El affaire Sokal

El affaire Sokal

L’affaire Sokal

 

NOUS VOULONS DISCUTER AUTOUR DE L'AFFAIRE SOKAL. NOUS CROYONS QUE C'EST

EXEMPLAIRE SUR LA MODALITÉ DE LA CONSTRUCTION DU CAS MÉDIATIQUE, MAIS AU MÊME

TEMPS NOUS POUVONS COMPROBER LA DEBILITÉ ET L'INCONSISTENCE DU DISCOURS DE

CERTAINS ANALYSTES.

De ce point de vue ce très préocupant pour les analystes qui

ont vraiment interesse de mettre à preuve la consistance du diccours analytique

que personnes comme le Prof. Bouveresse, un des spécialistes francais dans

Wittgenstein parle dans le ton qu'il l'a fait dans son article. Et pour l'autre

côté la debilité, l'inconsistance, la contradictoire manière de parler de gents

comment Kristeva, Melman, Vapereaux, Sibony et d'autres. Je crois que ce la même

problème que nous puvons écouter quand beaucoup de gents disent j'en veux pas

m'analyser avec personnes qu'en géneral lisent moins que nous, que dans le champ

de les opinions politiques o sur les positions sexuelles ont une place que c'est

tributaire plus de les opinions de la classe media que du discours analytique.

Mais l'interêt principale de cette chose là je crois ce la forme de construire

le "cas". Nous pouvons comparer comment les journalistes, mais au même temps la

science, construisent un "cas" avec la forme dans laquelle Freud le faisait dans

son fameuses historiales cliniques ou Lacan dans sa présentations de malades ou

dans les peu d'opportunités dans lesquelles il a parlé de patients (mais sa voie

de parler de cas de les autres c'est une autre forme, valide aussi pourquoi pas,

de construire le "cas"). Queremos discutir alrededor del "affaire" Sokal.

Creemos que es ejemplar de la modalidad de la construcción del "caso" mediático,

pero al mismo tiempo nos permite comprobar la debilidad y la inconsistencia del

discurso de ciertos analistas. Desde ese punto de vista es muy preocupante para

los analistas que tienen un verdadero interés en poner a prueba la consistencia

del discurso analítico que personas como el Prof. Bouveresse, uno de los

especialistas franceses en Wittgenstein, tal vez el mejor, hable en el tono que

lo hace en su artículo. Y por el otro lado la debilidad, inconsistencia,

contradictoria manera de hablar de gente como Kristeva, Melman, Vaperaux, y

otros. Pero el interés principal de todo esto creo que es la forma de construir

el "caso". Podemos comparar cólo los periodistas, pero al mismo tiempo la

ciencia, construyen un "caso" con la forma en la cual lo hacía Freud en sus

famosos historiales clínicos o Lacan en sus presentaciones de enfermos o en las

pocas oportunidades en las cuáles él habló de pacientes (pero su vía, la de

hablar de casos de otros es otra forma, válida por qué no?, de construir el

"caso" en el campo analítico.

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Le Monde de l'Éducation, n° 255, janvier 1998, pp. 54-55.

LES SOTS CALENT

Fer de lance de l’opposition aux penseurs à la mode des années 70-80 ainsi qu’aux "nouveaux philosophes " qui sculptaient habilement le vide, Jacques Bouveresse

revient sur l’ " affaire Sokal ", où une partie des intellectuels sont accusés

de manier à tort les concepts scientifiques. Le meilleur commentaire qui ait été

écrit sur l’" affaire Sokal ", sur le livre qui a été publié ensuite par Sokal

et Bricmont (1) et sur les réactions qu’ils ont suscitées l’avait probablement

été déjà en 1921 par Musil, dans son compte rendu du Déclin de l’Occident, de

Spengler. Après un passage consacré aux chapitres mathématiques du livre, dont

il tire la conclusion que la façon de faire de Spengler " évoque le zoologue qui

classerait parmi les quadrupèdes les chiens, les tables, les chaises et les

équations du quatrième degré ", Musil donne une démonstration brillante de la

façon dont on pourrait, en appliquant ce genre de procédé, justifier la

définition du papillon comme étant le Chinois nain ailé d’Europe centrale.

