Aujourd'hui en ce beau jour de septembre, j'ai
ressenti le besoin d'écrire. Pourquoi pas un journal --
même si le mot m'agace -- parce que je n'ai jamais eu
rien de bon à écrire ou, tout simplement, parce que
j'éprouve de la difficulté à le faire. J'aimerais
toutefois vous faire part de mes expériences, qu'elles
soient bonnes et mauvaises.
Mes
souvenirs les plus éloignés remontent à l'âge de deux ou
trois ans, lorsque j'étais chez l'une de mes tantes
(Suzanne). Les souvenirs qu'il me reste de cette époque
sont trop flous pour vous parler ma tante Suzanne et de
ses manières. Pourtant j'ai des "flashs" qui, soit dit
en passant, sont très clairs. Ils le sont et personne ne
pourrait me faire croire le contraire.
Par
exemple, ma tante Suzanne avait une petite maison
décorative avec deux portes. Dans l'une on y trouvait
une femme avec un panier de grain; dans l'autre un homme
vêtu de noir avec un parapluie à la main et un
baromètre, quelle découverte! Ma tante me dit alors que
si je sortais le petit monsieur, la pluie tomberait.
Inutile de vous dire que pour un instant, je croyais
bien posséder le secret de dame Nature.
Un
autre flash de cette même époque : tante Suzanne
habitait dans un bloc appartements et de la fenêtre, on
pouvait apercevoir une enseigne Dominion. Je me
promenais dans le couloir de cet appartement. Attenante
à la balayeuse Electrolux rouge, il y avait une lingerie
avec un trou dans le plancher, un genre de chute à linge
ou à ordures. Je me tenais loin du trou. Même lorsque la
petite porte était fermée, j'en avais une peur bleue.
Je
crois bien que j'aimais me faire garder par tante
Suzanne, j'étais heureux. N'est-ce pas la chose la plus
importante pour un enfant? On m'a souvent dit qu'un
enfant ne pouvait pas se souvenir des événements aussi
lointains mais je suis certain de bien me souvenir de
ces flashs. Je ne pourrais pas vous dire si ma tante
avait des cheveux blonds ou noirs, même pas combien de
temps elle m'a gardé, malgré le fait que cette période
ait été plutôt courte. Par contre, je pourrais vous
dessiner son appartement, de par ma mémoire.
Cette
tante est décédée le 20 mars 1984 ou 1985. Je devais
avoir à peu près dix-neuf ans. Je regrette de ne pas
avoir pu lui dire combien je l'aimais. Ensuite, il y a
aussi eu ma tante Claudette et mon oncle Yvon à
Rouyn-Noranda. Quelle belle expérience! Mon cousin qui
devait avoir au moins une vingtaine d'années m'amenait
en canot. Derrière la maison il y avait une petite
rivière sur laquelle j'adorais me promener. Un jour, mon
cousin a attrapé un lézard et il m'a demandé d'aller
chercher du sel. Ma tante ne semblait pas convaincue du
bien-fondé de ces expériences. Mon oncle, lui,
travaillait à la glacière et se levait très tôt. Il m'a
déjà amené avec lui dans son camion. Je me souviens
d'ailleurs de ces gros cubes de glace qu'il tenait dans
le bran de scie. Je me souviens aussi du train qui
passait presque tous les jours.
Une
autre chose qui m'a frappé à Rouyn, c'était les mines.
Nous avions une véranda à l'avant de la maison et chaque
fois que la dynamite détonait, toutes les vitres de la
maison tremblaient.
Une
petite anecdote me revient toujours lorsque je parle de
Rouyn.
Mon
oncle possédait deux lapins blancs. Un jour j'ai voulu
les caresser et les nourrir. Mon oncle était alors dans
la maison et j'ai ouvert la cage. Les lapins sont sortis
un à un. Quelle bonne façon de faire de l’exercice ! Mon
oncle a dû perdre une dizaine de livres, affichant un
petit sourire qui en disait long.
Je
me souviens également de ma friandise préférée du temps,
un genre de Smarties sauf qu'il est de forme
cylindrique. Son goût ressemblait à la réglisse noire.
Mes autres souvenirs
sont plutôt vagues, du moins en ce qui concerne leur
ordre chronologique.
Eh
oui ! J'ai beaucoup voyagé étant très jeune. Comme
beaucoup de voyageurs, il y a des endroits que l'on
préférerait oublier. Cela n'a pas toujours été agréable
de changer de milieu aussi souvent. Pourquoi donc ? On
m'a pourtant dit que j'étais un enfant sage et facile à
garder.
Saint-Léonard
(nord-est de Montréal), j'habitais avec ma mère et ma
sœur dans un haut de duplex sur la rue Dallet. J'étais
heureux lorsque ma mère était à la maison. Elle faisait
des pâtisseries. Mes préférées, c’était les choux à la
crème, elle les confectionnait avec soin, en forme de
cygne. Je jouais souvent dans la cuisine, je m'amusais
avec les portes de chambre, je me balançais en me tenant
sur les poignées. Un jour on m'a offert un avion
fonctionnant à piles : un Boeing 747. Les moteurs
s'illuminaient et l'avion en question avançait tout
seul.
Photo; La Maison sur la rue Dalet on peu voir la
fenêtre de ma chambre sur le côté au deuxième étage
Un
jour je suis allé à la rencontre de ma soeur qui était
soit à l'école ou au dépanneur. En fait, je la
cherchais. Eh bien ! Je me suis retrouvé sur le
boulevard en tricycle, c'est la police qui m'a ramené à
la maison. Demandez à un enfant quelle est la différence
entre une auto patrouille et une voiture banalisée de
police. Pour moi il devait en exister une très grosse.
Lorsque les agents m'ont transféré dans cette voiture,
je leur ai piqué une de ces crises terribles. La voiture
était brune et très grosse. Les policiers étaient gros
eux aussi et ne portaient pas l'uniforme. J'avais peur
de ces gros hommes.
Un
jour ma soeur voulut tenter une expérience. Ma mère
avait un chandelier; une madone qui portait un enfant
dans ses bras et la chandelle était dans son dos. Ma
sœur, voulant savoir comment le chandelier éclairait, a
allumé la chandelle et a déposé le tout sous son lit.
Fait étrange, je ne me souviens pas de la suite de cette
histoire mais elle m'a été racontée. Supposément que le
feu, ayant pris naissance sous le lit, aurait envahi
toute la chambre. Les pompiers seraient même venus à la
maison! C'est à n'y rien comprendre. Comment aurais-je
pu manquer le camion de pompiers, le son des sirènes si
strident
Nous
avions un très grand logement et ma mère était très
souvent absente de la maison. Elle devait travailler
beaucoup. En dernier, elle nous faisait garder par la
femme du premier étage, une Italienne. J'avais beaucoup
de difficulté à dormir et le soir on discutait ma soeur
et moi. On allait voler des biscuits dans un tiroir
simplement pour grignoter. Mes souvenirs sont vagues,
mais j'ai la forte impression qu'aujourd'hui je ne
confierais pas ma fille à cette dame.
