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            Aujourd'hui en ce beau jour de septembre, j'ai ressenti le besoin d'écrire. Pourquoi pas un journal -- même si le mot m'agace -- parce que je n'ai jamais eu rien de bon à écrire ou, tout simplement, parce que j'éprouve de la difficulté à le faire. J'aimerais toutefois vous faire part de mes expériences, qu'elles soient bonnes et mauvaises.

           Mes souvenirs les plus éloignés remontent à l'âge de deux ou trois ans, lorsque j'étais chez l'une de mes tantes (Suzanne). Les souvenirs qu'il me reste de cette époque sont trop flous pour vous parler ma tante Suzanne et de ses manières. Pourtant j'ai des "flashs" qui, soit dit en passant, sont très clairs. Ils le sont et personne ne pourrait me faire croire le contraire.

            Par exemple, ma tante Suzanne avait une petite maison décorative avec deux portes. Dans l'une on y trouvait une femme avec un panier de grain; dans l'autre un homme vêtu de noir avec un parapluie à la main et un baromètre, quelle découverte! Ma tante me dit alors que si je sortais le petit monsieur, la pluie tomberait. Inutile de vous dire que pour un instant, je croyais bien posséder le secret de dame Nature.

            Un autre flash de cette même époque : tante Suzanne habitait dans un bloc appartements et de la fenêtre, on pouvait apercevoir une enseigne Dominion. Je me promenais dans le couloir de cet appartement. Attenante à la balayeuse Electrolux rouge, il y avait une lingerie avec un trou dans le plancher, un genre de chute à linge ou à ordures. Je me tenais loin du trou. Même lorsque la petite porte était fermée, j'en avais une peur bleue.

            Je crois bien que j'aimais me faire garder par tante Suzanne, j'étais heureux. N'est-ce pas la chose la plus importante pour un enfant? On m'a souvent dit qu'un enfant ne pouvait pas se souvenir des événements aussi lointains mais je suis certain de bien me souvenir de ces flashs. Je ne pourrais pas vous dire si ma tante avait des cheveux blonds ou noirs, même pas combien de temps elle m'a gardé, malgré le fait que cette période ait été plutôt courte. Par contre, je pourrais vous dessiner son appartement, de par ma mémoire.

           Cette tante est décédée le 20 mars 1984 ou 1985. Je devais avoir à peu près dix-neuf ans. Je regrette de ne pas avoir pu lui dire combien je l'aimais. Ensuite, il y a aussi eu ma tante Claudette et mon oncle Yvon à Rouyn-Noranda. Quelle belle expérience! Mon cousin qui devait avoir au moins une vingtaine d'années m'amenait en canot. Derrière la maison il y avait une petite rivière sur laquelle j'adorais me promener. Un jour, mon cousin a attrapé un lézard et il m'a demandé d'aller chercher du sel. Ma tante ne semblait pas convaincue du bien-fondé de ces expériences. Mon oncle, lui, travaillait à la glacière et se levait très tôt. Il m'a déjà amené avec lui dans son camion. Je me souviens d'ailleurs de ces gros cubes de glace qu'il tenait dans le bran de scie. Je me souviens aussi du train qui passait presque tous les jours.

            Une autre chose qui m'a frappé à Rouyn, c'était les mines. Nous avions une véranda à l'avant de la maison et chaque fois que la dynamite détonait, toutes les vitres de la maison tremblaient.

            Une petite anecdote me revient toujours lorsque je parle de Rouyn.

          Mon oncle possédait deux lapins blancs. Un jour j'ai voulu les caresser et les nourrir. Mon oncle était alors dans la maison et j'ai ouvert la cage. Les lapins sont sortis un à un. Quelle bonne façon de faire de l’exercice ! Mon oncle a dû perdre une dizaine de livres, affichant un petit sourire qui en disait long.

            Je me souviens également de ma friandise préférée du temps, un genre de Smarties sauf qu'il est de forme cylindrique. Son goût ressemblait à la réglisse noire.

Mes autres souvenirs sont plutôt vagues, du moins en ce qui concerne leur ordre chronologique.

            Eh oui ! J'ai beaucoup voyagé étant très jeune. Comme beaucoup de voyageurs, il y a des endroits que l'on préférerait oublier. Cela n'a pas toujours été agréable de changer de milieu aussi souvent. Pourquoi donc ? On m'a pourtant dit que j'étais un enfant sage et facile à garder.

            Saint-Léonard (nord-est de Montréal), j'habitais avec ma mère et ma sœur dans un haut de duplex sur la rue Dallet. J'étais heureux lorsque ma mère était à la maison. Elle faisait des pâtisseries. Mes préférées, c’était les choux à la crème, elle les confectionnait avec soin, en forme de cygne. Je jouais souvent dans la cuisine, je m'amusais avec les portes de chambre, je me balançais en me tenant sur les poignées. Un jour on m'a offert un avion fonctionnant à piles : un Boeing 747. Les moteurs s'illuminaient et l'avion en question avançait tout seul.

            Photo; La Maison sur la rue Dalet on peu voir la fenêtre de ma chambre sur le côté au deuxième étage

            Un jour je suis allé à la rencontre de ma soeur qui était soit à l'école ou au dépanneur. En fait, je la cherchais. Eh bien ! Je me suis retrouvé sur le boulevard en tricycle, c'est la police qui m'a ramené à la maison. Demandez à un enfant quelle est la différence entre une auto patrouille et une voiture banalisée de police. Pour moi il devait en exister une très grosse. Lorsque les agents m'ont transféré dans cette voiture, je leur ai piqué une de ces crises terribles. La voiture était brune et très grosse. Les policiers étaient gros eux aussi et ne portaient pas l'uniforme. J'avais peur de ces gros hommes.

            Un jour ma soeur voulut tenter une expérience. Ma mère avait un chandelier; une madone qui portait un enfant dans ses bras et la chandelle était dans son dos. Ma sœur, voulant savoir comment le chandelier éclairait, a allumé la chandelle et a déposé le tout sous son lit. Fait étrange, je ne me souviens pas de la suite de cette histoire mais elle m'a été racontée. Supposément que le feu, ayant pris naissance sous le lit, aurait envahi toute la chambre. Les pompiers seraient même venus à la maison! C'est à n'y rien comprendre. Comment aurais-je pu manquer le camion de pompiers, le son des sirènes si strident

            Nous avions un très grand logement et ma mère était très souvent absente de la maison. Elle devait travailler beaucoup. En dernier, elle nous faisait garder par la femme du premier étage, une Italienne. J'avais beaucoup de difficulté à dormir et le soir on discutait ma soeur et moi. On allait voler des biscuits dans un tiroir simplement pour grignoter. Mes souvenirs sont vagues, mais j'ai la forte impression qu'aujourd'hui je ne confierais pas ma fille à cette dame.