C’est, quoi qu’ils en pensent, à peu de choses près ce que font les auteurs dans

les passages les plus typiques qui ont été cités et commentés par Sokal et

Bricmont. Et il ne serait pas sérieux d'objecter qu'il s'agit simplement

d'erreurs ponctuelles qui ne compromettent en aucune façon le sérieux et la

solidité du reste. Ce qui est vrai est plutôt que, comme le remarque Musil, les

endroits où il est question de mathématiques et plus généralement de sciences

exactes " ont sur les autres l’avantage de faire tomber tout de suite le masque

d’objectivité scientifique qu’arborent si volontiers, dans n’importe quel

domaine des sciences, les littéraires ". Ce ne sont pas de simples bévues

occasionnelles et pardonnables qui sont en cause, mais bel et bien un mode de

pensée et un style de pensée, qui plaisent à notre époque et passent même pour

spécialement profonds. Il n’est pas non plus sérieux de protester, comme

certains l’ont fait, en remarquant qu’il s’agit, dans certains cas, de simples

excès de confiance ou d’étourderies juvéniles que leurs auteurs ne commettraient

certainement plus aujourd’hui. Car, d’une part, les choses n’ont malheureusement

pas changé à ce point et, d’autre part, on ne peut pas oublier que c’est

précisément en grande partie sur l’usage du jargon et de la rhétorique

pseudo-scientifiques, et sur l’art de donner aux littéraires l’impression

d’écrire comme seul un scientifique est capable de le faire, que se sont

édifiées à l’époque de formidables réputations qui n’ont jamais été vraiment

reconsidérées depuis. Il est vrai que c’était une époque où régnait le

scientisme le plus absurde et où tous les intellectuels importants se sentaient

obligés plus ou moins d’expliquer que ce qu’ils faisaient était de la science

ou, en tout cas, allait le devenir, alors qu’aujourd’hui on a plutôt tendance à

penser que la science ne mérite aucun respect spécial et n’est, somme toute, pas

beaucoup plus scientifique ni plus sérieuse que les lettres. Mais que la théorie

littéraire soit considérée comme le paradigme de la science ou la science comme

une forme de littérature, qui invente simplement, elle aussi, à sa façon des

histoires plus ou moins excitantes, cela ne fait pas grande différence pour ce

dont il s’agit ici : il y a dans les deux cas peu de chance que ce que font les

scientifiques soit réellement compris et pris au sérieux. Les exemples analysés

dans le livre de Sokal et Bricmont devraient, semble-t-il, parler suffisamment

par eux-mêmes et protéger les deux auteurs contre le risque de passer pour des

maniaques de l’exactitude littéraire. Ce n’est pourtant pas le cas, pour une

raison que Musil avait déjà expliquée mieux que personne : " Il existe dans les

milieux, j’aimerais dire, et je dis : intellectuels (mais je pense aux milieux

littéraires) un préjugé favorable à l’égard de tout ce qui est une entorse aux

mathématiques, à la logique et à la précision ; parmi les crimes contre

l’esprit, on aime à les ranger au nombre des ces honorables crimes politiques où

l’accusateur public devient en fait l’accusé. " Comme dans les scandales

politiques, la faute n’est pas du côté de ceux qui l’ont commise, mais du côté

de ceux qui ont l’outrecuidance de l’appeler par son nom et de la dénoncer. Le

mot magique, dans les réactions qu’a provoquées le livre de Sokal et Bricmont,

est évidemment celui de " pensée ". Nos intellectuels ou, en tout cas, certains

d’entre eux font peut-être un usage aberrant du vocabulaire et des concepts de

la science. Mais eux, au moins, " pensent ", une chose dont ni leurs critiques

ni d’ailleurs non plus la science en général ne semblent capables de se faire

une idée réelle. On se demande pourtant ce que les passages discutés par Sokal

et Bricmont, qui illustrent surtout l’art de transformer, comme dit Musil, un

gallus matthiae en un galimatias, peuvent bien avoir à faire avec la pensée. Ils

ont surtout à voir, dans le meilleur des cas, avec la rhétorique et, dans le

pire, avec le non-sens pur et simple. Il ne s’agit pas non plus, comme on le

dit, d’analogie ou de métaphore (l’autre mot magique), mais bel et bien

d’équivoque et dans la plupart des cas, de confusion caractérisée. Selon

n’importe quelle théorie acceptable de la métaphore, ce qui rend intéressant un

usage métaphorique nouveau d’un mot ancien dépend d’une compréhension au moins

élémentaire de son usage initial. Mais même la lecture la plus charitable ne

permet généralement pas de découvrir, dans les textes concernés, ce genre de

compréhension minimale du sens originaire des termes scientifiques utilisés. La

question cruciale que l’on est obligé de se poser ici est évidemment de savoir

comment l’exigence de précision a pu devenir à ce point, dans l’esprit de la

plupart de nos intellectuels, l’ennemie numéro un de la pensée authentique.

C’est une banalité de dire qu’un souci exagéré de la précision peut constituer

un obstacle à la découverte et à la création intellectuelle. Mais cela

n’autorise aucunement à transformer une condition nécessaire en une condition

suffisante et à croire qu’il suffit de penser de façon vague, approximative et

rhétorique, pour être certain de le faire de façon créatrice et profonde. Il

est, quoi qu’on en dise, tout à fait légitime de se demander si le caractère

décisif des innovations conceptuelles dont se glorifient les penseurs critiqués

par Sokal et Bricmont est aussi réel qu’ils le pensent ; et, pour démontrer

qu’il l’est, il vaudrait mieux, si possible, pouvoir invoquer autre chose que le

fait que cette façon de penser et d’écrire a réussi à susciter des lecteurs, des

disciples et des imitateurs innombrables. Car cela, justement, ne prouve rien

ou, en tout cas, pas grand chose. Le théorème du mathématicien et logicien Kurt

Gödel mérite certainement ici une place à part, parce qu’il pourrait bien être

le résultat mathématique (c’est ce qu’il est avant tout) qui a fait écrire le

plus grand nombre de sottises et d’extravagances philosophiques. Mais on est sûr

de pouvoir compter, en France, sur la compréhension du public, lorsqu’on accuse

de pusillanimité ou d’impuissance intellectuelles ceux qui, précisément parce

qu’ils se sont donnés la peine de comprendre réellement de quoi il s’agit,

s’interdisent délibérément le genre de liberté ou de fantaisie que

l’inconscience et l’ignorance autorisent. Il faut évidemment être un philosophe

aussi pervers que l’était Wittgenstein pour estimer que la tâche de la

philosophie pourrait être, dans les cas de ce genre, non pas d’exploiter des

analogies superficielles et trompeuses, mais plutôt de nous mettre en garde

contre elles. Je ne voudrais pas terminer cet article sans un mot de consolation

et de réconfort pour les ego un peu surdimensionnés de certaines de nos gloires

intellectuelles nationales. Je ne pense pas que leur prestige souffrira beaucoup

des " révélations " apportées par le livre de Sokal et Bricmont. Il est même

tout à fait possible qu’une fois de plus le crime contre la logique et

l’exactitude paie et qu’elles se tirent finalement de cette affaire à leur

avantage, auréolées du prestige du penseur génial victime de l’incompréhension

et de la malveillance de philistins ignorants. Les arguments utilisés par

certains de leurs défenseurs comme Daniel Sibony ont surtout pour effet de

diminuer encore un peu plus mon désir personnel d’être considéré comme un "

penseur " et d’aviser mes regrets, qui ont plutôt tendance à s’accentuer au fil

des années, de n’avoir pas opté pour les mathématiques plutôt que pour la

philosophie. Ou, en tout cas, de n’avoir pas choisi un domaine où il est encore

possible, sans être soupçonné immédiatement de se comporter comme un policier,

de s’adresser à l’intellect et à la raison des gens, plutôt que simplement à

leur affectivité ou leur émotivité et à leur besoin d’aimer et d’être aimé, et

permis d’exiger d’eux qu’ils sachent, autant que possible, de quoi ils parlent

et donnent des justifications et des arguments pour ce qu’ils affirment. Tout

cela devrait évidemment susciter avant tout une forte envie de rire. Mais, comme

le disait déjà Karl Kraus, il y a malheureusement longtemps que le ridicule ne

tue plus. Il est même devenu aujourd’hui, à bien des égards, un élixir de vie.

(1) Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Editions Odile

Jacob, Paris, 1997. Pour un résumé de cette affaire, voir notre enquête pages 8

à 10.

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Jacques Bouveresse Philosophe, professeur au Collège de France, auteur de

Rationalité et cynisme et du Philosophe chez les autophages (Editions de Minuit,

1984). Dernier ouvrage paru : Dire et ne rien dire : l’illogisme,

l’impossibilité et le non-sens (éd. J. Chambon, 1997).

