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Fusion sur Mer.

  Il était un fois un lac, une porcherie,
une nappe d'eau souterraine, une école...
Peu importe comment l'histoire commence,
elle en vient parfois à s'envenimer
jusqu'à pourrir l'atmosphère d'une localité.
La Presse explore cet été
quelques-unes de ces querelles de clocher
qui font rage dans la province.
Aujourd'hui, les villages de Metis Beach et Les Boules,
un an après la fusion.
 
 
  par Judith Lachapelle
http://www.cyberpresse.ca/
 
 
 
     Métis-sur-Mer - Au bord du fleuve, entre Mont-Joli et Matane, deux villages siamois ont besoin l'un de l'autre pour respirer. Ils partagent le même bureau de poste, la même épicerie, la même eau, la même souffleuse à neige et, depuis un an, le même maire. Villages jumeaux, mais certainement pas identiques. Car un tout autre monde naît lorsque la rue Principale et la rue Beach se rencontrent. Au revoir Les Boules, Welcome Metis Beach.
   Pas besoin d'habiter Québec ou Montréal pour causer défusion ces jours-ci. Dans le vénérable Town Hall de la rue Beach, un dizaine de citoyens de Metis Beach - comme ils tiennent à le préciser - se sont réunis pour faire le point. C'est un vieil immeuble tout en bois qui sent l'amour et les soins prodigués par la petite communauté anglophone qui l'utilise pour ses activités sociales.
   Le plancher de bois franc est particulière reluisant de propreté. «Nous avons fait des petits déjeuners et des dîners pour amasser assez d'argent pour le vernir», dit fièrement William Pearce. Sur le babillard, à l'entrée, on annonce l'afternoon tea à l'église presbytérienne, un vin et formage organisé par Heritage St. Lawrence ou le prochain Metis Gardin Party chez la famille Molson au profit de l'église méthodiste. Bref, un communauté tissée serrée.
   Il y a maintenant plus d'un an que les deux villages siamois sis à une trentaine de kilomètres à l'est de Mont-Joli sont officiellement réunis en une seule ville, Métis-sur-Mer. Le mariage entre ce village anglophone historiquement cossu et cette municipalité francophone assez modeste n'a pourtant pas été forcé, même s'il a été fortement encouragé. Valait mieux le faire en négociant soi-même les conditions avant de se voir éventuellement imposer une fusion qui aurait laissé peu de place aux concessions...
   Mais même si bon nombre de citoyens de l'ancien Métis affirment que la fusion allait de soi et qu'ils se sont satisfaits, ce n'est pas le cas pour ces «défusionnistes». Depuis un an, ils disent avoir reçu trop de signes que ce qu'ils craignent le plus est en train de se produire: l'assimilation de leur communauté à la majorité francophone.

Des vacances à Metis

   Metis Beach a été fondée vers 1850 par l'Écossais John MacNider. D'autres Écossais l'y ont rejoint au fil des ans pour cultiver les terres. Des géologues de l'Université McGill, friands des fossiles qu'on trouve encore aujourd'hui dans les entrailles de sa terre, se sont mis à fréquenter l'endroit. Puis, Metis est devenue LA destination chic de la bourgeoisie anglophone montréalaise au début du XXe siècle. Station de Metis vers 1960
   Le train emmenait chaque été des milliers de vacanciers élégants qui venaient prendre l'air du large dans l'un des luxueux hôtels victoriens de Metis. Un train de week-end accommodait même ces messieurs qui venaient passer deux jours de vacances au bord de la mer avant de rentrer en ville pour travailler pendant la semaine. De célèbres familles anglo-montréalaises, dont les Molson et les Birks, se sont bâti de somptueuses résidences d'été sur les berges rocailleuses du fleuve, devenu aussi large que la mer.
   Pendant ce temps, un peu plus à l'est, habitaient ceux qui prenaient soin de ces demeures, été comme hiver. Domestiques, cuisinières, jardiniers, ouvriers, ils ont bâti leurs maisons - beaucoup plus modeste! - vis-à-vis des trois gros rochers ronds très visibles à marée basse: les Boules. Les deux villages ont grandi côte à côte, dépendant l'un de l'autre pour leur survie, malgré tout ce qui les séparait.
   Mais le krach boursier a crevé la bulle et la Deuxième Guerre mondiale a achevé d'éteindre une époque dorée. Les touristes ont cessé de venir à Metis, les luxueux hôtels ont fermé leurs portes. Les belles demeures sont le plus souvent restées la propriété des familles d'origine, de testament en testament, et leur héritiers viennent encore y passer leurs vacances en été (la population de l'ancienne Metis double littéralement en été). Lorsqu'une maison est à vendre, pas besoin de mettre un pancarte, elle est souvent rachetée par un membre de la communauté.
   Le temps a passé, les différences sociales se sont aplanies. Aujourd'hui, les 400 pauvres francos des Boules sont de moins en moins pauvres, et les 200 riches anglos de Metis sont de moins en moins riches... et de moins en moins anglos.
   «Nous avons même perdu le nom de notre village», se désole l'une des dames réunies dans le Town Hall. La dénomination «Metis Beach» a beau avoir laissé sa place depuis longtemps à sa forme «Métis-sur-mer», la petite communauté anglophone tenait à son nom d'origine. Et sans accent, s'il vous plaît. «En algonquin, Metis veut dire lieu de rencontre», dit William Pearce. «Métis avec un accent veut dire moitié Indien, moitié Blanc. Donc, Métis-sur-mer veut littéralement dire Half Breed-by-the-sea

École et camion de pompier.