            Un soir d'été je suis sorti, j'ai emprunté l'escalier extérieur pour aller voir ma mère. Derrière la fenêtre de la porte qui était entrouverte j'ai crié : “Maman je veux entrer!” Elle est venue à la porte et m'a dit : “Va te coucher, qu'est-ce que tu fais là, toi?” Je lui ai dit : “Je voulais te souhaiter bonne nuit Maman”. Elle m'a donné un de ces bonbons au "butter scotch" et je suis retourné me coucher.

            Encore une anecdote, plutôt bizarre celle-là. Un autre soir je jouais sur le trottoir avec mon camion Tonka. Un voisin arrosait son jardin, il faisait presque noir et je devais être très fatigué. Je me suis réveillé au petit jour, toujours là, sur le trottoir, lorsqu'un des enfants du voisinage sortait pour aller faire du vélo. L'air surpris, il m'a demandé ce que je faisais là. À moitié endormi, je lui ai répondu que je jouais... Quel service de gardiennage ! À cette époque je devais avoir environ trois ans. Ma mère me manquait déjà beaucoup.

            Il est à noter que toutes ces bribes de souvenirs de jeunesse se passent avant l'âge de cinq ans, je ne peux être plus précis. Le lecteur comprendra

            Nous avons aussi habité Repentigny, sur le bord de l'eau. Je dois l'avouer, je n'ai pas été très sage car je n'aimais pas cet endroit. On avait le droit de RIEN faire ! “Fais pas ci, fais pas ça”. Non mais... En plus des tracas qu'un enfant de mon âge pouvait avoir, sont venus s'ajouter la rougeole et les vaccins, plusieurs petites de l'enfance et, pour combler le tout, une peur bleue des orages.

            Il y avait aussi beaucoup de va-et-vient, de changements. On aurait dit un chantier de construction. Ils ont installé une piscine, enlevé cette même piscine, arraché la clôture. C'est idiot. Cette clôture faisait tout le charme de la maison. Enfin, tous les goûts sont dans la nature.

            Un soir nous avons dormi sous une bâche de camion. Je ne m'en plains pas. De là vient sûrement mon amour du plein air. Je ne comprends toutefois pas pourquoi je ne suis pas devenu un grand athlète olympique. Mon sport préféré du temps consistait à lancer tous les jouets dans la rivière. Ils ont même dû ériger une clôture de huit pieds en mon honneur. Il faut croire que ce n'était pas encore assez... p'tit cris ! Je ne sais pas pourquoi je lançais tout par-dessus bord. J'aurais pu lancer des cailloux, mais un bonhomme comme Jéronimo, avouez que c'était plus réaliste, non ?

            Je ne peux pas dire que j'ai détesté l'endroit, mais je vivais dans un monde de grands. J'étais certainement le plus jeune de la maisonnée. Je me souviens aussi du laitier qui passait en camion avec ses bouteilles de vitre qu'on ne voit d'ailleurs plus de nos jours.

            Ah, une autre anecdote comique ! Les gens de la maison avaient un petit chien. N'allez surtout pas croire que je lui faisais du mal. Disons que le chien devait avoir hâte qu'on me nourrisse car j'avais développé un goût particulier pour les "Milk Bone" (une marque de biscuits pour chiens).

           Ma soeur était là de temps en temps. Elle demeurait chez une de mes tantes (Renée). Ma tante Renée habitait un maison un peu plus loin. Si j'avais su... Mes cousins avaient des jouets pour une armée : Jéronimo, GI-Joe, et cetera. La maison de ma tante était immense et je devais sûrement envier ma soeur. Mon tour est venu. Quand elle me gardait (ma tante Renée), j'avais beaucoup de plaisir. On faisait la chasse aux papillons dans les champs voisins. Elle avait deux tortues dans la cave. Bien que leur gueule était plutôt à surveiller, j'aimais bien ces deux tortues. Plusieurs années plus tard, ma tante m'a raconté que mes cousins et moi avions rempli de grenouilles nos tiroirs et le seau à couches. Je pense que je peux la croire.

           Sincèrement, mes oncles et tantes m'aimaient bien. Jusqu'ici tout va bien. Je pense à ma tante Hélène qui, elle, assumait ses responsabilités malgré son divorce, son travail, et l'éducation de son garçon. Chapeau ma tante Hélène ! Elle le mérite bien.

           Il y a tellement d'endroit où ma mère m'a fait garder. Il y a eu cet endroit, à Montréal je crois, un appartement situé au premier étage, tout près d'une traverse de chemin de fer. Cet appartement était fait sur le long avec un plafond de douze pieds. L'environnement était sombre et l'atmosphère morbide. Je vivais encore chez des Italiens et je ne me sentais pas en sécurité du tout. Vous savez, beaucoup de changements se sont produits. C'est la raison pour laquelle j'ai de la difficulté avec cette époque tumultueuse de ma jeune vie.

           Pour vous donner une petite idée, je me revois dans un berceau à l'intérieur d'une pièce bien éclairée et -- autre souvenir -- dans un parc de bébé, dans salon lugubre, rempli de mobilier. Ces deux souvenirs, bien que flous, n'ont pourtant aucun rapport entre eux. En fait, je suis convaincu qu'il s'agissait bel et bien de deux endroits distincts, à part bien sûr de tous ceux mentionnés plus haut. Revenons à ma mère. Inutile de vous dire que j'attendais ce moment. Ma mère habitait sur la rue Egan à Verdun,

 

Période 1969,1970

            Au deuxième étage d'une maison située près d'un parc. À cette époque ma soeur demeurait avec moi, oui, en même temps tous les deux. C'était plutôt rare. Je devais avoir trois ans et demi ou quatre ans. C'est à partir de cet âge que mes souvenirs deviennent vraiment précis. Ce ne sont plus de simples flashs. Ouf ! Par où commencer ? Disons qu'à partir d'ici, le gardiennage est terminé. Quand ma mère allait travailler, c'était simple : “Mon beau Paco, tu restes dans la voiture. Tu n'ouvres à personne, baisse-toi pour que personne ne te voie et si quelqu'un te demande qu'est-ce que tu fais là, tu dis que ta maman revient dans deux minutes”. Voilà la solution. Les journées étaient longues, très pénibles, mais ça n'a pas duré. Ma soeur avait quatre ans de plus que moi. Elle aurait pu me garder mais elle allait à l'école. Alors ma mère a trouvé une autre solution. Elle m'enfermait, seul dans ma chambre, avec un gros bol de macédoine, une cuillère et une chaudière pour chier.

            Ah oui, question de sauver les apparences, comme tous les enfants nous passions l'Halloween et à Noël nous recevions des cadeaux. Normal quoi ! Dites-moi, que valent tous ces artifices sans la présence de sa mère, sans l'amour de sa mère ? Il y a pire que ça dans le monde !