PAR DANIEL SIBONY

Etrange, cet épisode où une brochette d'auteurs français (Lacan, Deleuze,

Guattari, Baudrillard, Kristeva, Irigaray...) se fait prendre en flagrant

"délit" : avoir usé de termes mathématiques sans les comprendre, mystifiant donc

lecteurs et disciples... Certes, la scène ainsi décrite excite trop de fantasmes

pour ne pas faire jeser : on y voit les uns "piquer" des concepts scientifiques

pour combler des trous de leur pensée (qui auraient pu, aussi bien, rester

ouverts) et d'autres - vigiles de la science qui triment dans l'ombre de ces

concepts - crier "au voleur".Si les uns avaient renoncé a jeter cette poudre aux

yeux et si les autres avaient rénoncé à leur faire payer ça, ils auraient tous

été des saints; mais les saints sont rares. En outre, cet aspect un peu sordide

exprime un trait essentiel de nos sociétés où tout se paie: vous vous êtes

pré-valu d'une valeur? Eh bien, il faul payer la taxe à ses gardiens, qui

s'identifient avec payer pour leur frustration, pour leur ennui d'être dans

l'ombre... Sinon, ils se sentiraient volés d'un bout de leur identité.

(L'horreur...) Pourtant, les scientifiques aussi s'autorisent de leur titres de

scientifiques pour divaguer sur des thèmes comme l'homme, l'éthique, la guerre,

le progrés... thèmes où leur science ne les qualifie pas vraiment. Pourquoi des

littéraires ne pourraient pas eux aussi, divaguer sur des mots de la science ou

leurs lettres ne sont pas plus qualifiants? Le public, lui, plutôt gentil, voire

généreux, tolère ces doubles divagations. Il y a preneur. Ingratitude pour le

gourou Alors faut-il "démasquer" l' "imposture"? Des deux côtés? Dénoncer Lacan

ou Baudrillard parce qu'ils disent des "bêtises? au moyen des mathématiques et

dénoncer le patron de labo qui du haut de son poste - et de l'autorité de son

poste- et de l'autorité qu'il en tire - prend position pour le marxisme au

contre l'avortement? Oiseux. Car ceux que ça trompe, ceux qui se servent de ça

pour ce tromper (qui, par exemple, croiraient en Lacan à cause de ses

"mathématiques"), se servent aussi bien d'autre chose pour asseoir leur

croyance... car c'est d'elle qu'ils ont besoin...besoin de croire en leur valeur

de telle doctrine ou tel auteur parce que ça les aide à vivre, à tenir debout;

que sans cela ils ne seraient rien. Et l'auteur aussi a eu besoin de ce petit

"emprunt" "scientifique" pour se soutenir et croire un peu à ce qu'il dit; en

somme, il se fait...bénir par la science, juste ce qu'il faut pour passer un

certain "creu" de sa pensée. Le plus drôle, c'est que les croyants, une fois

passé le cap, une fois depassé le besoin de cette croyance, la rejettent

brutalement, avec une belle ingratitude pour le gourou qui les porta. Mais tant

qu'ils ont besoin d'y croire, si on leur dit: "Attention les "maths" qu'utilise

votre auteur, ils n'y entend rien, c'est de l'esbroufe. Ils s'en moquent. Et

quand ils n'en ont plus besoin, la dénonciation argumentée est déjà inutile.

Ainsi l'usage douteux que ces auteurs faisaient des "maths" n'a trompé que ceux

qui en avaìent besoin. (Tout comme de grands scientifiques ont apporté leur

allégeance à des tyrans, ou à des partis douteux pour satisfaire ce même besoin

de croire.) En outre, certains auteurs n'ont aucun besoin des "maths" pour faire

acte d'autorité; je pense au fameux texte de Baudrillard La guerre du Golfe

n'aura pas lieu: juste après ladite guerre a eu lieu: qu'a cela ne tienne, un

pamphlet (La guerre du Golfe n'a pas eu lieu) l'a aussitôt remise à sa place. Et

du même coup a-t-elle lieu ou pas? On ne sais plus qui croire. Ah! Tant pis..."

Lacan, lui s'est aussi servi de... l'hébreu (qu'il ignoraît totalement) pour

jeter de la poudre aux yeux : avec même de bons effets! Comme de réconcilier

certains avec leur hêritage hebreu, qu'ils ignoraient totalement. C'est dire que

les voies de la transmission sont parfois "divines", impênetrables. Le besoin de

penser Mais allons plus loin. Et si par ces emprunts "frauduleux" ces auteurs

avaient transmis tout autre chose? Par exemple, l'envie de faire parler les

sciences en termes "humaines": après tout, les mathématiques en disent long sur

les objets abstraits, on peut vouloir les titiller, les chatouiller, même sur un

mode incohérent, comme pour en tirer des aveux sur... l'homme, sur

l'inconscient, sur l'acte poétique... Cela donne des des bêtises, certes, mais

cela nourri l'espoir de saisir quelques échos d'un langage archaique,

fragmentaire et bancal, où un réel balbutierait avec ces mots comme un tout

petit avec les siens, quand il joue à parler. Car les phrases de ces auteurs,

qu'on a tournées en ridicule, sont des bribes oniriques qui tentent de

s'infiltrer dans le monde comme rêve ou dans le rêve du monde. Certes, le

lecteur n'est pas prévenu que c'est du rêve, du babillage. Mais faut il toujours

"prevenir"? Ceux qui ont besoin d'un piège le trouvent, se piegent, et se

degagent dès qu'ils peuvent repartir. De sorte que dénoncer ces erreurs (qu'un

bon potache en "math" peut rectifier), c'est jouer la "vérité" mesquine contre

l'imprudence. Entre ces deux pôles, faut-il choisir? Nous n'aimons pas la

mesquinerie, surtout si elle est "vraie"... Car enfin, quand des auteurs,pris

dans un vide de la pensée, se rabattent sur des concepts qu'ils connaissent mal,

ils sont sous le coup d'un tel manque de confiance dans leur pensée qu'on peut

leur pardonner ce geste qu'ils font pour sauver la face. Ou pour en avoir une.

