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Le parti ouvrier allemand

 

Un jour, je reçus de mes supérieurs l'ordre de voir ce que c'était qu'une association d'apparence politique qui, sous le nom de « parti ouvrier allemand », devait prochainement tenir une réunion et dans laquelle Gottfried Feder devait parler. On me prescrivait d'y aller, de me rendre compte de ce qu'était l'association et ensuite de faire un rapport.

La curiosité dont à ce moment faisait preuve l'armée à l'égard des partis politiques, était plus que compréhensible. La révolution avait donné au soldat le droit d'exercer l'activité politique, droit dont il avait fait le plus large usage, surtout quand il était inexpérimenté. C'est seulement su moment où le Centre et la Social-démocratie durent reconnaître, à leur grand regret, que les sympathies du soldat s'écartaient des partis révolutionnaires pour se tourner vers le mouvement national et le relèvement national, que l'on trouva l'occasion d'enlever à la troupe le droit de vote et de lui interdire toute activité politique.

Que ce soient le Centre et le marxisme qui aient eu recours à cette manœuvre, c'était évident, car si l'on n'avait pas procédé à cette amputation de ces « droits du citoyen », comme on appelait après la révolution l'égalité des droits du soldat au point de vue politique, le gouvernement de novembre n'aurait plus existé quelques années plus tard et n'aurait pu perpétuer le déshonneur et la honte nationale. La troupe était alors sur la meilleure voie pour débarrasser la nation de ceux qui suçaient son sang et étaient les valets de l'Entente à l'intérieur du pays. Mais le fait que les partis appelés « nationaux » votaient aussi avec enthousiasme avec les criminels de novembre, et ainsi

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aidèrent à rendre inoffensif un instrument de relèvement national, montrait où peuvent conduire les conceptions toujours uniquement doctrinaires de ces innocents entre les innocents. Cette bourgeoisie, réellement atteinte de sénilité intellectuelle, était très sérieusement convaincue que l'armée redeviendrait ce qu'elle avait été, c'est-à-dire un rempart de la bravoure allemande, tandis que le centre et le marxisme avaient seulement pour objet de leur arracher la dangereuse dent venimeuse du nationalisme, sans laquelle une armée peut bien rester une force de police, mais n'est plus une troupe susceptible de combattre devant l'ennemi ; chose qui s'est bien suffisamment démontrée dans la suite.

Ou bien nos « hommes politiques nationaux » croyaient-ils que le développement de notre armée pouvait être autre que national ? Ce n'est pas impossible ; cela provient de ce que, au lieu d'avoïr été soldats pendant la guerre, c'étaient des bavards, des parlementaires, qui n'avaient aucune idée de ce qui peut se passer dans le cœur d'hommes auquel le passé le plus grandiose rappelle qu'ils ont été les premiers soldats du monde.

Aussi décidai-je d'aller à la réunion de ce parti encore complètement inconnu.

Lorsque, le soir, j'arrivai dans la Leiberzimmer de l'ancienne brasserie Sternecker, à Munich, j'y trouvai environ vingt à vingt-cinq assistants, appartenant pour la plus grande partie aux milieux inférieurs de la population.

La conférence de Feder m'était déjà connue depuis l'époque des cours, de sorte que je pouvais mieux me consacrer à l'observation de l'association.

L'impression qu'elle me fit ne fut ni bonne ni mauvaise ; une société nouvelle, comme il y en avait tant. C'était alors justement l'époque où chacun se sentait appelé à édifier un nouveau parti, n'étant pas satisfait de l'évolution jusqu'alors réalisée et n'ayant plus aucune confiance dans les partis existants. Ainsi jaillissaient partout du sol ces associations, pour disparaître quelque temps après sans tambours ni trompettes. La plupart des fondateurs n'avaient pas la moindre idée de ce qu'il fallait faire pour créer, avec une association, un parti ou même un mouvement. Ainsi périrent presque toujours de leur belle mort ces associations, dans un esprit ridicule de petite boutique.

