin à réduire le nombre de ces cas douloureux de désespérance, nombre qui, proportionnellement, devait être très inférieur à ce qu'il est de nos jours; l'existence calme, saine et régulière que menaient les gens de cette époque ne prédisposant pas particulièrement aux dépressions nerveuses et troubles mentaux. La règle était d'empêcher le meurtre, même sur soi, parce qu'il est la faute contre l'Esprit, la plus grave de toutes. Nous avons fait allusion aux condamnés à mort, de droit commun. Leur exécution ne relevait-elle pas du meurtre et ne prenons-nous pas, en telle occurrence, les Druides en flagrant délit d'illogisme? La peine de mort et son abolition sont de très importants problèmes qui tiennent une grande place dans notre monde moderne et ce n'est que justice; car, dans les pays où cette condamnation totalement négative est encore en usage, il se trouve qu'elle soit infligée avec la plus absolue incohérence. Pourquoi l'assassin d'un gouvernant ou d'un chef d'armée, est-il à peu près certain d'être condamné à mort, s'il est pris, alors que celui de la balayeuse de rue a 99 chances sur cent de voir cette peine, si tant est qu'elle soit prononcée, muée en détention à vie, ce qui signifie en réalité 15 ans de prison? La faute contre l'Esprit et le crime à l'état pur sont, pourtant, exactement les mêmes. Pourquoi l'agent secret des renseignements de l'Armée est-il passible de la mort s'il est pris sur le fait, alors que l'inventeur des moyens de destruction en grande série sera couvert d'honneurs et de décorations? Le crime de l'inventeur est, cependant, beau. coup plus grave que celui de l'espion. Einstein l'a bien reconnu, dans sa fameuse boutade: «Si j'avais su, je me serais fait plombier». Appliquée à tort et à travers, comme elle l'est dans la plupart des cas, la condamnation à mort est gravement répréhensible. Par contre, nous devons, par souci d'équilibre, reconnaître qu'il est des cas où elle relève de l'instinct de conservation et sert à la sauvegarde de l'Humanité. Il est certain que le criminel récidiviste ou sadique, irrécupérable ou incurable est un danger pour ses contemporains et que, lorsque l'on met dans la balance d'un côté sa seule suppression et de l'autre les meurtres qu'il est capable de commettre dans les temps à venir, il est logique de limiter les dégâts, en lui ôtant toute possibilité de recommencer. C'est devant ce dilemme que les Sages de la Celtie, après, l'on s'en doute, de longues méditations, adoptèrent leur système. Légistes, juristes et magistrats suprêmes, ils supervisaient tous les jugements importants, partant ceux où était requise la peine de mort. C'est-à-dire que ces hommes pondérés, dotés par nature et par entraînement d'une formidable maîtrise d'eux-mêmes et de leurs réactions psychologiques, certains, de par leur Sagesse, de ce que la mort s'avérait être un châtiment contre nature et rigoureusement négatif, ne devaient laisser passer un tel verdict que lorsque toute autre solution était inapplicable ou vaine. N'avaient-ils pas, pour éclairer leur religion en telle matière, les moyens de sonder le mental du criminel, par le truchement des Korriganed, utilisant la télépathie et les systèmes d'étude introspective dudit criminel, acquis grâce à leur art? D'ailleurs, la Très ancienne coutume de Bretagne, dont l'esprit originel reflète la pensée des Sages nous traduit, clairement, leurs conceptions en matière de Justice. En exergue au vieux Droit breton, se trouve cette pensée que tout magistrat, digne de ce nom, devrait, longuement, méditer avant de prononcer une sentence: «Justice doit être plus encline à absoudre qu'à condamner». Et le même Droit énonce, plus tard, cette formule définitive, concernant la peine de mort: «Punir un crime par un crime est ajouter au crime». Quoiqu'il en soit et, pour les raisons exposées précédemment, dans certains cas, les Druides entérinaient la condamnation à mort. C'est ainsi que les condamnés, auxquels venaient s'adjoindre les candidats au suicide impénitents, étaient enfermés dans une cage d'osier et réduits en cendres sur un bûcher, allumé, non pas par un bourreau (on ne dégradait pas un homme en lui infligeant la profession de tuer son semblable) mais, bel et bien, par un Gutuatre. Le Prêtre étant, fondamentalement, un sacrificateur, quand bien même ce sacrifice ne serait que celui de la Messe. Le respect de la Vie avait, par ailleurs, bien d'autres répercussions dans la manière d'être des Celtes. Tel, entre autres, ce culte des Morts, qui s'est perpétué jusqu'à nous. La mort, conçue comme un anéantissement, n'existe pas. Seule, disparaît l'entité humaine qui vient d'achever son expérience. La Vie se transforme soit, mais demeure en chacune des trois parties dissociées de cette entité. Et c'est si vrai, que l'on a, depuis bien longtemps, constaté que les ongles, la barbe et les cheveux d'un défunt continuent à pousser, après la mort. A franc parler, on ignore quand et comment se produit la dislocation du ternaire ainsi que le laps de temps durant lequel les trois éléments demeurent, encore, sinon unis, du moins en contact. Peut-il, d'ailleurs, être question de temps? Nos chronologies, déjà différentes les unes des autres, comme on a pu en faire la remarque au début de cette étude, sont basées sur des points de repères appréciables par nos sens (Soleil, Lune, Vénus, etc.) mais une fois que ces points de repère ne sont plus détectés par le corps physique, existe-t-il encore une notion du temps et laquelle? Toujours est-il que, la dissociation terminée, chacune des composantes de la personne défunte retourne à la vie du plan dont elle est issue: plan chimico-physique du sol dans lequel se désagrège le cadavre, plan fluidique où le corps animique fait de même, plan spirituel où la partie impérissable de l'être va faire son bilan, connaître un repos bien gagné, puis se préparer à une nouvelle incarnation, si celle-ci s'avère être nécessaire. Mais chacune de ces composantes participe de la Vie spécifique du plan lui correspondant. L'ignorance de la durée du processus de dissociation, le sentiment mal défini, sans doute, mais certain d'une réintégration de chacun des éléments dans la vie générale, firent que nos ancêtres, ne prétendant pas, comme d'aucuns le font de nos jours, que... «…Quand on est mort, on est foutu... » vouèrent aux défunts une sorte de culte qui, pour ne pas revêtir l'aspect religieux qu'il connaît en Extrême-Orient, n'en marqua pas moins les coutumes populaires et les traditions. Nous verrons certaines de ces coutumes, lorsque nous étudierons le festiaire celtique. Pour le moment, attardons-nous un instant sur une tradition, qui a la curieuse particularité de se retrouver, rigoureusement identique, chez les Rouges d'Amérique, avec lesquels, pourtant, il semble bien que les Celtes n'aient aucun lien de parenté. Alors que chez certains peuples (les Germains en particulier) lorsque l'on portait en terre un personnage d'une certaine importance, l'on inhumait avec lui son cheval, voire même son ou ses chiens favoris, préalablement mis à mort; chez les Celtes, comme chez les Rouges, le cheval du défunt était le premier à mener le deuil. L'animal qui avait vécu la même vie que le défunt, partageant ses fatigues et ses triomphes, les dangers au combat et les heures de gloire après les victoires, avait le pas sur la famille elle-même. Une autre tradition celtique, remontant, indéniablement, à l'époque druidique a persisté jusqu'au siècle dernier, en Basse-Bretagne, et, tout particulièrement dans les Monts d'Arrez. Le Chant des Séries, vestige de l'enseignement druidique, auquel nous avons, à plusieurs reprises, emprunté des citations, était connu de bien des gens, certes, mais psalmodié par un seul homme, dans chaque commune. Lorsqu'il se sentait vieillir, cet homme choisissait son successeur. Il lui enseignait le chant, minutieusement, jusqu'à la fin, mais aussi, comme le voulait la règle antique, de la fin au commencement. Lorsque le successeur pouvait désormais officier à sa place, l'ancien chanteur ne psalmodiait plus les Séries. C'était le nouveau qui, fréquemment, se rendait au chevet des moribonds et leur déclinait les 12 enseignements versifiés. Il se trouvait, parfois, qu'un prêtre catholique, appelé par la famille, surprit le récitant en plein exercice. Ce dernier se retirait poliment, puis, lorsque le desservant romain en avait terminé, venait reprendre sa place au chevet de l'agonisant et reprenait la psalmodie des Séries, au point exact où il avait été interrompu. Admirable pérennité qu'une tradition que 15 siècles de Christianisme n'étaient pas parvenu à extirper des mœurs, de cette région, où le Catholicisme est si fortement teinté de Druidisme. Rome, impuissante à baisser les bras, se contenta de Christianiser les rites et les coutumes, chaque fois que cela lui était possible et que les Celtes acceptaient de la laisser faire. Respect de la vie, culte des Morts, c'est tout un. L'un et l'autre procèdent de la considération que les Sages de la Celtie étaient parvenus à imposer aux membres de leurs peuples, à l'égard de ce qui contribue à l'Evolution vers la blanche Lumière du Gwenved, durant une expérience, et contribuera, à nouveau, à d'autres expériences du même genre, dans un avenir plus ou moins rapproché. L'ouvrage qu'Anatole Le Braz a consacré aux Légendes de la Mort renferme nombre de superstitions banales, conçues par un peuple émotif au suprême degré pour ce qui relève, soit du Surnaturel, mais il est également riche d'une foule de croyances héritées d'une pensée beaucoup plus profonde, plus ou moins édulcorée, au cours des siècles et sous la pression d'enseignements hétérogènes, mais conservant, contre vents et marées le parfum indélébile de l'enseignement druidique.