            Un soir nous étions en voiture. Ma mère nous a fait descendre dans un coin morbide de la ville, tout près des deux silos de la compagnie Sucre Saint-Laurent. Si je ne m'abuse c'était l'été, il faisait noir pas froid. Ma mère nous a demandé de l'attendre. Il s'est écoulé beaucoup de temps et nous avons commencé à jouer dans les escaliers d'un bloc appartements sur le coin de la rue. Il devait être très tard parce qu'une femme inconnue est venue parler à ma soeur et peu de temps après nous étions chez l'inconnue et ma mère est revenue nous chercher.

            Aujourd'hui à 29 ans, je ne sais toujours pas ce qui s'est réellement passé ce soir-là. Par contre, je me souviens d'avoir éprouvé un puissant sentiment d'abandon. Ma mère nous abandonnait-elle ? Est-ce vraiment ce qui se passait ? Ma mère aurait-elle changé d'idée une fois revenue à la maison ? Est-ce que ma soeur avait notre numéro de téléphone ? Est-ce que la femme inconnue, par notre seul nom, aurait retrouvé ma mère ? Tellement de questions demeurent sans réponses. Peut-être est-ce mieux ainsi. Mais je vous jure, cette soirée reste gravée à jamais dans ma mémoire.

            Ensuite est arrivé cet homme dans la vie de ma mère : Bénito Catalini. Quand ma mère partait pour aller le voir, nous nous amusions ferme. Oui, nous avons fait des gaffes : des petites et des moyennes. Dans la chambre de ma mère il y avait une Sainte Vierge en plâtre sur le meuble du moulin à coudre. Je cognais sur le meuble puis la statue faisait le son d'une assiette qu'on laisserait tourner avant qu'elle s'arrête. C'est un peu difficile à expliquer. Quoi qu'il en soit, la Sainte Vierge a fini par tomber et se briser toute en morceaux. Oui j'ai mangé une volée. Je peux comprendre que ma mère se soit fâchée mais franchement, il existe d'autres façons de punir un enfant de quatre ans... des coups de ceinture sur les fesses. Je ne les ai pas comptés mais je suis certain d'en avoir reçu une bonne dizaine. Elle me mettait à genoux sur des croûtes de pain sec émietté, assis sur le comptoir les deux pieds dans le lavabo rempli de glace. Elle me donnait des coups de bâton sous les pieds ou sur les mains, des gifles, des "crisse" de bonnes claques dans le visage.

            Ma mère me répétait souvent : “Si tu me dis la vérité tu vas avoir seulement une claque. Si tu me dis des mensonges tu vas avoir une volée”. Un soir ma soeur dormait -- dans la chambre de ma mère comme toujours -- et moi dans la mienne avec ma petite soeur Sophie. Sophie était ma nouvelle petite soeur, elle avait à peu près un an. Ma mère est arrivée du travail et je dormais. Je me suis fait réveiller par ma soeur qui criait. Ma mère lui a donné une volée. Ensuite elle est venue me voir : “Mon p'tit cris lève-toé. C'est toé qui a mangé le gâteau ?” Ma soeur avait dit que c'était pas elle puis j'ai pensé que si je disais oui, j'aurais seulement une claque. Je vous le jure, elle a sorti deux gâteaux du réfrigérateur, un blanc et un brun. Elle les a déposés sur la table et m'a demandé : “Quel gâteau t'as mangé ?” Il ne faut pas être trop fou non ! Comme les deux gâteaux étaient intacts, j'ai choisi au hasard. “Lequel? Je me souviens pas”. De toute façon, ce n'était pas le bon, bien entendu. J'ai donc eu droit à des coups de bâton sous les pieds. Ça faisait tellement mal. Je me souviens avoir dit à ma mère que j'avais très envie. J'ai eu droit à une pause mais elle a continué après le minuscule pipi que j'avais poussé de peine et de misère.

            Un jour j'étais dans le parc. À l'époque il y avait des gardiens dans les parcs. Je me promenais le long de la clôture et je me suis trouvé face à face avec une poubelle. J'ai vu belle grosse boîte de pizza avec, bien sûr, un restant de pizza. Il y avait aussi une brosse à cheveux juste à côté. J'ai enlevé la brosse à cheveux et j'ai mangé la pizza. Un jeune qui m'avait vu faire est allé le dire au gardien. Sûrement pour se moquer de moi, le gardien a envoyé le jeune chercher un sac de chips au dépanneur. C'était pour moi. Il m'a causé un peu et m'a offert de la liqueur aussi. Ma soeur est arrivée et m'a dit d'aller à la maison. Je ne sais même pas si j'ai remercié le gardien du parc. Merci quand même Monsieur !

 

            Il me vient encore en mémoire une de ces journées où ma mère m'avait laissé tout seul embarré dans ma chambre avec mon gros bol de macédoine. La journée avait été particulièrement longue et à mon réveil il y avait des vomissures partout dans mon lit. À ma grande surprise ce n'était pas ma mère qui était là. Il me semble que c'était Marthe et Paul-Émile, mon parrain et ma marraine. Ils m'ont amené en voiture, mais je ne me souviens plus où exactement. Ai-je d'autres souvenirs ? Bien sûr. Comme j'avais peur de l'eau, pour me punir ma mère me tenait la tête sous le robinet du bain. Pourquoi tant de sadisme de sa part ? Au fil des jours qui passaient, elle a dû y prendre un malin plaisir.

 

           

           Un soir, ma mère a voulu que je dorme dans le hangar. Cette nuit-là il faisait un froid de canard. Parmi les boîtes empilées et les affaires de bébé pêle-mêle, j'ai vu le petit piqué de ma petite soeur Sophie et je me suis couché dessus. Ma mère a sûrement eu des remords puisqu'elle a envoyé ma soeur me chercher un peu plus tard. J'ai dormi seulement une fois dans le hangar. Des fois, ma mère me faisait coucher dans le bain. Bof ! À première vue ça ne paraît pas trop pire. Je vous suggère donc de tenter l'expérience. Gardez seulement vos sous-vêtements et allongez-vous dans le bain. Restez-y toute la nuit, vous m'en donnerez des nouvelles. Au bout d'une heure à peine, je sentais le froid et l'humidité me traverser les os. Elle avait pris soin de m'attacher un pied avec une corde à danser nouée à la poignée de porte, comme un chien ! Non, le chien, on lui aurait mis une couverture dans le fond du bain. Croyez-moi, cette fichue corde devait sûrement être facile à dénouer, mais je n'aurais jamais osé, de peur qu'elle s'en aperçoive.

 

 

              Il est vrai que nous étions toujours à la recherche de quelque chose à manger. Par exemple, le fait de prendre un seul bonbon dans une pleine boîte ou même une toute petite seule gorgée de liqueur dans une bouteille comble, elle n'y verrait rien. Du moins c'est ce que je croyais. Eh bien oui, ma mère comptait tout, voyait tout, savait tout. C'était une mégère, une vraie sorcière. On n'avait pas le droit de manger nous autres.

