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" Conso ", les internautes font la loi

8 July 2007, Le Monde, 2007.

Enquête. En Californie, des cyberacheteurs demandent à obtenir des copies des informations personnelles que Google et Yahoo! utilisent sans les rétribuer. Un nouveau rapport de forces émerge

Je m'appelle Cécile. J'ai 37 ans. J'apprécie par-dessus tout la nourriture asiatique et les chansons d'Aznavour. " Un prénom, un âge et deux centres d'intérêt. Quatre informations qui ont un prix. En les fournissant, Cécile vient de s'assurer 15 % de réduction sur son voyage en Corse acheté en ligne. Pour Philippe, qui rajoute " j'ai 3 enfants mineurs et une résidence secondaire ", ce sera encore 10 % de moins.

D'ici quelques années, ce genre de transactions futuristes pourrait bien concerner des millions de consommateurs. C'est en tout cas ce que laisse présager le modèle de la société californienne Agloco, fondée il y a quelques mois par une bande de diplômés de Stanford. L'idée est simple : en surfant sur Internet, vous donnez gratuitement une multitude d'informations sur vous-même que les entreprises, qui cherchent à cibler efficacement leur publicité, sont prêtes à payer très cher. C'est en monnayant ce type de données que des géants comme Google engrangent des chiffres d'affaires colossaux. Agloco propose désormais une petite révolution : c'est vous, et non plus les intermédiaires du Net, qui êtes payé pour fournir vos informations personnelles.

Pour l'instant, cette expérience séduit surtout les internautes jeunes et branchés. Mais le système pourrait, à l'avenir, concerner n'importe qui. Il suffit juste d'une petite barre d'outil greffée sur la fenêtre de votre navigateur Internet. Elle enregistre chacun de vos déplacements sur la Toile et en déduit votre profil de consommateur. En temps réel, la même barre vous soumet une publicité qui correspond à vos penchants de consommation. En agrégeant des données chaque fois plus fines sur ce qui attire votre attention, Agloco propose aux annonceurs une publicité plus ciblée et donc beaucoup plus efficace.

Le système est actuellement en test mais la société prévoit de reverser 90 % de ses recettes aux utilisateurs. " Les payements à l'utilisateur seront indexés au chiffre d'affaires généré ", explique Alexandre Gourevitch, promoteur d'Agloco en France Signe de l'époque, la propriété des données personnelles a désormais son premier défenseur institutionnalisé : AttentionTrust. Cette organisation à but non lucratif basée à San Francisco démarche depuis plusieurs mois les grandes entreprises du Net pour leur faire reconnaître le droit des internautes sur leurs informations personnelles. Google et Yahoo! auraient déjà accepté l'idée sans pour autant la traduire dans les actes. " Notre but est que chaque entreprise fournisse à ses clients une copie des informations qu'elle possède sur lui.

Dans un second temps, le client pourrait utiliser cette copie pour négocier des réductions ", explique Mary Hodder, membre de l'organisation.

A la fin du XIXe siècle, l'économiste français Léon Walras avait théorisé le principe de la concurrence parfaite : un lieu dans lequel le prix des biens est déterminé par la négociation de tous avec tous sans qu'aucun facteur ne donne de pouvoir supplémentaire à qui que ce soit. "

Internet est en train de faire de ce modèle une réalité, explique Jean-Marc Daniel, professeur d'économie à l'Ecole supérieure de commerce de Paris, si on met de côté l'image de marque de certains produits qui peuvent créer une distorsion. "

Le Canadien Don Tapscott, auteur de plusieurs best-sellers sur la netéconomie, abonde dans ce sens. " Aujourd'hui, les entreprises sont nues, explique-t-il, Internet permet aux clients d'avoir accès à des informations traditionnellement cachées : comparaison des prix, profil des marchands... Les entreprises peuvent être examinées sous toutes les coutures avant chaque transaction. Le moindre défaut est immédiatement visible. "

Une tendance émergente qui va, selon lui, mécaniquement s'affirmer. " Cette révolution de la consommation sera aboutie lorsque la nouvelle génération, qui a grandi avec ces outils et les utilise naturellement, arrivera à l'âge adulte. " Pour exercer leur nouveau pouvoir, des consommateurs qui ne se connaissent pas peuvent désormais grouper leurs demandes en ligne pour faire baisser les prix.

Avant l'explosion de la bulle Internet, en 2000, un chapelet de start-up avait proposé ce service. Trop tôt, pas assez attractif, car le délai d'attente du produit était trop long, le modèle laisse place à un nouveau principe " bien plus prometteur ", estime le consultant Internet Rodrigo Sepulveda-Schulz : le cashback. Au lieu d'acheter votre radio-réveil directement chez un marchand en ligne, vous passez par un site intermédiaire sur lequel vous créez une adresse Internet.

Muni de celle-ci, vous réglez alors vos achats auprès du marchand de radio-réveils. L'entreprise intermédiaire touche une commission sur cette vente et vous en reverse une partie. " Le consommateur récupère ainsi un pourcentage de la valeur qu'il a créée par ses achats ", explique Catherine Barba, PDG de Cashstore.fr, un des sites précurseurs français. Don Tapscott va même plus loin. Non seulement la génération Google va, dans la prochaine décennie, créer un nouveau rapport de force avec les fournisseurs de biens et de services, mais elle va générer une société où les consommateurs seront aussi des producteurs par leur collaboration de masse sur Internet.

L'encyclopédie mondiale Wikipédia, nourrie par les apports de n'importe quel internaute, en est l'exemple le plus célèbre. Une réussite qui tente désormais des entreprises plus traditionnelles. " BMW fait désormais appel à la collaboration de masse pour développer certains logiciels destinés à ses futurs modèles ", explique M. Tapscott : l'intelligence collective des internautes fonctionne alors comme une extension du service recherche et développement de l'entreprise.

Prochaine étape envisagée : la rétribution des internautes par les entreprises pour leur collaboration. C'est ce que teste, depuis avril, une nouvelle entreprise californienne de téléphonie mobile, Sonopia, qui propose à tout un chacun de gagner sa vie en devenant... patron d'un mini opérateur téléphonique.

Comme le fait Virgin mobile en France, Sonopia achète du temps de communication au rabais auprès des grands opérateurs américains pour les revendre plus cher au consommateur. C'est ce qu'on appelle un opérateur virtuel de téléphonie mobile (MVNO). Seule différence : au lieu de vendre directement ses minutes au consommateur final, Sonopia n'a aucun frais classique de publicité et de marketing. Elle propose à tout citoyen américain de fonder son propre MVNO, à charge pour lui de trouver des clients.

" Chaque fondateur se voit alors reverser une partie des revenus générés par ses utilisateurs ", explique le directeur technique Roger Nolan. Préfigurant peut-être nos rôles futurs, Sonopia donne à l'internaute-consommateur un véritable statut de collaborateur, mais celui-ci est enfin rétribué en tant que tel pour avoir attiré son réseau personnel de clients.

David Castello-Lopes