Site hosted by Angelfire.com: Build your free website today!

Fierté, combativité et persévérance

Comme au moins 65% des Québécois, je n'ai jamais vu Maurice Richard à l'oeuvre, à l'époque où il dominait le hockey comme seulement quelques très rares athlètes ont réussi à le faire dans d'autres disciplines. Toutefois, sa carrière remplie de faits d'armes proches de l'héroïsme est devenue pour presque tous les Québécois une intarissable source d'inspirations de fierté, de combativité et de persévérance.

En 1960, au moment où Maurice Richard a annoncé sa retraite, plus de la moitié de la population active n'était pas née.
En fait, 65% des Québécois sont aujourd'hui âgés de moins de 45 ans et n'ont donc jamais pu apprécier en "direct" les prouesses de celui qu'ils apprendront néanmoins à connaître rapidement par le biais de récits familiaux et d'archives télévisuelles.
J'avais deux ans lorsque Maurice Richard a quitté le hockey. Je n'ai donc pas eu la chance d'assister à ses exploits mais, comme tous les jeunes Québécois, j'ai appris à jouer au hockey en portant d'abord un chandail du Canadien et accessoirement des patins...
Des numéros 9, il y en avait des quantités même si aucun joueur du Canadien n'était autorisé à le porter. Rapidement, on était donc initié à la mystique Maurice Richard, celui dont on voulait imiter les exploits, mais que l'on n'avait jamais vu à l'oeuvre.

Trois qualités d'une époque

Fierté, combativité et persévérance, ces trois qualités cardinales qui ont façonné l'édification de la légende qu'est devenu Maurice Richard sont les mêmes qui ont marqué l'éclosion d'une classe d'affaires francophone à l'époque où le Rocket faisait flèche de tout bois.
Maurice Richard a incarné sur la glace, et par ses exploits, des vertus qui allaient servir à quantité d'entrepreneurs décidés à prendre d'assaut des grands pans de l'économie québécoise qui leur avaient jusque-là échappé.
En 1955, au moment où la fougue du Rocket et son intransigeante soif de justice allaient entraîner tout Montréal dans l'émeute du Forum, Pierre Péladeau, avec une fougue tout à fait semblable, posait les fondements de ce qui allait devenir un empire économique international; Armand Bombardier posait les premiers boulons de ce qui deviendrait une formidable machine transnationale; Paul Des Marais achetait les premiers autobus qui allaient le conduire à l'édification d'une impressionnante puissance financière.
Si plusieurs joueurs de hockey ont éclipsé tous les records qu'il avait pu établir à son époque, Maurice Richard restera toujours dans une classe à part en raison de l'intensité qu'il déployait au jeu. Lorsqu'on visionne les films d'archives le montrant en train de traverser la patinoire de bout en bout pour aller marquer, on voit un homme jouer avec l'âme d'un damné.
On s'est tous fait raconter le fameux but qui caractérise tant la détermination du Rocket, lorsqu'il avait trois joueurs adverses accrochés au dos et qu'il a tiré jusqu'au filet pour inscrire le but qu'il devait marquer à tout prix. À la toute fin de sa vie, le cancer, la maladie de Parkinson et l'arthrose de la colonne vertébrale s'accrochaient à lui, mais Maurice Richard continuait de lutter comme il l'avait toujours fait.

Un être seul

Je n'ai jamais vu à l'oeuvre Maurice Richard, mais j'ai eu la chance de le voir souvent à l'aréna Ahuntsie, dans mes jeunes années pee-wee et bantam, lorsque notre équipe de hockey affrontait les Braves avec lesquels jouait son fils Paul.
De la glace, on pouvait voir le Rocket assis dans les gradins, seul, à une bonne distance de la foule agglutinée. Il arrivait une fois que le match était commencé et partait lorsque la sirène se faisait entendre.
Autant cet être avait pu galvaniser l'âme de tout un peuple, autant il semblait être un homme seul, fermé, donnant l'impression d'être consommé par un brasier intérieur... Le feu de la fierté, de la combativité et de la persévérance qu'il a allumé dans l'âme de tout un peuple.

Jean-Philippe Décarie
Cahier-souvenir (Journal de Montréal)
mai 2000