             Que de souvenirs ! C'était le temps des Fêtes. Ma mère avait acheté des boules de Noël en chocolat. Je ne les ai jamais touchés, promis. Ma mère les comptait presqu'à chaque fois qu'elle revenait du travail. Ma soeur, par contre, en a ouvert une, en a mangé un petit morceau et a refermé le papier en prenant bien soin dans choisir une pas trop voyante. La mère s'en est aperçue immédiatement.

Ma mère laissait toujours à ma soeur une liste de ménage devant être fait avant son retour. Nous étions jeunes et nous nous amusions une bonne partie de la journée. Ma soeur faisait le ménage et lorsqu'arrivait quasiment l'heure du retour de ma mère, elle me disait : «Paco, va voir dans la fenêtre sans te faire remarquer puis quand maman arrive, tu me le dis”. Pas trop compliqué ! Ma mère avait une Renault 16 rouge vin.

 

 

 

 

            Un jour une grosse voiture noire s'est garée devant la maison. L'air de rien, je regardais au loin pour voir si la voiture de ma mère n'arrivait pas. J'entendis un cri : «Allô Paco !” Je regarde qui est dans la voiture, le temps que je réalise que c'était mon oncle Paul-Émile, j'aperçois la tête à ma mère penchée du côté chauffeur pour regarder en haut. Pris de panique, je me suis penché aussitôt sans même répondre à mon oncle. Pauvre Paul-Émile, s'il savait... Je l'aimais bien mais la peur qui m'habitait était plus grande que mon amour pour lui.

 

            Quand ma mère est entrée, elle a dit : «Qu'est ce que tu faisais dans le châssis ?” Je lui réponds : «Rien maman.” Elle me répond : «Prend-moi pas pour une folle mon p'tit crisse”. J'ai avoué pour ne pas manger de volée. Il faut dire que c'est ma soeur qui l'a eue cette fois-là avec le traditionnel sermon : «Ma p'tite crisse de déplaisante, t'aime ça hein? Continue à montrer le bon exemple, continue à l'entraîner dans tes hypocrisies”.

 

À cette époque j’allais à l’école Chanoine Joseph Théorêt pas très loin 0.8 Km

               Je me souviens qu’en chemin je voulais des friandises dans un dépanneur sur le chemin de l’école j’ai même déjà failli être pris cela aura été la dernière fois

 

 

Sur le chemin de mon école que l’on voie à gauche sur cette photo      

 

            Après réflexion, je pense que ma mère ne voulait tout simplement pas que les gens nous voient et constatent que nous étions laissés à nous-mêmes, les jours où elle travaillait.

Pourtant, lorsque qu'elle était de bonne humeur et bien reposée, ma mère était une femme merveilleuse, très joviale et pleine de vie. Je me souviens entre autres d'un épisode où on marchait sur le trottoir. C'était l'hiver, ma mère me tenait par la main et nous courions dans la neige. Je sais, pour certains d'entre vous cela peut paraître assez banal, mais je me suis accroché à de rares moments de bonheur comme celui-ci, question d'oublier l'amertume du reste.

 

            Au risque de sembler idiot, autant j'avais peur de ma mère autant je crois que je l'aimais -- je ne vous demande pas de comprendre, mais seulement de me croire. Il y a tellement de choses qui échappent à ma propre compréhension. Par exemple, comment notre propriétaire pouvait-il ne pas entendre tous ces hurlements ? Se doutait-il de quelque chose ? Avait-il peur de ma mère ou peur de perdre un si bon locataire ? Serait-ce grâce à lui que nous nous sommes retrouvés à l'orphelinat de la rue Bélanger à Montréal ?

 

             Une foule d'autres questions me viennent à l'esprit. Mes tantes et mes oncles, eux qui m'aimaient tant, étaient-ils au courant de tout ? Qu'ont-ils fait ? Peut-être voulaient-ils éviter les chicanes familiales ? À la rigueur, cela aurait pu être compréhensible. De toute façon, j'ai la ferme impression que toutes ces questions resteront à jamais sans réponses encore longtemps.

1971, 1972, 1973

 

          J'aimerais toutefois remercier tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à faire en sorte que nous ayons été confiés à l'orphelinat Saint-Joseph. Il est TOTALEMENT FAUX de prétendre que ma mère nous a placés de son plein gré. Parlons-en. Ma mère n'a jamais déboursé un sou pour nous. À l'orphelinat, elle n'est jamais venue me visiter, ni à Noël, ni à Pâques, ni même pour ma fête. Le jour de ma première communion, elle n'était toujours pas là. Pourquoi ? Ma mère se vantait et disait à son entourage que nous étions au collège privé. "Fuck You!" Croyez-vous un seul instant que si j'avais fréquenté un collège privé, j'aurais constamment besoin d'une aide grammaticale, écrite ou humaine, pour corriger mes fautes de français ?

             Nous avons été transféré à l'orphelinat Saint-Joseph suite à une plainte adressée au DPJ pour mauvais traitements. Qui a déposé la plainte? Je ne sais toujours pas. J'aimerais bien que cette personne se manifeste.

 

 

 

Devinez quoi, eh bien oui, peu de temps avait passé et ma mère me manquait déjà. Vous ne comprenez pas? Moi non plus je ne comprends pas. Me serais-je fait une image différente de ma mère ou est-ce seulement le fait de voir les autres enfants partir dans leur famille pour Noël qui faisait que ma mère me manquait? Les autres parents apportaient des cadeaux à leurs enfants. Je me souviens entre autres d'un long congé de Pâques où trois enfants étaient restés dans l'orphelinat, dont moi-même. Lors de ce congé, on comptait plus d'employés que de résidants.

Aujourd'hui j'y pense et avec le recul, je me demande qui a été vraiment puni?

 

 

 

 

 

          Après tout, à l'orphelinat ce n'était pas si moche qu'on aurait pu le croire. Une fois par mois, il y avait des films de Walt Disney. On nous organisait des sorties à toutes les fins de semaine : parc Saint-Alphonse-Desjardins, piscine municipale. On nous amenait aussi au Jardin botanique. Je me souviens d'ailleurs du grand trou creusé à l'époque de la construction du Stade olympique. Ce trou était plutôt impressionnant, et aux dires de certains, sûrement pas aussi gros que celui qu'il a laissé dans le budget de la Ville de Montréal... Enfin! Disons qu'on nous gardait toujours bien occupés.

       Lorsque venait le temps des Fêtes, les administrateurs de l'orphelinat m'envoyaient dans des familles d'accueil. J'étais accueilli par des gens ordinaires, dans des familles solides et pleines d'amour. Plus le temps passait, moins je m'ennuyais de ma mère. Je ne peux parler de l'orphelinat et passer sous silence Soeur Assunta, Soeur Dominique et les autres. Quoique très sévères au tout début, elles ont été très gentilles à mon égard.

