Le vitrail à travers les siècles
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L'âge d'or: du roman au gothique
Au XIIe siècle, les vitraux
sont encore de taille assez modeste. L'accent est alors mis sur
l'enseignement et la compréhension, d'où le rôle important accordé aux
inscriptions. Le dessin est simple et énergique. La palette de coloris est
assez restreinte: bleus et rouges, coloris très riches, fortement contrastés,
mais aussi vert tirant sur le jaune, pourpre rosé, et jaune brillant. Les
silhouettes sont puissantes, quoique les personnages soient de petites
dimensions; les draperies, généralement accusées. On privilégie alors les
groupes de personnages – Crucifixion de Châlons-sur-Marne (vers 1155) et celle de la
cathédrale de Poitiers (vers 1165-1170) –, plutôt que de
grandes figures, que l'on rencontre toutefois dans certaines compositions – Notre-Dame de la Belle Verrière de Chartres (vers 1180); prophètes
et évêques de Reims (1185-1200). Les détails sont réduits au minimum
(quelques végétaux, des architectures conventionnelles). Les bordures qui
encadrent les scènes sont, en revanche, importantes et très ornées,
principalement de motifs végétaux: acanthes, fleurons, feuilles et pétales
s'enrichissent parfois de motifs perlés qui ajoutent au luxe de ces
compositions, pourtant secondaires par rapport aux scènes figurées. Dans ce
chatoiement et ce raffinement de coloris, les pâles verrières à simples
motifs géométriques réalisées pour les abbatiales cisterciennes (Aubazines, Pontigny, par exemple) opposent une sobriété
qui répond à l'exigence de pauvreté et de recueillement voulue par Bernard de
Clairvaux.
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Le XIIIe siècle est marqué, dans l'architecture, par l'apparition de
nouveaux types de verrières, comme les roses, tandis que les baies
s'agrandissent grâce aux progrès apportés par la construction en croisée
d'ogives contrebutées à l'extérieur par des arcs-boutants, ce qui permet
d'évider les murs au maximum et de créer un mur-écran
où le vitrail peut s'étendre et faire partie intégrante de l'édifice. Si la
volonté d'enseignement est toujours très forte, on note cependant que
bordures et inscriptions sont moins importantes. L'iconographie, qui puise
toujours dans les scènes de la vie du Christ ou de la Vierge, se tourne
également de plus en plus vers la généalogie du Christ (arbre de Jessé, à l'imitation de celui commandé au siècle
précédent par l'abbé Suger, à Saint-Denis, et copié à Chartres) et vers la
vie de tous les jours: les représentations de métiers et les portraits des
donateurs se multiplient, tandis que des thèmes encyclopédiques prennent
place dans les roses nouvellement créées (Arts libéraux à la
cathédrale de Laon, Zodiaque à Notre-Dame de
Paris). De grandes figures isolées se développent, en particulier dans les
fenêtres hautes, comme à la cathédrale de Bourges (Vierge, prophètes ou
apôtres, vers 1220-1225). Si le dessin est toujours énergique, comme à
la période précédente, il est toutefois moins accentué et s'oriente vers un
naturalisme plus marqué: les corps se devinent sous les vêtements, les
attitudes sont plus véridiques et naturelles, les végétaux se rapprochent de
la réalité. Dans le même temps, la palette s'étend, notamment dans les
nuances d'une même teinte (deux rouges: carmin et vermillon, pourpre rose et
pourpre foncé). Le jaune, lui, est moins employé qu'au XIIe siècle.
Dans la seconde moitié du XIIIe siècle
se développe l'usage de la vitrerie incolore, déjà utilisée au siècle
précédent et qui permet un meilleur éclairage des édifices.
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Le siècle suivant voit la haute technicité des peintres verriers se
maintenir; cependant, on perçoit un souci d'économie qui se traduit,
notamment, par un essor affirmé des vitraux incolores (certains ont pu voir
dans ce nouvel usage une influence de la pensée franciscaine). C'est à cette
époque également que se répand la mode du jaune d'argent – sels d'argent
mélangés à de l'ocre –, qui va augmenter notablement les possibilités offertes aux peintres
verriers: aération et clarification des compositions (le jaune d'argent
permet en effet une mise en couleur localisée, sans avoir recours à une mise
en plomb), rehauts plus nombreux, s'ajoutant à ceux effectués en grisaille.
La première utilisation de jaune d'argent connue date de 1313, mais il
n'est pas impossible qu'il ait été employé quelques années auparavant, en
Grande-Bretagne. L'emploi du jaune d'argent peut être associé à celui de la
grisaille, comme dans le cas des panneaux offerts à la cathédrale de Chartres
par le chanoine Thierry en 1328. Une nouvelle couleur vient en outre
s'ajouter à la riche palette existante: la sanguine. Cette couleur brun-rouge permettra aux peintres de varier de façon
considérable les teintes utilisées pour les carnations.
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Au XVe siècle, les verriers, à l'instar des peintres, cherchent à se
dégager des contraintes de l'architecture. Le vitrail de l'Annonciation,
don de Jacques Cœur à la cathédrale de Bourges, comme celui de la Vierge glorieuse
entourée d'anges à Moulins témoignent d'une évolution de plus en plus
accentuée vers la copie de la peinture.