CHAPITRE IV

Le respect de la vérité ou la quête de la lumière

«Quand on ne me cherchera pas, on me trouvera; et quand on me cherche, on ne me trouve pas.» (Prophétie de Gwenc'hlan, Barzas Breiz)

Un jour, qu'il devisait avec ses commensaux habituels, près de l'entrée de son castel, le seigneur Pwyll aperçut une charmante cavalière qui suivait la route, au pas tranquille d'un paisible cheval. Pwyll ne connaissait pas cette jeune fille, dont la grâce le séduisit au premier coup d'œil. Aussitôt chargea-t-il, sans plus attendre, un de ses cavaliers de sauter en selle et de rattraper la belle inconnue, pour lui demander qui elle était. Le cavalier enfourcha l'un des chevaux les plus rapides et piqua des deux sans, cependant, parvenir à joindre l'amazone, dont la monture ne se départissait pourtant pas de son allure tranquille. Après une galopade effrénée et couronnée du plus total insuccès, le messager revint penaud. Pwyll demeura stupéfait de cet inexplicable fiasco. Le lendemain, à la même heure, la jolie cavalière passa de nouveau, au pas calme de sa monture. A tout hasard, Pwyll, qui ne se tenait pas pour battu, avait donné ordre à son meilleur écuyer d'apprêter le cheval le plus fougueux de ses écuries et de joindre la demoiselle coûte que coûte. Le second cavalier revint aussi bredouille que le premier, chevauchant une bête couverte de sueur et d'écume, prouvant que ni l'un ni l'autre n'avait ménagé ses efforts. Pwyll demeura perplexe. Le troisième jour, le seigneur lui-même guettait le passage de la gracieuse étrangère et la prit aussitôt en chasse. Peine perdue. Sans même que sa monture pressât son allure ou allongeât sa foulée, la jeune fille parvenait à distancer notablement Pwyll qui galopait à tombeau ouvert. Alors, désespérant de la rattraper, le jeune seigneur héla la cavalière, la priant de l'attendre. L'inconnue arrêta son cheval, le fit virevolter sur place et attendit Pwyll avec un charmant sourire. Ils purent ainsi faire connaissance. Elle se nommait Rigantia, reine de Rianon et son père était roi. Les jeunes gens se revirent et Pwyll ayant fait comprendre à la jeune fille qu'il désirait l'épouser, Rigantia l'emmena chez le roi, son père. Le monarque imposa au prétendant un an d'attente et nombre d'épreuves extraordinaires à surmonter afin de s'assurer de la valeur de celui qui désirait la main de sa fille. Pwyll, ayant satisfait à tout ce qui lui était demandé, le roi donna son consentement, à la grande joie des jeunes gens. Ils s'épousèrent et, de leur union, naquit un fils, beau comme le jour, dont la chevelure était aussi dorée que les rayons du soleil. Tel est, très succinctement résumé, le conte de Pwyll et de la reine de Rianon, tiré des Mabinogion (adaptation française de Joseph Loth). Plusieurs anomalies sautent aux yeux: Pourquoi est-ce le monarque, père de Rigantia, qui décide, en dernier ressort, du mariage de sa fille et de Pwyll et non la jeune fille, elle-même, comme le voulait la tradition? Pourquoi cette année d'attente, alors que les jeunes gens étaient d'accord et bien décidés à se marier? Pourquoi ces épreuves imposées à Pwyll, grand seigneur, guerrier confirmé, dont l'alliance ne pouvait qu'apporter honneur et richesse? En fait, ce récit n'est pas la peinture d'une tranche de vie où les amours d'un prince et d'une princesse tiennent la première place, mais, bel et bien, un enseignement ésotérique, présenté sous la forme d'un conte à clé. Cette clé n'est d'ailleurs pas bien difficile à découvrir. Elle réside dans le nom de la cavalière: Rigantia, pour les Gallois, Brigantia ou Brittia, pour les Irlandais, Berc'hed, pour les Bretons, sont la même personne que la gauloise Epona, dont les gaulois firent, en basse époque, la divinité protectrice des chevaux et des écuries. En réalité, si elle a bien commerce avec les chevaux, Rigantia est d'une tout autre essence. Elle est, dans la mythologie celtique, la cavalière qui mène le cheval avant-coureur du char du Jour. Elle symbolise donc l'Aurore dans le sens parlé, l'intelligence qui mène à la compréhension, dans le sens figuré et la connaissance qui mène à l'Initiation dans le sens caché. De son côté, Pwyll est un seigneur, un être intelligent à qui les échecs et la réflexion permettront d'atteindre la compréhension, un homme possédant en lui les pouvoirs requis pour entreprendre la Quête de la Lumière, la Sagesse par l'Initiation. Toutefois, s'il présente toutes les qualités et recèle tous les pouvoirs nécessaires à cette quête, il n'est pas instruit de la méthode à employer pour parvenir à son but. Il commet des erreurs: La Lumière ne s'acquiert pas par personne interposée (les cavaliers de Pwyll reviennent bredouilles). Elle ne s'acquiert pas non plus dans la hâte et la précipitation (Pwyll n'arrive pas à joindre la jeune cavalière.) Malgré les efforts du Quêteur trop pressé, la Lumière s'éloigne de lui, s'il ne prend pas le temps et le soin de la désirer, de l'appeler, de la joindre dans la sérénité. Lorsque la méditation sur ses échecs et l'inefficacité de sa méthode désordonnée lui permet enfin d'entrevoir comment mener sa Quête, le Mabinog parvient à ses fins: docile, désormais, la Lumière ne le fuit plus; mieux, elle vient à lui, engageante. Il peut la contacter. l'identifier, se familiariser avec sa présence (Pwyll et Rigantia font connaissance et se revoient). Lorsqu'il a acquis la certitude de sa vocation d'Initié, le néophyte est guidé par la Lumière elle-même jusqu'au Maître qui sera son Initiateur. (Rigantia mène Pwyll chez le roi, son père). Mais, là encore, il faut faire preuve de patience et subir les épreuves qui convaincront l'instructeur de la valeur morale de son marcassin. Lorsqu'il a acquis cette conviction, qu'il est sûr de ce que son disciple a, par développement des pouvoirs qu'il possédait en lui à l'état inculte, conquis la compréhension, la Connaissance et la Valeur morale nécessaires au Sage, il l'unit à la Lumière, c'est-à-dire: il lui confère l'Initiation (mariage de Pwyll et de Rigantia). Cette union mystique, cette Initiation consacre le Sage qui, grâce à la possession de la Lumière, voit son jugement devenir pur comme un petit enfant, beau comme le jour et lumineux comme le soleil (Fils de Pwyll et de Rigantia). L'enseignement caché dans cette histoire, apparemment anodine est donc, que l'on n'accède à la Sagesse qu'avec calme, patience et méthode. Que chaque échec, chaque épreuve sont des degrés initiatiques qu'il faut gravir sans désespérer, que l'attente, si longue qu'elle soit, mène inéluctablement au succès final et, qu'alors, l'union des pouvoirs développés et de la Lumière conquise, engendre le merveilleux rayonnement de la Connaissance. Ce même enseignement se retrouve, plus dilué, plus étiré, moins clair aussi, dans la quête du Graal du cycle arthurien. Mais, il y est moins aisément perceptible, compte tenu des atroces édulcorations que lui ont fait subir les adaptateurs continentaux: Chrestien de Troye, W. Von Eichenbach, etc. Ceux-ci, par souci de christianisation, ont martyrisé sans pitié le texte, les intrigues et même les noms des protagonistes, Peredur devenant Perceval et Parsifal; Owen devenant Iwain; Myrddin devenant Merlin et Caerleon se trouvant, par la grâce du compilateur allemand, remplacée par Nantes. Alors que l'ancienne capitale des Ducs souverains de Bretagne n'avait jamais brigué tant d'honneurs, qui ne lui furent décernés d'ailleurs que parce que Eichenbach y avait séjourné en tant qu'ambassadeur du Saint Empire Romain Germanique. Il sied enfin de stipuler nettement que la Quête de la Lumière ou du Graal ne sont que des opérations individuelles, dont le bénéfice ne revient, strictement, qu'à celui qui a mené la Quête jusqu'au succès final. Il a choisi le sentier étroit, plus rude mais plus direct. Il est normal qu'il en reçoive récompense. Il atteindra le but avant ceux qui ont suivi la voie large mais plus longue. Toutefois, tôt ou tard, chacun y parviendra car les Triades sont formelles: « Trois choses vont sans cesse croissant, parce que la plus grande somme d'efforts lutte en leur faveur: la Connaissance, la Lumière et l'Amour». « Trois choses vont sans cesse décroissant, parce que la plus grande somme d'efforts lutte contre elles: l'Ignorance, les Ténèbres et la Haine.» Là encore, il ne faut pas se méprendre. Cet enseignement optimiste ne s'applique pas à l'Humanité en général, mais à chacun de ses membres en particulier. L'Humanité, malheureusement, n'évolue pas en un mouvement d'ensemble ascensionnel. Elle est aussi grossière, brutale, ignare, cruelle qu'il y a dix mille ans. Le progrès scientifique a beau faire des découvertes étonnantes, le fait de mieux vivre matériellement n'implique pas une plus-value spirituelle. Cela se comprend aisément. Les individus qui atteignent la perfection compatible avec la condition humaine ne se réincarnent plus, tandis que du côté de la porte d'entrée, des êtres non évolués entrent dans la ronde, ce qui maintient le niveau spirituel moyen de l'Humanité sur un immuable pallier. Par contre, chaque individu, pris à part, voit son graphique spirituel s'élever insensiblement mais régulièrement. L'Ignorance des valeurs transcendantes, qui caractérisait sa première incarnation, fait place à la Connaissance. Les Ténèbres dans lesquelles il était plongé se dissipent peu à peu sous l'action de la Lumière et la Haine qu'il ressentait pour son sort et pour ceux qui l'empêchaient d'agir selon sa folle guise, se mue, petit à petit, en Amour pour le sort qui lui est promis et pour ceux qui sont ses compagnons de route.