 

 

         La seule chose que je regrette c'est l'école, un gros zéro. J'avais beaucoup de difficulté à m'adapter. Déjà en troisième année, je séchais des cours. J'étais tellement timide, tellement gêné. Ça n'allait pas améliorer mon sort. Il faut dire qu'à l'époque, les enfants qui venaient de l'orphelinat étaient perçus comme étant très différents des autres enfants. Jamais personne ne s'est moqué de moi, mais je me savais différent donc observé et cela me dérangeait.

"1974, 1975, 1976, 1977"

             Un jour ma mère est venue me chercher à l'orphelinat. Elle demeurait sur la rue John Campbell à LaSalle. Wow! En guise de premier souper, du bon spaghetti blanc à l'ail. On m'a dit que si je ne mangeais pas, je n'aurais rien d'autre. Je n'ai pas la réputation d'être difficile -- vous comprendrez -- mais là je n'aimais vraiment pas le spaghetti à l'ail. Nous étions dans la cuisine du bas, mon père (Bénito Catalini) m'a fait traverser dans la salle de jeux afin de réfléchir. Ma mère est venue me trouver et m'a dit que si je ne mangeais pas mon assiette je retournerais à l'orphelinat. J'ai tout simplement dit à ma mère : «JE VEUX retourner à l'orphelinat». Je ne me sentais pas chez moi. De toute façon, je ne me suis jamais senti chez moi.

           Ma soeur Chantal -- ou Michelle, comme vous voudrez -- habitait déjà depuis quelque temps avec ma mère. Ma mère n'avait pas à me faire un dessin pour que je comprenne qu'elle ne supportait pas ma soeur. Elle lui infligeait raclée par-dessus raclée. Je me veux pas en savoir les raisons. Ma mère vous dirait que ma soeur était hautement déplaisante, croche, et tout. Pourquoi pas putain tant qu'à y être?

            Je vous demande de reculer de cinq, dix, quinze ou même vingt ans en arrière. En regardant vos enfants aujourd'hui, dites-moi s'il y a choses qui vous reviennent, dans le genre : «Ah oui, cette fois-là j'aurais pu l'étriper» ou bien «Cette journée-là il m'a cherché». Je suis convaincu que les souvenirs que vous en avez gardé font parfois partie de vos discussions. Comme tout bon parent qui se respecte, vous devez sûrement en rire aujourd'hui.

            Voyez-vous, je suis moi-même père d'une jolie petite fille de trois ans et demi. En l'espace de trois ans, cette petite nous en a fait voir de toutes les couleurs et ça ne fait que commencer. D'autres surprises viendront certainement. Je ne vais tout de même pas dénigrer ma fille pour autant, je l'aime trop pour ça. Certaines personnes disent : «Je lui aurais arraché un bras et je l'aurais battu en plus». Ne vous en faites surtout pas. Si aujourd'hui ces paroles sortent de la bouche de ma mère, c'est qu'elle l'a sûrement essayé avec ses enfants. Mentionnons que les deux derniers ont été épargnés. Ce sont les enfants de Bénito, le dernier des trois pères de famille.

 

 

Un jour, ma mère était en colère parce qu'elle ne trouvait plus la corde à danser. Elle s'est empressée de dire à mes deux soeurs : «La première qui trouve la corde aura pas de volée». Ma petite soeur l'avait bien cachée, mais elle lui a quand même rapportée. Furieuse, ma mère lui a alors dit : «Ma p'tite crisse, tu pensais t'en sauver, pour ça tu vas en avoir deux fois plus. C'est toé qui l'as cachée, envoye en bas!» J'ai immédiatement pris la parole : «Maman, t'es pas juste, tu avais dit... Elle m'a coupé la parole : «Tu veux-tu l'avoir à sa place? Non? Bien ferme-la!» Plutôt dissuasif...

Le jour de mes dix ans, imaginez-vous donc que ma mère m'a finalement fêté. Wow! D'ailleurs c'est avec grande fierté qu'elle exhibe des photos en disant : «Regardez, c'était sa fête, j'ai même engagé des musiciens. Il avait vraiment tout cet enfant-là». Merci maman, j'ai bien apprécié. Maintenant peux-tu seulement montrer une carte d'anniversaire pour les 28 autres années?

Revenons à nos moutons. Après l'école, je travaillais les soirs de semaine dans une chaîne d'alimentation appelée "Aux vraies Aubaines", sur le boulevard Newman à LaSalle. J'y travaillais aussi le samedi toute la journée. Ce travail était le parfait exutoire pour fuir les problèmes, du moins pour quelques heures. Un jour, ma mère s'est mise à décider du montant que je devais lui rapporter à la maison. Tout ce que je gagnais allait directement dans sa sacoche, presque tout je dirais. Je me payais parfois de petites gâteries comme du chocolat, du McDonald. Un soir j'ai même voulu me payer une bonne bouffe. Je suis allé au Ponderosa, un genre de Steak House au coin des boulevards Newman et Shevchenko. Le problème c'est que Bénito Catalini (mon père) m'attendait à la sortie du restaurant. Est-ce nécessaire de vous raconter la suite?

Un bon soir j'avais gagné très peu d'argent. Alors, plutôt que de rentrer à la maison pour recevoir la raclée habituelle, j'ai pris l'autobus pour une autre destination. Je me souvenais d'une femme du nom de Candide qui m'avait déjà gardé du temps de l'orphelinat. J'ai retrouvé mon chemin de peine et de misère. La dame en question habitait Longueuil. Lorsque je suis arrivé chez Candide, elle était absente mais sa mère était là. Elle m'a fait entrer et voulut appeler mes parents. Je lui ai alors fourni un faux numéro qui, par chance, sonnait toujours engagé. Lorsque Candide est revenue le lendemain, elle savait comment rejoindre ma mère qui est venue me chercher.

Je sais très bien que si j’avais parlé de mes problèmes à Candide, elle aurait pu faire quelque chose, mais à l'époque j'avais peur qu'on ne me prenne pas au sérieux et que ma mère l'apprenne. Imaginez ce qui serait arrivé. J'avais EXTRÊMEMENT peur de ma mère.

 

 

Une fois ma soeur se faisait battre dans la cuisine du bas. Elle en est ressortie à toute vitesse, seulement ses sous-vêtements sur le dos. Ma mère est sortie derrière elle et a crié : «Si tu reviens pas tout de suite j'appelle la police.» Elle m'a dit : «Elle est partie la p'tite crisse». En rajoutant son patois habituel : «Attends! attends! Elle va en manger toute une, elle a pas fini avec moé la p'tite crisse!« Ma soeur n'est jamais revenue à la maison.