Un
soir d'été je suis sorti, j'ai emprunté l'escalier
extérieur pour aller voir ma mère. Derrière la fenêtre
de la porte qui était entrouverte j'ai crié : “Maman je
veux entrer!” Elle est venue à la porte et m'a dit : “Va
te coucher, qu'est-ce que tu fais là, toi?” Je lui ai
dit : “Je voulais te souhaiter bonne nuit Maman”. Elle
m'a donné un de ces bonbons au "butter scotch" et je
suis retourné me coucher.
Encore
une anecdote, plutôt bizarre celle-là. Un autre soir je
jouais sur le trottoir avec mon camion Tonka. Un voisin
arrosait son jardin, il faisait presque noir et je
devais être très fatigué. Je me suis réveillé au petit
jour, toujours là, sur le trottoir, lorsqu'un des
enfants du voisinage sortait pour aller faire du vélo.
L'air surpris, il m'a demandé ce que je faisais là. À
moitié endormi, je lui ai répondu que je jouais... Quel
service de gardiennage ! À cette époque je devais avoir
environ trois ans. Ma mère me manquait déjà beaucoup.
Il
est à noter que toutes ces bribes de souvenirs de
jeunesse se passent avant l'âge de cinq ans, je ne peux
être plus précis. Le lecteur comprendra
Nous
avons aussi habité Repentigny, sur le bord de l'eau. Je
dois l'avouer, je n'ai pas été très sage car je n'aimais
pas cet endroit. On avait le droit de RIEN faire ! “Fais
pas ci, fais pas ça”. Non mais... En plus des tracas
qu'un enfant de mon âge pouvait avoir, sont venus
s'ajouter la rougeole et les vaccins, plusieurs petites
de l'enfance et, pour combler le tout, une peur bleue
des orages.
Il
y avait aussi beaucoup de va-et-vient, de changements.
On aurait dit un chantier de construction. Ils ont
installé une piscine, enlevé cette même piscine, arraché
la clôture. C'est idiot. Cette clôture faisait tout le
charme de la maison. Enfin, tous les goûts sont dans la
nature.
Un
soir nous avons dormi sous une bâche de camion. Je ne
m'en plains pas. De là vient sûrement mon amour du plein
air. Je ne comprends toutefois pas pourquoi je ne suis
pas devenu un grand athlète olympique. Mon sport préféré
du temps consistait à lancer tous les jouets dans la
rivière. Ils ont même dû ériger une clôture de huit
pieds en mon honneur. Il faut croire que ce n'était pas
encore assez... p'tit cris ! Je ne sais pas pourquoi je
lançais tout par-dessus bord. J'aurais pu lancer des
cailloux, mais un bonhomme comme Jéronimo, avouez que
c'était plus réaliste, non ?
Je
ne peux pas dire que j'ai détesté l'endroit, mais je
vivais dans un monde de grands. J'étais certainement le
plus jeune de la maisonnée. Je me souviens aussi du
laitier qui passait en camion avec ses bouteilles de
vitre qu'on ne voit d'ailleurs plus de nos jours.
Ah,
une autre anecdote comique ! Les gens de la maison
avaient un petit chien. N'allez surtout pas croire que
je lui faisais du mal. Disons que le chien devait avoir
hâte qu'on me nourrisse car j'avais développé un goût
particulier pour les "Milk Bone" (une marque de biscuits
pour chiens).
Ma
soeur était là de temps en temps. Elle demeurait chez
une de mes tantes (Renée). Ma tante Renée habitait un
maison un peu plus loin. Si j'avais su... Mes cousins
avaient des jouets pour une armée : Jéronimo, GI-Joe, et
cetera. La maison de ma tante était immense et je devais
sûrement envier ma soeur. Mon tour est venu. Quand elle
me gardait (ma tante Renée), j'avais beaucoup de
plaisir. On faisait la chasse aux papillons dans les
champs voisins. Elle avait deux tortues dans la cave.
Bien que leur gueule était plutôt à surveiller, j'aimais
bien ces deux tortues. Plusieurs années plus tard, ma
tante m'a raconté que mes cousins et moi avions rempli
de grenouilles nos tiroirs et le seau à couches. Je
pense que je peux la croire.
Sincèrement,
mes oncles et tantes m'aimaient bien. Jusqu'ici tout va
bien. Je pense à ma tante Hélène qui, elle, assumait ses
responsabilités malgré son divorce, son travail, et
l'éducation de son garçon. Chapeau ma tante Hélène !
Elle le mérite bien.
Il
y a tellement d'endroit où ma mère m'a fait garder. Il y
a eu cet endroit, à Montréal je crois, un appartement
situé au premier étage, tout près d'une traverse de
chemin de fer. Cet appartement était fait sur le long
avec un plafond de douze pieds. L'environnement était
sombre et l'atmosphère morbide. Je vivais encore chez
des Italiens et je ne me sentais pas en sécurité du
tout. Vous savez, beaucoup de changements se sont
produits. C'est la raison pour laquelle j'ai de la
difficulté avec cette époque tumultueuse de ma jeune
vie.
Pour
vous donner une petite idée, je me revois dans un
berceau à l'intérieur d'une pièce bien éclairée et --
autre souvenir -- dans un parc de bébé, dans salon
lugubre, rempli de mobilier. Ces deux souvenirs, bien
que flous, n'ont pourtant aucun rapport entre eux. En
fait, je suis convaincu qu'il s'agissait bel et bien de
deux endroits distincts, à part bien sûr de tous ceux
mentionnés plus haut. Revenons à ma mère. Inutile de
vous dire que j'attendais ce moment. Ma mère habitait
sur la rue Egan à Verdun,
Période
1969,1970
Au
deuxième étage d'une maison située près d'un parc. À
cette époque ma soeur demeurait avec moi, oui, en même
temps tous les deux. C'était plutôt rare. Je devais
avoir trois ans et demi ou quatre ans. C'est à partir de
cet âge que mes souvenirs deviennent vraiment précis. Ce
ne sont plus de simples flashs. Ouf ! Par où commencer ?
Disons qu'à partir d'ici, le gardiennage est terminé.
Quand ma mère allait travailler, c'était simple : “Mon
beau Paco, tu restes dans la voiture. Tu n'ouvres à
personne, baisse-toi pour que personne ne te voie et si
quelqu'un te demande qu'est-ce que tu fais là, tu dis
que ta maman revient dans deux minutes”. Voilà la
solution. Les journées étaient longues, très pénibles,
mais ça n'a pas duré. Ma soeur avait quatre ans de plus
que moi. Elle aurait pu me garder mais elle allait à
l'école. Alors ma mère a trouvé une autre solution. Elle
m'enfermait, seul dans ma chambre, avec un gros bol de
macédoine, une cuillère et une chaudière pour chier.
Ah
oui, question de sauver les apparences, comme tous les
enfants nous passions l'Halloween et à Noël nous
recevions des cadeaux. Normal quoi ! Dites-moi, que
valent tous ces artifices sans la présence de sa mère,
sans l'amour de sa mère ? Il y a pire que ça dans le
monde !
Un
soir nous étions en voiture. Ma mère nous a fait
descendre dans un coin morbide de la ville, tout près
des deux silos de la compagnie Sucre Saint-Laurent. Si
je ne m'abuse c'était l'été, il faisait noir pas froid.