TROISIÈME PARTIE

Le druidisme d'hier à aujourd'hui

CHAPITRE I

Le festiaire celtique et ses survivances

Ce qui choque, a priori, lorsque l'on étudie la sociologie celtique et la division du Temps chez ces peuples, c'est de découvrir qu'il n'y avait qu'un jour de repos légal tous les 15 jours. L'on ignore absolument que la conception de la semaine de six jours de travail pour un jour de repos est d'origine juive: l'Eternel créa durant six jours et le septième, il se reposa. Le Christianisme, importé en Occident par des Juifs, par l'entremise des synagogues romaines, imposa cette coutume qui, tout compte fait, n'est pas mauvaise. Il ne faudrait pas en conclure hâtivement que les Celtes, pauvres bêtes de somme, devaient travailler jusqu'à épuisement complet de leurs forces, avec un nombre ridiculement restreint de jours de détente. Au repos terminal de la quinzaine, venaient s'ajouter ceux d'un très grand nombre de fêtes chômées. Chaque dieu avait la sienne, voire plusieurs, comme Kernunos, dont nous reparlerons. Le Panthéon du polythéisme celtique étant particulièrement peuplé, il se trouvait, qu'en fait, un Celte, à quelque classe qu'il appartint, jouissait d'un nombre annuel de jours de repos supérieur à celui dont bénéficient les travailleurs modernes, y compris les congés payés de ceux-ci. Ayant, volontairement, laissé de côté le polythéisme celtique, parce qu'il constituait un hors-d'œuvre par rapport au sujet de cette étude, nous agirons de même avec les fêtes correspondant aux multiples dieux et déesses. Nous n'y ferons allusion que pour montrer la sournoise habileté avec laquelle le Christianisme consacra certaines de ces fêtes, qui s'avéraient être inextirpables des coutumes populaires, en les marquant de son propre sceau. Notons, tout d'abord, qu'à l'échelon supérieur, il y avait huit grandes solennités annuelles, lesquelles relevaient plus de la sociologie que des croyances. Comme tous les peuples antiques, les Celtes célébraient les quatre dates solaires principales de l'année: Solstices d'hiver et d'été, équinoxes de printemps et d'automne. A ces fêtes s'ajoutaient quatre autres dates intermédiaires: les premiers novembre, février, mai et août, dont on ne décèle pas clairement l'origine, si ce n'est la possibilité, au cours des millénaires, d'une erreur constamment répétée concernant les dates solaires précitées. Aucun compte n'ayant été tenu, durant des siècles et des siècles, des chutes de jours venant en surnombre à la fin d'une année (celle-ci ne cadrant pas exactement avec l'évolution solaire) et des précessions équinoxiales. Cette thèse a été avancée par le Druide moderne Yagtimagus qui ne la présentait que sous forme d'hypothèse non contrôlée. Au bout d'un certain laps de temps, les solennités solaires se seraient trouvées tomber les premiers jours des mois sus-mentionnés. C'est alors que se rendant compte de l'erreur, les Sages auraient, tout en conservant ces dates accréditées par la Tradition, créé de nouvelles solennités, correspondant exactement aux véritables dates solaires. La restriction émise au sujet de cette thèse par Yagtimagus (grand érudit en matière celto-druidique, trop tôt disparu, hélas!) s'explique aisément: en effet, comment concilier une telle erreur et si longtemps répétée avec la profonde connaissance du ciel dont jouissaient Druides, Bardes et Ovates? Car, sans avoir atteint la renommée des Mages Chaldéens, les Sages Celtes n'en étaient pas moins de savants astrologues et astronomes, ce qui leur permettait de fixer les dates des solstices et des équinoxes en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. Après tout, la question ne revêt pas une importance cruciale. L'important, pour nous, est de savoir qu'il y avait, chez tous les Celtes, à quelque peuple qu'ils appartinssent, 8 fêtes principales. «Eiz Tan, gant and Tantad, e miz Mae, e Menez Kad.» « Huit Feux, y compris le Feu-Père du mois de mai, au mont du Combat », nous enseigne la Série du nombre 8, traitant des brasiers allumés, au cours de ces fêtes et en formant, en somme, le signe sensible. Précisons, pour ceux qui s'étonneraient de la mention du mont du Combat que chaque clan possédait une élévation de terrain portant cette appellation. En cas de danger de guerre, on allumait sur ces points élevés, de grands feux chargés de convoquer les guerriers au rassemblement, et de conseiller aux autres de se tenir sur leurs gardes, en cas d'invasion. En quelques heures, toute une contrée se trouvait sur le pied de guerre, grâce à ce télégraphe flambant, d'où le nom de Menez Kad, mont du Combat, donné à ces points culminants locaux où, par extension, l'on embrasait également les feux rituels, à la tombée de la nuit, marquant le début du jour de la solennité en cause. Ces fêtes, nous allons les voir, l'une après l'autre, en commençant, suivant la chronologie celtique, par celle qui solennisait le début de l'année. 1 - Saman (du vieux celtique Samonios) était célébrée au début du Temps noir, c'est-à-dire approximativement au commencement de novembre. Comme toutes les fêtes principales celtiques, Saman comptait trois jours de solennités. Le premier était consacré à la mémoire des Héros, le second à celle de tous les défunts et le troisième, tranchant brusquement sur la gravité des deux premiers, était livré aux réjouissances populaire et familiales d'un jour de l'An. Durant ces 72 heures, l'on admettait qu'il était possible à un vivant de pénétrer au royaume d'Ankou (la tradition Irlandaise affirme que Kuchulain se livra à cette périlleuse expérience) et que réciproquement, les Défunts, non réincarnés, avaient licence de passer dans le monde des Vivants, pour y retrouver les lieux et les personnes qui leur étaient chers. La Tradition bretonne, tolérée et même entretenue par le Christianisme jusqu'au siècle dernier, donnait à croire que, durant la nuit du 1er au 2 novembre, la plaintive cohorte des Trépassés était autorisée à venir sur Terre visiter les lieux de leur existence achevée, et réclamer des messes et des prières à leurs héritiers ou amis encore de ce monde. D'où la très belle Gwerz an Anaon (Complainte des Trépassés) qui évoque ce pèlerinage nocturne des Morts. De même, toujours en Bretagne, préparation un repas, comprenant les mets préférés des derniers disparus, repas qui était exposé sur la table pendant toute la nuit et auquel il était absolument interdit de toucher. Partant de cette coutume qui fut scrupuleusement respectée jusqu'à la fin du XIXe siècle, en Léon et dans certains points du pays Nantais, le dramaturge Tanguy Malmanche a écrit l'une de ses pièces les plus émouvantes en Breton et en Français: Le Conte de l'Ame qui a faim. 2 - Le Solstice d'Hiver. La fête du solstice d'hiver portait un nom très particulier et bien significatif, qui est parvenu jusqu'à nous, sous sa forme originelle, par les vieux textes, et grâce au Folklore, sous des formes dialectales, passablement abâtardies. Ce nom était Egi an Ed, c'est-à-dire Germe du Blé. Il a donné: Eginane, en Breton, Egyn, chez les celtisants de Grande-Bretagne, Aguianeu en haute Bretagne gallaise, Adinanu, dans le Marais Breton (Vendée), Eginalto, en Gallice dite espagnole et enfin l'Aguianeu en Gaule devenue France. Forme que les gens mal informés ou malintentionnés prétendent être une déformation patoisante de Au Gui l'An neuf, comme si, à l'époque druidique, l'on avait utilisé le Français, langue artificielle, fabriquée de toutes pièces par les poètes de la Pléiade et leurs successeurs. Mais pourquoi ce nom de Germe du Blé? Tout simplement parce que, bien avant qu'il y eut des ingénieurs agronomes, les Celtes avaient constaté que les semences enfouies en terre, lors des semailles d'Automne, commençaient à germer, précisément à partir du solstice d'Hiver. La résurrection de la nature entière, symbole de la réincarnation, se produisant exactement à la date où le temps d'ensoleillement de la planète reprend son cours ascendant. Pour attirer