Je ne prévoyais pas autre chose après avoir assisté,

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pendant deux heures, à la réunion du « parti ouvrier allemand ». Quand Feder eut enfin terminé, je fus content. J'en avais assez vu et voulais déjà partir, quand je tus engagé à rester encore par l'annonce de la libre contradiction. Mais ici encore tout paraissait suivre son cours sans aucun intérêt, quand tout d'un coup la parole fut donnée à un « professeur », qui commença par mettre en doute la justesse des principes de Feder, puis ensuite - après une très bonne riposte de Feder - se mit soudainement sur le « terrain des faits », non sans toutefois recommander au jeune parti, avec la plus grande insistance, comme un point particulièrement important du programme, la lutte pour la « séparation » de la Bavière d'avec la « Prusse ». L'homme soutenait, avec une insistance impudente, que dans ce cas principalement l'Autriche allemande se joindrait tout de suite à la Bavière et qu'alors la paix serait bien meilleure, et bien d'autres extravagances semblables. Alors je ne pus m'empêcher de demander également la parole et de dire au savant monsieur mon opinion à ce sujet. Finalement, l'orateur abandonna le local comme un caniche aspergé d'eau, avant que j'aie fini de parler. Pendant que je parlais, on m'avait écouté avec étonnement et lorsque je me préparai à souhaiter le bonsoir à l'assemblée et à m'éloigner, un homme s'empressa à mes côtés, se présenta (je n'ai pas compris exactement son nom) et me glissa dans la main un petit cahier, apparemment une brochure politique, avec prière instante de le lire.

Cela me fut très agréable, car je pouvais espérer connaître d'une façon plus simple l'ennuyeuse association, sans être obligé d'assister à de si fades réunions. Du reste, cet homme à l'apparence d'ouvrier me fit une bonne impression. Là-dessus je partis.

Je demeurais à ce moment dans la caserne du 2e régiment d'infanterie, dans une petite chambre qui portait encore des traces très apparentes de la révolution. Durant la journée, j'étais dehors, le plus souvent au 41e régiment de chasseurs, ou encore dans des réunions, à des conférences dans d'autres corps de troupe, etc. Je ne passais que la nuit dans ma demeure. Comme j'avais coutume de me réveiller tous les matins avant cinq heures, je pris l'habitude de m'amuser à mettre par terre de petits morceaux de pain dur ou de viande pour les souris qui prenaient leurs ébats dans la petite

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chambre et de regarder comment ces amusants petits animaux se poursuivaient à la ronde en se disputant ces friandises. J'avais dans mon existence déjà souffert de tant de privations que je ne pouvais que trop bien me représenter la faim et aussi la satisfaction des petits animaux.

Le lendemain de cette réunion, j'étais également vers cinq heures couché dans ma mansarde et je regardais la course et les arrêts brusques des souris. Comme je ne pouvais plus me rendormir, je me souvins tout à coup de la soirée de la veille, et du cahier que l'ouvrier m'avait donné. Je commençai à le lire. C'était une petite brochure dans laquelle l'auteur, un ouvrier, exposait comment il était revenu à des opinions nationales après être sorti du gâchis de la phraséologie marxiste et syndicaliste ; de là le titre « Mon réveil politique ». Ayant commencé, je lus avec intérêt ce petit écrit jusqu'au bout ; car, en lui, se reflétait le changement que j'avais éprouvé moi-même d'une façon analogue douze ans plus tôt. Involontairement, je vis revivre devant moi ma propre évolution. Je réfléchis encore plusieurs fois dans la journée à ces faits et pensai ensuite laisser définitivement de côté cette rencontre, quand quelques semaines plus tard, je reçus, à mon grand étonnement, une carte postale dans laquelle il était dit que j'étais admis dans le parti ouvrier allemand : on m'invitait à m'expliquer là-dessus et à cet effet à venir assister à une séance de la commission du parti.

J'étais plus qu'étonné de cette façon de « gagner ~ des adhérents et ne savais pas s'il fallait me fâcher ou en rire. Je n'avais nullement l'intention de me joindre à un parti existant, mais je voulais en fonder un dont je fusse le chef. Une pareille invitation ne devait donc pas être prise en considération.

J'allais déjà envoyer ma réponse par écrit à ces messieurs, lorsque la curiosité reprit le dessus, et je me décidai à comparaître au jour fixé, pour exposer oralement mes principes.