Ma mère nous a demandé de l'attendre. Il s'est écoulé
beaucoup de temps et nous avons commencé à jouer dans
les escaliers d'un bloc appartements sur le coin de la
rue. Il devait être très tard parce qu'une femme
inconnue est venue parler à ma soeur et peu de temps
après nous étions chez l'inconnue et ma mère est revenue
nous chercher.
Aujourd'hui
à 29 ans, je ne sais toujours pas ce qui s'est
réellement passé ce soir-là. Par contre, je me souviens
d'avoir éprouvé un puissant sentiment d'abandon. Ma mère
nous abandonnait-elle ? Est-ce vraiment ce qui se
passait ? Ma mère aurait-elle changé d'idée une fois
revenue à la maison ? Est-ce que ma soeur avait notre
numéro de téléphone ? Est-ce que la femme inconnue, par
notre seul nom, aurait retrouvé ma mère ? Tellement de
questions demeurent sans réponses. Peut-être est-ce
mieux ainsi. Mais je vous jure, cette soirée reste
gravée à jamais dans ma mémoire.
Ensuite
est arrivé cet homme dans la vie de ma mère : Bénito
Catalini. Quand ma mère partait pour aller le voir, nous
nous amusions ferme. Oui, nous avons fait des gaffes :
des petites et des moyennes. Dans la chambre de ma mère
il y avait une Sainte Vierge en plâtre sur le meuble du
moulin à coudre. Je cognais sur le meuble puis la statue
faisait le son d'une assiette qu'on laisserait tourner
avant qu'elle s'arrête. C'est un peu difficile à
expliquer. Quoi qu'il en soit, la Sainte Vierge a fini
par tomber et se briser toute en morceaux. Oui j'ai
mangé une volée. Je peux comprendre que ma mère se soit
fâchée mais franchement, il existe d'autres façons de
punir un enfant de quatre ans... des coups de ceinture
sur les fesses. Je ne les ai pas comptés mais je suis
certain d'en avoir reçu une bonne dizaine. Elle me
mettait à genoux sur des croûtes de pain sec émietté,
assis sur le comptoir les deux pieds dans le lavabo
rempli de glace. Elle me donnait des coups de bâton sous
les pieds ou sur les mains, des gifles, des "crisse" de
bonnes claques dans le visage.
Ma
mère me répétait souvent : “Si tu me dis la vérité tu
vas avoir seulement une claque. Si tu me dis des
mensonges tu vas avoir une volée”. Un soir ma soeur
dormait -- dans la chambre de ma mère comme toujours --
et moi dans la mienne avec ma petite soeur Sophie.
Sophie était ma nouvelle petite soeur, elle avait à peu
près un an. Ma mère est arrivée du travail et je
dormais. Je me suis fait réveiller par ma soeur qui
criait. Ma mère lui a donné une volée. Ensuite elle est
venue me voir : “Mon p'tit cris lève-toé. C'est toé qui
a mangé le gâteau ?” Ma soeur avait dit que c'était pas
elle puis j'ai pensé que si je disais oui, j'aurais
seulement une claque. Je vous le jure, elle a sorti deux
gâteaux du réfrigérateur, un blanc et un brun. Elle les
a déposés sur la table et m'a demandé : “Quel gâteau
t'as mangé ?” Il ne faut pas être trop fou non ! Comme
les deux gâteaux étaient intacts, j'ai choisi au hasard.
“Lequel? Je me souviens pas”. De toute façon, ce n'était
pas le bon, bien entendu. J'ai donc eu droit à des coups
de bâton sous les pieds. Ça faisait tellement mal. Je me
souviens avoir dit à ma mère que j'avais très envie.
J'ai eu droit à une pause mais elle a continué après le
minuscule pipi que j'avais poussé de peine et de misère.
Un
jour j'étais dans le parc. À l'époque il y avait des
gardiens dans les parcs. Je me promenais le long de la
clôture et je me suis trouvé face à face avec une
poubelle. J'ai vu belle grosse boîte de pizza avec, bien
sûr, un restant de pizza. Il y avait aussi une brosse à
cheveux juste à côté. J'ai enlevé la brosse à cheveux et
j'ai mangé la pizza. Un jeune qui m'avait vu faire est
allé le dire au gardien. Sûrement pour se moquer de moi,
le gardien a envoyé le jeune chercher un sac de chips au
dépanneur. C'était pour moi. Il m'a causé un peu et m'a
offert de la liqueur aussi. Ma soeur est arrivée et m'a
dit d'aller à la maison. Je ne sais même pas si j'ai
remercié le gardien du parc. Merci quand même Monsieur !
Il
me vient encore en mémoire une de ces journées où ma
mère m'avait laissé tout seul embarré dans ma chambre
avec mon gros bol de macédoine. La journée avait été
particulièrement longue et à mon réveil il y avait des
vomissures partout dans mon lit. À ma grande surprise ce
n'était pas ma mère qui était là. Il me semble que
c'était Marthe et Paul-Émile, mon parrain et ma
marraine. Ils m'ont amené en voiture, mais je ne me
souviens plus où exactement. Ai-je d'autres souvenirs ?
Bien sûr. Comme j'avais peur de l'eau, pour me punir ma
mère me tenait la tête sous le robinet du bain. Pourquoi
tant de sadisme de sa part ? Au fil des jours qui
passaient, elle a dû y prendre un malin plaisir.
Un soir, ma mère a voulu que je dorme dans
le hangar. Cette nuit-là il faisait un froid de canard.
Parmi les boîtes empilées et les affaires de bébé
pêle-mêle, j'ai vu le petit piqué de ma petite soeur
Sophie et je me suis couché dessus. Ma mère a sûrement
eu des remords puisqu'elle a envoyé ma soeur me chercher
un peu plus tard. J'ai dormi seulement une fois dans le
hangar. Des fois, ma mère me faisait coucher dans le
bain. Bof ! À première vue ça ne paraît pas trop pire.
Je vous suggère donc de tenter l'expérience. Gardez
seulement vos sous-vêtements et allongez-vous dans le
bain. Restez-y toute la nuit, vous m'en donnerez des
nouvelles. Au bout d'une heure à peine, je sentais le
froid et l'humidité me traverser les os. Elle avait pris
soin de m'attacher un pied avec une corde à danser nouée
à la poignée de porte, comme un chien ! Non, le chien,
on lui aurait mis une couverture dans le fond du bain.
Croyez-moi, cette fichue corde devait sûrement être
facile à dénouer, mais je n'aurais jamais osé, de peur
qu'elle s'en aperçoive.
Il est vrai que nous étions toujours à la
recherche de quelque chose à manger. Par exemple, le
fait de prendre un seul bonbon dans une pleine boîte ou
même une toute petite seule gorgée de liqueur dans une
bouteille comble, elle n'y verrait rien. Du moins c'est
ce que je croyais. Eh bien oui, ma mère comptait tout,
voyait tout, savait tout. C'était une mégère, une vraie
sorcière. On n'avait pas le droit de manger nous autres.