la protection des divinités agraires sur leurs futures récoltes, les paysans celtes plaçaient, à leur intention, le reste des semailles inemployées, sur le seuil de leur porte. Licence étant donnée aux dites divinités de s'en repaître, si bon leur semblait. Les pauvres se substituèrent bientôt aux divinités défaillantes. Les Sages fermèrent les yeux, estimant très valable cette sorte d'Aide Sociale. Les paysans, qui n'étaient pas dupes, eux non plus, adjoignirent aux graines, du miel, de la viande fraîche ou fumée et même de la monnaie. Pour procéder plus aisément et sans rien oublier au ramassage de toute cette provende, les malheureux se groupèrent en bandes qui déambulaient durant toute la nuit, porteuses de sacs, de vastes poches, voir même de brancards où l'on chargeait ce pacifique butin. Au Moyen Age, les bandes rivales de miséreux se livrant de véritables batailles rangées, pour faire main basse sur le produit de la quête des autres, le Clergé décida que la Tournée de l'Egi an Ed serait désormais effectuée par les marguilliers et les enfants de chœur, le produit du ramassage étant attribué aux ayants droit par les soins du dit clergé (conférence de Saint-Vincent-de-Paul avant la lettre). La Tournée devenant, de ce fait officielle, on l'agrémenta de nombre de chants circonstanciés, parfois d'une truculence à toute épreuve, destinés à prévenir de loin les oublieux, de l'approche des quêteurs. Nombre de ces chants, d'inspiration très peu chrétienne, s'achèvent par un couplet laudatif à l'intention de ceux qui ont beaucoup donné, mais qui peut être remplacé, ex abrupto, par une variante d'une insolence et d'une grossièreté inouïe à l'adresse de ceux qui faisaient la sourde oreille. En divers coins de Bretagne, par exemple, cette Tournée se perpétua jusqu'entre les deux guerres mondiales. Quant au feu rituel, allumé sur le mont Kad, il fut interdit par l'Eglise. Et, comme la température hivernale n'incitait pas à se livrer à des réjouissances de plein air, le peuple, tenace, mua l'antique bûcher en la bûche de Noèl, cet important morceau de bois, paré de rubans et de feuillages de houx, que nos arrière-grands-parents plaçaient dans l'âtre, au début de la veillée de Noèl et dont les tisons étaient, selon la croyance populaire, dotés des mêmes prérogatives que ceux des anciens bûchers rituels: protection contre la foudre, contre les maladies épidemiques, etc. Tant et si bien que la bûche de pâtisserie et chocolat qui orne la table de vos réveillons n'est que l'abâtardissement de l'antique bûcher rituel de l'Egi an Ed. Notons, enfin, que nombre de noms de lieux-dits dérivent de celui des monts Kad et sont toujours portés par des points culminants locaux: Tujenn-Kador - dans les Monts d'Arrez -, le Cadoreau, en Oudon (près d'Ancenis), la Cadoire en Rezé-Lès-Nnates, etc. 3 - Lorsqu'au déclin de l'ultime journée de janvier, le Prince rouge (soleil couchant) donnait, en croulant sous l'horizon, le coup d'envoi au 1er février, un nouveau brasier flambait au sommet du mont Kad, pour fêter la présence de plus en plus accusée de la lumière diurne. Les jeunes gens venaient y allumer des torches, des branches résineuses, des tortillons de paille tressée et, nantis de ces flambeaux rustiques, couraient par les rues des cités et les champs des campagnes, lançant leurs brandons dans l'air, les rattrapant assez adroitement pour ne pas se brûler. Dans certaines localités, une roue recouverte de paille, à laquelle on mettait le feu, était lancée du haut de la colline et roulait le long de son flanc, accrochant, de ci de là, des fétus enflammés, avant d'aller s'abîmer dans les eaux du ruisseau ou de la rivière, serpentant dans la vallée. C'était la Fête des Brandons. Le lendemain, les femmes, armées d'un Billig sur lequel elles étalaient la pâte blonde, cuisaient de savoureuses crêpes rondes comme le soleil et dorées comme lui. Et tous, grands et petits, jeunes et vieux, dévoraient ces pâtisseries, tout en buvant la cervoise, le vin de mûres ou le Sujenn (Hydromel). Fidèle à sa tactique, l'Eglise remplaça les Brandons par les cierges de la Purification (laquelle n'eut pas lieu en février, Jésus n'étant pas né en décembre). Seules, les crêpes demeurent ce qu'elles étaient auparavant: celles de la Chandeleur. 4 - Autour du bûcher de l'Equinoxe de Mars, les filles couronnées des premières fleurs de ce printemps qui, dans nos régions, fleurit un mois avant celui des autres, dansaient avec les garçons, agitant des branches d'if ou de buis, dont la verdeur semblait lancer un défi aux feuillages pointant des bourgeons à peine éclatés. A cette manifestation de joie populaire et printanière, fut substituée la fête des Rameaux, commémorant l'entrée triomphale de Jésus à Jérusalem. Mais les Bretons, toujours obstinés, ont gardé à cette solennité son nom antique et païen: Sul ar Vleunioù (Dimanche des Fleurs). 5 - Des réjouissances marquant le Bel Dan (Feu du Dieu Belen), rien n'est demeuré. On ne l'a même pas recouvert d'une cérémonie chrétienne. C'est que, avec Saman, Beldan était la plus importante solennité de l'année celtique. On y embrasait le Tantad ou Feu-Père, le plus grand, le plus haut des bûchers rituels et, toute la nuit, les jeunes dansaient, célébrant le retour des longs jours et des ensoleillements durables. Des siècles durant, le clergé s'était acharné contre cette fête qu'il ne voulait plus voir, même sous une forme chrétienne. Et, de toutes les coutumes et traditions qui lui étaient particulières, seules sont demeurées deux coutumes mineures n'ayant aucun caractère ritualiste: comme autrefois, lorsque le Tantad n'était plus que des cendres et que le petit jour pointait à l'Orient, l'on va boire le lait de Mai, tout frais tiré; puis les jeunes garçons vont, subrepticement garnir de fleurs et de branchages, la porte de la jeune fille qu'ils aimeraient épouser. C'est peu. 6 - Mais le peuple prit une solide revanche avec le feu rituel du solstice d'été, qu'il maintint contre vents et marées et auquel il transféra le titre de Tantad, jadis détenu par celui du 1er Mai. Pour celui-là du moins, tous les rites, entourant son embrasement, ont été conservés par la tradition. A la tombée de la nuit, le bûcher, composé de fagots et de bûches, entassés sur une hauteur, le mont Kad, et apportés par les habitants de la localité, eux-mêmes, (les plus pauvres n'offrant qu'une poignée de bois mort glanée dans une forêt avoisinante) était tout d'abord aspergé d'eau lustrale par un Sage local ou, à défaut, par le Doyen des habitants de la localité (qui fut, en certains endroits, remplacé par un prêtre). Puis, trois jeunes gens, porteurs de torches allumées, partant du bas du coteau, venaient y mettre le feu. Lorsque la première flamme perçait le tourbillon de fumée primordial, le Sage ou l'Ancien criait: « Setu an tan. Setu an Tantad. Setu tan Belen!» « Voici le feu! Voici le Feu-Père! Voici le feu de Belen!» (Avec le christianisme, ce rite a naturellement été supprimé). Autour du brasier étaient alors exécutées des danses en chaîne puis quand la plus grande partie du bois était brûlée, les garçons sautaient par-dessus. L'on y balançait également les filles, inconfortablement assises sur les bras entrecroisés de deux jeunes gens, exercice qui n'allait pas sans accompagnement de cris de terreur des balancées, ce, pour la plus grande joie des assistants. Contrainte de tolérer cette survivance, l'Eglise se borna à placer le feu rituel du solstice d'été sous le vocable de saint Jean, mais en Basse-Bretagne, il a gardé son nom de Tantad hérité du Beldan disparu. Et c'est ainsi qu'à notre époque, le Tandad est encore allumé, tout comme il y a deux mille ans, à quelques variantes près. 7 - Peu de renseignements nous sont parvenus au sujet de la cérémonie du 1er août. A l'embrasement du bûcher habituel venait s'adjoindre l'offrande d'épis de blé distraits de la nouvelle moisson. Mais, quels rites accompagnaient cette offrande? Le souvenir s'en est perdu. 