Les Sorcières

En 1603, l'archevêque Samuel Harsnett décrivait les sorcières comme "de vieilles femmes aigries au menton et aux genoux presque soudés par l'âge, le dos arqué, clopinant sur un bâton, l'oeil creux, édentées, le visage raviné, les membres agités de tremblements, marmonnant dans les rues". Les livres d'images nous les montrent habillées de vieux oripeaux noirs, d'une saleté repoussante, et suivies d'un horde de chats, noirs pour la plupart. La vérité est tout autre.

Les femmes qui avaient le malheur de ressembler à cette description étaient automatiquement reconnu comme étant des sorcières, alors qu'elles n'étaient en fait que de pauvres vieilles veuves qui n'avait tout simplement pas les moyens de vivre autrement. Elles logeaient dans de vieilles cabanes, portaient des haillons, et leur survie alimentaire passait bien avant l'hygiène corporelle. Les chats n'étaient que le résultat de leur bonté, car, malgré leur pauvreté, elles les nourrissaient de leurs maigres restants. Pour elles, les chats étaient leurs seuls véritables amis!

Du 15ième au 17ième siècle, la croyance populaire voulait que les sorcières possèdent le pouvoir de jeter des maléfices, de provoquer de grands malheurs, de communiquer avec les animaux, de se déplacer sur un balai, de concocter des poisons ou des potions maléfiques et de contrôler la température en provoquant les pires intempéries, et cela entraîna leur massacre. Les bien-pensants, les dirigeants, le clergé, et le système judiciaire s'unirent pour condamner leurs pratiques qui furent qualifiées de dangereuses et d'illégales, et l'humanité assista à une sorte de folie collective; la chasse aux sorcières donna lieu aux pires atrocités, à des injustices sans nom et à des persécutions inhumaines.

On estime que plus de 200 000 personnes, en majeure partie des femmes, furent torturées, puis exécutées. La plus célèbre de ces chasses est, sans doute, celle de Salem. Mais il y en eut d'autres, et beaucoup plus meurtrières. En France, au début du 16ième siècle, le juge Nicolas Remy fit exécuter environ 900 personnes, le juge Henri Boguet, 600, tandis que Peter Binsfield, un évêque allemand de la fin du 16ième siècle, se rendit fièrement responsable de la mort de plus de 6 000 personnes. On assista même à des dénonciations complètement loufoques faites par les membres d'une même famille, par des amis "sincères", par des voisins qui, par peur ou par vengeance, devenaient ainsi bien vus des autorités.

On se servait de la torture pour faire avouer les sorcières. Les procédés utilisés étaient abominables; on les faisait marcher sans nourriture ni sommeil jusqu'à ce qu'elles avouent, ou alors on les jetait dans l'eau: le fait de ne pas se noyer prouvait leur culpabilité. Noyées, brûlées vives sur le bûcher, ces femmes n'avaient bien souvent d'autre tort que celui de connaître la vertu de certaines plantes ou d'avoir des dons de clairvoyance. Dès que surgissait un ouragan, une maladie mortelle, un cataclysme naturel ou une mauvaise récolte, on en accusait les sorcières.

La peur de l'inconnu rendait inquiets les gens de bonne société; l'inquiétude et la peur leur obstruaient l'esprit à un point tel qu'ils étaient incapables de rationaliser les événements et rendaient responsables les pauvres vieilles femmes mélancoliques, dépressives et solitaires qui, elles, n'avaient aucun moyen de défense et devaient, en bout de ligne, payer pour l'étroitesse d'esprit des gens soi-disant intelligents.




Identification de la sorcière

Depuis le Moyen Age, les chasseurs de sorcières avaient plusieurs moyens d'identifier et détruire les sorcière. Pour ceux qui ne disposent pas de ressources d'un laboratoire de chimie, et qui ne peuvent pas se procurer de mercure, d'acide nitrique ou d'yeux de salamandre, il existe une technique peu compliquée à mettre en application. Elle consiste à attacher la sorcière présumée à un tabouret en liant son pouce droit à son orteil gauche et inversement, puis à immerger le tout dans l'eau.

Pour les chrétiens, en effet, l'eau symbolise les fonds baptismaux : ils pensent qu'elle rejettera tout adorateur du démon et le renverra à la surface. Aucun d'eux n'a songé que dans cette position (que les sauveteurs préconisent pour conserver sa chaleur corporelle quand on se retrouve perdu en mer sans embarcation), n'importe qui flotterait ! Si la sorcière réussissait à défier les lois de la physique et à couler quand même, la malheureuse se noyait avant qu'on ait pu la sortir de l'eau...Mais comme elle avait ainsi prouvé son innocence, elle pouvait être enterrée avec tous les égards dus à une bonne chrétienne. Maigre consolation...