Que
de souvenirs ! C'était le temps des Fêtes. Ma mère avait
acheté des boules de Noël en chocolat. Je ne les ai
jamais touchés, promis. Ma mère les comptait presqu'à
chaque fois qu'elle revenait du travail. Ma soeur, par
contre, en a ouvert une, en a mangé un petit morceau et
a refermé le papier en prenant bien soin dans choisir
une pas trop voyante. La mère s'en est aperçue
immédiatement.
Ma
mère laissait toujours à ma soeur une liste de ménage
devant être fait avant son retour. Nous étions jeunes et
nous nous amusions une bonne partie de la journée. Ma
soeur faisait le ménage et lorsqu'arrivait quasiment
l'heure du retour de ma mère, elle me disait : «Paco, va
voir dans la fenêtre sans te faire remarquer puis quand
maman arrive, tu me le dis”. Pas trop compliqué ! Ma
mère avait une Renault 16 rouge vin.
Un
jour une grosse voiture noire s'est garée devant la
maison. L'air de rien, je regardais au loin pour voir si
la voiture de ma mère n'arrivait pas. J'entendis un cri
: «Allô Paco !” Je regarde qui est dans la voiture, le
temps que je réalise que c'était mon oncle Paul-Émile,
j'aperçois la tête à ma mère penchée du côté chauffeur
pour regarder en haut. Pris de panique, je me suis
penché aussitôt sans même répondre à mon oncle. Pauvre
Paul-Émile, s'il savait... Je l'aimais bien mais la peur
qui m'habitait était plus grande que mon amour pour lui.
Quand
ma mère est entrée, elle a dit : «Qu'est ce que tu
faisais dans le châssis ?” Je lui réponds : «Rien
maman.” Elle me répond : «Prend-moi pas pour une folle
mon p'tit crisse”. J'ai avoué pour ne pas manger de
volée. Il faut dire que c'est ma soeur qui l'a eue cette
fois-là avec le traditionnel sermon : «Ma p'tite crisse
de déplaisante, t'aime ça hein? Continue à montrer le
bon exemple, continue à l'entraîner dans tes
hypocrisies”.
À cette époque
j’allais à l’école Chanoine Joseph Théorêt pas très loin
0.8 Km
Je me souviens qu’en chemin je voulais des
friandises dans un dépanneur sur le chemin de l’école
j’ai même déjà failli être pris cela aura été la
dernière fois
Sur le
chemin de mon école que l’on voie à gauche sur cette
photo
Après
réflexion, je pense que ma mère ne voulait tout
simplement pas que les gens nous voient et constatent
que nous étions laissés à nous-mêmes, les jours où elle
travaillait.
Pourtant, lorsque
qu'elle était de bonne humeur et bien reposée, ma mère
était une femme merveilleuse, très joviale et pleine de
vie. Je me souviens entre autres d'un épisode où on
marchait sur le trottoir. C'était l'hiver, ma mère me
tenait par la main et nous courions dans la neige. Je
sais, pour certains d'entre vous cela peut paraître
assez banal, mais je me suis accroché à de rares moments
de bonheur comme celui-ci, question d'oublier l'amertume
du reste.
Au
risque de sembler idiot, autant j'avais peur de ma mère
autant je crois que je l'aimais -- je ne vous demande
pas de comprendre, mais seulement de me croire. Il y a
tellement de choses qui échappent à ma propre
compréhension. Par exemple, comment notre propriétaire
pouvait-il ne pas entendre tous ces hurlements ? Se
doutait-il de quelque chose ? Avait-il peur de ma mère
ou peur de perdre un si bon locataire ? Serait-ce grâce
à lui que nous nous sommes retrouvés à l'orphelinat de
la rue Bélanger à Montréal ?
Une
foule d'autres questions me viennent à l'esprit. Mes
tantes et mes oncles, eux qui m'aimaient tant,
étaient-ils au courant de tout ? Qu'ont-ils fait ?
Peut-être voulaient-ils éviter les chicanes familiales ?
À la rigueur, cela aurait pu être compréhensible. De
toute façon, j'ai la ferme impression que toutes ces
questions resteront à jamais sans réponses encore
longtemps.
1971,
1972, 1973
J'aimerais
toutefois remercier tous ceux qui, de près ou de loin,
ont contribué à faire en sorte que nous ayons été
confiés à l'orphelinat Saint-Joseph. Il est TOTALEMENT
FAUX de prétendre que ma mère nous a placés de son plein
gré. Parlons-en. Ma mère n'a jamais déboursé un sou pour
nous. À l'orphelinat, elle n'est jamais venue me
visiter, ni à Noël, ni à Pâques, ni même pour ma fête.
Le jour de ma première communion, elle n'était toujours
pas là. Pourquoi ? Ma mère se vantait et disait à son
entourage que nous étions au collège privé. "Fuck You!"
Croyez-vous un seul instant que si j'avais fréquenté un
collège privé, j'aurais constamment besoin d'une aide
grammaticale, écrite ou humaine, pour corriger mes
fautes de français ?
Nous
avons été transféré à l'orphelinat Saint-Joseph suite à
une plainte adressée au DPJ pour mauvais traitements.
Qui a déposé la plainte? Je ne sais toujours pas.
J'aimerais bien que cette personne se manifeste.
Devinez quoi, eh
bien oui, peu de temps avait passé et ma mère me
manquait déjà. Vous ne comprenez pas? Moi non plus je ne
comprends pas. Me serais-je fait une image différente de
ma mère ou est-ce seulement le fait de voir les autres
enfants partir dans leur famille pour Noël qui faisait
que ma mère me manquait? Les autres parents apportaient
des cadeaux à leurs enfants. Je me souviens entre autres
d'un long congé de Pâques où trois enfants étaient
restés dans l'orphelinat, dont moi-même. Lors de ce
congé, on comptait plus d'employés que de résidants.
Aujourd'hui j'y
pense et avec le recul, je me demande qui a été vraiment
puni?
Après
tout, à l'orphelinat ce n'était pas si moche qu'on
aurait pu le croire. Une fois par mois, il y avait des
films de Walt Disney. On nous organisait des sorties à
toutes les fins de semaine : parc
Saint-Alphonse-Desjardins, piscine municipale. On nous
amenait aussi au Jardin botanique. Je me souviens
d'ailleurs du grand trou creusé à l'époque de la
construction du Stade olympique. Ce trou était plutôt
impressionnant, et aux dires de certains, sûrement pas
aussi gros que celui qu'il a laissé dans le budget de la
Ville de Montréal... Enfin! Disons qu'on nous gardait
toujours bien occupés.
Lorsque
venait le temps des Fêtes, les administrateurs de
l'orphelinat m'envoyaient dans des familles d'accueil.
J'étais accueilli par des gens ordinaires, dans des
familles solides et pleines d'amour. Plus le temps
passait, moins je m'ennuyais de ma mère. Je ne peux
parler de l'orphelinat et passer sous silence Soeur
Assunta, Soeur Dominique et les autres. Quoique très
sévères au tout début, elles ont été très gentilles à
mon égard.
La
seule chose que je regrette c'est l'école, un gros zéro.
