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La dormeuse de Thenelles
Le Drame d'être fille mère au XIXe siècle

En 1883, Marguerite Boyenval (dite Marie) est née à Thenelles en 1861.Elle habite son village natal avec sa famille. Une famille de travailleurs honnêtes dans laquelle la vie est dure à tous, comme dans toutes les familles d'ouvriers de la localité.
Thenelles est un village de tissage. Un charmant petit village avec son moulin et sa sucrerie fondée en 1869, sur le territoire de Thenelles est connu sous le nom de Sucrerie d'Origny-Sainte-Benoîte, alimentée par quatorze râperies. Elle occupe six cents ouvriers pendant la fabrication et en plus deux cents dans les annexes. Comme le chômage est fréquent dans le tissage, la sucrerie est providentielle pour les gens du pays….
Marguerite Boyenval travaille depuis l'âge de 15 ans dans un atelier de couture d'Origny Ste Benoîte. En mai 1883, elle à vingt-deux ans. Elle est célibataire, elle est enceinte. Elle a accouché d'un enfant qui ne vit pas… Mais la justice est là. Une instruction judiciaire est ouverte.
Alors qu'elle était chez elle, occupée à repasser du linge, une voisine lui dit :
"Voilà les gendarmes qui viennent t'arrêter !" C'est la crise de nerf, suivie de plusieurs autres et bientôt d'un sommeil cataleptique, d'abord agité, puis calme, l'immobilité et l'inertie mentale qui durera vingt ans.


Observation du Médecin traitant

Le médecin traitant de Marguerite Boyenval est le Docteur F. Charlier. C'est lui qui la saigne depuis le début de la léthargie et qui en rapport commun l'Académie de Médecine et lui apporte ses soins quotidiens. Pour situer le praticien, nous nous devons de préciser qu'il sera maire d'Origny Ste Benoîte. C'est aux observations qu'il à adresser à l'Académie, que nous devons de connaître l'évolution d'une maladie qui dure vingt ans et se termine par la mort de Marguerite Boyenval.

Des attaques "mystérieuses" à l'état léthargique

C'est donc à la suite d'un choc moral, faisant suis à des "couches" récentes que le 31 mai 1883, Marguerite Boyenval est atteinte d'attaques hystériques violentes qui durent vingt-quatre heures. Au bout de ces courtes réactions nerveuses, la malade tombe dans un sommeil profond. Rapidement, son état ne se modifiant pas, le docteur Charlier doit envisager l'alimentation artificielle.
Laissons le parler :
"……. Les dents étaient serrées par un violent "trismus" et l'introduction de la sonde œsophagienne ne se faisait qu'avec de grandes difficultés.
On eut donc recours aux lavements de lait, de bouillon, de vin et enfin de peptone (et ce pendant vingt ans )

Crises convulsives intermittentes

L'état de calme léthargique était interrompu à des distances variables par des attaques convulsives pendant les quelles la malade se déchirait la figure et la poitrine avec ses ongles.
Pendant ces manifestations violentes, plusieurs personnes étaient nécessaires pour la maintenir couchée.
Mais, jamais l'intelligence n'a reparu. La perte de connaissance est toujours restée totale.
Un jour, la malade perdit du sang par la bouche et par le nez.
……Parfois, la face se colore légèrement, mais, le phénomène est de courte durée.
Le faciès est celui d'une femme amaigrie, plongée dans un sommeil calme et profond. La température, prise à l'aisselle donne 37° à 37°8."

Quatre ans après

Nous laissons toujours la parole au docteur Charlier :
"Les crises convulsives disparaissent dans les premiers mois de 1887 (et pour ne reparaître qu'à la période terminale ; à quelques temps de là, la famille déménage pour s'installer dans une maison plus saine dans la même commune, à cent mètres environ de la première."

Mai 1903, retour des crises convulsives

C'est toujours le docteur F. Charlier que nous laissons la parole pour nous parler du réveil de la malade :
"Le vendredi 22 mai 1903, à neuf heures du matin, Marguerite Boyenval est prise d'une grande crise d'hystérie qui se renouvelle jusque la fin de l'après-midi.
Le samedi 23 mai 1903, aucune crise n'est constatée.
Le dimanche 24 mai 1903, nouvelle crise vers sept heures du matin, et elle dure quatre heures sans interruption. A la suite la malade peut se mouvoir et se soulever de son lit.