Le mercredi arriva. L'hôtel où devait avoir lieu la séance en question, était le « Vieux Rosenbad » dans la Hornstrasse ; un très modeste local, où il ne semblait point que l'on s'aventurât en dehors des occasions les plus solennelles. Ce n'était pas étonnant en 1919, car la carte des mets était très modeste, même dans les grands hôtels, et pouvait difficilement attirer un client. Je ne connaissais pas même cette maison de nom.

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Je passai à travers le salon mal éclairé, dans lequel il n'y avait personne, je cherchai la porte donnant dans la chambre voisine et me trouvai en présence des membres du bureau. A la lueur douteuse d'une lampe à gaz à moitié démolie, étaient assis quatre jeunes gens, parmi lesquels l'auteur de la petite brochure, qui aussitôt me salua avec la plus grande joie et me souhaita la bienvenue comme à un nouveau membre du parti ouvrier allemand.

J'étais quelque peu décontenancé. Alors on me pria de bien vouloir rengainer mon exposé, car le « président du Reich » allait encore venir. Enfin il parut. C'était celui qui avait présidé dans la brasserie Sternecker la conférence de Feder.

J'avais, en attendant, été repris par la curiosité et attendais avec impatience ce qui allait se passer. Pour le moment j'apprenais les noms de chacun de ces messieurs. Le président de « l'organisation de Reich » était un M. Harrer, celui de l'organisation de Munich était Anton Drexler.

On lut le procès-verbal de la dernière séance. Puis vint le tour du rapport du trésorier - l'association possédait une somme totale de sept marks cinquante pfennigs à la suite de quoi le trésorier reçut un témoignage général de confiance. Ceci fut inscrit au procès-verbal. Alors le président lut les réponses à une lettre de Kiel, une de Dusseldorf et une de Berlin ; tout le monde fut d'accord là-dessus. Puis on donna communication du courrier : une lettre de Berlin, une de Dusseldorf et une de Kiel, dont l'arrivée parut être reçue avec une grande satisfaction. On déclara que ce croissant échange de lettres était le meilleur et le plus visible signe de l'importance de l'extension du « parti ouvrier allemand », et alors... alors eut lieu une longue consultation sur les nouvelles réponses à faire.

Effrayant, effrayant. C'était une cuisine de club de la pire sorte. Fallait-il donc que j'entre là-dedans ?

Enfin l'ordre du jour en arriva aux nouvelles admissions, c'est-à-dire que l'on commença à délibérer sur mon cas.

Je commençai à interroger ; mais, en dehors de quelques vagues directives, il n'y avait rien, aucun programme, aucune brochure, absolument rien d'imprimé, pas de cartes d'adhérents, pas même un malheureux cachet, mais uniquement une visible bonne foi et de la bonne volonté.

De nouveau, je n'eus plus envie de rire, car tout ceci

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était-il autre chose que le signe caractéristique de la plus complète perplexité et de l'entière désespérance en ce qui concerne les partis jusqu'alors existants, leurs programmes, leurs intentions et leur activité ? Ce qui poussait ces jeunes gens à une action à première vue si ridicule, c'était seulement l'appel de leur voix intérieure, qui, plutôt instinctivement que consciemment, leur faisait comprendre que la totalité des partis existants n'était pas apte à relever la nation allemande ni à réparer ses dommages intérieurs. Je lus rapidement les directives du parti, qui étaient dactylographiées, et j'y trouvai l'expression de la bonne volonté et de l'impuissance. Il y avait beaucoup de confusion et d'obscurités, bien des choses manquaient, et surtout l'esprit de lutte.

Ce que ces hommes ressentaient, je le savais bien : c'était le désir d'un mouvement nouveau qui fut plus qu'un parti au sens que l'on a donné jusqu'ici à ce mot.

Lorsque, le soir, je revins à la caserne, j'avais mon opinion au sujet de cette association.

Je me trouvais devant le problème le plus difficile de mon existence : fallait-il entrer ou refuser ?

La raison ne pouvait conseiller que le refus, mais le sentiment ne me laissait point de repos, et plus j'essayais de me représenter la déraison de tout ce club, plus mon sentiment prenait parti pour lui.

Durant les jours suivants, mon esprit ne connut plus le repos.