Je me suis enfui plusieurs fois de la maison, mais en vain. On me ramenait toujours ma mère avec ses beaux yeux puis sa belle façon : «Hein mon beau petit Paco, viens à la maison, on va en rediscuter. Je ne comprends pas pourquoi tu fais ça. Pourtant, tu ne manques de rien à la maison. Hein, c'est vrai? Dis-le.» Et moi de dire : «Oui maman». On me réexpédiait chez ma mère qui elle, affichait un air tellement innocent. On aurait dit un ange, l'image de la bonne maman qui s'est tellement ennuyé de son petit Paco. Je la comprends de s'être ennuyée; elle n'avait plus personne pour faire son ménage.

Il y a ménage et ménage. Les mots «frotter», «nettoyer» et «laver» ne faisaient pas partie de son vocabulaire. Elle utilisait plutôt les mots «astiquer» «désinfecter», «stériliser». Elle voulait nous tenir occupés, je vous jure. N'oubliez pas, je n'avais que dix ans.

Chez ma mère tout était en double : deux cuisines, deux salons, deux chambres à coucher, deux salles de bains. À tous les jours il fallait épousseter, passer l'aspirateur dans le salon, faire les lits, passer la vadrouille partout sur les deux étages, faire la vaisselle et surtout, préparer le souper avant que Bénito arrive.

Ça vous semble banal? Attendez. Vous avez sûrement déjà lavé un évier de cuisine. Eh bien, j'ai le culot de vous annoncer que votre évier n'est pas propre, je le vois d'ici. Un évier doit être astiqué. Chez ma mère, il fallait passer la brosse à dent autour des robinets et en dessous des poignées, autour du lavabo. Le même traitement doit s'appliquer sur votre poêle parce qu'il y a des traces de doigts. Cherchez une empreinte sur votre poêle, il y en a au moins une. Avez-vous bien épousseté partout ? Vous êtes maintenant prêt pour l'inspection. Passer votre doigt sur le dessus des portes et sur le dessus des cadres. Le lavage du linge et le repassage. Vous repassez vos chemises et vos pantalons ? Moi aussi. Êtes-vous allé jusqu'à repasser vos linges à vaisselle ? Connaissez-vous le tissu Permanent Press? Si vous avez repassez ce genre de tissu vous êtes probablement aussi idiots que moi. Des draps de lit infroissables ! Oui Madame, les plis doivent être parfaitement centrés. Je n'oserais tout de même pas vous montrer comment plier des serviettes. De grâce, je n'ai pas terminé. Vous savez, un lustre, vous en avez peut-être un chez vous. Je parle de ces lustres munis d'environ une cinquantaine de petites gouttes en vitre. Vous connaissez ? Essayez d'enlever toutes les gouttes de vitre. Faites attention! Lavez-les une à une. Nettoyez aussi le chrome doré -- plutôt facile -- ajoutez-y la pression mentale de vous dire que si vous brisez quelque chose, vous allez manger une fichue de volée. Ça marche presque à tous les coups. Si la pression est assez forte, vous finirez par en échapper une sur le plancher. Si vous avez du tapis dans le passage, vous avez de la chance mais lorsque le passage est fait de marbre, alors là... Voyez-vous, ce n'est pas tant le ménage qui me dérange, mais plutôt la manière de le faire.

Ce qui suit n'est malheureusement pas exagéré. La cuisine du bas, on l'appelait la salle de torture. Au tout début, ma mère me faisait mettre à genoux, simplement. Mon beau-père a raffiné cette technique de punition en plaçant des croûtes de pain sec ou des crayons de bois sous chacun de mes genoux. Par la suite il y a eu le bâton sous les pieds, les coups de bâton, les coups de ceinture dans les mains. Quand le cuir de la ceinture ne faisait plus son affaire, ma mère tournait la ceinture en question pour me frapper avec la boucle de métal. Je n'étais pas au bout de mes expériences d'enfant battu. Il y a aussi eu la corde à danser qu'elle utilisait plus directement. Elle pouvait tout aussi bien prendre n'importe quel objet à portée de sa main, une louche de métal avec laquelle elle me frappait la tête. Plus simple, elle me pinçait la peau du coup avec ses ongles. À l'époque, il y avait la mode des souliers "Patof", avec des semelles de bois de quatre pouces. Ma mère me donnait des coups de pied sur les tendons avec ces souliers-là. Des fois, elle se contentait d'une, deux claques dans la figure, des fois plus. Quand elle me frappait, il y avait une règle à suivre : NE PAS PLEURER. Qu'importe l'objet avec lequel elle frappait, elle disait : «Si tu cries ou si tu pleures, ça va être pire». Par exemple avec la ceinture : «Si tu enlèves ta main tu vas en avoir plus.»

Si ça ne durait pas trop longtemps, c'était possible de ne pas enlever la main, surtout si elle était du bon côté. Avec la corde à danser, c'était impossible. Plus on pleurait, plus elle devenait enragée et plus elle frappait fort, toujours en criant : «Ta gueule, ta gueule! Tu veux que les voisins t’entendent ? Ferme ta gueule !»

Il y avait aussi toutes les insultes du genre : «T'es bien comme ton père, un vaut rien». Je ne vous les nommerai pas toutes, mais entre autres celle-là, ma meilleure. Je vous jure c'était :

«OSTIE D'ENFANTS DE CHIENNE !»

Elle ne croyait pas si bien dire. Je me demande si elle pensait ce qu'elle disait. D'après vous ?

On m'avait donné la permission d'aller à la piscine au parc Lefebvre et ma mère m'a prêté une superbe et grande serviette. Dans ce temps-là les jeunes avaient tous de très grandes serviettes pour aller à la piscine. Elle me dit : «Perds-la pas mon p'tit cris, sinon tu vas l'avoir...» Je me disais : «Bonne chose, t'aurais pas une débarbouillette à la place?» Non, je n'aurais jamais osé dire ça. Devinez. Eh oui, en plus d'avoir une folle comme mère, la chance n'était pas de mon côté. J'ai bel et bien perdu la serviette. J'ai mis du temps avant d'entrer à la maison, cette peur omniprésente. J'ai eu l'idée d'attendre que ma mère parte pour travailler. Je me disais que si je rentrais tout de suite Catalini capoterait. Je dois le dire, cette fois j'ai été idiot. Je suis entré par un moustiquaire et je me suis couché immédiatement en pensant que personne ne remarquerait que j'étais en retard, que personne ne m'aurait vu entrer. Il est évident que le lendemain ma mère réclamait sa fameuse serviette. J'ai dit : «Je ne sais pas ou elle est.» Hum... mon beau-père lui a répondu : Laisse faire, cette fois ci c'est moi qui s'en charge. Il a enlevé sa ceinture, m'a dit de baisser mes pantalons et mon cul en a mangé tout une. Ma mère par derrière -- comme si mon père ne frappait pas assez fort -- disait : «Vas-y, plus fort! Il va apprendre à faire attention le p'tit crisse». Mes fesses sont passées du bleu au mauve et au vert et durant longtemps. Avez-vous déjà essayé de chier à angle de 45 degrés?