8 - A l'ignition du bûcher rituel, la cérémonie marquant l'équinoxe d'Automne ou Fête des Javelles, adjoignait une visite aux fontaines. L'on sait que les Celtes eurent toujours un grand respect pour les sources auxquelles on allait demander la guérison de nombreux maux de tête, etc. Simple thérapeutique à base d'eau minérale dont les surprenants effets furent d'abord attribués à l'intervention des divinités protectrices de ces sources (les Ovates devaient bien sourire d'une telle candeur) puis, après la christianisation, aux Saints qui avaient quelque peu usurpé les prérogatives des divinités déjà mentionnées. Pour fêter l'Equinoxe d'Automne et le Soleil, encore puissant certes mais sur son déclin, l'on jetait dans les fontaines des roseaux et des joncs, (d'où le nom de Fête des Javelles) ainsi que des tisons du brasier. Ainsi obtenait-on, par un rite fort simple, la rencontre des quatre éléments primordiaux: le Feu avec les tisons, la Terre et l'air, - les javelles étant le produit des deux réunis -, enfin, l'Eau des Fontaines visitées. En somme, une cérémonie sans prétention d'action de grâces envers les quatre éléments sans lesquels la vie ne serait pas possible sur la planète. Et Nwyvre? dira-t-on. Pourquoi la Farine de l'Air, ce fameux cinquième élément, était-il délaissé, alors qu'il est à la base de tout? Tout simplement parce que, étant à la base de tout, il se trouvait contenu aussi bien dans les tisons que dans les javelles et dans l'eau. De plus, mis à part les Sages, nul n'en connaissait la nature exacte alors que l'on en connaissait le nom. Ainsi se refermait le cycle de huit fêtes principales à caractère sociologique, agraire et solaire. Un mois et quelques jours plus tard, s'achevait l'année et Saman rouvrait le cycle. Et la cueillette du Gui? réclamera-t-on, certainement. C'est avec regret, bien sûr, mais avec loyauté que nous serons menés à avouer tristement que cette pratique n'entraînait aucune réjouissance populaire. On l'a montée au pinacle dans les manuels d'Histoire en partant d'un rapport latin et c'est tout. En fait, il n'y avait pas plus de raison de célébrer pompeusement la cueillette du gui, parasite médicinal, que celle des feuilles et fleurs de tilleul, de la sauge, de la verveine, etc.. également plante médicinales. Tout ce qui peut être dit est que la cueillette du gui (en celtique Uhelvar) avait lieu quelques jours avant l'Egi an Ed vraisemblablement parce que les arbres étant, à cette époque, dépouillés de tout feuillage, le parasite était bien visible et facile à atteindre. Il est vrai, par ailleurs, que le Gui était considéré par les Celtes comme une sorte de panacée. De nos jours, l'on sait qu'il est un hypotenseur naturel, et il est encore coutumier, dans la région nantaise, de faire boire de la tisane de feuilles de Gui, à ceux qui, la veille, se sont livrés à de trop copieuses libations. Ce traitement sans danger, en abaissant la tension artérielle, fait disparaître assez rapidement, les sensations désagréables de ce que l'on appelle la ,, gueule de bois ». Il est non moins certain qu'avec les sucs contenus dans les boules blanches du Gui, les Ovates savaient composer des onguents souverains pour la cicatrisation des blessures. Mais, ce secret comme tant d'autres s'est perdu. Les Ovates n'allaient mettre leur remède à la disposition des soudards venus les exterminer ou les réduire en esclavage. La cueillette achevée, les Ovates et leurs aides opéraient un triage, ne mettant en réserve que le Gui de première qualité, aux belles feuilles et grosses boules. Le surplus était laisse à la disposition des gens du peuple, lesquels, sachant que le parasite était bénéfique, n'en cherchaient pas plus long et, profitant de l'aubaine, en suspendaient dans leurs demeures pour qu'il leur portât bonheur. Nous avons décidé, de propos délibéré, de laisser de côté le polythéisme celtique et son Panthéon, formes mineures du Spiritualisme des Celtes. Toutefois, nous ferons exception en faveur des fêtes vouées au dieu Kernunos parce qu'elles nous permettent d'avoir un exemple typique et partant, fort intéressant de la méthode utilisée par le christianisme pour sacraliser les anciennes cérémonies païennes. Kernunos (Cernunos en Gallois) dont l'image nous a été conservée par certaines pièces de monnaies, médailles, gravures et sculptures de basse époque, était représenté sous les traits d'un bon vivant hilare, au chef orné de splendides andouillers et environné d'animaux tels que cerfs, bœufs, boucs, béliers, chevaux et sangliers, tous porteurs de plus ou moins de cornes, à la tête ou aux pieds. C'était une divinité agraire, symbolisant la fécondité de la Nature et son renouveau annuel. Les andouillers du cerf s'ornent, chaque année, d'un rameau supplémentaire. Ce dieu était célébré deux fois par an, une fois vers la fin du printemps, l'autre au milieu de l'automne. Au cours de la première de ces manifestations religieuses, l'on demandait au dieu de faire belles et amples récoltes et moissons. Au cours de la seconde, il lui était rendu grâces pour les bienfaits accordés. Chacune de ces festivités culturelles durait trois jours, selon la règle commune. Et, pendant ces trois journées, il était péremptoirement interdit de travailler, simple mesure d'hygiène imposant trois jours de repos complet avant les grands travaux de fenaison et de moisson, et autant à la fin des labours d'automne. La première de ces fêtes fut adaptée au Christianisme sous la forme des Rogations, pendant lesquelles on ne travaillait pas, à tel point que les paysannes du pays Nantais et du Marais Breton ne se permettraient même pas de laver un mouchoir ou une chemise avant la fin de ces solennités. Quant à la seconde, elle fut remplacée par la tant célèbre Foire de la Saint Martin qui, durant tout le Moyen Age, s'étalait sur les trois journées des 10, 11, et 12 novembre. La foire de la Saint Martin a disparu mais les paysans des régions précitées n'en maintiennent pas moins l'abstention de tout labeur pendant ce laps de temps. De plus, dans cette même région nantaise, à ces mêmes dates de novembre, parents et amis se réunissent pour manger un gâteau traditionnel: une fouace à six cornes que l'on ne confectionne exclusivement qu'à cette époque de l'année. La parenté des dates et des cornes est trop flagrante pour que cette fouace ne s'identifie pas avec le gâteau rituel de Kernunos. Peut-être s'étonnera-t-on de voir la région Nantaise si fréquemment citée comme exemple typique de la maintenance des anciennes coutumes celtiques. Que l'on sache donc qu'à plusieurs reprises, les évêques du Diocèse de Nantes durent lancer devant la foule des fidèles, accourus pour assister à ce spectacle peu commun, le grand Maledictus, avec cierges éteints et crucifix foulé au pieds. Cet anathème étant destiné aux gens des villes et campagnes qui s'adonnaient, régulièrement, aux pratiques héritées de l'ancienne croyance, et baptisées en l'occurrence, magie, sorcellerie, diablerie et autre commerce avec les démons. Que le plus fort force, disaient nos ancêtres. Les plus forts, ce seront nous. Non que nous soyons plus intelligents ou mieux armés que les autres, mais parce que nous sommes une race patiente, opiniâtre, irréductible et que, quel que soit le raz de marée qui nous submerge momentanément, nous faisons et ferons toujours surface, un jour ou l'autre. «Amzer zo, il y a le temps.» Pour nous vaincre définitivement, il faudrait nous tuer tous. Mais gare! S'il en reste un seul, de lui la Celtie renaîtra et poursuivra sa mission perpétuelle: quêter la Lumière à travers les embûches de l'Abred et parvenir, enfin, à l'Idéal, en Gwenved.

CHAPITRE II

Filiation

«Je suis un habile compositeur, un clair chanteur Je suis acier, je suis Druide, Je suis architecte, Je suis homme de science, Je suis serpent, je suis amour… Je suis dépositaire du chant, je suis homme de lettres, Je suis reposoir du Mystère.» Taliesin, Extrait de «L'Antre des Bardes.»