Je pesais le pour et le contre. J'étais déjà depuis longtemps décidé à avoir une activité politique ; que ce ne fût possible pour moi que dans un mouvement nouveau, je le voyais tout aussi clairement, seulement l'impulsion m'avait jusqu'ici toujours manqué à cet effet. Je n'appartiens pas à la catégorie des gens qui aujourd'hui commencent quelque chose, pour l'abandonner demain et, si possible, passer encore à autre chose. C'est pourquoi j'avais tant de peine à me décider à une nouvelle fondation de ce genre, laquelle devait ou bien prendre la plus grande importance ou bien, dans le cas contraire, disparaître ainsi qu'il était logique. Je savais que ce serait pour moi une décision définitive, dans laquelle il n'y aurait plus jamais un pas « en arrière ». Pour moi, ce n'était point alors un jeu passager, mais une affaire très sérieuse. Déjà, à ce moment, j'avais toujours éprouvé

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une antipathie instinctive pour les gens qui commencent tout sans rien mener à bonne fin. Ces évaporés que l'on voit partout m'étaient odieux. Je considérais l'action de ces gens comme pire que l'inaction complète.

La destinée elle-même semblait maintenant me faire signe du doigt. Je ne serais jamais allé à un des grands partis existants ; j'exposerai encore plus en détail mes raisons pour cela. Cette ridicule petite création avec ses quelques membres me parut présenter l'unique avantage de ne pas s'être encore pétrifiée à l'état d'une « organisation », mais de laisser à un individu isolé la possibilité d'une activité personnelle effective. Ici l'on pouvait encore travailler, et plus le mouvement était petit, plus on pouvait lui donner la forme convenable. Ici on pouvait encore déterminer le sujet, le but et la voie; ce qui, dans les grands partis existants, aurait été impraticable.

Plus longtemps je réfléchissais là-dessus, plus croissait en moi la conviction que c'était précisément dans un pareil petit mouvement que l'on pourrait un jour préparer le relèvement de la nation, mais jamais plus dans un de ceux qui sont beaucoup trop attachés sux idées anciennes ou encore à l'intérêt du nouveau régime des partis politiques parlementaires complices. Car ce qui devait ici être proclamé, c'était une nouvelle conception du monde, non un mot d'ordre électoral.

Mais, dans tous les cas, c'était une détermination infiniment difficile à prendre, que de vouloir transporter cette intention dans la réalité.

Et quelles étaient les qualités que je pouvais apporter pour entreprendre cette tâche ?

Que je fusse sans fortune et pauvre, me paraissait le plus facile à supporter, mais ce qui était plus embarrassant, c'est que j'appartenais bien aux gens obscurs, que j'étais un isolé parmi des millions de citoyens, un être que le hasard peut laisser vivre ou faire disparaître sans que personne ne daigne s'en apercevoir. Venait encore s'ajouter la difficulté résultant de l'insuffisance de mon instruction scolaire.

Ceux qu'on est convenu d'appeler les « intellectuels g regardent d'ailleurs toujours avec une condescendance véritablement infinie et de haut en bas ceux qui n'ont pas fait d'études régulières et qui ne se sont pas fait inoculer la

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science nécessaire. On ne pose jamais la question : que peut l'homme, mais « qu'a-t-il appris » ? Ces gens « instruits » apprécient plus le plus grand imbécile, quand il est entouré d'un nombre suffisant de certificats, que le plus brillant jeune homme, auquel manquent ces précieux parchemins. Je pouvais donc facilement imaginer quel accueil me ferait ce monde « instruit », et en cela je me suis trompé seulement dans la mesure où je croyais encore à ce moment les hommes meilleurs qu'ils ne le sont pour la plupart dans la prosaïque réalité. Quels qu'ils soient, les exceptions n'en ressortent toujours que d'une façon plus éclatante. Quant à moi j'appris par là à distinguer entre les perpétuels écoliers et les gens véritablement capables.

Après deux jours de pénibles rêveries et réflexions, je finis par arriver à la conviction qu'il fallait franchir le pas. Ce fut la résolution décisive de ma vie.

Il ne pouvait ni ne devait plus y avoir de pas en arrière. Aussi me fis-je inscrire membre du parti ouvrier allemand et reçus le titre provisoire de membre, avec le numéro 7. 

 

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