Faut-il la leur faire perdre du fait qu'ils l'ont fait perdre à d'autres? C'est

se poser en Juge ultime. (Et faut-il que ce soit la science ou la technique qui

arbitre dans les problèmes de vérité? Et le champ humain, depuis qu'il se

"scientifise" en forme de "sciences humaines", s'est-il vraiment enrichi de

conquêtes bouleversantes? Questions ouvertes.) Ces auteurs, donc, taxés de

"fraude", auront transmis un autre message, du genre: "Eh oui, cher lecteur ou

disciple, ce avec quoi je vous ai trompé, je me trompais aussi avec. Car vous et

moi on a les mêmes bésoins de fétiche, d'objets glauques ou transcendants qui

conjurent notre peur commune, si commune de l'inconnu. Foutue peur, où nous

manques de savoir deviennent des trous béants ou nous risquons de basculer.

Alors oui, j'ai pris pour amulettes ces concepts "cientifiques", ils m'ont servi

à chasser cette peur"."Mais tu l'as chassée vers moi!" s'écrie le disciple

détrompé; "c'est moi qui me suis mis à avoir peur,peur de ne pas vous

comprendre, peur de mal suivre ou d'être bête..." "Eh bien, maintenant c'est

fini, changez de peur ou de croyance. On a passé le cap. Et ma renommée me

protège..." Ce ne sera pas la première fois que des auteurs transmettent leurs

failles ou leurs "bêtises" comme le meilleur d'eux mêmes, le plus humain. Même

quand ces "métaphores poétiques" n'ont rien produit d'autre qu'un discours qui

tourne en ronde autour d'elles pour ne pas rester sans lien; ou sans travail.

Heureusement, il y a aussi un besoin de penser (aussi profond que celui de

croire) et qui, tout comme la vérité, fait feu de tout bois : il se sert autant

des idoles que du plaisir de les détruire. Daniel Sibony Psychanalyste,

professeur à l'université Paris-VIII. Ouvrages parus en 1997: Le racisme ou la

Haine identitaire (Bourgois); Le jeu et la Passe, Identité et théatre (du

Seuil). À paraître en 1998: Violences. Réeditions en poche: Entre-deux.

L'origine en partage et Le corps et sa dance.

 

Versión Castellana

Extraño este episodio en el que

una brochette de autores franceses (Lacan, Deleuze, Guattari, Braudillard,

Kristeva. Irigaray...) es agarrada en flagrante "delito": haber usado términos

matemáticos sin comprenderlos, mistificando entonces a lectores y discípulos...

Ciertamente, la escena así descripta excita demasiados fantasmas como para no

hacer temblar: uno ve allí a unos "picar" conceptos científicos para rellenar

los agujeros de su pensamiento (que habrían podido, asimismo, permanecer

abiertos) y a otros -vigilantes de la ciencia que penan a la sombra de los

conceptos, gritar "al ladrón". Si unos hubieran renunciado a echar tierra a los

ojos y los otros hubiesen renunciado a hacerles pagar eso, todos habrían sido

santos, pero los santos son raros. Por lo demás, este aspecto un poco sórdido

expresa un rasgo esencial de nuestras sociedades donde todo se paga: uds. se han

pre-valido de un valor? Y bien, es necesario pagar la tasa a sus guardianes, que

se identifican con pagar por su frustración, por lo molesto de estar en las

sombras... Sino ellos se sentirían robados de un pedazo de su identidad (El

horror...) Sin embargo, los científicos también se autorizan de sus títulos de

científicos para divagar sobre temas como el hombre, la ética, la guerra, el

progreso... temas para los que su ciencia no los califica verdaderamente. ¿Por

qué entonces los literatos no podrían ellos a su vez divagar sobre ciertas

palabras de la ciencia o sus letras no son calificantes? El público, más bien

gentil, generoso, tolera esos dos tipos de divagaciones. Hay compradores.

Ingratitud por el gurú Entonces, es necesario "desenmascarar" la "impostura"?

¿De los dos lados? ¿Denunciar a Lacan o a Badrillard porque ellos dicen

"tonteras" en medio de matemáticas y denunciar al jefe del laboratorio que desde

lo alto de su puesto -y desde la autoridad de su puesto- y de la autoridad que

se da por título- toma posición porel marxismo o contra el aborto? Ocioso.

Porque a los que eso engaña, aquellos que se sirven de ello para engañarse

(quienes por ejemplo creyesen en Lacan a causa de sus "matemáticas") se sirven

también de otra cosa para asentar sus creencias... porque es de ella de la que

elos tienen necesidad...necesidad de creer en el valor de tal doctrina o de tal

autor porque eso los ayuda a vivir, a mantenerse derechos, porque sin esto ellos

no serían nada. Y el autor también ha tenido necesidad de ese pequeño "préstamo"