( Suite )

Aujourd'hui c'est le 3 novembre 1998 et j'ai 33 ans. Ma fille a grandi; elle est en deuxième année. J'en suis tellement fier. J'éprouve de la difficulté à être un bon père -- non, je ne la bats pas -- Il me semble que je ne passe pas assez de temps en sa compagnie. Ma fille est pourtant toute ma vie, sans compter ma charmante. Je vous reparlerai de ma femme un peu plus loin.

Cette deuxième partie à été réalisée suite à la demande de certains lecteurs désireux de connaître la suite. Il est tout à fait normal de finir ce qu'on a commencé. En passant, j'aimerais remercier tous ceux qui m'ont témoigné de l'intérêt. Eh bien voici pour vous la suite de «L'hostie d'enfant de chienne».

 

Je disais que je me suis souvent sauvé de la maison. Je me suis finalement fait prendre à voler. Oh ! Oui j'ai volé, mais plus souvent qu'autrement c'était pour manger ou pour me déplacer, sans plus.

Je vivais dans le vent et le plus clair de mon temps, je le passais dans les parcs. J’allais parfois au Jean Coutu sur le boulevard Shevchenko à Ville LaSalle, je volais du chocolat. Lorsque j'étais en fuite je me déplaçais à vélo. Le chocolat occupait donc une grosse place dans de mon alimentation. À ma première fugue, je suis allé chez Candide -- la femme dont j'ai parlé dans la première partie. J'ai fait une autre fugue avec ma soeur mais cette fois-là, dans un froid terrible. Ce n’était pas du tout confortable. On a dormi dans des parcs et sous les tunnels de ciment. Des tunnels, il y en avait dans presque tous les parcs. Ils les avaient disposés de façon à s'imaginer le passage d'un train. Cette fugue-là a été la pire des fugues.

Bien sûr il a fallu quêter de l'argent pour manger. Hey! Comment refuser un dix cents ou un vingt-cinq cents à un jeune qui a perdu son billet d'autobus pour rentrer à la maison? Certains en donnaient plus, du genre : «Tiens, tu prendras une liqueur avec le reste». Je veux vous remercier, tous ces gens, qui que vous soyez. Une dame de race noire nous a bien aidés -- avis à ceux qui ont des préjugés racistes -- Elle nous a logés et nourris pour une journée et demie. C'est là que j'ai appris qu'on pouvait à la fois mettre du beurre et du beurre d'arachide sur une toast.

Je vous jure, j'ai trouvé ces gens plutôt bizarres mais surtout très gentils. La femme qui nous aidait nous a dit : «Allez à deux coins de rue d'ici, il y a un endroit pour les enfants en difficulté» C'était un genre d'orphelinat. De l'extérieur, on aurait dit une prison car il y avait des grillages tout le tour des fenêtres. Je me disais tout bas : «Pas très rassurantes tes idées, la soeur».

Nous sommes retournés chez la dame noire en question. Étant donné que la police nous faisait vraiment peur, elle nous a dit d'aller voir les pompiers. Sur place, un des pompiers m'a demandé mon nom. J'ai répondu Patrick. Il voulait savoir ma date de naissance. J'ai dit : «Non tu sauras pas». Ma soeur a vendu la mèche mais de toute façon les pompiers ne nous auraient pas laissé partir sans savoir d'où on venait.

Le plus souvent quand je me sauvais, c'était seul et en vélo. Dans le temps de mes dernières fugues, ma soeur avait déjà quitté la maison et pour de bon, la chanceuse. Une fois j'ai vraiment manqué ma fugue, oh yes! C'était la première fois que je partais de plein gré, c'est-à-dire la première fois que j'avais le temps de me préparer et que je n'avais pas peur. Une fois j'ai quitté la maison valise à la main, un pain croûté, un pot de beurre d'arachides, un couteau, un marteau, une hache puis, évidemment, mon bicycle. Cette fois a été la plus courte. Pour vous dire, je suis parti le soir et tout le monde dormait. Il devait être environ 10 h 00 ou 10 h 30. Je suis allé au McDonald du boulevard Newman (toujours à Ville LaSalle). Je me suis réchauffé les mains dans la salle de bain du restaurant avec les séchoirs. Par la suite, j'ai pris place dans le restaurent et un employé est venu me voir. Je lui ai dit que j'attendais quelqu'un. Bof! Tant qu'à attendre, pourquoi pas manger un peu? Une gaffe. J'ai sorti le pain puis le beurre de peanuts. Au bout de deux minutes, la police est arrivée.

J'aurais fais un "hold-up" et ils ne seraient pas arrivés plus vite. Les flics m'ont demandé ce que je faisais là. Je leur ai dit que je bâtissais une cabane dans le bois. Je tremblais de partout, disons que j'avais peur. On m'a ramené à la maison. Je leur ai montré par où j'étais sorti. Il ne s'est pas contenté de simplement me reconduire; il a réveillé toute la maisonnée. Une chance que ma mère était au travail. En tout cas, une heure de fugue qui a fait bien de la merde.

La dernière fugue fut la bonne; il en faut bien une. Les policiers ont voulu me ramener à la maison mais à deux reprises je leur ai donné une mauvaise adresse. Ils ne me trouvaient pas particulièrement drôle. La première adresse, je l'ai donnée au hasard et la seconde correspondait à notre dernière ancienne adresse. Cette maison n'était pas habitée, c'était le grand vide. Du poste de police, on m'a envoyé à l'Escale, une place de fous, ça! Pour être clair, disons que c'est pas l'endroit idéal pour un jeune qui, mis à part des vols de chocolat, n'avait jamais vraiment commis de crimes.

Quand tu rentres à l'Escale, on te donne de beaux souliers neufs, des "running shoes" (non, pas des ADIDAS!). On te fouille puis tu attends ton tour. Tu attends quoi? Tu te demandes qu'est-ce qui va se passer. Tu fais quoi? Tu fais dur, cris! Dans ma tête je vivais l'enfer. Je croyais toutes les histoires que ma mère m'avait racontées dans le temps.

Elle m'a souvent dit que les jeunes qui n'écoutaient pas leurs parents se retrouvaient dans de grandes institutions à laver les planchers avec des brosses à dent du soir au matin, qu'ils ne mangeaient que du pain et de l'eau et qu'ils dormaient sur des lits de ciment dans des chambre pas plus grandes qu'un garde-robes; tout ça selon le désir de leurs propres parents. J'avais très peur de ce qui m'attendait et je m'imaginais que mon tour était venu.

1978,

J'avais hérité d'une travailleuse sociale. Un jour nous étions quatre dans son bureau, dont ma mère et ma tante. La travailleuse sociale m'a demandé si je voulais retourner chez ma mère. Ma mère m'a dit : «Mon beau Paco, tu n'as jamais manqué de rien, je ne t'ai jamais laissé aller à l'école sans souliers. Tu étais toujours bien habillé (c'est vrai). Comme j'allais dire oui, ma tante m'a dit : «Pascal, cris! Si tu veux pas, il vont pas te manger, ils sont là pour t'aider. Ils vont te placer dans une famille en attendant que les choses aillent mieux. Quand tu seras vraiment prêt, tu pourras toujours retourner chez toi» Ouf! Après un long moment de silence et une très grande décompression, j'ai donné ma réponse : un gros NON.

