Beaucoup d'illusions circulent à ce sujet. Il suffit qu'une annonce paraisse ou qu'une nouvelle se répande pour donner l'impression qu'une arme fantastique aux propriétés inusitées va changer du jour au lendemain le cours de l'Histoire. La réalité à ce sujet est passablement plus prosaïque. Les armes fantastiques sont habituellement connues, copiées et reproduites bien avant d'avoir fait long feu. Résultat : les chances étant redevenues égales, on a recours aux armes conventionnelles, celles qui exigent des muscles et de la volonté. Ni les gaz, la guerre chimique, biologique, nucléaire ou thermonucléaire ne vont bien loin. La raison, c'est que nul ne veut détruire l'autre et se détruire lui-même avec. Seuls les mégalomanes qui cherchent le pouvoir absolu cherchent l'arme absolue. Lorsqu'ils la trouvent, elle se retourne rapidement contre eux.
En effet, ceux qui dominent par la violence extérieure dominent rarement les cœurs et les esprits qui ne manquent pas une occasion favorable de se retourner contre le despote, lequel ne peut absolument pas tout penser et tout prévoir, si intelligent soit-il. Sa grande force ne tient la plupart du temps qu'à un fil, qu'il faut savoir trouver et couper. Pour nous, hommes ordinaires, la réussite à l'heure du danger dépend de la conciliation exigeante de facteurs multiples. Le procurement d'un équipement adéquat n'est pas une chose facile, comme nous le verrons.
Les armes et l'équipement trop sophistiqués subissent ordinairement le même sort que les armes absolues. Leur faiblesse est de n'être utilisables que dans des conditions idéales, ce qui arrive rarement. Ensuite, elles se neutralisent les unes les autres, de sorte que les batailles finissent par se faire avec les armes les plus simples et avec des hommes qui n'ont rien de technocratique. La preuve en a été faite jusqu'à très récemment encore. Cela ne veut pas dire qu'il faut négliger de s'équiper d'armes spéciales. Au contraire, il faut que l'adversaire sache qu'on est capable de lui rendre coup pour coup et bassesse pour bassesse. L'essentiel c'est de savoir que ce ne sont pas les fakirs qui règlent les grands problèmes de l'État et que les constantes ne doivent pas être oubliées à cause d'eux. Une défense qui se fonde sur le transitoire fait fausse route en partant.
En tenant compte des lenteurs de la bureaucratie, des tâtonnements de la science et de la recherche, des difficultés de l'industrie de s'adapter à des changements importants, des constantes de l'économie nationale et des tergiversations de la politique, il faut généralement entre huit et douze ans pour mettre une nouvelle arme au point.
Les États les plus gros sont les plus lents et la précipitation aboutit inévitablement à des faux résultats qui ne tardent pas à être reconnus comme tels et à devenir une cause de scandale public, auquel s'ajoutent le gaspillage des ressources et le recul dans le temps qui finalement en résulte. Le proverbe qui dit que le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui se vérifie alors de manière impressionnante. Au moment où la nouvelle arme sort ses caractéristiques et surtout ses faiblesses sont déjà connues de tout le monde de sorte qu'elle est facilement contrebattue. De plus, il est très rare qu'une défense nationale soit équipée de la "meilleure " arme. Elle est habituellement trop chère. Quant à la deuxième meilleure, il est presque toujours trop difficile de l 'obtenir dans les délais prescrits. Généralement, l'État doit se contenter de la troisième meilleure arme et quelquefois de la quatrième. Lorsque la corruption s'en mêle, la défense risque alors d'être dotée de la neuvième ou dixième arme, tout en payant le prix de la première…
Les exigences d'une arme de guerre sont à peu près les suivantes :
- Adaptabilité
- Robustesse
- Simplicité
- Facilité d'entretien
- Facilité de maniement, même dans les conditions les plus difficiles.
Prenons l'exemple du fusil, tel que nous le connaissons aujourd'hui, avec le canon rayé, le projectile en fuseau, les poudres à combustion lentes, qui permettent de propulser la balle à une plus grande vélocité ; tout cela date du début du siècle. Le fusil automatique était connu dès 1920.