J'avais beaucoup de difficulté à m'adapter. Déjà en
troisième année, je séchais des cours. J'étais tellement
timide, tellement gêné. Ça n'allait pas améliorer mon
sort. Il faut dire qu'à l'époque, les enfants qui
venaient de l'orphelinat étaient perçus comme étant très
différents des autres enfants. Jamais personne ne s'est
moqué de moi, mais je me savais différent donc observé
et cela me dérangeait.
"1974, 1975, 1976,
1977"
Un
jour ma mère est venue me chercher à l'orphelinat. Elle
demeurait sur la rue John Campbell à LaSalle. Wow! En
guise de premier souper, du bon spaghetti blanc à l'ail.
On m'a dit que si je ne mangeais pas, je n'aurais rien
d'autre. Je n'ai pas la réputation d'être difficile --
vous comprendrez -- mais là je n'aimais vraiment pas le
spaghetti à l'ail. Nous étions dans la cuisine du bas,
mon père (Bénito Catalini) m'a fait traverser dans la
salle de jeux afin de réfléchir. Ma mère est venue me
trouver et m'a dit que si je ne mangeais pas mon
assiette je retournerais à l'orphelinat. J'ai tout
simplement dit à ma mère : «JE VEUX retourner à
l'orphelinat». Je ne me sentais pas chez moi. De toute
façon, je ne me suis jamais senti chez moi.
Ma
soeur Chantal -- ou Michelle, comme vous voudrez --
habitait déjà depuis quelque temps avec ma mère. Ma mère
n'avait pas à me faire un dessin pour que je comprenne
qu'elle ne supportait pas ma soeur. Elle lui infligeait
raclée par-dessus raclée. Je me veux pas en savoir les
raisons. Ma mère vous dirait que ma soeur était
hautement déplaisante, croche, et tout. Pourquoi pas
putain tant qu'à y être?
Je
vous demande de reculer de cinq, dix, quinze ou même
vingt ans en arrière. En regardant vos enfants
aujourd'hui, dites-moi s'il y a choses qui vous
reviennent, dans le genre : «Ah oui, cette fois-là
j'aurais pu l'étriper» ou bien «Cette journée-là il m'a
cherché». Je suis convaincu que les souvenirs que vous
en avez gardé font parfois partie de vos discussions.
Comme tout bon parent qui se respecte, vous devez
sûrement en rire aujourd'hui.
Voyez-vous,
je suis moi-même père d'une jolie petite fille de trois
ans et demi. En l'espace de trois ans, cette petite nous
en a fait voir de toutes les couleurs et ça ne fait que
commencer. D'autres surprises viendront certainement. Je
ne vais tout de même pas dénigrer ma fille pour autant,
je l'aime trop pour ça. Certaines personnes disent : «Je
lui aurais arraché un bras et je l'aurais battu en
plus». Ne vous en faites surtout pas. Si aujourd'hui ces
paroles sortent de la bouche de ma mère, c'est qu'elle
l'a sûrement essayé avec ses enfants. Mentionnons que
les deux derniers ont été épargnés. Ce sont les enfants
de Bénito, le dernier des trois pères de famille.
Un jour, ma mère
était en colère parce qu'elle ne trouvait plus la corde
à danser. Elle s'est empressée de dire à mes deux soeurs
: «La première qui trouve la corde aura pas de volée».
Ma petite soeur l'avait bien cachée, mais elle lui a
quand même rapportée. Furieuse, ma mère lui a alors dit
: «Ma p'tite crisse, tu pensais t'en sauver, pour ça tu
vas en avoir deux fois plus. C'est toé qui l'as cachée,
envoye en bas!» J'ai immédiatement pris la parole :
«Maman, t'es pas juste, tu avais dit... Elle m'a coupé
la parole : «Tu veux-tu l'avoir à sa place? Non? Bien
ferme-la!» Plutôt dissuasif...
Le jour de mes dix
ans, imaginez-vous donc que ma mère m'a finalement fêté.
Wow! D'ailleurs c'est avec grande fierté qu'elle exhibe
des photos en disant : «Regardez, c'était sa fête, j'ai
même engagé des musiciens. Il avait vraiment tout cet
enfant-là». Merci maman, j'ai bien apprécié. Maintenant
peux-tu seulement montrer une carte d'anniversaire pour
les 28 autres années?
Revenons à nos
moutons. Après l'école, je travaillais les soirs de
semaine dans une chaîne d'alimentation appelée "Aux
vraies Aubaines", sur le boulevard Newman à LaSalle. J'y
travaillais aussi le samedi toute la journée. Ce travail
était le parfait exutoire pour fuir les problèmes, du
moins pour quelques heures. Un jour, ma mère s'est mise
à décider du montant que je devais lui rapporter à la
maison. Tout ce que je gagnais allait directement dans
sa sacoche, presque tout je dirais. Je me payais parfois
de petites gâteries comme du chocolat, du McDonald. Un
soir j'ai même voulu me payer une bonne bouffe. Je suis
allé au Ponderosa, un genre de Steak House au coin des
boulevards Newman et Shevchenko. Le problème c'est que
Bénito Catalini (mon père) m'attendait à la sortie du
restaurant. Est-ce nécessaire de vous raconter la suite?
Un bon soir j'avais
gagné très peu d'argent. Alors, plutôt que de rentrer à
la maison pour recevoir la raclée habituelle, j'ai pris
l'autobus pour une autre destination. Je me souvenais
d'une femme du nom de Candide qui m'avait déjà gardé du
temps de l'orphelinat. J'ai retrouvé mon chemin de peine
et de misère. La dame en question habitait Longueuil.
Lorsque je suis arrivé chez Candide, elle était absente
mais sa mère était là. Elle m'a fait entrer et voulut
appeler mes parents. Je lui ai alors fourni un faux
numéro qui, par chance, sonnait toujours engagé. Lorsque
Candide est revenue le lendemain, elle savait comment
rejoindre ma mère qui est venue me chercher.
Je sais très bien
que si j’avais parlé de mes problèmes à Candide, elle
aurait pu faire quelque chose, mais à l'époque j'avais
peur qu'on ne me prenne pas au sérieux et que ma mère
l'apprenne. Imaginez ce qui serait arrivé. J'avais
EXTRÊMEMENT peur de ma mère.
Une fois ma soeur se
faisait battre dans la cuisine du bas. Elle en est
ressortie à toute vitesse, seulement ses sous-vêtements
sur le dos. Ma mère est sortie derrière elle et a crié :
«Si tu reviens pas tout de suite j'appelle la police.»
Elle m'a dit : «Elle est partie la p'tite crisse». En
rajoutant son patois habituel : «Attends! attends! Elle
va en manger toute une, elle a pas fini avec moé la
p'tite crisse!« Ma soeur n'est jamais revenue à la
maison.