"científico" para sostenerse y creer un poco en lo que dice; en suma, él se hace

bendecir por la ciencia, justo lo que necesita para pasar cierto "creu" de su

pensamiento. Lo más divertido es que los creyentes, una vez pasado cierto

límite, una vez transpasada la necesidad de esta creencia la rechazan

brutalmente, con una bella ingratitud por el gurú que los conduce. Pero mientras

tienen necesidad de creer, si se les dice "Atención con las "matemáticas" que

utiliza vuestro autor", no escuchan nada, es un bluff. Se burlan. Y cuando ya no

tienen necesidad de eso la denuncia argumentada es ya inútil. Así, el uso dudoso

que esos autores hacían de las "matemáticas" no ha engañado más que a aquellos

que tenían necesidad de ello... (Así como los grandes científicos han aportado

su toque a los tiranos, a partidos dudosos para satisfacer esa misma necesidad

de creer). Por lo demás, algunos autores no tienen ninguna necesidad de

"matemáticas" para hacer acto de autoridad; pienso en el famoso texto de

Baudrillard La guerra del Golfo no tendrá lugar: justo después dicha guerra ha

tenido lugar: que eso no tuviese, un panfleto (La guerra del Golfo no ha tenido

lugar) lo ha puesto en su lugar. Y al mismo tiempo: ¿Ha tenido o no lugar? No se

sabe más qué creer. Ah! Tanto peor"...Lacan se ha servido asimismo del...hebreo

(lengua que ignoraba totalmente) para lanzar tierra a los ojos: con los mismos

buenos efectos! Como el de reconciliar a algunos con su herencia hebrea, cosa

que ellos ignoraban totalmente. Es decir que las vías de la transmisión son

algunas veces "divinas", impenetrables. La necesidad de pensar Pero vayamos más

lejos. ¿Y si mediante estos préstamos "fraudulentos" estos autores hubiesen

transmitido muy otra cosa? Por ejemplo, el deseo de hacer hablar a las ciencias

en términos "humanos": después de todo, las matemáticas dicen mucho sobre los

objetos abstractos, uno puede querer hacerlos titilar, acariciarlos, incluso en

un modo incoherente, como para sacar de eso confesiones sobre... el hombre, el

inconsciente, el acto poético...Esto da tonteras, ciertamente, pero esto nutre

la esperanza de aprehender ciertos ecos de un languaje arcaico, fragmentario y

cojeante, donde un real balbuciaría con estas palabras como alguien muy pequeño

con las suyas, cuando juega a hablar. Porque las frases de estos autores, a las

que se ha vuelto ridículas, son restos oníricos que tentaban de infiltrarse en

el mundo como sueño o en el sueño del mundo. Ciertamente el lector no estaba

prevenido que eso era un sueño, palabrería, babish. ¿Pero es necesario siempre

prevenir? Aquellos que tienen necesidad de una trampa siempre la encuentran, se

ven trampeados, y zafan desde que están en condiciones de hacerlo. De manera que

denunciar esos errores (que un buen plato de "matemáticas" puede rectificar), es

jugar la "verdad" mesquina contra la imprudencia. Entre estos dos polos, ¿es

preciso escoger? No amamos la mezquindad, sobre todo si ella es "verdadera"

Porque en fin, cuando los autores, tomados en un vacío del pensamiento, se

apoyan sobre conceptos que conocen mal, caen bajo el golpe de una tal falta de

confianza en su pensamiento que uno les puede perdonar ese gesto que hacen para

salvar la facha. O para tener una. ¿Es necesario hacérselas perder por el hecho

que ellos se la han hecho perder a otros? Es ubicarse en Juez último. (¿Y es

necesario que sea la ciencia o la técnica quien arbitre en los problemas de

verdad?) Y el campo humano, desde que él se "cientifiza" en forma de "ciencias

humanas", ¿se ha enriquecido verdaderamente de conquistas sorprendentes?

Cuestiones abiertas.) Luego, estos autores,tachados de "fraude", habrían

transmitido otro mensaje, del género: "Y bien, caro lector o discípulo, esto con

lo que te he engañado, yo me engañaba también con. Porque tú y yo tenemos las

mismas necesidades de fetiche, de objetos glamorosos o trascendentes que

conjuren nuestro miedo común, tan común de lo desconocido. Desgraciado temor,

donde nuestras faltas de saber devienen agujeros abiertos donde arriesgamos

bascular. Entonces sí, yo he tomado como amuletos esos conceptos "científicos",

ellos me han servido para cazar este miedo". "Pero tú lo has deslizado hacia

mí!" chilla el discípulo desengañado; "soy yo quien se ha llenado de temor,

temor de no comprenderte, temor de seguirte mal o de ser tonto..."Y bien, ahora

se ha terminado, cambia de temor o creencia. Hemos pasado el límite. Y mi

renombre me protege..." No será la primera vez que los autores transmitan sus

fallas o sus "tonteras" como lo mejor de ellos mismos, lo más humano. Incluso

cuando esas "metáforas poéticas" no han producido otra cosa que un discurso que

gira en torno de ellas para no permanecer sin lazo o sin trabajo. Felizmente,

también hay una necesidad de pensar (tan profunda como la de creer) y que, así

como la verdad, hace fuego con cualquier bosque: se sirve tanto de ídolos como

del placer de destruirlos. Daniel Sibony Psicoanalista, profesor de la

Universidad de paris VIII. Obras aparecidas en 1997: El racismo o el odio

identificatorio (Burgués); El juego y El pase; Identidad y teatro (du Seuil). A

aparecer en 1998: Violencias. Reediciones en libros de bolsillo: Entre-dos. El

origen en partage y El cuerpo y su danza.

Traducción: Adrian Ortiz, Buenos

Aires, 18/05/1998.

 

Le Nouvel Observateur. N° 1716, 25 septembre au 1er octobre 1997, page 122.

Une désinformation

Accusée, dans " Impostures intellectuelles ", de " surpasser Lacan pour ce qui

est de la superficialité de l’érudition ", Julia Kristeva dénonce la

francophobie des auteurs.

Suis-je plus sensée ou plus insensée que Lacan ? That is the question. " Moins

vague " mathématiquement parlant, ou, au contraire " plus superficielle " ? Une

poststructuraliste ou tout bêtement une structuraliste excessive ? Ni l’une ni

l’autre, tout cela à la fois, ou rien du tout ? Si je me laissais aller à un

examen sévère, comme il m’arrive d’en pratiquer, même sans l’aide de M. Sokal,

je pencherais plutôt pour la dernière hypothèse, et je vois que les Editions

Odile Jacob ne me donneraient pas tort. J’irais jusqu'à me suicider, lesdites

éditions ne broncheraient même pas, et qui s’en plaindrait ?

Je ne suis pas une vraie matheuse, cela va de soi. Mais quand on me dit que j’ai

fait violence à la littérature, le verdict devient fatal. Ce n’est pas facile de

faire violence à la littérature. Laquelle ne demande que ça. En serais-je

vraiment arrivée à ce point ? Est-ce d’ailleurs un défaut ? Ne serait-ce pas

plutôt une erreur scientifique ? Un manquement à la dignité de penser ? Une

menace pour le nouvel ordre mondial ? Ils finiront par me faire croire que

j’avais du génie, à 25 ans, s’ils continuent à me chipoter sur cette petite

recherche que je me vois encore en train d’écrire dans ma chambre d’étudiante,

tout en me mouchant fiévreusement en pleine grippe, pendant ce premier automne

parisien, humide et opaque : nous sommes en 1966.

Ce sont là les méditations de fond et d’une actualité brûlante que viennent de

m’envoyer en pleine figure, et à travers moi à la France tout entière, les

Editions Odile Jacob, en traduisant dans l’urgence une réfutation américaine de

l’article que j’ai publié il y a plus de trente ans dans le numéro 29 de la

revue " Tel Quel ", au printemps 1967. Quelle audace ! Quelle modernité ! Il

faut espérer qu’il y aura une foule de gens que cet opuscule fera bondir de

plaisir, en ces temps où, et c’est bien connu, il y a trop d’intellectuels, tant

il existe d’imposteurs qui prétendent penser, en France plus qu’ailleurs bien

sûr.