    Ses collègues l'approuvent. Et en rajoutent. La petite école anglaise, désormais membre de la commission scolaire anglophone de Gaspésie, serait menacée de fermeture. Le rutilant camion de pompier qui avait été acheté pas les citoyens de Metis (sans accent) servira désormais à toute la population de Métis (avec un accent). «Les Boules devraient prendre exemple sur nous et s'acheter leur propre camion!», dit une dame. «Voyons, ils sont trop paresseux pour ca», glisse une autre, soulevant des fous rires dans le groupe.
   Sans parler de tous ces noms de rues en anglais que veut changer la Commission de toponymie du Québec! La rue Lighthouse qui devient rue du Phare, passe encore. Mais la rue Beach! «Nous n'avons pas le choix», dit le maire, Raymond Tremblay. Autant la police que les pompiers et les ambulanciers (sans oublier les Postes) exigent que cette longue rue qui court le long du fleuve dans toute la ville ne porte désormais qu'un seul nom.
   Et ça ne sera ni la rue Beach ni la rue Principale, pour ne pas attiser de susceptibilités. «J'ai proposé aux gens de Metis de donner le nom Beach à un nouveau quartier, ou de poser une plaque pour souligner la mémoire du révérend Beach. Parce qu'il n'y a pas grand monde, même ici, qui savent que le nom Beach n'est pas celui de la plage, mais bien celui d'un révérend!»
   Qu'importe, disent les défusionnistes. C'est un autre pas vers leur disparition... «Mais ce n'est pas une affaire de langue», jure Pam Anderson, ancienne conseillère municipale de Metis. Tous ses collègues hochent la tête; ils refusent que leur position soit réduite à une simple chicane entre francos et anglos. «Oui, c'est très important que vous le notiez. Nous avons toujours vécu côte à côte avec les gens des Boules. Nous parlons aussi français.»
   «Les francophones hors Québec ne veulent-ils pas préserver leur culture et leur langue?» dit une dame, «C'est la même chose pour nous.»

Westmount-sur-mer

   Mais ce n'est pas auprès de la population de «l'arrondissement des Boules» que les défusionnistes de Metis trouveront des appuis, et ils le savent très bien. Du côté de la rue Principale, on s'amuse presque de voir un partie de la communauté «rester accrochée au passé» et vivre dans son petit «Westmount-sur-mer»...
   Le nouveau maire, Raymond Tremblay, ne plaint pas non plus les défusionnistes. Arrivé à Les Boules il y a trois ans, cet ancien directeur régional d'Emploi Québec pensait profiter doucement de sa retraite au bord du Saint-Laurent, avant que des citoyens lui proposent de prendre la tête de leur ville récemment fusionnée. Lorsqu'il est arrivé en poste, le contrat de mariage était déjà signé.
   «Mais s'il y avait une partie de la ville qui pouvait avoir envie de se défusionner, c'est bien Les Boules», dit-il. L'administration municipale de Métis a très bien négocié son accord, allant jusqu'à obtenir un crédit de taxe de huit ans pour ses propriétaires fonciers (0.50$ au 100$ d'évaluation la première année, et 0.10$ le dernière). Ca, les gens des Boules ne l'ont pas, ajoute le maire.
   Mais la Ville se tourne vers l'avenir et les défis qui l'attendent. Il faut d'abord régler un problème d'eau, tant en approvisionnement qu'en distribution dans les deux villages, ce qui engendrera inévitablement des coûts importants pour la petite municipalité. Puis, comme partout en région, il faut absolument attirer de nouvelles familles pour éviter notamment la fermeture des deux écoles primaires (l'une anglaise, l'autre française.)
   «C'est pour ça que je crois que lorsqu'ils verront les coûts de la défusion, ils changeront d'idée», dit le maire Tremblay. Les défusionnistes ne se font d'ailleurs pas d'illusion: s'ils pensent obtenir facilement la signature de 10% des citoyens de l'ancienne ville (soit un vingtaine de personnes) pour que la défusion soit envisagée, gagner un référendum dans la nouvelle ville sera autrement plus compliqué.
   «Honnêtement, je ne pense pas que ça pourrait arriver», dit William Pearce. «Mais nous avons le droit de savoir combien la fusion nous a coûté.»
 
 
La Presse@2003 Page 1 Fusion sur Mer

Les photo-images par GRBossé©1998-2003

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