Je me suis enfui
plusieurs fois de la maison, mais en vain. On me
ramenait toujours ma mère avec ses beaux yeux puis sa
belle façon : «Hein mon beau petit Paco, viens à la
maison, on va en rediscuter. Je ne comprends pas
pourquoi tu fais ça. Pourtant, tu ne manques de rien à
la maison. Hein, c'est vrai? Dis-le.» Et moi de dire :
«Oui maman». On me réexpédiait chez ma mère qui elle,
affichait un air tellement innocent. On aurait dit un
ange, l'image de la bonne maman qui s'est tellement
ennuyé de son petit Paco. Je la comprends de s'être
ennuyée; elle n'avait plus personne pour faire son
ménage.
Il y a ménage et
ménage. Les mots «frotter», «nettoyer» et «laver» ne
faisaient pas partie de son vocabulaire. Elle utilisait
plutôt les mots «astiquer» «désinfecter», «stériliser».
Elle voulait nous tenir occupés, je vous jure. N'oubliez
pas, je n'avais que dix ans.
Chez ma mère tout
était en double : deux cuisines, deux salons, deux
chambres à coucher, deux salles de bains. À tous les
jours il fallait épousseter, passer l'aspirateur dans le
salon, faire les lits, passer la vadrouille partout sur
les deux étages, faire la vaisselle et surtout, préparer
le souper avant que Bénito arrive.
Ça vous semble
banal? Attendez. Vous avez sûrement déjà lavé un évier
de cuisine. Eh bien, j'ai le culot de vous annoncer que
votre évier n'est pas propre, je le vois d'ici. Un évier
doit être astiqué. Chez ma mère, il fallait passer la
brosse à dent autour des robinets et en dessous des
poignées, autour du lavabo. Le même traitement doit
s'appliquer sur votre poêle parce qu'il y a des traces
de doigts. Cherchez une empreinte sur votre poêle, il y
en a au moins une. Avez-vous bien épousseté partout ?
Vous êtes maintenant prêt pour l'inspection. Passer
votre doigt sur le dessus des portes et sur le dessus
des cadres. Le lavage du linge et le repassage. Vous
repassez vos chemises et vos pantalons ? Moi aussi.
Êtes-vous allé jusqu'à repasser vos linges à vaisselle ?
Connaissez-vous le tissu Permanent Press? Si vous avez
repassez ce genre de tissu vous êtes probablement aussi
idiots que moi. Des draps de lit infroissables ! Oui
Madame, les plis doivent être parfaitement centrés. Je
n'oserais tout de même pas vous montrer comment plier
des serviettes. De grâce, je n'ai pas terminé. Vous
savez, un lustre, vous en avez peut-être un chez vous.
Je parle de ces lustres munis d'environ une cinquantaine
de petites gouttes en vitre. Vous connaissez ? Essayez
d'enlever toutes les gouttes de vitre. Faites attention!
Lavez-les une à une. Nettoyez aussi le chrome doré --
plutôt facile -- ajoutez-y la pression mentale de vous
dire que si vous brisez quelque chose, vous allez manger
une fichue de volée. Ça marche presque à tous les coups.
Si la pression est assez forte, vous finirez par en
échapper une sur le plancher. Si vous avez du tapis dans
le passage, vous avez de la chance mais lorsque le
passage est fait de marbre, alors là... Voyez-vous, ce
n'est pas tant le ménage qui me dérange, mais plutôt la
manière de le faire.
Ce qui suit n'est
malheureusement pas exagéré. La cuisine du bas, on
l'appelait la salle de torture. Au tout début, ma mère
me faisait mettre à genoux, simplement. Mon beau-père a
raffiné cette technique de punition en plaçant des
croûtes de pain sec ou des crayons de bois sous chacun
de mes genoux. Par la suite il y a eu le bâton sous les
pieds, les coups de bâton, les coups de ceinture dans
les mains. Quand le cuir de la ceinture ne faisait plus
son affaire, ma mère tournait la ceinture en question
pour me frapper avec la boucle de métal. Je n'étais pas
au bout de mes expériences d'enfant battu. Il y a aussi
eu la corde à danser qu'elle utilisait plus directement.
Elle pouvait tout aussi bien prendre n'importe quel
objet à portée de sa main, une louche de métal avec
laquelle elle me frappait la tête. Plus simple, elle me
pinçait la peau du coup avec ses ongles. À l'époque, il
y avait la mode des souliers "Patof", avec des semelles
de bois de quatre pouces. Ma mère me donnait des coups
de pied sur les tendons avec ces souliers-là. Des fois,
elle se contentait d'une, deux claques dans la figure,
des fois plus. Quand elle me frappait, il y avait une
règle à suivre : NE PAS PLEURER. Qu'importe l'objet avec
lequel elle frappait, elle disait : «Si tu cries ou si
tu pleures, ça va être pire». Par exemple avec la
ceinture : «Si tu enlèves ta main tu vas en avoir plus.»
Si ça ne durait pas
trop longtemps, c'était possible de ne pas enlever la
main, surtout si elle était du bon côté. Avec la corde à
danser, c'était impossible. Plus on pleurait, plus elle
devenait enragée et plus elle frappait fort, toujours en
criant : «Ta gueule, ta gueule! Tu veux que les voisins
t’entendent ? Ferme ta gueule !»
Il y avait aussi
toutes les insultes du genre : «T'es bien comme ton
père, un vaut rien». Je ne vous les nommerai pas toutes,
mais entre autres celle-là, ma meilleure. Je vous jure
c'était :
«OSTIE D'ENFANTS DE
CHIENNE !»
Elle ne croyait pas
si bien dire. Je me demande si elle pensait ce qu'elle
disait. D'après vous ?
On m'avait donné la
permission d'aller à la piscine au parc Lefebvre et ma
mère m'a prêté une superbe et grande serviette. Dans ce
temps-là les jeunes avaient tous de très grandes
serviettes pour aller à la piscine. Elle me dit :
«Perds-la pas mon p'tit cris, sinon tu vas l'avoir...»
Je me disais : «Bonne chose, t'aurais pas une
débarbouillette à la place?» Non, je n'aurais jamais osé
dire ça. Devinez. Eh oui, en plus d'avoir une folle
comme mère, la chance n'était pas de mon côté. J'ai bel
et bien perdu la serviette. J'ai mis du temps avant
d'entrer à la maison, cette peur omniprésente. J'ai eu
l'idée d'attendre que ma mère parte pour travailler. Je
me disais que si je rentrais tout de suite Catalini
capoterait. Je dois le dire, cette fois j'ai été idiot.
Je suis entré par un moustiquaire et je me suis couché
immédiatement en pensant que personne ne remarquerait
que j'étais en retard, que personne ne m'aurait vu
entrer. Il est évident que le lendemain ma mère
réclamait sa fameuse serviette. J'ai dit : «Je ne sais
pas ou elle est.» Hum... mon beau-père lui a répondu :
Laisse faire, cette fois ci c'est moi qui s'en charge.
Il a enlevé sa ceinture, m'a dit de baisser mes
pantalons et mon cul en a mangé tout une. Ma mère par
derrière -- comme si mon père ne frappait pas assez fort
-- disait : «Vas-y, plus fort! Il va apprendre à faire
attention le p'tit crisse». Mes fesses sont passées du
bleu au mauve et au vert et durant longtemps. Avez-vous
déjà essayé de chier à angle de 45 degrés?