L'origine de la classe des Sages se noie dans l'Antiquité de la préhistoire. Cette classe devait certainement exister avant que les clans ne se missent en marche pour, venant des confins de l'Asie, traverser tout le continent européen, qui par le Nord, qui par le Sud, pour atteindre finalement l'extrême occident où les avant-coureurs s'arrêtèrent, les sabots sans fer de leurs chevaux, foulant la frange d'écume déposée sur le sable des grêves par les vagues de l'Atlantique. Pendant ce long voyage, chaque commando nomade avait ses Druides, ses Bardes et ses Ovates, comme il avait son Tyern et ses Guerriers. Il y avait tant à apprendre pour les Sages au contact des peuples et des contrées traversées, tandis que les clans, en caravane, se traînaient de massif forestier en massif forestier, s'enrichissant d'autochtones, pris du désir de voir du pays et, par réciprocité, s'appauvrissant en essaimant des clans atteints par le virus de la sédentarisation. Et ce, jusqu'au jour où les anciens, oyant un bruit étrange, monotone et continuel, annonçassent aux pérégrinants: Ar Mor! (la mer). Alors, les bœufs étant déjougués et dételés, les lourds chariots, groupés en une précaire muraille circulaire, une Korrigan puisait au feu sacré, dont elle avait la garde, et embrasait les herbes sèches et le bois mort entassés au centre de l'aire, auquel les femmes viendraient quérir la flamme destinée à leurs foyers de pierres plates, hâtivement assemblées. Il ne restait plus qu'à attendre demain et le demain des autres demains. Il ne restait plus qu'à parcourir la région pour apprendre à la connaître puis, rompant le cercle du campement, aller édifier une hutte de branchages, prélude de la chaumière future, à l'orée de la forêt, au sein de la plaine, sur la rive des cours d'eau ou bien au flanc de quelque hauteur plus ou moins élevée. Pendant que les clans s'implantaient et que les hommes nomades qu'ils avaient été durant des décades, des siècles peut-être, s'apprêtaient à constituer des peuples attachés à leur terre, un homme pensait. La Tradition bardique dit que ce fut au cours du Xe siècle avant J.-C., qu'Aed Maour organisa, définitivement, la classe des Sages, en regroupant ceux des divers clans, les chargeant de structurer et hiérarchiser le reste de la population, en deux autres classes, d'après les affinités montrées au cours des dernières années du voyage et d'ouvrir des centres d'Education et de formation spirituelle où ils éduqueraient et initieraient leurs successeurs. Quelques années plus tard, la Société Celtique, conçue selon le plan supérieur du Ternaire Sacré, fonctionnait avec régularité, les Sages pensant sa vie, les Travailleurs la réalisant, les Nobles et les Guerriers l'harmonisant et la protégeant. De grands Centres druidiques veillèrent, de loin, au développement et à la bonne marche des centres moins importants régionaux et locaux. Ces grands centres étaient, pour la Gaule, en forêt Carnute (Région de Chartres) et forêt des Ardennes, en Armorique, en forêt du Gâvre et forêt de Brekilien (Brocéliande, actuellement forêt de Paimpont) et, en Grande-Bretagne, également en forêts près de Londres, York et Kaerleon. L'interdit lancé par les successeurs de César contre les Sages, (véritables chefs spirituels des Celtes) demeura lettre morte. Les plus exposés se retirèrent en forêt, sur les montagnes ou dans des lieux difficilement accessibles, tels que les marais et y poursuivirent leur œuvre de penseurs et d'éducateurs. En Gaule, quadrillée comme un marais salant, par les routes que les Romains avaient percées pour le preste déplacement de leurs troupes, la perception aisée des impôts et tributs et le convoi rapide des esclaves, l'influence des Sages perdit beaucoup. Nulle ou presque dans les villes où l'on collaborait avec l'occupant, elle ne se maintint que dans les campagnes isolées. En Armorique et en Grande-Bretagne, par contre, mis à part les très grands centres urbains, soumis eux aussi à la collaboration, cette influence demeura prépondérante jusqu'au IVe siècle. Mais un autre péril allait bientôt la menacer, puis la saper. C'est avec une hospitalité pleine de bénévolence que les Druides avaient accueilli les premiers chrétiens. La Tradition, qui ne pourrait en fait n'être qu'une légende, veut que ce soit en Grande-Bretagne, très exactement dans la région de Glastonbury, que Joseph d'Arimathée serait venu se retirer. Habitués à planer au-dessus des religions, pour eux formes mineures du Spiritualisme, ils traitèrent les disciples du Christ avec la même indifférence bienveillante qu'ils traitaient les Gutuatres. Peut-être même y mêlèrent-ils un certain intérêt, compte tenu de ce que ces gens enseignaient des doctrines assez proches des leurs, telles que l'unicité de Dieu et la condamnation de la violence. Ces relations de bon voisinage durèrent jusqu'au jour où les Chrétiens, se sentant à la tête d'un nombre suffisant de clans christianisés, jetèrent bas le masque et déclarèrent la guerre ouverte au Druidisme. Les Sages n'en furent pas autrement surpris. Ils savaient qu'ils étaient à l'orée de l'Age Noir, durant lequel il leur faudrait subir, non une extinction totale, mais un important assombrissement. Après un temps au cours duquel, réaction bien humaine, ils s'opposèrent, sans ménagement mais toujours sans violence, à leurs anciens protégés, mués en adversaires résolus, ils pratiquèrent une surprenante dislocation. Les irréductibles se retirèrent au plus profond des forêts et s'éteignirent assez rapidement faute de recrutement. Les plus tentés de pactiser avec le Christianisme se firent moines celtiques, apportant avec eux un monument de doctrines et de croyances particulières qui marquèrent, profondément, le christianisme celtique où l'on voit que de nombreux saints ont été Druides, Bardes ou Ovates avant d'être moines, tels: saint Gildas, saint Patrick, saint Colomba, etc. L'opération donna des résultats valables. L'Eglise chrétienne celtique pallia à l'indigence des Evangiles en matière de Métaphysique en y mêlant la Métaphysique druidique, ce qui donna une doctrine religieuse, bien plus en harmonie avec le tempérament occidental, que celle de l'Eglise romaine, amalgame d'enseignements évangéliques et de Métaphysique hébraïque, donc orientale. Devant la brusque tornade des invasions barbares, amenant le paganisme germanique jusqu'aux portes de Rome, l'Eglise romaine, terrorisée, manqua totalement à sa mission. Ce furent les moines celtiques et principalement ceux du monastère de Columkill, fondé par saint Colomba sur une île entre l'Irlande et l'Ecosse, qui se lancèrent dans la lutte et mirent les Barbares à la raison. Saxons en Grande-Bretagne, Francs, Burgondes et Visigoth en Gaule, qui se moquaient éperdument de l'inconsistante Eglise romaine, furent pris à bras le corps par les moines celtiques. Il n'était pas Latin, ce saint Colomban (qu'il ne faut pas confondre avec Colomba) qui, après avoir vertement tancé les princes francs, alla invectiver le roi de Burgondie (Bourgogne) jusque sur les marches de son palais, puis s'en fut évangéliser les Germains jusqu'en Germanie. Sans doute, pour le récompenser de servir si ardemment la cause évangélique lorsque, recru de fatigue et d'épuisement, Colomban chercha un lieu de repos, dans le Nord de l'Italie, le Pape lui fit injonction d'avoir à déguerpir, sans délai. C'est alors que, traversant une fois de plus la Gaule, Colomban vint se réfugier en Bretagne, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Nantes, d'où, après avoir soufflé et repris son élan, il retourna en Neustrie où il mourut peu après. L'Eglise Chrétienne celtique se maintint jusqu'au IXe siècle, tant en Gaule qu'en Armorique devenue Bretagne, et même officiellement abolie dans ces deux royaumes, le franc et le breton, elle marqua encore leur pensée. Chrétien celtique, originaire des îles Britanniques, Scot Erigene, professa à la cour de Charles le Chauve et les disciples de ses disciples fondèrent l'Ecole de Chartres, qu'illustrèrent particulièrement deux Bretons armoricains: Thierry et Abélard. Ce ne fut enfin qu'au XIIe siècle qu'elle fut battue en brèche en Grande-Bretagne et en Irlande. Son dernier sursaut d'agonie ayant été l'extinction du feu rituel du monastère de Kildara, déjà mentionnée. Elle devait d'ailleurs, comme le veut la croyance druidique, se réincarner, au XIXe siècle, précisément à Glastonbury, refuge légendaire de Joseph d'Arymathée, puis au milieu du XXe siècle en Bretagne. Ainsi abandonnée par ses deux ailes: l'irréductible périssant en forêt et Ia pusillanime, acceptant la tonsure en losange, qu'allait devenir la partie centrale de la Classe des Sages? Eh bien, elle exécuta une manœuvre terriblement hardie, unique en son genre dans l'Histoire des grandes Ecoles initiatiques, et dont personne ne sembla se soucier durant son exécution. Seul, parmi les trois ordres, celui des Bardes était à l'abri de toute attaque, parce que placé sous l'efficace protection des Tyerns, Pentyerns et Konans qui savaient, de science certaine, que les Bardes établissaient la Chronique Historique des Celtes, tout en chantant leur valeur et célébrant leurs Hauts faits. L'Ordre Bardique étant donc invulnérable, Druides et Ovates, insensiblement, troquèrent leurs saies traditionnelles contre le sayon ceinturé d'azur que les Bardes avaient déjà adopté. Comme si Merlin les avait escamotés, les deux Ordres suspects disparurent en un tournemain et, pour tout le monde, il n'y eut plus que des Bardes, vivant sous l'Egide des Grands qui entendaient bien ne pas s'en laisser dépouiller, fut-ce pour complaire aux moines rugueux