Le Réveil

Le lundi 25 mai 1903, la malade ouvre les yeux, passe la main devant eux … elle semble s'efforcer à comprendre les paroles prononcées devant elle.
Le mardi 26 mai 1903, à 9 heures du matin, je la trouve éveillée. Sur mon ordre elle ouvre les yeux, me regarde et passe la main devant ses paupières.
Je le pince au bras et comme elle réagit sans un mouvement de défense, je lui demande ce que je viens de faire. Elle répond d'une voix très faible mais très nette :
" - vous me pincer !".
L'attaque de sommeil avec tous les symptômes accessoires a complètement disparu."
Le docteur F. Charlier qu'elle s'exprime dès son réveil, avec un accent de terroir qu'elle avait oublier à l'époque de son accident pathologique. En fait, elle était revenue au Patois de son enfance.
A poursuit :
" L'intelligence s'est retrouvée entière au réveil. Elle comprend parfaitement les questions posées et y répond avec netteté.
L'alimentation de la malade pendant son court retour à la vie normale se compose d'un peu de lait, de bouillon, de jaune d'œuf … Les organes de digestion semblent avoir repris leur fonctionnement régulier…
Marguerite Boyenval rendait le dernier soupir le 27 mai 1903.
Elle avait quarante deux ans, mais n'avait vécu que vingt et un ans et passé vingt et un en léthargie.


Autres sons de cloche

En cherchant un peu à la bibliothèque de municipale de St Quentin, j'ai retrouvé le n°1 de la Revue Mensuelle : " La vie normale" du 1er juin 1903 qui apporte quelques éléments sérieux sur l'histoire de notre dormeuse.
Cette Revue scientifique, nous apprend qu'à au bout de quelques mois, Marguerite Boyenval est réduite à l'état de squelette. Elle devient phtisique (tuberculeuse) et c'est ce que nous décrit son médecin traitant :
" …..la malade perdit du sang par la bouche et par le nez…."
La vie normale de signaler un autre élément. " Il faut l'opérer d'un abcès au bras et, à cette occasion on constate des vives douleurs."
Et de poursuivre (en contradiction avec le médecin traitant) :
" Elle meurt le 27 mai 1903, sans avoir pu s'exprimer autrement que par des monosyllabes sans intérêt….."

Une mère exclusive…

Après la mort de Marguerite Boyenval, la mère de la malade s'oppose à l'autopsie.
La vie normale, donne d'ailleurs d'autres précisions sur l'attitude de cette mère pendant les vingt ans de la maladie de sa fille et signale que le professeur Bégeois assai la suggestion pendant que Marguerite est consciente … Monsieur le docteur Voisin, exprime la même opinion, comme d'ailleurs Monsieur le Docteur Paul Parnz, professeur de l'Ecole de Psychologie qui se montre convaincu d'agir sur la malade par la suggestion pratique avec persévérance dans un dans un milieu apte à ne pas contrarier les efforts du médecin….
Mais précise " la vie normale". La mère de Marguerite Boyenval s'est toujours opposée à un examen approfondi de sa fille.
Elle s'est opposée à son transfert prévu à La Salpétrière, ou une thérapeutique longuement étudiée aurait hâté le dénouement de cette aventure dans les conditions les plus favorables.
Que faut-il penser de cette surveillance jalouse, qui a certainement privé la malade d'une chance très réelle de guérison ?
Un amour éclairé n'eut-il pas accepté, avec reconnaissance, la plus faible lueur d'espoir, surtout à partir du moment où la tuberculose est venue aggraver encore le pronostic ?


… et ses raisons d'agir

Continuant son réquisitoire, "La vie normale" poursuit :
" Et en effet, si on cherche pour quelles raisons la mère de Marguerite Boyenval craignait l'immixtion des savants dans les affaires de la famille, on en trouve plusieurs :
1er L'instruction judiciaire, suspendue pendant toute la durée du sommeil cataleptique n'est pas close.
2e Le sommeil de ce genre, déjà providentiel sur le plan judiciaire, était rapidement venu, grâce aux offrandes des visiteurs, augmenter, dans une notable proportion, les revenus de la famille.
3e Il eût été pénible à la mère peut-être de se priver d'un élément de notoriété, qui représentait, par ailleurs, tant d'avantages pratiques."


Je vous laisse la conclusion

Je ne pense pas qu'il ne soit nécessaire de conclure. Je vous ai donné tout les éléments de cette affaire, qui débutait il y a cent ans par une histoire d'amour, (ou sans doute de séduction). Il ne faut pas oublier qu'a cette époque du 19e siècle, la fille séduite et enceinte était l'opprobre de la société. Elle était montrée du doigt et l'enfant, s'il vivait était un bâtard. Elevé par sa mère, il serait l'enfant sans père, que les autres enfants du village se chargeraient de mettre au ban de la société. (Cet âge est sans pitié !) Mais s'il était abandonné à l'Assistance Publique, il irait grossir l'armée des orphelinats et serait peut-être placé à la campagne. Chez une nourrice comme il y avait tant, à élever des Parigots .
L' affaire Marguerite Boyenval avait pris une autre voie. Elle avait caché sa grossesse et accouché d'un enfant mort….. La justice des hommes s'était mise en branle. Pas contre le séducteur, responsable au premier chef de ce drame, mais contre la pauvre fille séduite, qui seule devait payer…


C'était la loi du siècle.


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