Quant aux calibres de guerre, ils ont assez peu de différence entre eux. Des calibres comme le .303 des Britanniques, le .30-06 des Américains, le 7.92 millimètres des Allemands et le plus récent 7.62 millimètres utilisé comme calibre standard par l'OTAN, se ressemblent. Les projectiles varient en diamètre entre 6 et 8 millimètres, pèsent entre 150 et 180 grains et sont propulsés hors du canon à une vélocité initiale variant entre 2400 et 2800 pieds à la seconde. Tous les fusils de guerre, comme les Mauser, Lee, Enfield, Springfield, Lebel, Garand, FN, sont potentiellement meurtrier jusqu'à un mille de distance. Pourtant, au cours des deux guerres mondiales, en Corée et au Vietnam, les individus qui ont été tués ou blessés par des balles de fusil sont extrêmement rares, comparé au nombre de coups qui ont été tirés. Selon les calculs, cette proportion varierait entre un coup sur 73 000 et un coup sur 800 000 et même davantage. Ce chiffre peut paraître étonnant mais ne devrait pas nous surprendre puisqu'au… Québec, les chasseurs qui hantent chaque année la forêt à la recherche du gibier attrapent leur cible à raison d'un coup sur 100 000, chiffres qui émanent de la Fédération québécoise de la faune. À partir de ces faits, on peut affirmer que l'état qui trouverait le moyen de faire de chaque citoyen un franc-tireur capable d'attraper sa cible à tout coup n'aurait besoin que de 100 000 balles pour se défaire d'un envahisseur dont l'armée se compose de 100 000 hommes. C'est ce qu'un pays comme la Suisse tente de réaliser depuis assez longtemps.
En pratique, cependant, les meilleurs résultats au tir auraient été atteints par les Boers pendant leur guerre contre les Anglais et aussi par les Espagnols au cours de la guerre de 1936. Ce que Boers et Espagnols avaient en commun, c'est le mousqueton Mauser de calibre 7 millimètres. Le mousqueton est une arme plus courte que la carabine et le calibre 7 mm est un peu plus petit que les autres, ce qui revient à dire que l'arme est plus simple et plus facile à tirer dans n'importe quelles conditions. Il exigeait très peu d'entraînement pour être manœuvré efficacement et comme son recul était beaucoup plus faible que celui des autres fusils de guerre, l'homme qui s'en servait n'avait pas à appréhender le coup et la détonation de sorte qu'il pouvait se concentrer sur la qualité de son tir. Cette arme insignifiante, fabriquée dès 1893, est probablement le fusil de guerre le plus efficace qui soit.
À l'autre extrême, prenons l'exemple du célèbre Garand .30-06, premier fusil automatique à faire une apparition massive dans un théâtre de guerre, l'arme des Américains lors de la seconde guerre mondiale. Son inventeur, Jean Garand, est un Québécois de Laprairie. Le fusil Garand était évidemment une arme techniquement sophistiquée et plus avancée que les autres, ce qui n'en fit pas une meilleure arme de guerre pour autant comme en témoigne la malheureuse expérience d'Omaha Beach, lors du débarquement du 6 juin 1944. Après la première journée, on a trouvé sur la plage des centaines de Garand qui n'avaient pas tiré un seul coup, et ce qui est pire, le cran de sûreté n'avait même pas été déplacé en position de feu.
À l'inverse, des milliers d'Américains furent fauchés par le tir de l'infanterie allemande, armée du Mauser 98K, dont le modèle original datait de 1898 et qui n'avait pas été changé depuis. Une réussite semblable est inimaginable dans les circonstances car c'est un fait connu que le soldat américain qui débarqua en Normandie était mieux entraîné que son homologue allemand. De plus, les Allemands venaient d'essuyer un bombardement massif, qui les avait passablement secoués, alors que les Américains n'avaient pas été soumis à une canonnade semblable. Une bonne partie de la réponse se trouve dans le fait que le Mauser est facile à manœuvrer et à tirer, même pour un homme apeuré, surexcité, ému et s'échappant à lui-même, tandis que la Garand exige des mouvements de la main d'une précision telle que l'homme pris dans une bataille serait incapable de les exécuter, même avec le meilleur entraînement du monde. Exception pour les forts, mais ils sont très rares.
Ces faits nous montrent la vérité des enseignements d'Ardant du Picq, à savoir que dans toutes choses de guerre, il faut partir de l'homme et son état moral au moment du combat. Ici, le dénominateur commun le plus bas est encore le plus sûr.
J.R.M. Sauvé
Conseiller militaire du MLNQ