Je n’aurai pas la grossièreté d’insister sur un auteur bruyant qui " réfute " un

travail dont il a cru lire deux articles datant de trois décennies. Je me

bornerai à reprendre brièvement l’argument que j’avais développé alors, en

répondant aux critiques de Jacques Roubaud. Les sciences humaines, et tout

particulièrement l’interprétation des textes littéraires et l’interprétation

analytique, n’obéissent pas seulement à la logique des sciences exactes. Elles

n’ " appliquent " pas toujours ces " modèles ", mais les empruntent, les

exportent et les font travailler comme des traces, qui se modifient dans un

transfert entre sujet et objet, interprète et données.

A l’intérieur de cette économie, l’élément emprunté cesse d’être précisément un

modèle, pour se transformer, se déplacer, s’appauvrir ou s’enrichir. La

réflexion qui en résulte est plus proche de la métaphore poétique que de la

modélisation. Cette modulation de la pensée donne lieu aujourd’hui à des débats

épistémologiques intéressants (cf. les travaux de Carlo Ginzburg, Bernard

Ogilvie, etc.).

Le désir de l’affirmer dans les années 60 a pu conduire à des raccourcis,

manquer de clarté ou de développements, mais il remonte à une tradition féconde.

Spinoza évoquait un " troisième genre de connaissance ", Freud parlait d’un "

travail de la pensée ", Heidegger et Arendt insistaient sur le " dévoilement de

la pensée " contre la " pensée calcul ". D’autres s’opposent à cette démarche :

Spinoza, de son vivant, a été persécuté, on ne voulait pas de Freud en 1996 à la

Library of Congress de Washington, et quant à Heidegger et Arendt, on préfère

souvent les rejeter plutôt que de les lire. L’ouvrage des Editions Odile Jacob

participe de ce genre d’excommunication.

Je m’étonne - mais est-ce que je m’étonne vraiment ? - que des éditeurs et des

journaux français qui se veulent porteurs d’un débat théorique n’aient pas jugé

utile d’informer au préalable leurs lecteurs des discussions et des

développements positifs que ces recherches françaises suscitent à l’étranger. A

part quelque spécialistes, les lecteurs français ont appris qu’il existe un

intérêt soutenu pour la pensée française moderne à l’étranger seulement à

l’occasion de ce livre polémique. Il serait pour le moins équilibré de "

fabriquer " d’autres volumes qui prendraient en compte d’autres lectures des

travaux dénigrés.

Ainsi, les " Cahiers bibliographiques de lettres modernes " viennent de publier

un recueil établi par Hélène Volat qui recense, outre mes ouvrages de 1966 à

1995, 660 études critiques qui leur sont consacrées à travers le mondes, de 1970

à 1995. Les écrits de mes collègues " imposteurs " provoquent aussi de

nombreuses interprétations passionnantes. Je suggère aux éditions friandes de

rigueur scientifique et d’échanges internationaux de s’en inspirer pour un

prochain recueil. Pourquoi en effet faciliter l’accès du public français

uniquement aux articles, plutôt rares, qui pourraient ridiculiser les chercheurs

français et ignorer les autres ?

Il est vrai qu’après une période d’intense francophilie, pendant laquelle les

intellectuels aux Etats-Unis se sont appuyés sur certains courants de la pensée

française moderne aux risques d’outrances politically correct, nous assistons

actuellement à une véritable francophobie. De peur d’être " colonisés ",

quelques-uns se laissent aller à une attitude de rejet. La compétition

économique et diplomatique entre l’Europe et l’Amérique entraîne un nouveau

partage du monde, opposant des intérêts farouches et des replis identitaires. La

virulence anachronique de ce débat pseudo-théorique s’inscrit dans un contexte

chargé. Je connais assez les écrivains, historiens de la littérature,

philosophes et psychanalystes américains pour penser qu’à long terme la guerre

n’aura pas lieu. Il est possible cependant que nous entrions dans une période de

suspicion et de paresse mentale. Le livre des Editions Odile Jacob aura été, de

ce point de vue, un produit intellectuellement et politiquement insignifiant et

pesamment désinformateur.

Julia Kristeva

Auteur notamment de " La Révolution du langage poétique " (Seuil), d’ "

Etrangers à nous-mêmes " (Fayard) et des " Samouraïs " (Fayard).

© Le Nouvel Observateur, 1997.

 

 

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Les réactions face à la parution d'Impostures Intellectuelles Que se passe-t-il?

par Jean Bricmont et Alan Sokal [Publié, sous le titre "Que se passe-t-il?",

dans Libération, 18-19 octobre 1997, p. 5. Cet article est une version

légèrement modifiée d'un article publié en anglais dans le Times Literary

Supplement du 17 octobre.] La presse a donné un large écho à la publication de

notre livre Impostures intellectuelles [1], qui semble avoir provoqué un choc

dans les milieux intellectuels. D'après certains commentateurs, nous avons

montré que le gros de la philosophie française contemporaine est du jargon vide

de sens. D'après d'autres, nous sommes des scientistes pédants qui se contentent

de relever les fautes de syntaxe dans les lettres d'amour.[2] Nous voulons

expliquer ici en quoi ces deux caractérisations de notre livre sont erronées.

Tout a commencé lorsque l'un d'entre nous a publié un canular dans la

prestigieuse revue américaine d'études culturelles, Social Text [3]: cette

parodie était truffée de citations à propos de la physique et des mathématiques,

absurdes mais authentiques, dues à des intellectuels célèbres, français et

américains. Néanmoins, seulement une petite fraction du ``dossier'' découvert

durant les recherches en bibliothèque de Sokal a trouvé place dans la parodie.