( Suite )
Aujourd'hui c'est le
3 novembre 1998 et j'ai 33 ans. Ma fille a grandi; elle
est en deuxième année. J'en suis tellement fier.
J'éprouve de la difficulté à être un bon père -- non, je
ne la bats pas -- Il me semble que je ne passe pas assez
de temps en sa compagnie. Ma fille est pourtant toute ma
vie, sans compter ma charmante. Je vous reparlerai de ma
femme un peu plus loin.
Cette
deuxième partie à été réalisée suite à la demande de
certains lecteurs désireux de connaître la suite. Il est
tout à fait normal de finir ce qu'on a commencé. En
passant, j'aimerais remercier tous ceux qui m'ont
témoigné de l'intérêt. Eh bien voici pour vous la suite
de «L'hostie d'enfant de chienne».
Je disais que je me
suis souvent sauvé de la maison. Je me suis finalement
fait prendre à voler. Oh ! Oui j'ai volé, mais plus
souvent qu'autrement c'était pour manger ou pour me
déplacer, sans plus.
Je vivais dans le
vent et le plus clair de mon temps, je le passais dans
les parcs. J’allais parfois au Jean Coutu sur le
boulevard Shevchenko à Ville LaSalle, je volais du
chocolat. Lorsque j'étais en fuite je me déplaçais à
vélo. Le chocolat occupait donc une grosse place dans de
mon alimentation. À ma première fugue, je suis allé chez
Candide -- la femme dont j'ai parlé dans la première
partie. J'ai fait une autre fugue avec ma soeur mais
cette fois-là, dans un froid terrible. Ce n’était pas du
tout confortable. On a dormi dans des parcs et sous les
tunnels de ciment. Des tunnels, il y en avait dans
presque tous les parcs. Ils les avaient disposés de
façon à s'imaginer le passage d'un train. Cette fugue-là
a été la pire des fugues.
Bien sûr il a fallu
quêter de l'argent pour manger. Hey! Comment refuser un
dix cents ou un vingt-cinq cents à un jeune qui a perdu
son billet d'autobus pour rentrer à la maison? Certains
en donnaient plus, du genre : «Tiens, tu prendras une
liqueur avec le reste». Je veux vous remercier, tous ces
gens, qui que vous soyez. Une dame de race noire nous a
bien aidés -- avis à ceux qui ont des préjugés racistes
-- Elle nous a logés et nourris pour une journée et
demie. C'est là que j'ai appris qu'on pouvait à la fois
mettre du beurre et du beurre d'arachide sur une toast.
Je vous jure, j'ai
trouvé ces gens plutôt bizarres mais surtout très
gentils. La femme qui nous aidait nous a dit : «Allez à
deux coins de rue d'ici, il y a un endroit pour les
enfants en difficulté» C'était un genre d'orphelinat. De
l'extérieur, on aurait dit une prison car il y avait des
grillages tout le tour des fenêtres. Je me disais tout
bas : «Pas très rassurantes tes idées, la soeur».
Nous sommes
retournés chez la dame noire en question. Étant donné
que la police nous faisait vraiment peur, elle nous a
dit d'aller voir les pompiers. Sur place, un des
pompiers m'a demandé mon nom. J'ai répondu Patrick. Il
voulait savoir ma date de naissance. J'ai dit : «Non tu
sauras pas». Ma soeur a vendu la mèche mais de toute
façon les pompiers ne nous auraient pas laissé partir
sans savoir d'où on venait.
Le plus souvent
quand je me sauvais, c'était seul et en vélo. Dans le
temps de mes dernières fugues, ma soeur avait déjà
quitté la maison et pour de bon, la chanceuse. Une fois
j'ai vraiment manqué ma fugue, oh yes! C'était la
première fois que je partais de plein gré, c'est-à-dire
la première fois que j'avais le temps de me préparer et
que je n'avais pas peur. Une fois j'ai quitté la maison
valise à la main, un pain croûté, un pot de beurre
d'arachides, un couteau, un marteau, une hache puis,
évidemment, mon bicycle. Cette fois a été la plus
courte. Pour vous dire, je suis parti le soir et tout le
monde dormait. Il devait être environ 10 h 00 ou 10 h
30. Je suis allé au McDonald du boulevard Newman
(toujours à Ville LaSalle). Je me suis réchauffé les
mains dans la salle de bain du restaurant avec les
séchoirs. Par la suite, j'ai pris place dans le
restaurent et un employé est venu me voir. Je lui ai dit
que j'attendais quelqu'un. Bof! Tant qu'à attendre,
pourquoi pas manger un peu? Une gaffe. J'ai sorti le
pain puis le beurre de peanuts. Au bout de deux minutes,
la police est arrivée.
J'aurais fais un
"hold-up" et ils ne seraient pas arrivés plus vite. Les
flics m'ont demandé ce que je faisais là. Je leur ai dit
que je bâtissais une cabane dans le bois. Je tremblais
de partout, disons que j'avais peur. On m'a ramené à la
maison. Je leur ai montré par où j'étais sorti. Il ne
s'est pas contenté de simplement me reconduire; il a
réveillé toute la maisonnée. Une chance que ma mère
était au travail. En tout cas, une heure de fugue qui a
fait bien de la merde.
La dernière fugue
fut la bonne; il en faut bien une. Les policiers ont
voulu me ramener à la maison mais à deux reprises je
leur ai donné une mauvaise adresse. Ils ne me trouvaient
pas particulièrement drôle. La première adresse, je l'ai
donnée au hasard et la seconde correspondait à notre
dernière ancienne adresse. Cette maison n'était pas
habitée, c'était le grand vide. Du poste de police, on
m'a envoyé à l'Escale, une place de fous, ça! Pour être
clair, disons que c'est pas l'endroit idéal pour un
jeune qui, mis à part des vols de chocolat, n'avait
jamais vraiment commis de crimes.
Quand tu rentres à
l'Escale, on te donne de beaux souliers neufs, des
"running shoes" (non, pas des ADIDAS!). On te fouille
puis tu attends ton tour. Tu attends quoi? Tu te
demandes qu'est-ce qui va se passer. Tu fais quoi? Tu
fais dur, cris! Dans ma tête je vivais l'enfer. Je
croyais toutes les histoires que ma mère m'avait
racontées dans le temps.
Elle m'a souvent dit
que les jeunes qui n'écoutaient pas leurs parents se
retrouvaient dans de grandes institutions à laver les
planchers avec des brosses à dent du soir au matin,
qu'ils ne mangeaient que du pain et de l'eau et qu'ils
dormaient sur des lits de ciment dans des chambre pas
plus grandes qu'un garde-robes; tout ça selon le désir
de leurs propres parents. J'avais très peur de ce qui
m'attendait et je m'imaginais que mon tour était venu.
1978,
J'avais hérité d'une
travailleuse sociale. Un jour nous étions quatre dans
son bureau, dont ma mère et ma tante. La travailleuse
sociale m'a demandé si je voulais retourner chez ma
mère. Ma mère m'a dit : «Mon beau Paco, tu n'as jamais
manqué de rien, je ne t'ai jamais laissé aller à l'école
sans souliers. Tu étais toujours bien habillé (c'est
vrai). Comme j'allais dire oui, ma tante m'a dit :
«Pascal, cris! Si tu veux pas, il vont pas te manger,
ils sont là pour t'aider. Ils vont te placer dans une
famille en attendant que les choses aillent mieux. Quand
tu seras vraiment prêt, tu pourras toujours retourner
chez toi» Ouf! Après un long moment de silence et une
très grande décompression, j'ai donné ma réponse : un
gros NON.