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La Renaissance
Au XVIe siècle, la dépendance du vitrail vis-à-vis de la peinture
s'accentue. Les sujets sont traités dans un esprit de plus en plus profane,
et simultanément le vitrail est introduit dans l'architecture civile, comme
aux châteaux d'Écouen ou de Chantilly. Dans le même temps, l'influence
italianisante se fait sentir, en particulier dans des détails décoratifs ou
dans le vêtement à l'antique porté par certains personnages. Les fonds
s'animent de paysages à décors végétaux, de jardins, parfois même de ruines
antiques, quand il ne s'agit pas de représentations de villes réelles (Rouen,
Beauvais). L'évolution du matériel (pinceaux très fins, brosses dures) et de
la palette colorée – où apparaissent alors les violets éteints, les verts sombres et toute la
gamme des camaïeux – permet aux peintres verriers de réaliser de véritables tableaux, où les
détails peuvent être appréciés pour eux-mêmes. En outre se répand l'emploi
d'émaux (premiers exemples à Montfort-l'Amaury, vers 1544), augmentant
les possibilités offertes par les verres teintés dans la masse utilisés
jusqu'alors. Toutes ces innovations techniques concourent à rapprocher
toujours plus le vitrail de la peinture. Et, comme en peinture, les artistes
signent de plus en plus leurs œuvres, ne serait-ce que par monogrammes, et les spécialistes peuvent
ainsi étudier et rapprocher les créations d'une même main. Mais,
paradoxalement, la Renaissance a sonné la décadence du vitrail comme art
autonome.
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Le déclin des XVIIe et XVIIIe siècles
Les siècles suivants sont marqués par une nette régression des vitraux
colorés, due en grande partie à l'architecture classique, où des vitres de
grandes dimensions, blanches, dispensent une clarté
supérieure. Le goût baroque, lui, intègre le verre à des compositions mêlant
architecture et sculpture, comme à la basilique Saint-Pierre
de Rome, où le Bernin n'utilise un vitrail jaune – orné d'un seul
motif central, la colombe du Saint-Esprit, source
de lumière spirituelle et, ici, bien réelle – que pour mieux
faire resplendir l'or de la gloire dont il surmonte la majestueuse chaire.
Mais là aussi le vitrail a cessé d'être un art autonome. Et au XVIIIe siècle, il sera si peu pratiqué
que la plupart des verreries arrêteront la fabrication des verres colorés.
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Le renouveau du XIXe siècle
Il faudra attendre, au XIXe siècle,
le regain d'intérêt pour le Moyen Âge, grâce aux romantiques, pour que l'on
se tourne de nouveau vers cet art qui avait contribué à la splendeur des
cathédrales. En Angleterre, les préraphaélites sont les premiers à ranimer
les grandes traditions du vitrail, de Walter Crane
à William Morris, d'Edward Burne-Jones à Christopher Wall.
Puis, en France, avec les grandes campagnes de restaurations d'édifices
lancées par Viollet-le-Duc, on retrouve le savoir-faire médiéval
(manufactures de Choisy-le-Roi, Clermont-Ferrand, Le Mans), qui permet de
replacer des vitraux dans les édifices restaurés, mais aussi de réaliser des
créations pour les édifices contemporains.
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De l'Art nouveau à nos jours
À l'aube du XXe siècle, le mouvement Art nouveau donne un nouvel essor à l'art du
vitrail: Tiffany aux États-Unis, Mackintosh en
Angleterre, Merson, Grasset, Besnard ou Mucha en
France, Toorop et Thorn-Prikker aux Pays-Bas
explorent les possibilités décoratives du vitrail. Tandis qu'aux États-Unis
l'architecte Frank Lloyd Wright dessine lui-même les motifs géométriques des
fenêtres de ses édifices, en Allemagne les recherches du Bauhaus aboutissent
à une technique d'enchâssement dans le béton, qui sera mise à profit par de
nombreux artistes, tels Fernand Léger et Jean Bazaine à Audincourt. Ces deux
artistes apporteront aussi leur contribution à l'église du plateau d'Assy
(1937-1950), tout comme Chagall (également auteur de vitraux pour la synagogue
de Hadassah, à Jérusalem) et Rouault, qui transpose
dans le vitrail une peinture évoquant déjà cet art par ses formes cernées de
noir. Quant à Villon et à Bissière, ils donneront des vitraux à la cathédrale
de Metz, Matisse à la chapelle de Vence, Manessier à l'église Saint-Pierre de Trinquetaille à
Arles (1953) ou à Saint-Bénigne à Pontarlier
(1974-1975), Vieira da Silva œuvrant, elle, à Saint-Jacques de Reims (1966-1976). En 1994 sont
inaugurées les nouvelles verrières de Sainte-Foy de Conques, pour lesquelles
le peintre Pierre Soulages a conçu de grandes fenêtres translucides, tout
juste traversées de traits de métal sombre, qui apparaissent comme des
négatifs des vigoureux coups de brosse de ses peintures noires. À la
cathédrale de Nevers, un projet de grande envergure prévoit le remplacement,
en 1995, des verrières (hormis celles du cul-de-four roman, confiées au
peintre abstrait Raoul Ubac dans les années 1980) par un ensemble
commandé à Claude Viallat, François Rouan,
Jean-Michel Alberola, Gottfried Honegger et Markus Lüpertz, cinq artistes représentatifs de diverses
tendances de la création contemporaine.
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