Après avoir montré ce dossier à des amis scientifiques et non scientifiques,

nous sommes devenus (peu à peu) convaincus qu'il ne serait pas dénué d'intérêt

de le mettre à la disposition d'un public plus vaste. Dès lors, nous avons

cherché à expliquer, en des termes non techniques, pourquoi ces citations sont

absurdes ou, dans bien des cas, dénuées de sens; et nous voulions aussi discuter

les circonstances culturelles qui ont permis à ces discours de devenir à la mode

et de ne pas être plus ouvertement critiqués, du moins jusqu'à présent. D'où

notre livre, et le débat qu'il suscite. Mais qu'affirmons-nous exactement? Ni

trop, ni trop peu. Nous montrons que des intellectuels célèbres tels que Lacan,

Kristeva, Irigaray, Baudrillard et Deleuze ont, de façon répétée, usé de façon

abusive de terminologie et de concepts scientifiques: soit en utilisant des

idées scientifiques totalement hors de leur contexte, sans donner la moindre

justification empirique ou conceptuelle à cette démarche -- soulignons que nous

ne sommes nullement opposés aux extrapolations de concepts d'un domaine à

l'autre, mais seulement aux extrapolations faites sans donner d'arguments -- ou

en jetant des mots savants à la tête des lecteurs non scientifiques sans égard

pour leur pertinence ou même leur sens. Nous ne disons nullement que cela

invalide le reste de leur oeuvre, sur la validité de laquelle nous sommes

explicitement agnostiques. Soulignons que nous ne critiquons pas le simple usage

de mots tels que ``chaos'' (qui, après tout, se trouve déjà dans la Bible) en

dehors de leur contexte scientifique. Au contraire, nous nous concentrons sur

l'invocation de termes fort techniques tels que théorème de Gödel, ensembles

compacts ou opérateurs commutatifs. De même, nous n'avons rien contre l'usage de

métaphores. Nous faisons simplement remarquer que le rôle d'une métaphore est

généralement d'éclairer un concept peu familier en le reliant à un concept qui

l'est plus -- pas l'inverse. Si, dans un séminaire de physique théorique, nous

essayions d'expliquer un concept très technique en théorie quantique des champs

en le comparant au concept d'aporie dans la théorie littéraire derridienne, nos

auditeurs physiciens se demanderaient avec raison quel est le but de cette

métaphore (qu'elle soit justifiable ou non), si ce n'est tout simplement

d'étaler notre érudition. De la même façon, nous voyons mal l'utilité qu'il peut

y avoir à invoquer, même métaphoriquement, des notions scientifiques qu'on

maîtrise très mal à l'intention d'un public non spécialisé. Pourrait-il s'agir

plutôt de faire passer pour profonde une affirmation philosophique ou

sociologique banale en l'habillant d'une terminologie savante? Une deuxième

cible de notre livre est le relativisme cognitif, à savoir l'idée -- bien plus

répandue d'ailleurs dans le monde anglo-saxon qu'en France -- que la science

moderne n'est qu'un ``mythe'', une ``narration'' ou une ``construction sociale''

parmi d'autres. Soulignons que notre discussion est limitée au relativisme

épistémique ou cognitif; nous n'abordons pas les questions plus difficiles des

relativismes moral et esthétique. A part des abus grossiers (par exemple, chez

Irigaray), nous disséquons une certain nombre de confusions qui ont pignon sur

rue dans les cercles postmodernes ou les départements d'études culturelles: par

exemple, les abus d'idées valides en philosophie des sciences, telles que la

sous-détermination des théories par les données expérimentales ou le fait que

les observations dépendent de la théorie, afin de défendre un relativisme

radical. On nous accuse d'être des scientifiques arrogants, mais notre vision du

rôle des sciences exactes est plutôt modeste. Ne serait-il pas agréable (pour

nous, physiciens et mathématiciens) que le théorème de Gödel ou la théorie de la

relativité aient des applications profondes et immédiates pour l'étude de la

société? Ou que l'axiome du choix puisse être utilisé pour analyser la poésie?

Ou encore, que la topologie ait quelque chose à voir avec l'étude du psychisme?

Les réactions en France ont été diverses. D'aucuns ne prennent pas la peine

d'examiner nos arguments, se contentant de nous accuser d'être francophobes.

Cette forme de défense est vraiment curieuse: même si l'accusation était vraie

(ce qui n'est sûrement pas le cas), en quoi cela affecterait-il la validité ou

l'invalidité de nos arguments? Pour nous, les idées n'ont pas de patrie. Il

n'existe pas de ``pensée française'' ou de pensée d'un pays donné, même s'il

existe bien sûr des modes intellectuelles qui apparaissent à certains endroits

et à certaines époques. En tout cas, les auteurs que nous critiquons ne sont

nullement mandatés pour s'exprimer au nom du peuple français. Et s'il est

compréhensible qu'ils cherchent à faire passer notre livre pour une attaque

globale contre la culture française, il n'y a aucune raison pour que leurs

compatriotes se laissent intimider par de telles manoeuvres. Personne ne doit se

sentir forcé de suivre la ``ligne nationale'' de l'endroit ou il ou elle est

né(e), et personne n'a le droit de définir une telle ``ligne'' pour autrui.

D'ailleurs, pour ce qui est de la ``pensée française'', qu'est-ce que des

philosophes tels que Diderot et Deleuze ont en commun (à part la langue)?

Remarquons également que nous ne critiquons nullement toute la philosophie

française contemporaine. Nous n'abordons que les abus de concepts de physique et

de mathématique. Des penseurs célèbres tels qu'Althusser, Barthes, Derrida et

Foucault sont essentiellement absents de notre livre. Une autre réaction

curieuse se trouve dans la défense de Baudrillard articulée par Pascal Bruckner:

il oppose ``une culture anglo-saxonne basée sur le fait et l'information et une

culture française qui joue plutôt de l'interprétation et du style''.[4] Si cette

remarque avait été faite par un Britannique ou un Américain, nous la

considérerions comme l'expression de préjugés nationalistes et comme une

confusion blessante entre haute culture et haute couture. Vaut-elle mieux si

elle est énoncée par un Français? Il est vrai que notre livre vise à encourager

la pensée claire et argumentée par opposition aux jeux de langage. Mais la

tradition culturelle française ne se résume nullement à ces jeux et les penseurs

français des Lumières alliaient le style à la profondeur et à la clarté. Par

ailleurs, l'engouement d'une partie de l'intelligentsia américaine pour le

``postmodernisme'' montre que le problème est loin d'être limité à la France.