Ma mère et ma tante
sont parties et elles sont restées longtemps sans
s'adresser la parole. On m'a donc envoyé en foyer
d'accueil, mon premier. C'était à Saint Donat dans les
Laurentides, chez monsieur William Boudreault (Willy).
C'était super. Willy travaillait comme chauffeur
d'autobus, il était éducateur pour l'Auberge des Quatre
Vents à Saint-Donat et il était aussi pompier volontaire
pour le village. Je restais chez lui avec un autre
jeune, un italien dont je ne me souviens pas du nom,
mais je me rappelle qu'il était avec moi à l'orphelinat
Saint-Joseph. Nous sommes restés à Saint Donat seulement
deux ou trois semaines et j'ai eu beaucoup de plaisir,
j'en garde un très bon souvenir.
On allait à la
pêche, on se promenait en Jeep Renegate bleu, on
écoutait Village People -- OK! dans le temps c'était bon
-- Je m'était fait une copine dans le village. Peu de
temps après, on m'a dit qu'un homme viendrait me
chercher pour m'amener dans un autre foyer d'accueil.
Disons que cet homme
en question n'était pas trop rassurant: Géant, mal rasé,
avec de gros yeux louches. Dans sa petite Gremelin
grise, il me dit qu'on s'en va à la Tanière Yogi à Saint
Michel des Saints. J'étais nerveux et le chemin m'a
semblé long. Je n'ai pas arrêté de poser des questions
sur mon nouveau foyer d'accueil. Arrivé à bon port, j'ai
vu cet endroit. Je vous explique :
Je vais vous décrire
l'endroit. *(1) 14 unités de chambre avec salle de bain.
*(2) Une maison maître de huit chambres à coucher dont
quatre pouvaient facilement recevoir quatre lits
simples, munies d'une salle de bain complète. Il y avait
aussi deux bureaux à l'entrée, un salon double et une
verrière avec vue sur le lac. Dans la verrière, une
cuisine s'est ajoutée avec le temps. *(3) Une salle de
jour transformée en dortoir temporaire, c'était le début
de la Tanière Yogi. Il y avait également une section
billard, deux tables : une Boston et une Snooker *(4) Le
cinéma, oui, un cinéma! Pas très grand mais quand même.
*(5) La cafétéria était très grande et vitrée sur trois
côtés. L'autre côté de la cafétéria abritait une cuisine
équipée pour recevoir en grand. Tous ces bâtiments
étaient bâtis sur un seul étage et montés sur une
fondation de trois pieds faite de blocs. Seul le garage
*(6) avait été bâti sur deux étages. Les deux chalets
avaient un sous-sol. Sur le dessin vous ne voyez pas
l'écurie car elle était de l'autre côté du chemin. Au
bas du dessin, il n'y a pas grand-chose à voir de toute
façon.
La
Tanière Yogi était un très bel emplacement qui, jadis,
appartenait à la compagnie Masline qui n'existe plus
aujourd'hui. Comme vous voyez, c'était assez grand
merci! Que faisait-on de cet endroit? Je n'en sais rien.
J'ai entendu dire que le club de hockey Canadien aurait
déjà été propriétaire ou locataire de ce site. Si
c'était avant ou après Masline, je n'en sais rien. De
toute façon, le superbe site n'existe plus et M. Rondeau
qui était voisin de la Tanière Yogi y est pour quelque
chose.
Le site se
détériorait à vue d'oeil parce qu'il y avait trop de
jeunes et pas assez d'employés. Au tout début, on
comptait six employés pour 35 jeunes. Jacques était
toujours à la cour et Hélène, sa femme, très gentille,
était toujours dans la maison ou à la cuisine. Hélène
Doré, sa soeur, vivait dans un appartement tout près de
la cafétéria. Elle n'était pas souvent avec nous. Les
deux Montagnais, Paolo et Alexandre, ont été congédiés
suite à une plainte au sujet de leur homosexualité.
(Est-ce vrai, est-ce faux? Je ne sais pas). Ils avaient
plutôt l'air de deux joyeux lurons avec leur poncho. Il
y avait aussi Yvon ou Yvan, un canotier qui était
responsable des expéditions et de l'entretien du site;
un soudeur de métier.
( Concernant ma sœur
)
Je discutais au
téléphone avec ma soeur au sujet de ma page web. Étant
donné que j'étais plutôt heureux de constater que mon
site web avait un certain succès, je voulais partager
mon enthousiasme avec elle. Ma soeur m'a dit qu'elle
trouvait mon site très bien, mais qu'elle avait
l'impression d'être noircie dans toute cette histoire.
Elle se sentait coupable de ne pas avoir fait le
nécessaire pour nous sortir de la merde.
Pauvre «petite
soeur», elle n'a que quatre ans de plus que moi. Tout au
long de notre pénible jeunesse, elle a toujours été près
de moi et m'a toujours aidé. Les seuls moment où je me
sentais vraiment en sécurité, c'est lorsqu'elle était
là, à mes côtés, dans le même environnement. Ces moments
ont été plutôt rares. Par exemple, à l'orphelinat je
passais mon temps à écoeurer les plus vieux tout en
sachant que ma soeur prendrait ma défense. Même si ça
n'a pas toujours fait son affaire, elle l'a toujours
fait. J'ai très souvent eu la priorité sur ses chums qui
plus vieux. Peu m'importe la raison, ma soeur -- Chantal
ou Michelle, comme il vous plaira de l'appeler --
restera toujours une personne sur qui je peux compter.
Aujourd'hui elle
s'appelle Tilly (pour Chantilly). Même si j'ai de la
difficulté à l'appeler par ce nom, ça lui va très bien.
Le plus souvent je l'appelle Mimi. Je sais bien qu'elle
aimerait que je l'appelle Chantilly, mais de tous les
noms, c'est Mimi qui me reste en tête, Mimi... ma petite
soeur.
Pourquoi tous ces
noms me direz-vous? C'est très simple. C'est parce que
ma soeur a notre passé en horreur. Pour elle, changer de
nom est sa façon d'oublier cet horrible passé.
Elle vous
échangerait la pire journée de votre jeunesse contre sa
meilleure et elle y gagnerait au change.
Il est pour moi très
évident que le quatre ans de différence d'âge entre ma
soeur et moi n'est pas suffisant pour la rendre coupable
de quoi que ce soit.
Tilly, je t'aime
bien plus que tu ne le croies. Je sais, je ne te serre
pas souvent dans mes bras. Côté affectif, je suis un peu
froid, oui c'est vrai. Même ma fille commence à s'en
rendre compte et s'en plaindre! Dites-moi, comment
donner ce qu'on n'a jamais reçu? Mon passé, je ne tiens
pas à oublier. Si seulement je pouvais le crier.