et véhéments des abbayes de rite celtique. Mais les Initiés, eux, savaient qu'il était trois sortes de Bardes: Les Bardes-Druides, les Bardes-Bardes et les Bardes-Ovates, chaque Ordre conservant sous le bouclier du Bardisme, ses prérogatives particulières, ses devoirs spécifiques et sa formation différenciée. Ce tour de passe-passe a été célébré par Taliesin, dans un important poème à clé, où il dépeint la troupe des arbres et des arbrisseaux de la forêt celtique, en formation de combat, sous la protection efficace et bienveillante du Grand Bouleau (arbre des Bardes). D'ailleurs, le dit Taliesin, l'un des plus célèbres Bardes connus dont la gloire et les œuvres soient parvenues jusqu'à ce jour, ne cachait pas ce qu'il était en réalité: « Je suis Druide!» jette-t-il, tout à trac, dans un autre poème, pour l'entendement duquel il n'est nul besoin d'employer une clé. Un autre exemple, clair et précis, est fourni par la personnalité du Barde armoricain Gwenc'hlan, contemporain de Taliesin. Anti-chrétien, d'autant plus convaincu qu'un prince appartenant à cette religion lui a fait crever les yeux, le Barde aveugle, qui possède d'ailleurs un joli coup de plume et une verve poétique peu commune, poursuit, malgré son infirmité, l'exercice de sa mission. Celle-ci est d'aller par les routes détournées que connaît si bien son vieux cheval, trouver les paysans du Trégor, pour les maintenir dans les anciennes croyances et coutumes et pour leur donner de savants conseils, destinés à améliorer leurs méthodes de culture et le rendement de leurs récoltes. Ce dernier détail suffit à nous faire comprendre que ce célèbre et malheureux Barde n'était autre chose qu'un Ovate Agronome. Faisons donc le point. L'An mille, date cruciale du Moyen Age faillit bien jeter Rome à bas, qui tant avait profité des largesses consenties par les désespérés de 999 et qui ne rétablit vraiment son hégémonie qu'en fomentant les Croisades, une fois les terreurs passées. En l'An mille donc, en Gaule devenue France et en Armorique devenue Bretagne, plus rien ne reste si ce n'est la Tradition de l'antique Classe des Sages. Les Bardes, eux-mêmes, sont disparus se muant en trouvères et ménestrels portant, par la Chrétienté toute entière, la pensée celtique sous forme de Cycle d'Arthur et des Chevaliers de la Table ronde. Trouvères et Ménestrels dont la dernière génération aura été en Bretagne, ces errants que l'on appelait les Bardes populaires qui allaient de village en village, de ferme en ferme, gagnant leur subsistance en contant et chantant les vieux sones ou les complaintes par eux composés, et qui s'intégrèrent au début du XXe siècle dans le Bardisme rénové moderne. Cependant, au cours de la première moitié du XIIe siècle, apparaît en Bretagne une étrange figure: Eon, bourgeois de Loudéac, après s'être retiré en Brocéliande où il affirme avoir été initié par l'esprit de Merlin, prêche, dans toute la Bretagne, une doctrine qui se rapproche étrangement du druidisme antique. Certes, s'il y vitupère les membres du clergé pour leur simonie (simple question d'actualité), il y enseigne le renoncement aux biens de ce monde, le retour à la nature et la pluralité des existences. En quelque sorte, il reprend la thèse énoncée par Taliesin dans Sa «conjuration hostile»: «Une seconde fois j'ai été créé, J'ai été un saumon bleu, J'ai été un chien, j'ai été un cerf, J'ai été un chevreuil sur la montagne, Pendant un an et demi J'ai été un coq blanc tacheté Parmi les poules en Eiddvn, J'ai été étalon dans les Haras, J'ai été taureau violent, J'ai été bouc de couleur jaune, Fécond et nourrissant, J'ai été un grain découvert et j'ai poussé sur la colline Le moissonneur m'a mis Dans un recoin plein de fumée Pour me faire livrer mon grain. Je fus en grande affliction; Une poule me reçut, Elle avait des ailes rouges et une crête double; Je suis resté neuf mois Dans son ventre, tel un enfant J'ai été mûri; J'ai été offert au souverain, J'ai été mort, j'ai été vivant.» Peut-être même Eon prend-il à son compte ce dicton populaire breton: « Chaque Breton vient trois fois sur la terre. La première fois, il est brun. La seconde, il est blond. La troisième, il est roux.» Nous retrouvons, dans ce propos de la Sagesse populaire, l'affirmation, formulés jadis par Gwenc'hlan, de trois existences successives. « Peu importe ce qui adviendra, ce qui doit être sera. Il faut que tous meurent trois fois avant de se reposer enfin.» Trois, représentant la pluralité simple. Mais, de nos jours, le peuple a perdu cette notion de pluralité d'où la caractérisation naïve de chaque incarnation par la couleur des cheveux. Ce qui laisse rêveur, c'est la succession des couleurs: brun, blond, roux. Forte est la tentation de les apparenter avec les couleurs du Grand Œuvre: Noir, Blanc, Rouge. Mais cela sort de notre sujet. Laissons donc sans réponse la question qui vient tout naturellement: Les Ovates, qui étaient alchimistes, puisqu'ils connaissaient Nwyvre et savaient l'utiliser, avaient-ils résolu le problème du Grand Œuvre? Avec de telles théories, Eon, dit de l'Etoile, néo-druidiste de cette époque, se signalait ouvertement aux forces de coercition ecclésiastiques. Arrêté à Nantes, traduit devant un concile réuni à Reims sous la présidence du Pape Eugène, il fut condamné à la détention perpétuelle et mourut 5 ans plus tard en 1153. En Irlande et en Ecosse, les Fili, Bardes de langue gaélique, ne constituent plus un Ordre solidement charpenté. Des centres initiatiques, plus ou moins importants, demeurent disperses, œuvrant au gré de leur inspiration, mais l'Eglise leur mène la vie dure. Au pays de Galles, en Cornouaille et dans toute la partie occidentale de la Grande-Bretagne où se groupèrent, autour des deux régions précitées, des populations tombées sous la férule des Saxons, mais qui demeurent à très forte proportion celtique, le Bardisme est en pleine vigueur. En 950, sous le règne d'Howel Da (Howel le bon) s'est tenu en Galles le premier Eistedfod national gallois, vaste assemblée au cours de laquelle les bardes, venus en grand nombre, se livrent à des joutes oratoires et surtout poétiques. Il est évident qu'à la faveur de ces rassemblements populaires, les Bardes-Druides et les Bardes-Ovates prenaient contact entre eux, laissant aux Bardes-Bardes la gloire de conquérir les couronnes, les parchemins-diplômes ou la récompense maximale: la Kador, sorte de cathèdre monumentale, où le Barde couronné comme étant le meilleur prenait place pour présider aux autres attractions et qui devenait sa propriété personnelle (il en est encore de même de nos jours). Le Pays de Galles sera donc le réservoir de la pensée et de la Sagesse celtiques durant les siècles qui vont s'écouler entre cet an 1 000 que nous avons pris comme point de repère et le XVIII' siècle où le Génie celtique s'affirmera de nouveau avec droit de cité. Durant ces sept siècles, le Bardisme, et ce qu'il recouvre, œuvreront tantôt à ciel ouvert, tantôt dans la clandestinité, mais toujours avec l'appui du peuple et la connivence des seigneurs gallois. L'étroite entente existant entre les Bardes des trois formations et les chefs traditionnels se manifeste d'une manière singulièrement spectaculaire au tout début du XVe siècle. A cette époque, un chef gallois nommé Owen Glandour entre en révolte contre l'Anglais et se place à la tête des Gallois qui, dans un élan national superbe le suivent spontanément. Ils sont soutenus d'ailleurs dans cette tentative de reconquête de leur indépendance par leurs frères de race, les Bretons, Le Duc souverain de Bretagne, Jean V, alors au début de son règne, ayant accordé à Owen l'aide d'une armée bretonne, places sous le commandement du sire de Rieux. Or, ce qui frappe les Anglais lors des batailles qu'ils perdent avec régularité, durant toute la première partie de cette campagne, c'est que les opérations engagées par le chef Gallois coïncident toujours avec des phénomènes atmosphériques défavorables aux gens du roi de Londres: tempêtes, brumes épaisses, pluies diluviennes, crues des cours d'eau, etc. Tant et si bien qu'ils en arrivent à croire que c'est Owen qui déclenche ces fléaux de la Nature dont bénéficient ses troupes et ils le surnomment Owen le Diable ou Owen le Sorcier. En fait, les Anglais ne se trompaient qu'à moitié. Owen ne suscitait pas les intempéries et leurs conséquences mais il en était averti à l'avance par de mystérieux conseillers dans lesquels il ne nous est pas difficile de reconnaître des Ovates qui mettent au service de l'entreprise du Pentyern leurs connaissances en Météorologie et qui évaluent astrologiquement, les chances de réussite de tel ou tel engagement. Mais si grande que fut la science de ces hommes sortis de la clandestinité pour reprendre leurs fonctions traditionnelles, elle ne pouvait rien contre la supériorité du nombre. Après avoir mené la vie dure aux Anglais, les Gallois durent se soumettre à nouveau, non sans retirer de l'épopée d'Owen Glandour quelques améliorations à leur sort et un gros bénéfice moral. Quant aux Bretons, ils réintégrèrent leur Duché en proclamant qu'ils avaient infligé aux Anglais plus de défaites, durant cette courte campagne, qu'ils n'en avaient connues au royaume de France, depuis le début de la guerre que l'on n'appelait pas encore de Cent Ans. Au siècle suivant, donc le XVIe, les Celtes vont connaître une nouvelle période malheureuse. Le roi d'Angleterre, Henri VIII Tudor, quoique d'origine celtique, écrase les Irlandais et sévit rudement contre les Gallois, dont l'insoumission est à l'état chronique. Comme il se dispose à rentrer en Angleterre, satisfait de ses massacres (on sait que ce fut un monarque particulièrement cruel), un homme s'avance sur son passage. C'est un Barde aveugle gallois. Sans la moindre hésitation, il lance, contre le souverain qui est devant lui, la malédiction suprême des Druides. Henri VIII ne perd pas son temps à ergoter. Le Barde est saisi et pendu séance tenante à l'une des branches de l'arbre sous lequel il avait attendu le passage du roi. Cet incident dramatique prendrait sa place, sans plus dans la chronique des luttes du Pays de Galles pour son indépendance si ce Barde n'avait lancé la malédiction druidique. Il n'était ni dans les prérogatives des Bardes, ni dans celles des Ovates, de se livrer à une telle manifestation. Vociférer les poèmes ou des chants vilipendant le tyran soit, mais pour le juger, le condamner et lui lancer la malédiction suprême, il fallait quelqu'un qui fut, traditionnellement, en droit de juger et de condamner. Ce droit n'appartenait qu'aux Druides. La ceinture azur donnait le change soit, mais l'aveugle était un Druide, connaissant ses droits, sachant la formule antique, donc un Druide en plein exercice de sa fonction et assez convaincu du rôle qu'il allait jouer pour sacrifier, sans regret, son existence. Car, il n'était pas besoin d'être grand clerc pour deviner quel sort Henri VIIl réserverait à ce Gallois insoumis et provocateur. Ceci nous prouve que, malgré les conditions tragiques de certaines périodes, la Filiation avait été transmise, sans interruption, depuis l'heure d'entrée en clandestinité. Une épreuve d'un caractère singulier allait bientôt s'abattre sur ce peuple gallois, que la destinée avait choisi pour être le gardien de la Sagesse Celtique. La monarchie anglaise, rompant avec le Saint Siège, allait interdire le Christianisme romain chez tous les peuples qu'elle gouvernait, que cela leur plut ou non. A vrai dire, pour ces gens qui étaient déjà passés du paganisme antique supervisé par le Druidisme au Christianisme Celtique, puis de ce dernier au Papisme, changer une fois encore de religion n'était pas une grave affaire. On avait l'habitude. Mais, troquer le Papisme pour un Christianisme romain sans Rome (définition exacte de l'Anglicanisme d'alors) et où le Pape était remplacé par le souverain d'Angleterre dépassait les bornes des choses admissibles. Ainsi, le monarque Anglais serait, non seulement le chef temporel, qualité que les Gallois contestaient à chaque génération, mais encore le chef spirituel. Cela, les Gallois ne l'acceptaient en aucune façon. En conséquence, le Christianisme romain fut aboli, mais rien ne le remplaça. En vain, dépêcha-t-on d'Angleterre des pasteurs anglicans. Leurs Eglises demeurèrent vides. Et cela ne dura pas quelques mois ou quelques années, mais quelques lustres. Bien sûr, malgré les innombrables tracasseries que les sbires de Londres firent pleuvoir sur eux, les Bardes, à quelque discipline réelle qu'ils appartinssent, firent leur devoir. Chantant ici, déclamant là, enseignant en des lieux surs, où l'ouïe anglaise ne pouvait les entendre, ils mirent tout en œuvre pour sauvegarder le moral et la morale de ce peuple, privé de cadres spirituels. Le plus étonnant étant qu'ils y parvinrent. L'initié est fait pour enseigner à des esprits ouverts prêts à tout assimiler avec aisance; aussi se trouve-t-il en mauvaise condition, lorsqu'il doit s'adresser à tous, y compris ceux qui ont la compréhension lente ou rétive. En telle occurrence, la Connaissance la plus etendue ne vaut pas la technique pastorale d'un prêtre de moyenne envergure. L'on ne peut donc que s'incliner bien bas devant ces hommes qui réussirent à maintenir leur peuple dans les bonnes mœurs et loin d'un possible retour à la sauvagerie barbare. Enfin, grâce à la forte et tenace impulsion d'une femme, il s'instaura au pays de Galles, une Eglise réformée, refusant la tutelle des souverains anglais, celle qui donna naissance au Méthodisme. Contre toute attente, les Bardes lui assurèrent pleinement leur concours. C'est qu'ils y découvraient de puissants intérêts immédiats: les offices de la nouvelle religion étant dits non en Latin, mais en Langue populaire, il était de leur devoir, pour empêcher une main mise de la langue anglaise, de composer, sans perdre de temps, les prières et cantiques, ainsi que de traduire les psaumes, en Gallois, ce qui leur permettait par surcroît d'y introduire certains thèmes et certaines pensées bien à eux. Par ailleurs, créer une barrière spirituelle entre les Gallois et les Anglais équivalait à renforcer considérablement le sentiment national des premiers. Ce faisant, ils se protégeaient, eux-mêmes contre les seconds qui ne les avaient pas en odeur de sainteté et, depuis longtemps, compris que le Bardisme était le Maître à penser du peuple gallois. Ces sages précautions relevaient de la simple prudence mais aussi d'une curieuse prévoyance. De fait, le Pays de Galles allait, sous peu, traverser l'une des périodes les plus sombres de son Histoire: la dictature de Cromwell. De race celtique, tout comme l'avait été Henri VIII, le dictateur en usa comme le roi à l'encontre de ses frères de race. Sa célèbre Campagne de l'Ouest fut peut-être une preuve de son génie militaire, mais elle constitua une véritable catastrophe pour les habitants de ces régions: les Gallois, les Cornics et les Celtes des comtés circumvoisins. De plus, les Puritains, vers qui allaient les bonnes grâces de Cromwell, procédèrent en Galles, tout comme en Angleterre: Mission moralisatrice basée sur l'épée, le poignard, les pistolets et les mousquets. Le retour des Stuart fut un soulagement. L'accession au trône d'Angleterre des Orange, Protestants très libéraux, fut le salut. Ici et là, au Pays de Galles, en Ecosse, en Angleterre même et jusqu'au cœur de Londres, des centres d'étude druidiques et bardiques surgirent de terre comme champignons sous la pluie automnale. Abandonnant, sans la renier, la ceinture azur des Bardes, qui avait été leur égide depuis 12 à 13 siècles, les Druides et les Ovates reparurent. En 1717, première manifestation publique, sous la présidence de l'Archidruide John Toland, groupant des Gallois, des Ecossais, des Irlandais, des Cornics, des Bretons et des Anglais originaires des comtés à large substratum Celtique. On y magnifie, sans retenue, la résurgence d'une classe des Sages, faible par le nombre, certes, mais forte de sa Filiation ininterrompue. L'Age Noir est passé! Malgré les grimaces des Clergymen, l'on se met au travail. Les Textes anciens, que de précédents acolytes ont couchés sur le papier, afin de les mettre en sûreté aux heures de péril et d'en assurer, de la sorte, la transmission aux générations à venir, sont scrutés, décortiqués, analysés, interprétés. Ceux qui ont été transmis de bouche à oreille d'Initié, d'âge en âge, sont transcrits et publiés. Cela va bien un peu contre la Loi du Secret, mais on œuvre dans l'euphorie et de plus, ces documents ont été composés de telle façon qu'un non-initié n'y entend goutte. Enfin, en 1792, sous la vigoureuse impulsion de Iolo Morganog, Gallois puissamment érudit, se tient le premier Gorsedd rénové. L'on appelle Gorsedd une assemblée solennelle, réunissant en public un nombre important de Druides, Bardes et Ovates, dûment investis et revêtus de la saie à la couleur de leur Ordre, blanche pour les Druides, bleue pour les Bardes, verte pour les Ovates. Depuis cette date, aucune interruption dans le fonctionnement des Collèges des Druides, Bardes et Ovates, si ce n'est durant les guerres, la Règle interdisant ces manifestations en cas de conflit (période pendant laquelle les Druides avaient tout autre chose à faire, s'étant mués en diplomates pacificateurs). L'inévitable survint. Détenteurs du Trésor de la Tradition celtique, mais intellectuellement formés en fonction de la tendance moderne de spécialisation à outrance, les membres de cette Confrérie, que Iolo Morganog avait reconstituée une et cohérente, se sont divisés selon leur propres vocations: les uns font passer avant tout la Culture traditionnelle, avec la Langue, l'Histoire, les Coutumes, et n'accordent que peu d'intérêt aux questions relevant de la Métaphysique. D'autres, par contre, font passer ces problèmes avant toute autre préoccupation et pratiquent couramment l'ésotérisme. Enfin, deux Collèges, celui des Cornics et celui des Bretons ont su conserver la Cohésion originelle, leurs ésotéristes estimant, avec sagesse, que la Culture traditionnelle d'un peuple ou d'une race est le plus sûr tremplin de son évolution, considérée du point de vue métaphysique. Mais, quelles que soient ces divergences passagères, tous, détenteurs d'une même filiation, œuvrent peut-être même sans s'en rendre bien compte, dans un même but: sauvegarder, enrichir et faire rayonner la Sagesse occidentale, non pour éclabousser les autres, mais pour contribuer, selon son génie particulier, à l'évolution intellectuelle et spirituelle de l'Humanité. CHAPITRE IV Conclusion O Inconnaissable! Accorde-nous ton aide et, par ton aide, la Force, par la Force, l'Efficience, par l'Efficience, l'Entendement, par l'Entendement, le Discernement de tout ce qui est juste, par le Discernement de tout ce qui est juste, l'Amour de tout ce qui vit, par l'Amour de tout ce qui vit, l'Amour de Toi, O Inconnaissable! Prière du Gorsedd Il n'est rien à ajouter, ni à retrancher de cette prière qui résume toutes les autres. Partant de Dieu, elle retourne à Dieu, accomplissant ainsi le Cycle évolutif complet que nous souhaitons, à tous, d'accomplir avec toute la sérénité possible en l'état d'Humanité. Druide Kalondan

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