Néanmoins, ces réactions sont loin d'être typiques. Beaucoup de scientifiques

français sont d'accord avec nous, mais également pas mal de français travaillant

en sciences humaines ou en philosophie. Ce n'est que normal: loin de nous

attaquer aux sciences humaines ou à la philosophie en général, le but de notre

livre est d'encourager ceux qui font du travail sérieux dans ces domaines en

critiquant des exemples manifestes de charlatanisme. Faudrait-il considérer une

critique de la ``fusion froide'' comme une attaque contre la physique? Au

contraire, c'est en restant silencieux sur ces abus manifestes -- alors que nous

critiquons des erreurs bien moins graves dans notre propre domaine[5] -- que

nous montrerions un mépris implicite pour les sciences humaines (``pourquoi s'en

faire, ce sont quand même tous des idiots''). L'unique but de notre livre est

d'ouvrir les yeux. Bertrand Russell explique que, ayant été influencé par la

tradition philosophique hégélienne, il s'en est détaché, entre autres, grâce à

la lecture des passages consacrés au calcul infinitésimal dans la Science de la

Logique, qu'il considérait, à juste titre, comme ``un non-sens brouillon''.[6]

Lorsqu'on se trouve confronté à des textes, tels que ceux de Hegel ou de Lacan,

dont le sens n'est, pour le moins, pas évident, il n'est pas sans intérêt

d'évaluer ce que disent ces auteurs lorsqu'ils abordent des domaines (comme les

mathématiques) où les concepts ont un sens précis et les énoncés sont

rigoureusement vérifiables. Et si, après analyse, on constate que leur discours,

là où il est aisément vérifiable, n'est qu'un ``non-sens brouillon'', on est en

droit de se poser des questions sur le reste de leur oeuvre, qui est peut-être

profond mais surtout moins facile à évaluer. Cela ne prouve pas, et nous ne

voulons nullement le suggérer, que toute leur oeuvre soit un ``non-sens

brouillon''. Mais ça fait réfléchir. Les croyances qui sont acceptées sur la

base d'un dogme (religieux ou non) ou d'une mode sont particulièrement

vulnérables lorsqu'on met en question même une partie infime de celles-ci.

Contrastons cela avec l'oeuvre de Newton: on estime que 90% de ses écrits sont

du mysticisme ou de l'alchimie. Et alors? Le reste est basé sur des

considérations empiriques et rationnelles solides et survit pour cette raison.

Une remarque similaire peut être faite pour Descartes: sa physique est en grande

partie fausse, mais certaines des questions philosophiques qu'il a soulevées

restent intéressantes. Si l'on peut soutenir la même chose pour les auteurs

cités dans notre livre, alors nos critiques ont une importance marginale. Si,

par contre, ces auteurs sont devenus des stars internationales pour diverses

raisons sociologiques, et en partie parce qu'ils sont des maîtres du langage et

peuvent impressionner leurs auditoires grâce à une terminologie savante --

scientifique et non scientifique -- alors notre livre n'est pas sans intérêt.

Jean Bricmont est professeur de physique théorique à l'université de Louvain.

Alan Sokal est professeur de physique à l'université de New York.

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Réponse à Vincent Fleury et Yun Sun Limet

Nous avons écrit Impostures

intellectuelles dans l'espoir de provoquer un débat sur son contenu.

Malheureusement, certains commentateurs n'ont pas pris la peine d'examiner nos

arguments et se contentent d'attaquer nos prétendues motivations (francophobie,

haine des sciences humaines, etc.) et de nous attribuer, pour les critiquer, des

idées qui ne sont nullement les nôtres et que nous avons même explicitement

désavouées dans le livre. Tout cela était sans doute à prévoir. Mais l'article

de M. Fleury et de Mme. Limet (Libération du 6 octobre) atteint un niveau inouï

de malhonnêteté. Sous couvert de citer notre livre, ils citent en réalité un

brouillon préliminaire et confidentiel que nous avons remis à M. Fleury il y a

presque un an, et à sa demande, en tant qu'éditeur chez Hachette. Il a

évidemment le droit de refuser notre livre, mais pas celui de citer des extraits

d'un manuscrit confidentiel, extraits qui n'apparaissent pas dans notre livre,

tout en faisant comme s'il s'agissait de citations du livre. Par exemple, la

phrase ironique à propos du financement public du livre de M. Virilio n'apparaît

pas dans notre livre, précisément parce que nous voulons éviter de provoquer des

débats inutiles sur le financement de la recherche. Pire, Fleury et Limet

déforment grossièrement notre critique des textes de Virilio. Nous ne critiquons

pas de simples métaphores, mais l'usage de concepts très techniques en physique,

comme, par exemple, l'expression ``une représentation est définie par un

ensemble complet d'observables qui commutent'', à laquelle Virilio ajoute un

commentaire complètement arbitraire. Même chose avec l'équation ``logistique''

ou le théorème de Gödel. Fleury et Limet nous reprochent une attaque injuste

contre Derrida. Mais une telle attaque est inexistante. Nous nous limitons aux

auteurs qui ont abusé de façon significative de concepts scientifiques et nous

écrivons dans l'introduction: ``Bien que la citation de Derrida reprise dans la

parodie de Sokal soit assez amusante, elle semble être isolée dans son oeuvre;

nous n'avons donc pas inclus de chapitre sur Derrida dans ce livre.''

Finalement, le mot ``subculture'' que l'un d'entre nous a utilisé en anglais

devrait se traduire par ``microculture'' et non par ``sous-culture''. En effet,

le terme anglais désigne un groupe culturel donné et n'a aucune connotation

méprisante. Contrairement aux accusations de Fleury et Limet, notre but n'est

pas d'attaquer les sciences humaines en général, et un grand nombre de

chercheurs dans ces domaines approuvent notre démarche et ne reconnaissent

nullement aux auteurs que nous critiquons le droit de s'autoproclamer uniques

représentants de ces disciplines. Manifestement, Fleury et Limet n'ont pas pris

la peine d'ouvrir notre livre, ne serait-ce que pour vérifier l'exactitude de

leurs citations. Ce procédé est vraiment curieux, surtout de la part de gens qui

nous considèrent comme des escrocs.

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Notes [1]...Intellectuelles Paris: Éditions Odile Jacob, 1997. [2]...d'amour.

Robert Maggiori, ``Fumée sans feu'', Libération, 30 septembre 1997, p. 29.

[3]...Text Alan D. Sokal, ``Transgressing the Boundaries: Toward a

Transformative Hermeneutics of Quantum Gravity'', Social Text #46/47

(spring/summer 1996), pp. 217-252. [4]...style''. Pascal Bruckner, ``Le risque

de penser'', Le Nouvel Observateur, 25 septembre 1997, p. 121. [5]...domaine

Voir, par exemple, la critique que l'un d'entre nous a faite de l'oeuvre de

Prigogine et Stengers: Jean Bricmont, ``Science of chaos or chaos in science?'',

Physicalia Magazine 17, no. 3-4 (1995). Disponible en-ligne en format Postscript

comprimé. [6]...brouillon'' Bertrand Russell, ``My Mental Development'', dans

The Philosophy of Bertrand Russell, édité par Paul Arthur Schilpp (New York:

Tudor, 1951), p. 11.

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