Les variantes de cette technique abondent, généralement dictées par la géographie locale et l'imagination des habitants. Dans une communauté ne disposant que d'un ruisselet peu profond, on pouvait attacher la sorcière à une planche de plonger dans l'eau tête en bas pendant que les inquisiteurs récitaient des versets de la Bible. Or, toute personne immerfée dans cette position se noie presque aussitôt. Et même si elle était exceptionnellement robuste, considérant que les inquisiteurs choisissaient toujours une prière très longue et la faisaient réciter par le paroissien au débit le plus lent, elle n'avait pas grande chance de s'en tirer.

Autre croyance répandue : en échange des pouvoirs qu'il lui conférait, le démon marquait le corps de sa fidèle servante. Une tache de naissance, une petite cicatrice ou même un grain de beauté pouvait ainsi passer pour la marque du Démon. Certains chasseurs de sorcières affirmaient même qu'il s'agissait d'un troisième sein permettant à l'infidèle de nourrir son familier. (Avoir un animal domestique était bien entendu une raison parfaitement valable pour soupçonner une femme de sorcellerie.) Quelque forme qu'elle prenne, la Marque du Démon apparaissait sur une partie du corps masquée par les vêtements ; les inquisiteurs devaient donc déshabiller la pénitente et lui raser tout le corps avant de l'examiner, surtout dans la région des parties génitales. Appliquée par le démon en personne, cette marque était censée résister à toute dégradation physique. On pouvait la larder de coups de couteau sans que la victime n'éprouve de douleur ni ne saigne. Le nombre de sorcières ainsi démasquées semble étonnamment élevé ; mais il faut savoir que les inquisieurs utilisaient deux instruments indentiques. Ils se piquaient avec le premier pour démontrer son efficacité, et, sur la sorcière, utilisaient le second, dont la pointe se rétractait.

Les inquisiteurs disposant d'un équipement limité pouvaient ligoter la sorcière nue dans un cellier, voire sur la place du village, et lui ordonner de répéter une prière toute une nuit durant(le Notre Père était un choix très populaire). Quand elle s'arrêtait de parler, on lui lançait des seaux d'eau glacée jusqu'à ce qu'elle recommence. En dépit de sa constante invocation du nom de Dieu, si une créature vivante quelconque l'approchait au cours de cette épreuve - cafard, chat ou même rat, très répandus dans les colonies infestées de vermine -, les inquisiteurs affirmaient que c'était un diablotin envoyé par le Malin pour récupérer l'âme de la sorcière. La profusion de symboles chrétiens utilisés pour démasquer les sorcières ne provoquait aucun étonnement aux époques médiévale et coloniale.

Les sorcières étaient considérées comme des agents du démon, voir comme ses maîtresses : bref, ses complices lorsque des torts étaient causés à leurs voisins. La Balance était une épreuve très populaire aux États-Unis ; beaucoup de communautés en avaient fait fabriquer d'énormes dans ce seul but (mais quand elles n'en possédaient pas, il était facile d'en improviser une avec une planche en équilibre sur un rondin). Sous les yeux de tout le village, la village la suspecte était perchée dans un des plateaux ; un exemplaire de la Bible occuppait l'autre. Si la balance penchait de son coté, le poids de ses péchée lui aliénait clairement la miséricorde de Dieu. Bien sûr, personne n'est jamais ressorti blanchi de cette épreuve, qui a même permis de faire condamner un chat à Rhode Island en 1876.

Certaines communautés avaient même réussi à imbriquer le jugement et sa mise en application : sous le plateau métallique destiné à la sorcière, elles allumaient un feu avant le début de l'épreuve afin que la suspecte soit grillée vivante. A côté de ces rituels babares, renverser un peu décoction d'yeux de salamandre sur une camarade pour voir si elle devient bleue semble bien inoffensif. Quelques-uns des moyens de détecteur traditionnels, toutefoism se révélaient un peu plus subtils que ceux que nous venons d'évoquer. Par exemple, les trèfles à quatre feuilles étaient censés se faner en présence d'une sorcière, tout comme les roses et la lavande. A l'instar des vampires orientaux, les sorcières avaient la réputation d'être des créatures vaniteuses. Donc, toute femme se promenant avec un miroir sur elle (dans sa poche ou dans son sac à main) pouvait en être une. Celles qui s'admiraient un peu trop longuement dans l'eau était certaines d'y faire un plongeon peu de temps après. Quant a celles qui témoignaient le moindre intérêt sexuel pour un homme, fût-il leur mari, elles avaient de toute évidence succombé à l'attrait licencieux du démon.


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