Ma mère et ma tante sont parties et elles sont restées longtemps sans s'adresser la parole. On m'a donc envoyé en foyer d'accueil, mon premier. C'était à Saint Donat dans les Laurentides, chez monsieur William Boudreault (Willy). C'était super. Willy travaillait comme chauffeur d'autobus, il était éducateur pour l'Auberge des Quatre Vents à Saint-Donat et il était aussi pompier volontaire pour le village. Je restais chez lui avec un autre jeune, un italien dont je ne me souviens pas du nom, mais je me rappelle qu'il était avec moi à l'orphelinat Saint-Joseph. Nous sommes restés à Saint Donat seulement deux ou trois semaines et j'ai eu beaucoup de plaisir, j'en garde un très bon souvenir.

On allait à la pêche, on se promenait en Jeep Renegate bleu, on écoutait Village People -- OK! dans le temps c'était bon -- Je m'était fait une copine dans le village. Peu de temps après, on m'a dit qu'un homme viendrait me chercher pour m'amener dans un autre foyer d'accueil.

Disons que cet homme en question n'était pas trop rassurant: Géant, mal rasé, avec de gros yeux louches. Dans sa petite Gremelin grise, il me dit qu'on s'en va à la Tanière Yogi à Saint Michel des Saints. J'étais nerveux et le chemin m'a semblé long. Je n'ai pas arrêté de poser des questions sur mon nouveau foyer d'accueil. Arrivé à bon port, j'ai vu cet endroit. Je vous explique :

 

Je vais vous décrire l'endroit. *(1) 14 unités de chambre avec salle de bain. *(2) Une maison maître de huit chambres à coucher dont quatre pouvaient facilement recevoir quatre lits simples, munies d'une salle de bain complète. Il y avait aussi deux bureaux à l'entrée, un salon double et une verrière avec vue sur le lac. Dans la verrière, une cuisine s'est ajoutée avec le temps. *(3) Une salle de jour transformée en dortoir temporaire, c'était le début de la Tanière Yogi. Il y avait également une section billard, deux tables : une Boston et une Snooker *(4) Le cinéma, oui, un cinéma! Pas très grand mais quand même. *(5) La cafétéria était très grande et vitrée sur trois côtés. L'autre côté de la cafétéria abritait une cuisine équipée pour recevoir en grand. Tous ces bâtiments étaient bâtis sur un seul étage et montés sur une fondation de trois pieds faite de blocs. Seul le garage *(6) avait été bâti sur deux étages. Les deux chalets avaient un sous-sol. Sur le dessin vous ne voyez pas l'écurie car elle était de l'autre côté du chemin. Au bas du dessin, il n'y a pas grand-chose à voir de toute façon.

 

 

 

 

La Tanière Yogi était un très bel emplacement qui, jadis, appartenait à la compagnie Masline qui n'existe plus aujourd'hui. Comme vous voyez, c'était assez grand merci! Que faisait-on de cet endroit? Je n'en sais rien. J'ai entendu dire que le club de hockey Canadien aurait déjà été propriétaire ou locataire de ce site. Si c'était avant ou après Masline, je n'en sais rien. De toute façon, le superbe site n'existe plus et M. Rondeau qui était voisin de la Tanière Yogi y est pour quelque chose.

Le site se détériorait à vue d'oeil parce qu'il y avait trop de jeunes et pas assez d'employés. Au tout début, on comptait six employés pour 35 jeunes. Jacques était toujours à la cour et Hélène, sa femme, très gentille, était toujours dans la maison ou à la cuisine. Hélène Doré, sa soeur, vivait dans un appartement tout près de la cafétéria. Elle n'était pas souvent avec nous. Les deux Montagnais, Paolo et Alexandre, ont été congédiés suite à une plainte au sujet de leur homosexualité. (Est-ce vrai, est-ce faux? Je ne sais pas). Ils avaient plutôt l'air de deux joyeux lurons avec leur poncho. Il y avait aussi Yvon ou Yvan, un canotier qui était responsable des expéditions et de l'entretien du site; un soudeur de métier. 

( Concernant ma sœur )

Je discutais au téléphone avec ma soeur au sujet de ma page web. Étant donné que j'étais plutôt heureux de constater que mon site web avait un certain succès, je voulais partager mon enthousiasme avec elle. Ma soeur m'a dit qu'elle trouvait mon site très bien, mais qu'elle avait l'impression d'être noircie dans toute cette histoire. Elle se sentait coupable de ne pas avoir fait le nécessaire pour nous sortir de la merde.

Pauvre «petite soeur», elle n'a que quatre ans de plus que moi. Tout au long de notre pénible jeunesse, elle a toujours été près de moi et m'a toujours aidé. Les seuls moment où je me sentais vraiment en sécurité, c'est lorsqu'elle était là, à mes côtés, dans le même environnement. Ces moments ont été plutôt rares. Par exemple, à l'orphelinat je passais mon temps à écoeurer les plus vieux tout en sachant que ma soeur prendrait ma défense. Même si ça n'a pas toujours fait son affaire, elle l'a toujours fait. J'ai très souvent eu la priorité sur ses chums qui plus vieux. Peu m'importe la raison, ma soeur -- Chantal ou Michelle, comme il vous plaira de l'appeler -- restera toujours une personne sur qui je peux compter.

Aujourd'hui elle s'appelle Tilly (pour Chantilly). Même si j'ai de la difficulté à l'appeler par ce nom, ça lui va très bien. Le plus souvent je l'appelle Mimi. Je sais bien qu'elle aimerait que je l'appelle Chantilly, mais de tous les noms, c'est Mimi qui me reste en tête, Mimi... ma petite soeur.

Pourquoi tous ces noms me direz-vous? C'est très simple. C'est parce que ma soeur a notre passé en horreur. Pour elle, changer de nom est sa façon d'oublier cet horrible passé.

Elle vous échangerait la pire journée de votre jeunesse contre sa meilleure et elle y gagnerait au change.

Il est pour moi très évident que le quatre ans de différence d'âge entre ma soeur et moi n'est pas suffisant pour la rendre coupable de quoi que ce soit.

Tilly, je t'aime bien plus que tu ne le croies. Je sais, je ne te serre pas souvent dans mes bras. Côté affectif, je suis un peu froid, oui c'est vrai. Même ma fille commence à s'en rendre compte et s'en plaindre! Dites-moi, comment donner ce qu'on n'a jamais reçu? Mon passé, je ne tiens pas à oublier. Si seulement je pouvais le crier.